Le récit politique chinois : Soft power, communication, influence

Regards géopolitiques, v8 n4, 2022

Olivier Arifon (2021). Le récit politique chinois : Soft power, communication, influence. Paris : L’Harmattan, 145p.

Olivier Arifon, spécialiste de la communication entre la Chine, le Japon l’Inde et l’Europe, nous propose ce livre intitulé Le récit politique chinois : Soft power, communication, influence. Dans cet ouvrage, M. Arifon expose le récit politique moderne de la Chine en utilisant les stratégies de Soft power, de communication et d’influence. L’auteur tente également de décrypter les représentations et les perceptions des cultures développées systématiquement par la Chine, avec ses logiques propres et ses dimensions historiques, politiques et idéologiques afin de confronter les occidentales (p. 17).

D’entrée de jeu, l’auteur introduit des questions fondamentales concernant « comment la Chine développe son influence dans plusieurs directions au service de son projet politique » par le biais du récit proposé par le gouvernement chinois dans le cadre de sa politique de Soft power (p. 20). Une méthodologie combinant les échanges, les discours et les actes, ainsi que des observations préliminaires sont également présentées dans cette introduction.

Afin de dessiner le récit politique de la Chine et de répondre aux interrogations exposées ci-dessus, l’auteur tente de valider ses analyses à l’aide de trois études de cas. Le premier cas, qui porte sur l’UE, organise une comparaison du Soft power élaboré par la Chine avec celui de l’UE. Selon l’auteur, la crédibilité est cruciale pour l’attractivité d’une culture et de valeurs, ce qui exige une consonance entre les émetteurs et les récepteurs des messages quand « les gens s’imaginent transformés et améliorés en adoptant certaines valeurs » d’une culture donnée (p. 36).  Le Soft power chinois s’appuie sur une double facette : l’une est la culture, l’autre est l’économie, la technologie et les investissements, alors que celui de l’UE met bien davantage l’accent sur les enjeux de valeurs, soit « l’attractivité par la norme » (p. 41). À l’aide d’indices, la comparaison montre que le discours politique de la Chine et son volontarisme de Soft power semble insuffisant pour établir une cohérence entre les images développées et les perceptions des destinataires de ses messages.

Toujours dans une perspective empirique visant à répondre aux interrogations en matière du récit politique chinois, la suite de l’ouvrage se penche sur les discours développés autour de la connectivité et du développement des infrastructures dans les Balkans, où deux modèles concernant l’économie, le financement, la norme et le politique sont actifs (p. 77-78). En combinant une méthode quantitative pour identifier les tendances et une méthode qualitative pour l’analyse critique, six journaux (dont quatre européens et deux chinois) et deux sites sont étudiés. L’auteur indique qu’un manque de couverture de la communication dans la presse nuit à la réception du projet de développement par les publics dans les Balkans occidentaux. Malgré l’émergence de réticences par les pays partenaires de la Chine, Pékin pose son influence économique et politique dans cette région par le biais du développement des infrastructures, de la connectivité et de projets liés à l’énergie, ainsi qu’à travers ses discours officiels très visibles à travers les médias.

Le troisième cas se trouve dans la région de Bruxelles-Capitale où l’influence est basée sur la diffusion des idées et la multiplicité des acteurs. Un récit est « méthodiquement » et « régulièrement » (p. 23) diffusé par le gouvernement chinois en utilisant la diplomatie publique et le lobbying auprès du Parlement européen. L’accent est mis sur les réussites de la Chine, comme les technologies de communication et les projets dans le cadre de la Belt and Road Initiative, dans le but de mettre en avant son Soft power et d’augmenter son influence auprès des instances européennes à Bruxelles.

Comme le stipule l’auteur, l’ouvrage est écrit par un « observateur » et pour les lecteurs qui s’intéressent à la relation entre sciences de la communication et sciences politiques. Ainsi, O. Arifon effectue une série d’essais, dont certains arguments sont importants (l’attractivité culturelle d’un pays, l’influence économique, la diplomatie publique), comme un aller-retour réflexif entre la culture européenne et celle de la Chine pour fournir aux lecteurs un cadre méthodologique afin de décrypter les stratégies chinoises développées à travers la communication. L’originalité de l’ouvrage réside également dans une démarche comparative en tenant compte de la culture locale de la région ciblée, mettant en lumière les jeux d’influence de la Chine.

Toutefois, s’appuyant seulement sur les expériences des communications de la Chine en Europe, les limitations inhérentes de cet ouvrage sont évidentes. En tant qu’outil de décryptage du récit politique chinois, la portée théorique de ce cadre apporté par l’auteur pourrait ne pas être considérée comme suffisante, car le bilan de trois cas régionaux n’apparaît pas nécessairement convaincant. De plus, les arguments sont spécifiquement précisés sous l’angle et la perspective de l’UE, la portée pratique de cet outil pour interpréter les récits politiques de manière globale est donc sujette à caution. Enfin, le lecteur pourra avoir le regret de ne pas trouver les réactions et les rôles joués par les autres pays ou par la communauté internationale en matière d’influence chinoise à travers son récit politique puisque la complexité du Soft power détermine que son efficacité dépend de non seulement de l’action unilatérale, mais aussi de l’influence coopérative et des interactions des acteurs à l’échelle mondiale.

Sijie Ren

Étudiante au doctorat en gestion internationale à l’Université Laval

 

Roromme Chantal (2020). Comment la Chine conquiert le monde. Le rôle du pouvoir symbolique. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.

Recension

Regards géopolitiques 7(4)

Quels facteurs constituent la puissance actuelle de la Chine, qui est apparemment en pleine ascension ? Quelle est cette « menace chinoise » et en quoi ébranle-t-elle les bases de l’hégémonie américaine et celles de l’ordre mondial libéral ? Est-ce en raison des craintes inspirées par sa puissance militaire, comme le voudrait la perspective axée sur le hard power, ou à cause de l’attrait magnétique du rayonnement de sa culture, selon la théorie du soft power ? Ce livre, richement documenté et écrit dans une langue bien maîtrisée, apporte une contribution importante à l’un des plus grands débats contemporains en relations internationales. En présentant un cadre théorique original, inspiré de l’optique symbolique, l’auteur offre une explication à la fois plus complète et plus nuancée que celles que proposent les deux perspectives classiques en relations internationales, soit l’idée du hard power, de la puissance conventionnelle chère aux réalistes, et les théories du soft power développées par Joseph Nye. Il explique la fascination paradoxale grandissante exercée par la puissance asiatique non seulement sur les pays en développement et ceux anciennement communistes, mais également sur un nombre croissant de pays démocratiques et industrialisés en Occident.

Abandonnant le terrorisme comme ennemi public numéro un depuis les attentats du 11 septembre, le département de la Défense américain désignait officiellement en 2018 la Chine comme adversaire des États-Unis, aux côtés de la Russie. Dans les documents stratégiques américains, la Chine est régulièrement décrite comme un État représentant une menace pour les intérêts américains. Emboîtant le pas à Washington, l’Union européenne a également identifié la Chine comme son « rival systémique ». Au moment où il se préparait à prendre ses fonctions en janvier 2021, la définition d’une stratégie pour faire face à l’ascension de la Chine s’est imposée comme la grande priorité de la présidence de Joseph Biden en matière de politique étrangère, esquissant un futur de relations possiblement tumultueuses entre Pékin et Washington. C’est cette question d’actualité qui fait de l’ouvrage de Roromme Chantal une lecture fort pertinente car, comme le rappelle très justement l’auteur, la Chine reste une grande portion de l’humanité mais mal connue en Occident, dont elle n’a pourtant jamais cessé d’aiguiser la curiosité.

Assurément, la formidable ascension de la Chine au rang de grande puissance mondiale et sa volonté de modifier l’ordre international dominé par les États-Unis posent pour les analystes un véritable défi d’interprétation, alors que cette situation était encore inconcevable voici seulement vingt ans. Ces phénomènes ne peuvent être expliqués par les outils traditionnels d’analyse des Occidentaux, soutient ici Roromme Chantal. Ainsi, « l’utilisation, dans les analyses […], des perspectives axées sur le hard power (la puissance de coercition) et le soft power (la puissance d’influence) se fait en général au détriment d’une autre forme plus subtile de pouvoir. Ce pouvoir est pour ainsi dire de nature symbolique. Pour acquérir ce pouvoir symbolique, un acteur doit cultiver des interactions telles que les autres le perçoivent comme un acteur légitime », écrit-il.

Or, cette légitimité, la Chine l’a acquise au cours des ans grâce, d’une part, à l’effritement de la puissance américaine depuis quelques années, effritement accéléré par la crise financière de 2009 puis par le refus des États-Unis de jouer un rôle de leader dans la pandémie de covid-19 en 2020;  et, d’autre part, à la remise en cause des dogmes libéraux concomitant à un développement économique spectaculaire sous un régime autoritaire, une politique étrangère respectueuse (dans les discours) de la souveraineté des États et un investissement massif dans les pays en développement. Cette combinaison de facteurs a permis à la Chine de créer un modèle différent de celui des Occidentaux, modèle qui exerce un attrait considérable dans le monde, y compris dans certaines sociétés démocratiques, et modèle dans lequel les fondamentaux des relations internationales et de l’économie mondiale dans le modèle post-1945 et du consensus de Washington ne tiennent plus.

C’est à partir de ce concept de puissance symbolique, la capacité d’influencer « les valeurs et les interprétations de la réalité », que l’auteur emprunte au sociologue français Pierre Bourdieu, qu’il faut dorénavant analyser le comportement de la Chine dans les affaires du monde, estime-t-il. Les spécialistes se sont trop longtemps « contentés de déployer des concepts, théories et expériences dérivés de l’expérience européenne » qu’ils ont ensuite projetés sur la Chine afin de l’expliquer, écrit-il. D’où cette propension en Occident « à voir le présent et le futur des relations sino-américaines comme la reproduction inéluctable des conflits du passé ». L’auteur part de l’idée que ces deux outils conceptuels de la puissance coercitive (hard power) et du pouvoir d’influence (soft power) sont insuffisants pour rendre compte des relations entre États et, partant, de l’ascension rapide de la Chine. On pourrait contester le verdict, prémisse de l’exposé de l’auteur, car le pouvoir d’influence, et l’auteur le reconnait, souffre, depuis les premiers écrits de Joseph Nye, d’une difficulté majeure à se laisser appréhender. Limité pour certains à un levier culturel (influence à travers les arts, la culture, le mode de vie), il recouvre pour d’autres aussi la diffusion des idées, des normes politiques, sociales et économiques, au point que la frontière entre le pouvoir d’influence initialement théorisé par Nye, et le pouvoir symbolique élaboré par Bourdieu et mobilisé ici par Chantal, demeure parfois floue, ambiguë, indécise. Ainsi l’auteur décrit-il le pouvoir d’influence comme relevant de la puissance « douce et culturelle », mais aussi comme le pouvoir « d’influence et de conviction », « l’attraction culturelle et idéologique ainsi que les normes et institutions internationales » : la différence avec le concept de pouvoir symbolique parait parfois ténue.

Mais ce relatif flou conceptuel ne saurait diminuer la valeur de la démonstration. L’auteur souligne ainsi que l’ascension de la Chine s’explique par la conjonction de trois facteurs, à savoir un contexte favorable, un solide capital symbolique et une forte rhétorique/capacité à produire des discours séduisants. Cette conjonction explique la fascination paradoxale grandissante exercée par la puissance asiatique, non seulement sur les pays du monde en développement ou anciennement communistes, mais également sur un nombre croissant de pays démocratiques et industrialisés en Occident. Contexte de l’effritement de la puissance américaine, on l’a vu, mais aussi succès symboliques de la Chine, à travers ses réussites économiques brillantes, sa gestion apparemment réussie de la crise sanitaire, et un discours mettant l’accent sur l’harmonie des relations, l’égalité des États et le respect mutuel, dans lequel les dogmes économiques et politiques chers aux Occidentaux cèderaient la place à des relations mutuellement bénéfiques.

Roromme Chantal démontre ainsi avec efficacité les limites des théories de la « menace chinoise », théories surtout occidentales ou indiennes qui alimentent les réflexions stratégiques en Occident, et qui analysent l’ascension de la Chine sous le prisme d’une trajectoire chinoise nécessairement conflictuelle. L’ouvrage démontre en effet que la Chine ne doit pas son nouveau rôle mondial en raison des craintes inspirées par sa puissance militaire comme le voudrait la perspective axée sur le hard power, ou à cause de l’attrait magnétique de son idéologie et du rayonnement de sa culture selon la théorie du soft power. Il expose par la suite les éléments du contexte international, crise économique de 2009, l’avènement de la présidence de Donald Trump et la tentation du repli américain, la lassitude envers les politiques économiques libérales, le tout créant ce « défaut de légitimité » qui, en creux, pare le style chinois d’attraits qui séduisent nombre de gouvernements.

L’analyse est convaincante et l’ouvrage mérite lecture. Ancrée dans l’analyse de facteurs jouant sur le temps, elle a le grand mérite d’éviter le piège des approches monocausales ou trop conjoncturelles. Il reste à voir si les facteurs de succès de la Chine, identifiés dans l’ouvrage, perdureront : d’autres analystes estiment que l’aura de la Chine a beaucoup souffert, très récemment, d’une gestion très opaque de la crise sanitaire de la covid, d’une l’instrumentalisation de la coopération médicale, et d’une affirmation politique de moins en moins complexée de la part de la Chine, qui ne s’embarrasse plus nécessairement d’oripeaux diplomatiques. C’est l’avenir qui montrera si la Chine a su gérer les écueils de l’orgueil et de l’affirmation trop rapide.

Frédéric Lasserre

Directeur du CQEG

Diplomatie du vaccin et système de surveillance à Agaléga: l’océan Indien au cœur des tensions sino-indiennes à l’ère de la Covid-19

RG v7n3 (2021)

Valentin Laugrand

 Valentin Laugrand est inscrit au baccalauréat en affaires publiques et relations internationales à l’Université Laval. Il collabore à un projet d’histoire orale de l’Institut Jean-Margéot (ICJM) sur l’île d’Agaléga (océan Indien) où vit une communauté de pêcheurs créoles. Il s’intéresse aux enjeux géopolitiques de la Chine et de l’Inde et souhaite poursuivre des études de droit international en Asie.

 

Résumé

À l’heure de la crise de la Covid-19, la Chine et l’Inde exercent leur soft power. La Chine se présente comme une superpuissance à la fois généreuse et préoccupée par la recherche de relations harmonieuses au sein, comme à l’extérieur de ses frontières. L’Inde défend depuis longtemps une politique de non-alignement. Aujourd’hui, elle s’appuie de plus en plus sur le nationalisme hindou et s’inquiète des ambitions économiques et politiques de sa voisine. Les deux géants entrent ainsi en friction. Le contrôle de l’océan Indien, comme l’illustre le cas d’Agaléga une île appartenant à l’île Maurice, devient alors l’un des grands enjeux géopolitiques contemporains.

Mots-clés : Chine, Inde, COVID-19, soft power, océan Indien, Maurice

Summary

At the time of the Covid-19 crisis, China and India are exercising their respective soft power. China presents itself as a superpower that is both generous and concerned by the search of harmonious relations within and outside its borders. India has implemented a policy of non-alignment for many years. Today, it relies increasingly on Hindu nationalism and worries about the economic and political ambitions of its neighbor. The two giants come into friction. Control of the Indian Ocean, as illustrated by the case of Agaléga, an island belonging to Mauritius, then becomes one of the major contemporary geopolitical issues.

Keywords: China, India, COVID-19, soft power,  Indian Ocean, Mauritius

Introduction

Comment parler du soft power en Asie en contexte de pandémie? Comment aborder les cas de la Chine et de l’Inde, deux puissances régionales asiatiques majeures, qui y recourent de façon différente dans les relations internationales? Popularisée par Joseph Nye (1990), l’idée du soft power apparait en Chine en 1992-93 après la traduction en chinois du livre de Nye et la publication d’un article de Wang Huning (Heurtebise 2020 : 131). En 2007, à l’occasion du 17e Congrès du Parti Communiste Chinois, le concept de soft power est officiellement introduit pour orienter la politique étrangère du pays (Heurtebise 2020 : 131). Le concept d’émergence pacifique, apparait lui en 2003, et devient alors un instrument idéal de ce soft power (Courmont, 2012). En 2013, Xi Jinping lance son projet colossal de développement économique, les nouvelles routes de la soie, visant à relier le pays au reste du monde par un réseau ferroviaire et maritime et à assurer son approvisionnement en matières premières. Pour rendre ses projets acceptables, la Chine tente alors de se débarrasser de l’image négative associée au caractère répressif de son régime à l’international et d’atténuer les craintes que son ascension fulgurante suscite au sein des démocraties libérales. Le sinologue Jean-Yves Heurtebise observe : « Là où l’Occident n’a su se développer que grâce à la colonisation de terres étrangères, la Chine, elle, saura se développer sans recourir à l’inféodation des autres nations » (2020 :130). Que cachent pourtant toutes ces initiatives? Certes, la notion de soft power a introduit un nouveau paradigme dans la doctrine politico-militaire chinoise, lui permettant de dissimuler son ascension et ses ambitions géostratégiques. Mais comment comparer ce soft power à celui de son rival indien, défenseur de longue date du non-alignement et du multilatéralisme (Véron et Lincot, 2020)?

C’est dans ce contexte de crise sanitaire mondiale déclenchée par le SARS-CoV2, sur le fond de ce vaste projet des routes de la soie et de l’exercice par la Chine de son soft power, que cet article propose d’examiner les tensions entre la Chine et l’Inde dans l’océan Indien. Les tensions entre ces deux géants asiatiques datent depuis longtemps et elles ont fait l’objet de nombreuses études dans cette région dès le milieu des années 2000 (voir Khurana, 2008), mais surtout après 2015 (voir par exemple Brewster, 2016; Hornat, 2016; Khan, 2016). Qu’en est-il à l’heure de la pandémie ? Quels sont les effets de la diplomatie du masque et du vaccin de Pékin? Derrière l’image du soft power, pour quels motifs ces deux pays se militarisent-ils (Blanchard et al., 2017) et ce, autant dans la région de l’Indo-Pacifique (Péroin-Doise, 2019) que dans l’océan Indien (Das 2019; Saint-Mézard, 2019) ?

L’analyse proposée sert deux buts puisqu’il s’agit d’examiner ces questions en amont de ces politiques, dans des représentations culturelles, et à partir du cas méconnu d’Agaléga. Cette île appartient à l’Île Maurice et l’Inde nationaliste y a récemment entrepris la construction d’infrastructures en vue de mieux contrôler l’océan Indien. Ces constructions ont été négociées avec le gouvernement pro-indien de l’île Maurice dès les années 2015, mais elles s’accélèrent au cœur de la pandémie et suscitent bien des inquiétudes auprès de la population locale. Agaléga est-elle en voie de devenir une base maritime indienne ? Quels sont donc les grands paramètres de cette rivalité sino-indienne ?

La réflexion se fera en trois temps. Après un examen de l’exercice du soft power chinois dans le contexte de la crise sanitaire, la perception indienne d’une menace chinoise sera analysée. Les aspirations hégémoniques de l’Inde et de la Chine seront ensuite appréhendées en amont sous l’angle des représentations culturelles et politiques qui les alimentent.

  1. L’instrumentalisation d’une crise sanitaire pour l’exercice du soft power chinois

La crise de la Covid-19 a surpris la Chine comme les pays occidentaux, mais l’Empire du milieu y a vu une opportunité pour se présenter comme une superpuissance bienveillante, prospère et suffisamment préparée pour à la fois gérer une crise sanitaire à l’intérieur de ses frontières et aider des pays plus démunis à l’extérieur. La Chine, n’a cependant pas renoncé à sa militarisation, elle a plutôt profité de la pandémie et de son attraction médiatique, mettant en avant son aide médicale offerte à différents pays, pour dissimuler d’autres activités.

Elle a consacré beaucoup d’énergie à montrer son efficacité dans la gestion de la Covid-19 sur son sol, ce qui a conduit, dès le début des événements, à faire arrêter les journalistes qui voulaient documenter l’épidémie. Aujourd’hui, elle revendique sa victoire sur le virus, et a pour cela organisé des fêtes en grande pompe à Wuhan, une ville-symbole dans l’histoire révolutionnaire du pays. Aussi, alors que les pays occidentaux se préparaient à une deuxième vague, la Chine célébrait le 8 septembre dernier, la quasi-éradication du virus. Les chiffres officiels du Parti font d’ailleurs état de 4634 morts (Lemaître, 2020). Bien que ces chiffres soient peu réalistes, les pays occidentaux restent prudents dans leur discours, la Chine représentant encore le principal exportateur de matériel médical jugé crucial pour combattre le coronavirus. De leur côté, les États-Unis de Trump ont saisi l’occasion pour quitter l’OMS, accusant la Chine d’avoir pris le contrôle de cette organisation.

De nos jours, le Parti communiste continue de faire la propagande de la réussite chinoise. Parmi ses arguments figure la générosité du pays prêt à exporter son aide médicale partout sur la planète. Ainsi, alors que le monde fermait ses frontières et s’isolait, la Chine fut une des seules puissances à soutenir l’Italie, en y envoyant des médecins, des conseillers et du matériel médical, contrairement au reste de l’Europe, ses proches voisins (Khan et Prin, 2020). S’agit-il d’un pur acte de générosité ou d’un acte politique calculé, considérant que l’Italie fut le premier pays du G7 à intégrer les routes de la soie chinoise ? La bienveillance chinoise ne s’est pas arrêtée là puisque Xi Jinping a fait envoyer des masques en Europe, en Afrique et en Asie. Ces dons se sont vite transformés en des partenariats commerciaux très lucratifs pour le pays. La Chine a finalement augmenté sa production de masques pour atteindre, en mars 2020, près de 120 millions d’unités par jour, soit 50% de la production mondiale. Cet investissement a fait naître la notion de diplomatie du masque (Bondaz, 2020), qui s’inscrit pleinement dans ce soft power chinois. La Chine se défend d’être ici l’unique fournisseur mondial capable d’assurer l’acheminent rapide d’une grande quantité de matériel médical, au moment même où le monde entier en a besoin.

Avec l’essor des vaccins contre la Covid-19, le pays dispose d’une autre arme diplomatique.  La Chine a ainsi lancé une production massive de vaccins et promis ces doses à des pays qui, souvent, n’ont pas pu en réserver aux firmes pharmaceutiques occidentales. C’est le cas des Philippines, de l’Indonésie ou de la Malaisie, des pays avec lesquels la Chine entre pourtant régulièrement en conflit en mer de Chine. Le pays a cependant placé ces rivalités en arrière-plan, promettant à tous les pays membres de l’Association des Nations du Sud-Est (ASEAN) un accès privilégié au vaccin qu’elle produirait (Hu Yuwei, 2020). Cette diplomatie du vaccin donne de bons résultats en Asie. L’Indonésie, par exemple, a adouci ses réponses aux incursions chinoises dans sa zone économique exclusive, au large des îles Natuna, substituant ses démonstrations de force à de simples protestations de forme (Capital, 2020). Tout dernièrement, elle a réagi timidement après avoir repêché dans ses eaux un drone sous-marin de confection chinoise (Guibert 2021).

Le 15 novembre dernier, quinze pays de l’Asie et du Pacifique[1] ont finalement conclu un accord économique historique avec la Chine. Le Partenariat régional économique global (RCEP) constitue l’accord de libre-échange le plus important du monde, ses adhérents représentant 30% du PIB mondial (Le Monde, 2020). Pour certains pays asiatiques, cet accord a tout d’une bénédiction puisqu’il leur permettra de compenser les effets dévastateurs de la crise économique qui s’installe graduellement en raison de la pandémie. Grâce à cet accord, les investissements à l’étranger de la Chine seront facilités, et la dépendance économique de plusieurs membres de l’ASEAN envers ce pays s’accentuera davantage.

L’Empire du milieu profite donc de la pandémie pour mettre de l’avant sa bienveillance et valoriser son image. Elle mobilise ce soft power pour dissimuler son hard power pourtant bien réel et visible en Mer de Chine, à Hong Kong, dans l’Himalaya, ainsi qu’aux portes de l’océan Indien, que ses navires doivent traverser. En effet, alors que l’attention des gouvernements et des médias est un peu partout tournée sur la pandémie, la Chine en profite pour poursuivre ses manœuvres militaires et la construction d’infrastructures stratégiques en Mer de Chine. En mars 2020, elle a effectué des exercices militaires au large des îles Paracels, un territoire revendiqué par le Vietnam et par Taïwan. Un bâtiment des gardes côtes chinois y a même récemment coulé un navire de pêche vietnamien (Philip 2020). De plus, les autorités chinoises ont poursuivi l’installation de deux centres de recherche sur les îles Spratleys, une zone revendiquée par les Philippines et le Vietnam (AFP, 2020). Ces exercices et ces infrastructures permettent à Pékin de s’imposer davantage dans cette zone très riche en hydrocarbures et en métaux rares.

La diplomatie chinoise intervient en deux temps : elle offre d’abord son soutien aux pays limitrophes pour les aider à les sortir de la crise sanitaire et économique qu’engendre la Covid-19, puis, dans un deuxième temps, elle avance ses pions dans la région même où ces États ont un contentieux territorial avec elle.

C’est sur ses frontières immédiates que le hard power chinois demeure le plus visible. À Hong Kong, la Chine a décidé d’en finir avec la conception d’« un pays, deux systèmes ». Profitant d’une réduction des manifestations en raison du confinement et des mesures sanitaires, la Chine procède régulièrement à l’arrestation de personnalités pro-démocratiques, liées aux manifestations étudiantes de 2019. Le 30 juin dernier, le parlement chinois a promulgué la Loi sur la sécurité nationale, un dispositif pourtant très controversé et sévèrement critiqué par les États-Unis et la Grande-Bretagne, en raison de la menace qu’il représente pour l’autonomie et les libertés individuelles des résidents. Encore une fois, la Chine a profité du contexte politique de la Covid-19 et de l’image qu’elle s’est construite comme nation généreuse pour durcir son ascendant sur l’ancienne colonie britannique et réduire son autonomie. Eu égard à Taiwan qui n’a pas eu besoin de l’aide chinoise continentale pour gérer la crise sanitaire, la Chine a fait preuve d’un ton encore plus dur et menaçant, faisant peser le risque d’une invasion si le pays continuait d’affirmer son indépendance.

À l’intérieur de ses frontières, dans la région autonome du Xinjiang, la Chine a enfin poursuivi le processus de sinisation brutale des Ouigours. Officiellement, les autorités ont mis en place des centres de formation professionnelle pour réduire le chômage mais de nombreux acteurs et pays internationaux dénoncent une autre réalité, celle d’un système répressif visant à assimiler cette population par des détentions massives, du travail forcé et des stérilisations (Le Monde, 2020).

En pleine pandémie, la Chine se range donc derrière l’image d’une superpuissance bienveillante et prospère alors qu’elle n’a pas renoncé à mener des répressions et des manœuvres militaires pour préserver ses intérêts et assurer ses visées géopolitiques en mer de Chine méridionale et dans l’océan Indien.

  1. Le sentiment indien d’une menace face à des ambitions chinoises jugées trop invasives

La pandémie et le soft power chinois n’ont pas engendré de trêve dans les relations sino-indiennes. Au contraire, les ambitions chinoises dans l’océan Indien et le rapprochement de celle-ci avec le Pakistan à qui elle a proposé une aide médicale, ont attisé le nationalisme indien (Boquérat, 2020). Le hard power de la Chine dans l’Himalaya conforte l’Inde à sortir de sa traditionnelle position de non-alignement, pour se militariser activement au nord comme au sud et à s’intéresser davantage à la vaste région Indo-Pacifique (Racine 2019 ; Peron-Boise 2019).

Dans la vallée de la rivière Galwan, une région de l’Himalaya contestée par Pékin et New Delhi, les tensions ont atteint leur paroxysme en juin 2020, lors d’un affrontement à mains nues entre les deux armées qui a fait plusieurs morts. La frontière est contestée dans cette région depuis plusieurs années, et le développement d’infrastructures des deux côtés de la frontière perpétue le contentieux. Ainsi, alors que l’Inde a ouvert une route pour relier ses différents postes frontaliers, la Chine a construit plusieurs bases militaires et des héliports dans la région (Landrin, 2020). Pékin et New Delhi se renvoient la faute et un conflit majeur pourrait s’y déclarer à tout moment.

Le rapprochement de la Chine et du Pakistan dans le contexte de l’aide sanitaire chinoise liée à la Covid-19, irrite aussi beaucoup l’Inde, qui entretient depuis longtemps des relations difficiles avec son voisin musulman, notamment dans le Cachemire où trois guerres ont eu lieu en 1947, 1965 et 1971, sans oublier les tensions de 1999. Aujourd’hui, dans le cadre de ses routes de la soie, la Chine a l’ambition de développer un vaste projet d’infrastructures dans la région. L’Inde accuse aussi Pékin d’appuyer les extrémistes musulmans de l’Azad Kashmir, par l’envoi d’armes et d’argent. Elle craint un encerclement qui résonne d’autant plus que la Chine a fait part de sa stratégie globale du collier de perles. Pékin a en effet investi dans la construction d’infrastructures portuaires en Birmanie et au Sri Lanka, deux autres voisins immédiats de l’Inde (Omid Farooq, 2019). La Chine a encore fait monter les tensions d’un cran en augmentant sa présence militaire et en ouvrant une base militaire à Djibouti (Lim 2020), d’autant plus que le pays en profite pour consolider ses liens avec le Pakistan et organiser des exercices militaires conjoints avec ce dernier, comme cela s’est fait en janvier 2020 (Albert 2019). L’Inde ne se trompe pas en percevant que la Chine tente d’accentuer aujourd’hui sa présence dans l’océan Indien afin d’assurer la protection de ses routes maritimes (Chung 2018) et accéder plus facilement à l’Afrique où ses intérêts ont considérablement augmenté.

Cette présence croissante de Pékin dans la zone d’influence de l’Inde irrite. Le gouvernement nationaliste de Narendra Modi avait déjà imposé un certain contrôle sur les investissements chinois sur son territoire mais le sentiment antichinois a pris une toute autre ampleur après l’annonce de la mort de 20 soldats indiens dans l’Himalaya. Une partie de la population s’est soulevée, sortant dans la rue pour brûler des drapeaux chinois et des portraits de Xi Jinping et en appelant au boycott des produits chinois. A la suite de ces évènements, 59 applications chinoises, dont le célèbre réseau social TikTok, ont été bannies en Inde et des barrières douanières ont été imposées (Dieterich, 2020). L’Inde espérait également profiter de la crise sanitaire pour développer son autosuffisance face à la Chine, limiter les investisseurs chinois et promouvoir un nationalisme économique (Dieterich, 2020). L’idée s’est manifestée dans une déclaration de Narendra Modi qui évoquait la nécessité de produire des vaccins contre la Covid-19 pour l’humanité entière.

Dans l’océan Indien, cette volonté de contrer la présence chinoise, a conduit l’Inde à renforcer aussi son soft power auprès de pays alliés tout en se militarisant discrètement (Lincot et Véron, 2020). L’Inde investit surtout dans le développement aux Maldives, aux Seychelles et à l’île Maurice.

Située à plus de 1000 km de Maurice, l’île d’Agaléga intéresse l’Inde au plus haut point. Sa position est stratégique, à la fois pour la pêche industrielle, possiblement pour un tourisme de luxe, mais surtout pour y établir une base de surveillance (Figure 1). La presse locale de Maurice a rendu publique le Memorandum of Agreement signé entre ce pays et l’Inde en 2015, et ce dernier établit clairement les taches à entreprendre par l’Inde dans l’article 2 :

The components are:

  • Construction of a jetty for berthing of ships

  • Rehabilitation and repaving of the runway over a maximum length of 4000 feet, an apron for two aircraft of size (ATR 42 type) and a taxiway

  • Installation of a power generation facility of approximately 300 KW

  • Setting up of a water desalination plant of capacity of approximately 60 tonnes per day

  • Construction of a National Coast Guard Post, including basic repair facilities, and

  • Any other facility related to the project.

Article 2, Memorandum of Understanding, Maurice-Inde, 2015

Development of Agalega – No Lease Agreement contained in MOU signed with India, says Minister Koonjoo

Source: Gouvernement de Maurice, https://govmu.org/EN/newsgov/SitePages/2015/Development-of-Agalega-%E2%80%93-No-Lease-Agreement-contained-in-MOU-signed-with-India,-says-Minister-Koonjoo.aspx

Le document n’évoque pas de base militaire mais des travaux importants comme la construction d’une jetée, la rénovation de la piste d’atterrissage[2], et l’installation d’infrastructures pour assurer l’approvisionnement en eau potable et en électricité[3]. Plusieurs parmi les Mauriciens sonnent l’alarme et s’inquiètent du sort qui sera réservé aux 300 Créoles d’Agaléga qui, eux, craignent une déportation semblable à celle qui a eu lieu il y a quelques décennies au moment de la construction de la base militaire à Diego Garcia par les Américains[4].

Fig. 1. L’archipel d’Agaléga

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Agalega_Islands_map-fr.svg

Certains se demandent ce que Maurice pourrait donc bien octroyer à l’Inde en retour, pour la remercier de son aide économique dans un pays où le gouvernement est pro-indien et issu de la diaspora hindoue. Maurice serait en effet le deuxième pays parmi les plus importants bénéficiaires de l’aide financière de l’Inde (Le mauricien, 2019).

Un article du 8 décembre 2020 publié dans L’Express mauricien fait état de ces initiatives indiennes découvertes dans la presse du pays:

Dans un article de The Telegraph India, publié en ligne le 1er décembre, des sources au sein de l’Establishment de la sécurité indiquent que l’Inde prévoit de mettre en place des systèmes de radar de surveillance côtière dans des pays amis dont Maurice (tout semble indiquer que ce sera à Agaléga), le Bangladesh, Myanmar, les Maldives et le Sri Lanka pour contrer la présence croissante de la Chine dans la région océan Indien (Walter, 2020)

L’île d’Agaléga, bien que méconnue, offre donc un bel exemple des tensions sino-indiennes qui se développent dans l’océan Indien. Ce minuscule archipel constitué de deux îles où depuis le XIXe siècle vivent des descendants d’esclaves, illustre parfaitement ce jeu de pouvoir que se livrent le soft et le hard power des deux grandes puissances asiatiques dans toute la région (Barton 2020). Agaléga se situe en plein centre de l’océan Indien et constitue, comme les Chagos, un lieu géostratégique idéal pour y établir des installations militaires. C’est dans cette perspective que l’Inde s’est d’ailleurs récemment rapprochée des États-Unis en participant à des exercices navals.

En parallèle, l’Inde exerce un soft power à Maurice qui dissimule aussi ses véritables intentions. Lors de la visite du Premier ministre indien sur l’île en 2015, plusieurs accords de coopération ont été signés dans différents domaines allant de la médecine indienne à l’économie maritime et à la culture (Ministry of External Affairs, 2015). L’Inde finance ainsi le cricket, des cours de yoga, des films de Bollywood et des manifestations religieuses spectaculaires. Les Créoles de Maurice s’inquiètent de cette générosité. New Delhi finance un métro à Port-Louis et il a signé un nouvel accord pour développer, officiellement, l’écotourisme à Agaléga. Les habitants de Maurice sont cependant convaincus que ces investissements indiens cachent un marché de dupes, et pointent du doigt les ambitions de l’Inde sur le plan stratégique et militaire. En effet, au cours des derniers mois, l’Inde a envoyé 800 ouvriers à Agaléga, dont des militaires (Floch, 2019). Outre, les infrastructures citées à l’article 2, l’accord de coopération prévoit l’établissement de 8 stations radar par l’Inde sur des îles de Maurice, comme St-Brandon, Rodrigues, etc. (Nkala 2015) De ce point de vue, l’Inde a agi ici plus rapidement que la Chine qui compte pourtant aussi une forte diaspora chinoise à Maurice, un centre culturel prospère, et des intérêts sur le plan touristique depuis l’ouverture d’une ligne aérienne reliant directement Hong Kong à Maurice.

  1. L’Empire du milieu et le Bhârat Mata: deux conceptions aux antipodes qui s’entrechoquent

Le soft power de la Chine s’analyse à plusieurs niveaux. A cet égard, les débats demeurent encore nombreux à l’effet de savoir par quel vecteur ce concept a cheminé et fait l’objet d’une appropriation par les Chinois. Une lecture qui prend en compte les imaginaires nationaux, permet de s’interroger : faut-il faire remonter le principe du soft power à la chinoise beaucoup plus loin dans le temps, la Chine ayant souvent prôné l’harmonie ? Des sinologues comme Marcel Granet montrent que la Chine, où confucianisme, taoïsme et bouddhisme s’enchevêtrent, se défend d’appréhender le monde dans sa globalité, en cherchant des complémentarités et des correspondances entre une multitude de singularités (Granet 1968). Ce mode de pensée dit analogique cherche à construire des relations harmonieuses. La médecine chinoise exemplifie bien ce raisonnement puisque la santé est d’abord une question d’harmonie, la maladie, elle, étant un blocage qui empêche l’énergie de circuler (Marié 2008).

Sur le plan politique et diplomatique, il est concevable que la notion de soft power ait pu séduire les Chinois en ce qu’elle véhicule potentiellement la recherche d’une harmonie, d’une situation dans laquelle le multiple cohabite sous le ciel, pour reprendre une allégorie ancienne. Sous les dynasties Ming et Qing, la Chine a en effet créé un système tributaire unique, construit non pas autour d’une ambition de conquêtes territoriales, mais plutôt d’une interdépendance de tributaires et d’une puissance hiérarchique, visant à instaurer une situation de stabilité et de paix durable dans la région (Zhaojie, 2002 ; Kang, 2010). La notion de Zhongguo (中国), littéralement pays du milieu, se popularise au milieu du XIXe siècle, après les guerres de l’opium, et traduit cette idée d’une Chine conçue comme un vaste espace, ethniquement pluriel mais défendu par un mur qui l’entoure. Le sinologue Thierry Sanjuan l’explique: « Aux yeux des chinois, la Chine elle-même fait monde » (Sanjuan, 2013). Assurer une bonne gouvernance implique de pouvoir à la fois circuler à l’intérieur de cet espace et d’en protéger les contours, des idées qui se retrouvent dans le projet des nouvelles routes de la soie et du collier de perles. Le philosophe Zhao Tingyang (2018) a fait un pas de plus en réhabilitant le concept de tianxia, littéralement « Tous sous un même ciel », pour montrer que la Chine s’impose de plus en plus comme une puissance normative susceptible de promouvoir le concept de guerre juste qui ne déclare la guerre mauvaise en droit que pour la justifier à chaque fois, en fait, soit par des circonstances exceptionnelles, soit par la nécessité de dissiper le chaos et rétablir l’ordre (Heurtebise 2020 : 145).

En outre, la Chine du XXe siècle a souvent joué sur deux tableaux en même temps et ce, tant en politique intérieure qu’en politique extérieure, mettant en place des dispositifs politiques riches de contradictions et d’interactions, comme l’illustre bien encore ce concept d’un pays, deux systèmes, ce que Mengin (1998 : 139) nomme des contradictions durables. En ce sens, le fait que la Chine articule du soft et du hard power est tout à fait cohérent avec l’histoire de ses modes de pensée et sa culture politique. Enfin, la Chine a su, depuis très longtemps, faire valoir la richesse de sa culture, celle des lettrés et de sa civilisation, un point qui n’a pas échappé aux missionnaires jésuites du 17e siècle ni aux philosophes des Lumières, comme Voltaire ou Montesquieu. Plus récemment, le sinologue François Jullien (1995) a relevé une autre caractéristique importante de la pensée chinoise dans la valorisation de ce qu’il nomme l’expression indirecte et la pensée du détour. Cela suggère que les actes et les discours de la Chine dissimulent souvent d’autres intentions. C’est avec tous ces éléments qu’il faut saisir le soft power chinois contemporain. Cette stratégie s’éclaire alors comme une politique pragmatique à une époque où la planète est marquée par l’émergence de nombreux pays à la suite de la décolonisation, et par la mondialisation avec, par ailleurs, la disparition des grands blocs qui avaient jusque-là structurés la scène politique internationale. C’est sur cette base que la propagande chinoise entend mettre en exergue les valeurs d’un pays qui se voit aujourd’hui en mesure de jouer le rôle d’une superpuissance, et d’imposer sa vision du monde. La doctrine diplomatique chinoise des loups combattants, initiée par Xi Jinping et qui désigne cette lutte que les ambassadeurs chinois doivent mener contre les démocraties occidentales qui ont développé des idéologies sinophobes, apparaît comme une sorte d’antidote susceptible de faire face aux critiques qu’elles formulent contre Pékin et ses ambitions.

L’Inde privilégie aussi depuis toujours une pensée analogique, combinant des traditions diversifiées issues du brahmanisme, du bouddhisme et du jainisme. L’exemple des mandalas illustre très bien ce mode de pensée qui consiste à concevoir que tous les éléments d’un système sont interdépendants et qu’une continuité relie des phénomènes fort différents : l’univers est ainsi conçu comme une sorte de tissage, des analogies existent entre le microcosme et le macrocosme, etc. Mais l’Inde, ancienne colonie britannique, a été marquée par d’autres influences, y compris par plusieurs idéologies venues de l’Occident. Sur le plan politique, elle a longtemps prôné la doctrine du non-alignement comme l’a bien illustré les politiques de Nehru qui, dès les années 1950, souhaitait créer sur la scène internationale un ensemble de pays qui échapperaient à la logique de la guerre froide et aux idéologies des deux grandes puissances de l’époque et de favoriser l’indépendance effective des pays du Sud. Cette diplomatie a connu ses grandes heures à la conférence de Bandung en 1955, puis à la conférence de Belgrade en 1961, avec la création du mouvement des non-alignés qui, en 2016, comprenait encore près de 120 pays. Sous la pression du soft power chinois, qui s’installe à ses portes, l’Inde a cependant délaissé cette tendance au profit d’un nationalisme qui n’a cessé de croître au cours des dernières années.

Le pays a conservé son soft power en continuant de se montrer financièrement généreux face aux pays les plus pauvres, en Afrique comme en Asie, en se montrant particulièrement présent dans des lieux issus de la diaspora comme l’île Maurice ou Fidji, où des ouvriers indiens ont été déplacés au XIXe siècle pour servir de main d’œuvre. À Fidji, où près de 40% de la population est d’origine indienne, l’Inde exerce son influence de manière à la fois indirecte, en appuyant cet État dans les instances internationales comme le Commonwealth ou l’ONU, et de façon plus directe puisqu’elle a signé en 2017 un pacte de défense et de coopération militaire avec ce pays (Indo-Pacific Defense Forum 2017). L’Inde maintient par ailleurs d’excellentes relations avec l’Indonésie et avec des pays du pacifique comme l’Australie, le Japon et les États-Unis dans le but de contenir et de faire front à la Chine. Ces relations se traduisent par des initiatives sur les plans économique, culturel et stratégique avec une alliance qui s’est vue récemment renouvelée au sein du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD) signé entre ces quatre puissances (Guibert et Pedroletti 2020).

Le soft power indien se nourrit cependant de plus en plus du nationalisme indien qui s’est saisi de l’image de la Bhârat Mata (littéralement « la mère indienne », en sanscrit), pour la représenter comme une femme vêtue d’un sari safran et tenant dans sa main le drapeau du pays. Sa forme correspond à celle de la géographie de l’Inde (voir figure 2), permettant de multiples associations d’idées dont l’efficacité est redoutable, en particulier pour défendre l’intégrité territoriale du Cachemire, sa tête.

Fig. 2. Image de Bhârat Mata

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bharat-mata.png

Cette imagerie a fait l’objet de plusieurs travaux par des chercheurs indiens (voir Gupta 2002 ; Jha 2004 et Kaul 2018) qui pointent sa puissance émotionnelle et symbolique. Cette allégorie véhicule encore l’idée d’un pays généreux à l’image de celui d’une mère avec ses enfants, mais elle illustre surtout la montée d’un ultranationalisme qui rêve d’une grande nation hindoue reconstituée, pure, religieuse et patriotique. L’idée est susceptible de séduire tous les hindous de la planète, y compris ceux de la diaspora qui se retrouvent souvent parmi les élites locales dans les pays concernés. Le cas de l’île Maurice est de nouveau exemplaire avec un gouvernement dominé par les Indiens et donc favorable à une coopération avec ce pays. Une telle conception culturelle cristallise la colère indienne contre la Chine et le Pakistan. Lors de l’incident du Galwan dans l’Himalaya, les nationalistes ont ainsi immédiatement indiqué que la Bharat Mata ne saurait perdre sa tête (les sommets de cette région) sans de terribles représailles.

Conclusion

Mis en œuvre différemment par la Chine et par l’Inde, le soft power de ces deux puissances génère de nos jours des frictions dans plusieurs régions d’Asie. Comme l’illustre le cas d’Agaléga, ces tensions se ressentent tout particulièrement dans l’océan Indien, une zone stratégique pour les nouvelles routes maritimes de la Chine et le contrôle du Moyen-Orient, puisqu’une partie substantielle du trafic maritime y transite encore. Dans les années 2000, plusieurs analyses sous-estimaient encore les ambitions chinoises dans l’océan Indien (voir Khurana 2008 ; Brewster 2014), mais d’autres les entrevoyaient (Yoshihara 2012). Au cours des dernières années, l’Inde a pris conscience de la puissance maritime de la Chine (Chaudhury 2016; Menon 2016). Aujourd’hui, en pleine pandémie, ces craintes se sont exacerbées. Avec sa stratégie de soft power apparente, la Chine attise ainsi les tensions régionales et l’Inde, même si elle ne peut encore prétendre au statut de puissance mondiale, entend bien limiter les appétits de son rival, notamment par le soutien à sa diaspora et la construction d’un système de surveillance radar dans l’océan Indien. L’exercice de ces deux soft power pourrait bien générer du hard power dont aucun État, ni aucune population ne saurait tirer, en fait, les bénéfices.

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[1] Les pays membres de l’ASEAN : (Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos, Brunei), ainsi que le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

[2] Voir aussi une note du 31 octobre 2018 paru dans The Economist : http://country.eiu.com/article.aspx?articleid=1647290148&Country=Mauritius&topic=Politics&subtopi_1

[3] Ce chantier se poursuit actuellement, voir l’Express mauricien https://www.lexpress.mu/article/389066/agalega-massacre-ecologique-en-cours?fbclid=IwAR0XN2JxbQDH4En87L-aBDZMoez3bxTFoG06toscVGMh8dQQN3rxFi2ymGU

[4] L’archipel des Chagos dont fait partie Diego Garcia, ne fut pas rendu à Maurice lors de son indépendance en 1968, mais intégré dès 1965 comme British Indian Ocean Territory et loué depuis aux Américains. Ce fut le début de la fin pour les 2000 créoles de l’archipel qui se sont vus d’abord coupés de vivre et de ravitaillement, puis finalement expulsés manu militari (Voir Ollivry, 2008 ; De L’Estrac, 2011).

 

La dissémination du mandarin comme dispositif du soft power chinois : un aperçu du programme TCSOL (Teaching Chinese to Speakers of Other Languages)

RG v7 n3 (2021)

Paola Carollo

Paola Carollo est candidate au doctorat en anthropologie à l’Université Laval.

Paola.carollo.1@ulaval.ca

En 2019 Paola Carollo a obtenu son diplôme de maîtrise en Teaching Chinese to Speakers of Other Languages et devient l’une des premières enseignantes italiennes de mandarin de la ville de Catane (Italie). Depuis l’automne 2020, Paola Carollo est candidate au doctorat en anthropologie à l’Université Laval.

Résumé

La Belt and Road Initiative (BRI) semble avoir stimulé la fièvre chinoise (hanyu rechao汉语热潮), soit une ruée vers l’apprentissage du mandarin. Étudiants et enseignants deviennent ainsi les protagonistes d’une mission : être les témoins d’une société riche, ouverte et bienveillante. Les  élèves-témoins, patiemment façonnés pour respecter et aimer la Chine, ainsi que les enseignants-modèles, nourris au sein des programmes TCSOL, sont appelés à jeter des ponts entre les cultures pour diffuser la connaissance de ce qui est présenté comme la vraie Chine.

 Mots clés : Belt and Road Initiative; soft power; éducation, enseignement du chinois; TCSOL

 

Abstract

The Belt and Road Initiative (BRI) seems to have boosted the Chinese fever (hanyu rechao 汉语 热潮), which is the growing interest in learning Mandarin. It entails that students and teachers become the protagonists of an important mission: they are the witnesses of a rich, open, and benevolent society. Students-as-witnesses, patiently shaped to respect and love China, as well as the teachers-as-models, nurtured within the TCSOL programs, are called to build bridges between cultures and spread in the world what is claimed to be true China.

Key words: Belt and Road Initiative; soft power; education, teaching Chinese; TCSOL.

 

Introduction

 Le 20 avril 2021, la Chine a célébré, en l’honneur de Cangjie, le créateur mythique des caractères chinois, la onzième Journée de la langue chinoise (UN news, 2011 : en ligne), un évènement fondé en 2010 par les Nations Unies afin de promouvoir le multilinguisme et la diversité culturelle (Nations Unies, 2021 : en ligne; UN news, 2011 : en ligne). Promu par le site Chinese Plus – une nouvelle plateforme pour l’apprentissage et la promotion du chinois – l’évènement a été accompagné par le slogan suivant : « le chinois crée des possibilités infinies » (zhongwen chuangzao wuxian jiyu中文创造无限机遇) (Chineseplus, 2021 : en ligne).

C’est à la lumière de l’éventail de possibilités offertes par la maîtrise du mandarin – surtout dans le cadre du projet draconien qui porte le nom de Belt and Road Initiative (BRI ; yidaiyilu一带一路 ) – que la fièvre chinoise (hanyu rechao汉语热潮 : la fièvre pour la langue chinoise, littéralement) ne fait que monter (shengwen 升温), comme de nombreux articles académiques et de presse affirment en faisant référence à la ruée vers l’apprentissage de cette langue.

D’importants journaux chinois, comme le China Daily (Zhongguo ribao wang 中国日报网) et le People’s Daily (Renmin ribao 人民日报) affirment que’il y aurait plus de 25 millions d’étudiants de chinois langue seconde (L2) dans le monde (Center for Language Education and Cooperation, 2021b : en ligne ; China Daily, 2021 : en ligne ; Kong, 2020 : en ligne). Parmi ceux-ci, seulement en 2018, 492.185 étudiants internationaux de 196 pays et régions du monde ont pris part à des programmes d’études dans 1.004 établissements d’enseignement supérieur en Chine, selon un rapport statistique du ministère de l’Éducation de la RPC (Ministry of Education, 2019 : en ligne). Ainsi, les images de jeunes étrangers qui apprennent le chinois sont diffusées largement sur le web et constituent le portrait du soft power tel qu’il se manifeste –  de manière à la fois subtile et colorée – dans les campus de Chine. En effet, c’est dans les universités chinoises que les étudiants internationaux sont attirés, entre autres par les nombreuses subventions et activités des Instituts Confucius – ces derniers étant les protagonistes de la dissémination du mandarin à travers la planète depuis 2004.

À la lumière de ce qui précède, on se demandera dès lors dans quelle mesure et pour quelles raisons la langue et la culture chinoises sont devenues des outils de soft power à l’ère de la Belt and Road Initiative. Quelles sont les stratégies de diffusion du mandarin ? Et pour finir, quel est le rôle joué par les apprenants ? Dans le contexte de la diplomatie culturelle chinoise, le contrôle sur la totalité des dispositifs d’enseignement de la langue semble gagner une grande importance pour la transmission d’un savoir conforme à l’image que la Chine veut transmettre au monde.

L’analyse qui suit repose sur l’examen de sources documentaires, à savoir des articles de chercheurs chinois, en anglais et en mandarin, trouvés sur la base de données chinoise CNKI (zhongguo zhiwang中国知网) et d’autres sites web, ainsi que sur l’expérience personnelle de terrain de l’autrice, apprenante de chinois et diplômée du programme de maîtrise en Teaching Chinese to Speakers of Other Languages (abrégé en TCSOL ci-dessous).

Cet article débute par une mise en contexte du rôle des Instituts Confucius dans le cadre de la diplomatie culturelle mondiale, pour ensuite développer les enjeux qui font de la langue chinoise l’une des protagonistes incontournables des efforts de la BRI. Pour finir, l’article propose de jeter un regard sur le programme TCSOL et sur l’importance de la formation des enseignants de la langue chinoise. À cet égard, les élèves et les enseignants sont chargés d’une mission internationale, devenant les vecteurs actifs du soft power made in China, comme la sociologue Claire Seungeun Lee (2018) définit ce phénomène dans son ouvrage éponyme.

 

  1. Les Instituts Confucius en tant qu’instruments de la diplomatie culturelle

Le politologue américain et chercheur en relations internationales Robert Jervis affirme, en 1970,  que dans le cadre des relations internationales, la réputation d’une nation à l’étranger est beaucoup plus utile que sa puissance économique ou militaire ( Jervis, 1970 : 6 dans Wang J., 2011 :1). Procédant du concept de soft power de Joseph Nye (2004), les efforts diplomatiques mondiaux s’appuient sur ce qu’on appelle la diplomatie culturelle, dans un souci d’améliorer la connaissance interculturelle des nations et d’exporter les « données représentatives de la culture nationale » (Kessler, 2018 : 263). Spécificité toute française, la diplomatie culturelle trouverait ses origines dans le mot francophonie et dans la fondation, en 1883, de l’Alliance française (Gazeau-Secret, 2013 : 103-4). En étant le véhicule de la pensée et de la culture, la promotion de la langue nationale devient donc une source d’intérêt majeure dans le cadre de la politique étrangère d’une nation.

La Chine, quant à elle, a bien compris les règles du jeu et, dès la fin des années 1970, des mouvements de grande revitalisation (weida fuxing 伟大复兴) culturelle ont suivi les réformes économiques démarrées par Deng Xiaoping (Deng et Smith, 2018 ; Lee, 2009 : 51 ; Wang J., 2011 :2 ; Zhang, 1994 ). À partir des années 1990, la troisième génération de leaders chinois (1992-2004) devient toujours plus sensible aux enjeux de soft power, cultivant une politique moins fondée sur la propagande et plus penchée vers des « nuanced public relations » (Lee, 2009 : 47, 56).  L’élection en 2002 du président Hu Jintao consacre une période de réformes dans le domaine culturel (Wang J., 2011), ainsi que l’apparition de l’idéal de peacefull rise  (heping jueqi 和平崛起) (Wang J., data : 41). Conçue en 2003 en réponse aux inégalités sociales internes et aux inquiétudes occidentales relatives à la menace chinoise (China threat), cette idée de montée pacifique envisage la création d’une société harmonieuse (hexie shihui 和谐社会) (Lee, 2009 ; Wang J., 2011), sur le plan à la fois domestique et international. Ici, les efforts du soft power ont été tournés vers la construction d’un « “harmonized world,” although centered on China » (Lee, 2009 : 44).

Cette nécessité a été reprise et synthétisée dans la proposition du dixième plan quinquennal (2001-2005), qui souligne, entre autres, la nécessité de promouvoir la diffusion de la langue chinoise à l’international à travers l’industrie culturelle (wenhua chanye 文化产业) dans une perspective de Going global (zouchuqu 走出去) (Lee, 2018 : 3 ; Zhu, 2010 [2001] : en ligne).

  1. Un aperçu du travail des Instituts Confucius

Dans ce contexte de revitalisation, à partir des années 80, la figure de Confucius non seulement a connu un nouvel essor, mais en outre « was [also] seen to have a vital role to play in the geocultural dissemination of China’s Sinocentric nationalism » (Lee, 2009 : 51).

Ainsi, dans le sillage des expériences européennes de promotion des langues nationales, la Chine lance à partir de 2004 ses avant-postes pour l’apprentissage du chinois à l’international : les désormais célèbres Institut Confucius. Entre 525 et 558 dans le monde, ces instituts représentent l’effort de promouvoir l’image positive de la Chine à l’international, de stimuler la population mondiale à l’apprentissage de la langue, de favoriser les relations entre la Chine et les autres pays et de former des entrepreneurs qui veulent implanter des activités en Chine (Institut Confucius au Québec, s.d. : en ligne). Ces objectifs sont souvent atteints par une offre très vaste de cours de langue, de calligraphie, de traduction, de cuisine, etc. En outre, des bourses d’études pour poursuivre l’apprentissage du chinois en Chine y sont offertes. Parmi celles-ci, on trouve des bourses de six mois (avec la possibilité d’entamer des études de médecine chinoise traditionnelle ou de taiji) ou d’un an, des bourses de deux ans pour le programme de maîtrise, tel le Master in Teaching Chinese to Speakers of Other Languages (dorénavant abrégé en MTCSOL) et d’autres programmes (Istituto Confucio di Napoli, 2021 : en ligne).

Le soft power culturel (wenhua ruanshili 文化软实力) à la base de ce programme ambitieux sera déclaré formellement par le président Hu Jintao dans le VIIe point (Promoting Vigorous Development and Prosperity of Socialist Culture) du rapport délivré lors du 17e congrès du Parti communiste chinois (PCC) en 2007 (Hu, 2007). Il est ensuite réaffirmé dans la proposition pour l’établissement des objectifs à long terme pour l’année 2035, à l’occasion du lancement du 14e plan quinquennal (2021-2025) pour le développement économique et social national. La proposition, élaborée en octobre 2020, souligne l’importance de la culture, de la langue et du soft power, en affirmant que « la Chine deviendra un pays fort en ce qui concerne la culture, l’éducation, le talent, le sport et la santé. […]. Le soft power chinois n’arrêtera pas de se renforcer » (Liu, B. 2020 : en ligne ; traduction libre ; Xu, 2020 : en ligne).

Dans la prochaine section, on mettra en lumière comment et pourquoi l’enjeu de l’apprentissage de la langue chinoise devient la cible des efforts des nombreuses institutions, dont le ministère de l’Éducation, occupant un rôle de premier plan dans le panorama académique.

  1. Pourquoi bâtir des routes sinophones : le point de vue chinois

L’abondance d’articles publiés en Chine dans les dernières décennies, ainsi qu’on peut le voir sur la base de données CNKI (Zhongguo zhiwang 中国知网), fait ressortir l’effort des chercheurs universitaires dans la contribution et la collaboration avec les institutions engagées dans la dissémination du chinois. En effet, une simple quête du mot fièvre chinoise (hanyure 汉语热) offre un total de 578 articles parus entre 2005 et 2021. Ce chiffre est quadruplé pour le thème enseignement international du chinois (hanyu guoji jiaoyu 汉语国际教育), qui propose un choix parmi plus de 2.250 articles, dont 2.024 ont fait leur apparition seulement entre 2013 et 2021. Mais encore plus impressionnant est le nombre de titres qui se réfèrent explicitement aux enjeux linguistiques qui caractérisent la BRI : seulement entre 2015 et 2021, ils totalisaient 4.162 articles publiés (CNKI.net). Dans le cadre de la recherche universitaire pour la diffusion du chinois (hanyu tuiguang 汉语推广), un soutien fécond est offert par les institutions, parmi lesquelles figurent le ministère de l’Éducation, le ministère de la Culture et le Hanban (Confucius Institute Headquarters, aujourd’hui nommé Center For Language Education and Cooperation), à son tour encouragé par le Front Uni (UFWD ; Zhonggong zhongyang tongyi zhanxian gongzuo bu中共中央统一战线工作部, usuellement abrégé en tongzhanbu 统战部[1]) et par le ministère de la propagande (xuanchuanbu宣传部) (Gao, 2020 : 6-7). Il en découle qu’un language-in-education planning –  considéré comme l’ensemble des politiques linguistiques explicites développées par les institutions gouvernementales d’un pays (Tollefson, 2016) – programme l’apprentissage du chinois et accompagne formellement la Belt and Road Initiative (BRI) (Gao, 2020).

Mais qu’est-ce que la BRI ? Lors de ses discours officiels, le président Xi Jinping ne semble pas avoir fourni de description précise du programme, se concentrant plus sur la présentation de la mission qui l’anime. En particulier, Xi a souvent souligné le fait que, quoique la BRI soit une initiative spécifiquement chinoise, « ses bénéfices rejoindront le monde entier » (Xi, 2017; traduction libre). Les mots-clés « interconnexion » et « interaction » (en chinois : hulian hutong 互联互通), « coulent le long des artères de la BRI » (Xi, 2016a : en ligne; traduction libre) afin de construire ce que Xi définit comme un « réseau de coopération mutuellement bénéfique » (huli hezuo wangluo互利合作网络) (Xi, 2016b : en ligne; traduction libre) capable de « forger de manière conjointe une ‘route de la soie verte’, une ‘route de la soie saine’, une ‘route de la soie intelligente’ ainsi qu’une ‘route de la paix’ dont les pays et les peuples peuvent profiter » (Xi, 2016b : en ligne; traduction libre). Pour ce faire, la Chine s’engage à développer cinq connexions (wutong 五通), qui se déploient dans la coordination des politiques, la connectivité des infrastructures, le libre commerce, l’intégration financière et les liens entre les peuples (people-to-people) (Gao, 2020: 8). Comment atteindre dès lors ces objectifs et, en particulier, la cinquième connexion ? Selon la Chine, la réponse à ces questionnements réside dans l’apprentissage du chinois.

  1. La réponse des universitaires

 Publié à la section « théorie » ( lilun 理论) de la page web de l’agence de presse du PCC (zhongguo gongchandang xinwenwang 中国共产党新闻网), un article paru en 2015 dans le journal People’s Daily (Renmin Ribao 人民日报) et publié par Li Yuming, professeure à la Beijing Language and Culture University, porte le titre suivant : « One Belt One Road » requiert une langue qui lui ouvre la voie » (  « yidaiyilu »  xuyao yuyan pulu  “一带一路”需要语言铺路). Dans cet article, Li soutient que, afin de bâtir la tolérance culturelle au sein d’une communauté de profit (liyi gongtongti 利益共同体), de responsabilité (zeren gongtongti 责任共同), mais surtout d’une communauté de destins (mingyun gongtongti 命运共同体) (Li, 2015), il faut maitriser une langue commune, différente de l’anglais – cette dernière étant incapable de bâtir des relations qui vont au-delà de l’échange d’information (Li, 2015). Afin d’unifier les cœurs des peuples (minxin xiangtong民心相通), il est donc important que ces derniers utilisent une langue volontairement et de bon gré (leyi shiyong yuyan 乐意 使用语言) (Li, 2015). Selon l’auteur, cette langue serait le chinois.

Au-delà d’être un outil pour la communication, l’utilisation du chinois comme lingua franca aurait d’ailleurs le potentiel de sauver les pays des griffes de l’impérialisme de l’anglais (ang. English Imperialism ; ch. Yingyu diguo zhuyi 英语帝国主义) (Gao, 2020 :8) – terme utilisé par le linguiste anglais Robert Philippson (1992) pour se référer à la suprématie de l’anglais comme langue d’échange. Sans vouloir imposer – au moins en théorie – un autre impérialisme linguistique (Gao, 2020 : 10), la préservation des langues parlées dans les pays signataires des ententes doit être promue (Gao, 2020 : 9 ; ministère de l’Éducation RPC, 2016 : en ligne).

Mais la logique circulaire à la base de ce discours ne change pas la donne. Au contraire, elle la confirme : en effet, puisque la Chine est l’investisseur principal et le planificateur de l’initiative, les efforts doivent viser à « étendre la position de leader de la langue chinoise dans les gouvernements et les principales zones de construction des pays le long de la route » (Gao, 2020 :11 ; traduction libre) en assurant son utilisation dans « les domaines clés, les projets importants et les grands projets » (Gao, 2020 : 11 ; traduction libre).

En outre, selon la rhétorique utilisée, la maîtrise du chinois ne peut qu’ouvrir les portes pour la naissance des rapports gagnant-gagnant (Shen, 2015 ; The Ministry of Education of the People’s Republic of China. (2020) [2016]: en ligne). Si d’un côté les partenaires gagnent des possibilités d’emploi majeures dans le cadre de la BRI, d’un autre côté la Chine obtient prestige et statut, stimulant le sentiment d’appartenance parmi les Chinois d’outremer (haiwai huaren海外华人) et les minorités ethniques (shaoshu minzu 少数民族) (Gao, 2020 :13).

Pour finir, d’autres chercheurs, dont Tan Honghui, professeur à la Yangze University, dans un article publié dans le London Journal of Research in Humanities and Social Sciences (2018), plaide pour la dissémination du chinois afin de réaliser une sécurité linguistique (linguistic security ; Tan, 2018 : 63). Ce faisant, la langue véhiculerait une sécurité culturelle (Tan, 2018 : 63) (ou bien idéologique ?) qui devrait mener, selon cette théorie, vers une sécurité nationale. Dans le cadre de cette vision, la langue est le médium à travers lequel différentes formes de cultures voyagent : « cultural identity, cultural exchange, cultural rights, cultural ecology and cultural security » (Tan, 2018 : 63); cette dernière, toujours selon l’auteur, étant une condition dans laquelle une nation défend sa souveraineté culturelle et « make the culture sustainable » (Tam, 2018 :63). Selon cette interprétation, les confins des termes « culture » et « idéologie » semblent s’affaiblir. Réifiée, la culture semble être considérée comme un héritage à défendre, comme un environnement en danger à préserver, comme une ressource à rendre soutenable. Véhicule de la culture, la langue apparaît d’ailleurs comme une arme de défense censée protéger l’unité nationale contre les dangers internes et externes.

Le prochain paragraphe mettra en lumière un programme qui fait partie des stratégies pour la dissémination de la langue et de la culture chinoise, le Teaching Chinese to Speakers of Other languages (TCSOL). Une attention particulière sera accordée à son programme de maitrise (MTSCOL).

  1. Le programme Teaching Chinese to Speakers of Other languages (TCSOL)

 « Fasciner à travers la culture, renforcer les liens entre les peuples » (ganshou wenhua meili cujin minxin xiangtong 感受文化魅力 促进民心相通) est le titre d’un article publié le 27 mars 2021 dans le journal People’s Daily et partagé sur le site du Center for Language Education and Cooperation (Zhongwai yuyan jiaoliu hezuo zhongxin中外语言交流合作中心). Cet article soutient que les échanges avec la Chine et l’apprentissage du chinois permettent d’avoir une connaissance plus réaliste de l’histoire et de la culture du dragon de l’Est (Bo, Zhou, Qi, Huan, 2021), permettant d’en « admirer la tolérance, l’ouverture et la créativité » (Bo, Zhou, Qi, Huan, 2021 ; traduction libre). La Chine est toujours plus attentive à son image et aux contenus qu’elle veut véhiculer. Mais qui sont les vecteurs de la culture qu’elle veut diffuser ? L’attention toujours croissante des institutions chinoises envers l’enseignement semble mettre en évidence deux protagonistes : les élèves et les enseignants. Le site internet du Center For Language Education and Cooperation – qui depuis l’année 2020 a remplacé l’ancien Hanban (aussi appelé Confucius Institute Headquarters), organisme gouvernemental affilié au ministère de l’Éducation – présente une panoplie d’offres et d’opportunités pour les élèves et les enseignants qui veulent s’engager dans l’apprentissage ou l’enseignement de la langue et de la culture chinoises.

L’objectif national, manifesté lors de la rencontre pour le lancement du 14e plan quinquennal (2021-2025) pour le développement économique et social national serait de « bâtir une plateforme de communication en langue chinoise, construire un système de communication global de la langue et de la culture chinoises et un système international de normes d’éducation en langue chinoise » (Yin, 2021 : en ligne). Ce projet prend le nom de une plateforme, deux systèmes (yi pingtai liang tixi 一平台 两体系). Évoquant le célèbre slogan « un pays, deux systèmes » énoncé par Deng Xiaoping à propos de la rétrocession de Hong Kong à la République populaire de Chine en 1997, le programme vise à bâtir une plateforme éducative qui, d’un côté, souhaite former des professionnels de la langue et de la culture chinoise, tant à l’étranger qu’en Chine et, de l’autre côté, vise à faire des universités chinoises des pôles d’attraction pour les étudiants internationaux dans tous les domaines (Yin, 2021). L’ambition de la Chine ne s’arrête pas donc à la diffusion du mandarin ; elle vise aussi à renforcer le rôle international des institutions universitaires et du système éducatif.

Afin de « bâtir une quantité suffisante d’enseignants d’excellente qualité » (Yin, 2021), différents programmes d’enseignement du chinois langue seconde (L2) ont été mis en place dans le cadre des certificats TCSOL. Parmi les possibilités offertes par le projet, on trouve des programmes qui se déroulent à l’international, comme le Chinese Language Teacher Volunteer Program – qui, depuis 2004, envoie des milliers d’enseignants à l’international –  et le Cooperation on Teacher Training between Chinese and Foreign Universities, qui propose une coopération entre les universités chinoises et étrangères. D’autres projets, comme le Overseas Chinese Language Teacher Training Program in China et le Master in Teaching Chinese to Speakers of Other Languages attirent des futurs enseignants pour des programmes de formation en Chine (Center For Language Education and Cooperation, s.d. : en ligne).

  1. Un aperçu du Master in Teaching Chinese to Speakers of Other Languages

Des programmes de bourses des Instituts Confucius et des provinces chinoises offrent la possibilité de suivre un programme de maîtrise en enseignement du chinois : le Master in Teaching Chinese to Speakers of Other Languages (MTCSOL). L’objectif de ce programme est de former des enseignants « ayant une solide éthique de travail et une bonne compréhension de la Chine et de la culture chinoise » (Zhejiang University of Science and Technology, s.d : en ligne). Il s’adresse aux étudiants internationaux qui maitrisent le mandarin, mais qui sont surtout « passionnés par la langue et la culture chinoises et dédiés à l’enseignement de la langue, ainsi qu’à la promotion des échanges internationaux entre la Chine et les autres pays » (Zhejiang University of Science and Technology, s.d : en ligne).

Le professeur modèle que le programme vise à créer doit recevoir sa formation sur la base du Manuel de référence du professeur de mandarin à l’international (guoji hanyu jiaoshi biaozhun 国际汉语教师标准, 2007, 2012), dont une nouvelle version mise à jour sortira en juillet 2021. Dans le cadre de ce manuel, les compétences que tous les programmes de MTCSOL doivent développer se déploient en cinq modules. Le premier, vise à former les connaissances et les compétences linguistiques (Ding, 2009), alors que des cours pour la communication interculturelle doivent être offerts pour satisfaire le deuxième module (Ding, 2009). Les cours du troisième module doivent se concentrer sur les théories de l’acquisition d’une langue seconde et les stratégies d’apprentissage, tandis que ceux du quatrième module ciblent l’étude des méthodes d’enseignement. Enfin, le cinquième module créé pour développer des qualités intégrées (zonghe suzhi 综合素质 ; Ding, 2009 ; traduction libre) « décrit principalement la qualité professionnelle des enseignants […] et leur éthique professionnelle » (Ding, 2009 : 14 ; traduction libre).

Selon l’expérience directe en MTCSOL de l’autrice entre 2017 et 2019 au sein de la Liaoning Normal University, le futur enseignant de chinois suit des cours sur les classiques de la pensée philosophique chinoise, sur les arts traditionnels, mais aussi des cours avancés de grammaire, de vocabulaire, de figures de style, de linguistique, etc. L’étudiant est appelé à travailler sur les méthodes d’évaluation et la construction de syllabi ; il/elle étudie les concepts de la psychologie de l’apprentissage d’une langue seconde, analyse les erreurs fréquentes (pianwu 偏误) commises par les apprenants du chinois, etc. Toutefois, une précision importante doit être soulevée : quoique les cours de base soient identiques pour les étudiants internationaux et les collègues chinois, à ces derniers est offert un choix plus vaste, dont des cours obligatoires (mais inaccessibles aux étrangers) sur l’idéologie marxiste-léniniste.

Une fois le programme complété, les étudiants chinois doivent se préparer aux examens pour recevoir l’habilitation à l’enseignement : le Certificate for Teachers of Chinese to Speakers of Other Languages (CTCSOL, guoji hanyu jiaoshi zhengshu 国际汉语教师证书). Les preuves sont articulées en deux examens écrits et deux colloques oraux (mianshi 面试), lesquels prévoient la préparation d’une séance de cours structurée selon la norme apprise au long de la formation (Zhang S. et al., 2017). En outre, depuis 2019, les étudiants provenant des pays signataires des ententes de la BRI peuvent voyager vers Pékin pour participer à ce concours qui, si réussi, fournira une porte d’entrée privilégiée pour un poste d’enseignant dans les instituts Confucius opérant dans les pays d’origine des candidats.

Pourtant, c’est une fois fait retour dans leur pays d’origine que la vraie mission des diplômés va débuter. Ainsi, des témoignages d’anciens élèves, devenus des enseignants de chinois, occupent un espace important à la section News du site Center For Language Education and Cooperation, qui republie les textes parus dans les principaux journaux de Chine. On trouve, par exemple, un article publié dans le journal Xinhua reprenant le témoignage d’une jeune Tanzanienne qui espère pouvoir donner aux élèves « the opportunity to appreciate the charm of Chinese and understand the profound Chinese culture » (Xinhuanet, 2021 : en ligne). On lit aussi une panoplie d’histoires différentes, comme celle d’un enseignant du Pakistan qui a à cœur la réussite aux études de ses élèves (Misbah Saba, Li H., 2021 : en ligne), ou encore, l’histoire d’un éminent sinologue italien qui explique sa technique d’enseignement (Wang X., 2020).

 

Conclusion

« Une langue est un dialecte avec une armée et une marine », affirmait le linguiste Max Weinreich (1894-1969). En effet, le choix d’une langue standard pour la communication, ainsi que les normes qui en configurent le bon usage, sont des conventions étroitement liées à des enjeux de pouvoir étatique. Mais face à un programme pharaonique de développement mondial des infrastructures, à un capital économique impressionnant, à un discours idéologique omniprésent, à un maniement savant du charme d’une culture millénaire, et à un appareil d’institutions qui travaillent, de manière centralisée et efficace, à la formation des étudiants et des futurs enseignants, « une armée et une marine » semblent passer au second plan quant à leur pouvoir de favoriser l’usage d’une langue.

Les efforts draconiens mis par les institutions chinoises sur la diffusion du chinois attirent ainsi une quantité exponentielle d’apprenants internationaux. De plus, le financement des études, les cérémonies, les spectacles, les activités culturelles, les environnements joyeux et multiculturels dans lesquels les étudiants internationaux sont impliqués façonnent les témoins d’une société riche, ouverte et bénévole. Les élèves et les enseignants internationaux deviennent ainsi les témoins de celle qui aime à se considérer comme la vraie Chine, « ouverte, tolérante et créative » (Jiang, Zhou, Ye, Yan , 2021 : en ligne). La gratitude, mais aussi l’impression d’avoir un service à rendre à la Chine sont les sentiments qui accompagneront les élèves témoins dès leur retour dans leur pays.

Du côté de la recherche universitaire, le prestige (Gao, 2020), la sécurité nationale (Tan, 2018), l’augmentation de la valeur de la langue (Li, 2014), ainsi qu’une augmentation du capital symbolique, culturel, social et économique – pour emprunter les célèbres termes de Bourdieu (1979) – semblent être les objectifs que la promotion de la langue chinoise veut atteindre. La dissémination de la langue et la culture semble ainsi huiler les rouages de la Belt and Road Initiative et fait des élèves et des enseignants du futur les véhicules du soft power chinois.

Ainsi, des photos de jeunes du monde entier envahissent les sites web chinois et sont affichées aux murs le long des couloirs des établissements universitaires. Des étudiants de partout dans le monde s’exhibent dans des spectacles souvent organisés en leur honneur. De jeunes universitaires sont filmés et photographiés lors des compétitions et des évènements. Vêtus de qipao (旗袍) et d’autres vêtements traditionnels chinois, ces mêmes étudiants-témoins participent à des concours de calligraphie, chantent des chansons traditionnelles et s’affrontent pour tester leur connaissance de la langue et de la culture chinoise lors des compétitions internationales et des concours d’éloquence. Mais indépendamment de la nature de l’activité, toute expérience sera ponctuellement marquée par le fatidique mot de la fin : « Je t’aime, Chine ! » (Wo ai ni, Zhongguo ! 我爱你中国!).

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[1] Fondé en 1921, le Front Uni travaille dans la consolidation de la légitimité et du pouvoir du Parti communiste chinois (PCC) parmi les masses. Lors de sa fondation, il visait surtout à rallier les élites traditionnelles, non communistes, au projet du Parti et à renforcer la coalition contre les ennemis du PCC. Considéré par Mao comme sa troisième arme magique (sangge dafa bao 三个大法宝), le Front Uni a travaillé dans le cadre du renforcement de l’autorité et de la légitimité du PCC tant en Chine qu’à l’étranger, élargissant son ingérence aussi dans le milieu économique mondial (Groot, 2018). Aujourd’hui, depuis la réforme de Xi Jinping menée à partir de 2015, le Front Uni englobe plusieurs départements, bénéficiant d’un pouvoir toujours plus centralisé (Groot, 2018).

COVID-19 et réalisme néoclassique : la Chine contre les États-Unis dans la course aux gains relatifs par l’instrumentalisation du soft power

 RG v7n3 (2021)

 

Yvonne Devaux

Yvonne Devaux est étudiante à la Maîtrise en Études Internationales de l’université Laval et porte un intérêt marqué pour la place qu’occupent les théories des relations internationales au sein des conflits entre pays.

yvonne.devaux.1@ulaval.ca

Résumé :

Depuis la constitution du monde unipolaire, au sein duquel le géant américain incarne le rôle d’hégémon, les administrations qui se sont succédées ont entendu préserver leur titre de leader à l’international. Mais depuis bien avant l’arrivée de la COVID-19, la flamme des États-Unis commençait à s’éteindre, notamment avec la montée en puissance d’une nouvelle rivale qui allait potentiellement la détrôner. S’alignant avec les théories réalistes des relations internationales, qui permettront d’analyser le comportement de la Chine à l’international, on remarque que cette dernière a bénéficié de la perte de gains relatifs de ses pairs pour promouvoir son soft power. En effet, les réponses des deux États face à la propagation rapide du virus met en lumière le degré d’efficacité de leurs stratégies nationales respectives en fonction du type de régime adopté. Une véritable guerre diplomatique sévit entre les deux puissances et révèle la perte d’influence du présupposé leadership américain, au profit d’un nouveau essential power.

Mots clés : rivalités, réalisme, soft-power, coronavirus

 

Summary :

Following the constitution of the unipolar world, in which the American giant embodies the role of hegemon, the successive administrations have intended to preserve their title of international leader. Long before the arrival of COVID-19, the flame of the United States began to suffocate, especially given the rise of a new rival that would potentially dethrone it. Aligning with realistic theories of international relations, which will allow analysis of China’s international behavior, we note that the latter has benefited from its peers’ loss of relative gains to promote its soft power. The states’ responses to the rapid spread of the virus highlight the degree of effectiveness of their respective national strategies depending on the type of regime they adopted. A real diplomatic war rages between the two powers and reveals the loss of influence of the presupposed American leadership, in favor of a new essential power.

Key words: rivalries, realism, soft power, coronavirus

 

Introduction

La fin de la guerre froide et la dissolution de l’Union des républiques socialistes soviétiques en 1991 ont entraîné un changement structurel du système international, passant d’une conception bipolaire à l’unipolarité, de pair avec l’hégémonie des États-Unis d’Amérique. Dès lors, les administrations américaines qui se sont succédées ont montré la puissance substantielle du pays en fournissant une assistance économique et militaire à l’étranger, avec l’idée centrale que la nation américaine soit dotée d’un destin divin expliqué par son exceptionnalisme. Les États-Unis seraient destinés à jouer un rôle unique et positif sur la scène mondiale. Cet exceptionnalisme se manifeste dans leur volonté de répandre leurs valeurs et d’intervenir à l’étranger pour ainsi résoudre les conflits et lutter contre le communisme pendant la guerre froide (Tyrell, 2016). Plus tard, les erreurs commises par les Américains au Moyen-Orient, suivies par la crise financière mondiale, ont signalé aux concurrents potentiels les limites de la puissance américaine. L’hégémonie américaine reposait sur l’absence de rivaux à l’étranger et d’autres conditions favorables qui ne sont pas réunies au sein du nouvel ordre. Aujourd’hui, le système international se dirige vers la multipolarité qui suppose l’émergence et le développement de nouvelles grandes puissances qui pourraient potentiellement entrer en compétition les unes contre les autres sur la scène internationale, de plus en plus en faisant l’usage de leur soft-power, par voies diplomatique, politique et même économique. En effet, les rivalités entre les puissances grandissent, il suffit de nommer par exemple la compétitivité économique croissante entre la Chine et l’Inde ou les relations conflictuelles des États-Unis avec la Russie et l’Amérique latine. L’exemple le plus flagrant de ce processus est celui de la Chine, première rivale des États-Unis. Aaron définit la multipolarité comme une configuration « au sein de laquelle l’équilibre est fonction de la rivalité entre plusieurs unités » (Battistella, 2015 : 138). Nous le verrons, cette définition est porteuse de similarités avec la théorie réaliste néoclassique des relations internationales, mise de l’avant par Gideon Rose dans son ouvrage Neoclassical Realism and Theories of Foreign Policy publié en 1998.

 

  1. Du hard-power au soft-power

Contrairement à l’époque de la guerre froide, la puissance ne se définit plus seulement en termes de hard power, c’est-à-dire la capacité d’un État à imposer aux autres acteurs internationaux ses intérêts par la force armée ou la coercition. L’article 2, paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies proscrit formellement aux États membres « de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies » (ONU, 1945). L’article 1 de ladite Charte insiste désormais sur la priorité donnée « aux des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix […] par des moyens pacifiques » (ONU, 1945). À ce sujet, Pannier ajoute que « les relations bilatérales constituent l’élément fondateur des relations internationales, ou, […] du jeu diplomatique » (Pannier, 2018). De cette affirmation découle l’explication que « toute négociation multilatérale […] requiert des pré-négociations et la constitution de coalitions qui se font au niveau bilatéral […] ainsi, la relation bilatérale s’avère toujours nécessaire […] comme une condition indispensable du monde multilatéral » (Pannier, 2018 ). De ce fait, dans un monde où le progrès socio-économique est signe et facteur de puissance, les États recourent davantage au pouvoir de la diplomatie par rapport à l’utilisation de la force, la qualité de la puissance tend de plus en plus vers l’avantage du soft power, un processus par lequel un État parvient à convaincre les autres de suivre ses intérêts par la séduction, la négociation et la mise en pratique de stratégie diplomatique publique. Les travaux de Carnes Lord renseignent sur les origines historiques du soft power dans le monde. En effet, « grâce à l’attirance de la civilisation [qu’il répandait devant lui] et au caractère relativement bénin de [sa] domination » (Lord, 2005 : 62) l’empire Romain avait déjà cette capacité à employer peu de ressources militaires pour étendre son emprise. De plus en plus, le soft power est un outil privilégié pour la Chine qui a « entrepris ces dernières années un effort majeur pour améliorer son image comme membre responsable de la communauté internationale » (Lord, 2005 : 62).

 

2. Théories réalistes : les rivalités compétitives sino-américaines

2.1. Un jeu à somme nulle

Pour le réaliste classique Morgenthau, les humains ont une nature agressive et se préoccupent davantage des gains relatifs que des gains absolus. Il explique que « la politique internationale, comme toute politique, est une lutte pour la puissance » (1948 : 13). Mearsheimer, autre tenant du courant réaliste, considère que les acteurs au sein de l’ordre mondial ont comme but ultime d’être l’hegemon du système (Battistella, 2015). Finalement, le courant réalisme néoclassique de Rose (1998) révèle l’importance d’intégrer les variables internes à l’État pour bien comprendre comment « la politique nationale [agit comme] une variable intermédiaire entre la répartition de la puissance et le comportement en politique extérieure » (Baylis et al., 2012 : 96). Pour Rose :

The neo-archetype is Thucydides’ history of the Peloponnesian War, which grounds its narrative in the theoretical proposition that the real cause of the war was the growth of the power of Athens, and the alarm which this inspired in Sparta […] instead of assuming that seek security, neoclassical realists assume that states respond to the uncertainties of international anarchy by seeking to control and shape their external environment (1998 : 152).

 

Dans un ordre multipolaire, la puissance relative établit les paramètres premiers des politiques étrangères des États et ces derniers tendent principalement à répondre aux menaces et aux incertitudes de l’anarchie internationale en reflétant et protégeant leurs intérêts nationaux sur la scène mondiale. L’émergence de la Chine sur la scène internationale est tout à fait comparable aux théories réalistes des relations internationales. Ce gain de puissance relative s’inscrit en parallèle avec la diminution de l’influence des États-Unis : la perte de l’un est le gain de l’autre. C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre le comportement de la Chine envers les États-Unis, et vice-versa.

 

2.2. Making America great again

2.2.1. Un sentiment populaire

La politique étrangère du président américain serait directement influencée par la perturbation du statu quo et la montée en puissance d’un nouveau compétiteur qui ébranle la position des États-Unis dans l’ordre mondial. Pour la première fois dans l’histoire « a majority of Americans […] believe that their economy has a declining influence on what is happening around the globe » (Schweller, 2018 : 28). La rhétorique de Trump a donc trouvé sa légitimité au sein d’un électorat de plus en plus sceptique quant au rôle des États-Unis dans le monde et la compétition croissante entre les États en transition vers la multipolarité. Dans cette lignée, un thème récurrent dans le discours de Trump « was opposition to globalization, which he claimed had cost Americans millions of good jobs, opened the door to dangerous immigrants, and made America weaker » (Walt, 2018 : 42). Depuis longtemps « Americans, in contrast to their leaders, have been more realist than liberal […] They insist on a president […] who will fight as an economic nationalist to keep manufacturing jobs in the USA rather than letting […] globalization decide the fates of working-class Americans » (Schweller, 2018 : 23).

Cela explique largement la rupture idéologique de Trump vis-à-vis de ses prédécesseurs libéraux, l’attrait de sa doctrine America First et, par le fait même, le retour au réalisme. En tant que nationaliste économique, Trump est soutenu par les classes moyenne et ouvrière qui sont convaincues que la Chine a profité des politiques de libre-échange pour affaiblir l’économie américaine : « the globalists gutted the American working class and created a middle class in Asia » (Schweller, 2018 : 31). Ces circonstances ont conduit l’administration Trump à prendre des mesures considérables pour reprendre le pouvoir à l’échelle mondiale et diminuer les effets néfastes de cet ordre sur le destin des États-Unis face aux nouvelles puissances. Le président américain ajoute d’ailleurs que « our country is in serious trouble. We don’t win anymore. We don’t beat China in trade » (Ibid.). Le principe de gain relatif des théories réalistes prend tout son sens dans les propos de Trump, qui souhaite miner la puissance chinoise dans le but de protéger ses intérêts sur les plans national et international : make America great again.

 

2.2.2. Les stratégies protectionnistes de Trump

Pour honorer ses propos relatés dans la National Security Strategy of the United States of America, le président a exigé l’augmentation des taxes douanières sur les importations chinoises pour cesser les pratiques commerciales qui engendrent un déséquilibre commercial. Théoriquement, les mesures protectionnistes visent à protéger les entreprises nationales de la concurrence étrangère, dissuader la population de consommer des produits étrangers et ainsi, potentiellement diminuer le taux de chômage du pays. D’autres défis économiques à l’intérieur du pays, et qui ont entraîné l’exportation des entreprises et des emplois américains, ont motivé la nouvelle politique :

Economic growth has been anemic since the 2008 recession […] gross domestic product growth hovered barely above two percent […] taxes increased, and health insurance and prescription drug costs continued to rise […]. Education costs climbed at rates far above inflation, increasing student debt. Productivity growth fell to levels not seen in decades (2017 : 18)

C’est dans cette lignée que Trump a favorisé sa politique protectionniste et la promotion de la manufacture domestique pour assurer la survie des compagnies et des emplois dans le but de diminuer les déséquilibres commerciaux qui défavorisaient les entreprises américaines face à leurs concurrents. De cette façon, le pays peut recouvrer de la puissance au niveau interne en renouvelant le développement de son économie, mais aussi au niveau externe, en limitant la puissance chinoise et restreindre ses activités sur le territoire américain. Donald Trump réalise que les États-Unis deviennent vulnérables, que ses gains absolus et relatifs diminuent et qu’il doit prendre les mesures nécessaires pour y remédier et rétablir le statu quo. Il s’agit d’une véritable lutte pour le regain de puissance et pour assurer la prospérité du pays.

2.3. La vulnérabilité américaine au profit du leadership chinois

            La manière dont la Chine a géré la crise sanitaire mondiale illustre fortement sa volonté de propager son influence et son modèle de développement dans le but d’incarner un rôle de leader, et, à l’instar des États-Unis, d’hegemon. Sa formule de diplomatie du masque l’aide à alimenter un portrait d’acteur international responsable et efficace. Le soft power est ainsi instrumentalisé pour générer des gains relatifs. Xi Jinping a adopté une attitude complètement contraire à celle de Donald Trump face à la pandémie et a profité de l’absence d’un leader sur la scène mondial pour offrir de l’assistance aux quatre coins du monde, démontrant ainsi un exemple flagrant de volonté de coopération. Une fois trouvé, Xi Jinping a promis qu’il rendrait le vaccin accessible pour toute la communauté internationale, en contraste avec « Donald Trump’s alleged attempt to purchase a vaccine developed in Germany to be first used in America. […] it can be argued that countries benefitting from China’s assistance will not forget the deed » (Carminati, 2020). La communauté internationale attendait des États-Unis qu’ils s’engagent à soutenir un effort mondial et solidaire en se montrant responsables. Or, Trump a enchaîné les décisions décevantes : retrait de l’Ordre Mondial du Commerce, rejet de la participation à COVAX. Les professionnels affirment que les mesures prises par les pays asiatiques pour limiter la propagation du virus ont eu des résultats plus positifs qu’en Occident. Aussi, ces pays ont mieux réussi à maintenir leurs économies tout en gardant un mode de vie relativement normal, comparativement aux États-Unis, pour qui le confinement a eu des conséquences économiques graves (Cha, 2020).

            Le maintien de la stabilité socio-économique en temps de pandémie a engendré un gain de confiance considérable envers l’État au sein de la population chinoise. Cette reconnaissance est très avantageuse pour la Chine qui est désormais « en mesure de remodeler les institutions et de fixer des normes à [sa] guise » [traduction libre] (Nye, 2020). La période cruciale de vulnérabilité occidentale sur la scène mondiale a donné l’opportunité à la Chine de mettre à profit son soft power et de prendre le contrôle de son environnement. Ainsi, en prenant l’initiative d’envoyer de l’équipement et des équipes médicales dans certains pays en développement, elle tente de devenir « a benign global leader, at a time when the US is turning inwards » (Extraordinary and Plenipotentiary Diplomatist, 2020). De ce fait, en plus de promouvoir le partage de technologies et d’expertise, le pays fait preuve de compassion envers la communauté globale. Nombreux sont les pays qui ont pris exemple sur la Chine dans la gestion de la pandémie, ses mesures « were replicated worldwide […] these will all ultimately play into China’s soft power » (Santos, 2020).  La Chine semble déterminée à exporter son assistance technique et médicale puisque « with the US withdrawal from the international commitments, the world is facing a leadership void which China is trying to fill » (Extraordinary and Plenipotentiary Diplomatist, 2020).

 

  1. Une opportunité de rétablir son image

Le rôle que les puissances incarnent lors de crises globales a un effet décisif sur l’opinion populaire. Les décisions de Trump n’ont malheureusement pas étonné. Il fait comprendre une rupture décisive avec l’interventionnisme et les idées libérales de ses prédécesseurs. Or, sa rhétorique semble contradictoire sur certains points. Pourquoi n’a-t-il pas profité de la situation sanitaire pour poursuivre les intérêts de la puissance américaine de retrouver sa place au sein de l’ordre mondial et chasser de la scène internationale tout potentiel rival ? A contrario, l’analyse de la situation révèle qu’il n’a pas perçu cette opportunité comme une porte ouverte propice au renouvellement de la grandeur des États-Unis par l’utilisation de son soft power. Par le fait même, ce revirement de situation aurait potentiellement montré l’incapacité de la Chine à promouvoir ses intérêts lorsque le terrain ne lui est pas favorable.

Certes, l’administration Trump s’est efforcée d’accuser la Chine de manque de transparence concernant ses données statistiques et continue d’appeler la pandémie le « Chinese virus ». Depuis les débuts de la crise sanitaire, le président Trump ne cesse de critiquer la façon de faire de la Chine et a même blâmé l’Organisation mondiale de Santé d’être trop China-centrist. En réalité, l’attitude de Trump prouve bel et bien qu’il a saisi la chance de miner l’influence de la Chine sur la scène mondiale. En revanche, il ne s’agit pas là d’une situation qui a engendré un gain de puissance relative pour les États-Unis, car la réponse de Trump face à la pandémie a été considérée pire que celle de tout autre État dans le monde. Les États-Unis n’ont pas de quoi se vanter, l’année 2020 n’a que projeté chaos et polarisation au sein de la population américaine et alimenté le déclin de leur influence.

On remarque que les deux puissances tentent toutes deux de tâcher l’image de l’autre puisque l’État chinois a riposté aux accusations sur les médias sociaux en essayant de convaincre que le virus provenait d’Amérique. En contrepartie, malgré les visions pessimistes adressées sur les techniques chinoises depuis plusieurs années, Xi Jinping a quant à lui largement profité de la pandémie pour rétablir une image digne de son pays et la confiance de ses pairs du local au global. À ce sujet, Marcus (2020) explique qu’il s’agit là d’un

moment of huge symbolism. And it was an indication of the information battle that is being waged behind the scenes, with China eager to emerge from this crisis with renewed status as a global player. Indeed, it is a battle which the US – at the moment – is losing hands down. And the belated dispatch of a small mobile US Air Force medical facility to Italy is hardly going to alter the equation. […] Existing political leaders will ultimately be judged by how they seized the moment; the clarity of their discourse; and the efficiency with which they marshalled their countries’ resources to respond to the pandemic.

Le fait d’apporter de l’aide aux plus vulnérables augmente la confiance et facilite le maintien de bonnes relations diplomatiques avec ses alliés qui prioriseront certainement l’aide chinoise à celle américaine dans le futur. Le ministre iranien, par exemple, après avoir refusé l’aide des États-Unis pendant la pandémie, a publiquement remercié le géant asiatique et a déclaré que « China is undoubtedly the most experienced in the fight against coronavirus and is determined to help us » (Extraordinary and Plenipotentiary Diplomatist, 2020).

Alors qu’ils devraient eux-aussi profiter de la situation pour renforcer leur image, les États-Unis s’en tiennent à rabaisser celle de leur rivale, comme le prévoient les théories réalistes, pour lesquelles, ce ne sont pas les gains absolus qui comptent le plus mais bien les gains relatifs. Les erreurs successives qu’ont commises les États-Unis ont coûté cher à leur rôle de leader, alors qu’ils voyaient initialement en la pandémie une opportunité d’affirmer leur slogan « America First » et leur supposée supériorité au sein du système. En réalité, c’est une toute nouvelle version de la crise du canal de Suez qui sévit sur les États-Unis puisque la pandémie a dépouillé toute prétention d’un leadership mondial américain, à l’instar de l’intervention inefficace et irresponsable de l’empire anglais en Égypte en 1956 qui a marqué la fin de la puissance mondiale britannique. À la vue de leurs comportements respectifs, la Chine pourrait bien incarner le rôle du nouveau essential power.


4. Consensus de Beijing : un modèle de développement alternatif ?

Les divergences dans la gestion de la pandémie s’expliquent par l’utilisation de technologies et le devoir de fournir des informations personnelles en Chine dès le début de la crise. Aux États-Unis, les américains voient ces pratiques « as contrary to their freedom and values, even in these disruptive times » (Cha, 2020) en raison des données personnelles dévoilées et des libertés compromises. En revanche, les Chinois « shifted in the direction of treating these technologies as contributing to a public good that is well worth the temporary and necessary incursions of privacy » (Ibid.). La différence entre les deux régimes politiques peut certainement expliquer ce phénomène. La mise en place de contraintes sur les libertés civiles et privées pose moins d’inconvénients pour les populations des pays non-démocratiques, tandis que la population américaine, individualiste, porte une importance marquée et prioritaire à ses droits et libertés.

Les succès consécutifs de la Chine qui a su écarter certains principes fondamentaux de la démocratie sans freiner son processus de développement, remettent directement en question l’universalité du Consensus de Washington. Imbert (2010) souligne que « l’Occident est endetté, divisé et voit décliner son influence mondiale. La Chine, collectiviste, pragmatiste et toujours unitaire voit la sienne rayonner ». En effet, le parcours historique des deux pôles est très contrasté, chacun ayant respectivement embrassé un modèle de développement bien différent (Ayaan Hirsi, 2010). La capacité à gérer la pandémie, comme nous l’avons décrit, s’inscrit directement au sein du modèle de développement chinois. Le Consensus de Beijing serait peut-être plus favorable et approprié là où le Consensus de Washington n’a pas porté ses fruits, et dans les pays en développement qui voudraient acquérir une capacité similaire à celle de la Chine, d’ailleurs « it is increasingly common to hear people contrast Washington’s debilitating partisanship and gridlock with the ruthless efficiency of Beijing’s authoritarian rule » (Power, 2021 : 10).

La Chine offre un nouvel espoir de développement qui entre en opposition avec les idéologies imposées lors des ajustements structurels, à savoir, le libre-échange, des institutions démocratiques et l’ouverture des frontières aux capitaux. La complémentarité de l’autoritarisme politique et du libéralisme économique a su prouver leur efficacité au fil des années et a gagné en légitimité ; de plus en plus de pays s’en inspirent en Asie et en Afrique. Comparé au modèle démocratique, ce-dernier semble être une alternative plus attrayante aux besoins et intérêts nationaux desdites régions, qui constituent des enjeux importants pour l’instauration de structures économiques et sociales aspirant au développement. L’absence de la reconnaissance de ces enjeux a d’ailleurs été l’une des principales critiques du Consensus de Washington. L’idéologie chinoise, quant à elle, repose sur une approche opposée à l’unilatéralisme américain par un nouvel ordre mondial multilatéral au sein duquel les États reposent sur l’interdépendance économique, ainsi que le respect des différences politiques et culturelles (Beaudet et al., 2019).

Les stratégies chinoises passent particulièrement par le financement d’infrastructures et l’investissement dans la création de réseaux entre les États. Elles sont toutefois fortement critiquées par les pays occidentaux, qui y voient une stratégie de domination géopolitique du parti communiste chinois. Par ces nouveaux réseaux, il va sans dire que la Chine tente également d’augmenter son influence, son soft power, en investissant des capitaux dans des pays moins développés.

 
Conclusion

Le déclin de l’importance donnée au hard power et l’émergence de celle du soft power ont-t-ils annoncé la fin de la Pax Americana et l’ébauche de la Pax Sinica ? Les sources de soft power aux États-Unis ont toujours intéressé la communauté internationale : culture, valeurs politiques, diplomatie. Elles ont longtemps reflété l’idée de supériorité et d’exceptionnalisme américain. Aujourd’hui, les faux pas de la puissance à l’international ont propagé un scepticisme vis-à-vis de ses politiques interventionnistes et de l’exportation de ses valeurs. L’État a tout à fait intérêt de promouvoir son soft power, mais il s’agit de capacités visiblement sensibles à manipuler.

Les mesures mises en place par Trump pour ralentir la Chine dans son élan de puissance, ont sensiblement alimenté les opinions pessimistes à son sujet. Au même moment, Xi Jinping démontre ses efforts dans le domaine de la diplomatie et saisit l’opportunité de combler le présent vide de leadership dans le système international. Il faut comprendre que la Chine ne dispose pas d’un soft power important comparativement aux États-Unis, d’ailleurs « it is fair to say that China’s soft power heavily relies on its economic clout » (Carminati, 2020). Elle mise alors sur le maintien de bonnes relations et la démonstration de sa volonté de coopération pour gagner la confiance des autres États et se faire de nouveaux alliés. De cette façon, la vulnérabilité des Américains et leur retrait de la scène mondiale offre une porte d’entrée pour l’émergence d’une nouvelle puissance. Dans ce cas-ci, les mesures positives de la Chine auprès des pays en développement lui ont créé une réputation avantageuse. Cela lui permet également d’affaiblir davantage les États-Unis, alors que les alliés qu’ils perdent se rangent du côté chinois. Cette situation dresse le portrait détaillé d’une véritable course à la puissance et aux gains relatifs.

Finalement, l’analogie du Péloponnèse est vraie, la situation pourrait entraîner une seconde version de la guerre froide sous la bipolarité des États-Unis et de la Chine, certains individus se préparent déjà à un conflit imminent entre les deux puissances. Le soft power de Xi Jinping se caractérise principalement par la propagation de l’idée de l’interconnectivité, une communauté globale au destin partagé au sein de laquelle les États choisissent eux-mêmes leurs processus de développement prioritaire : « you don’t have to want to be like us, you don’t have to want what we want; you can participate in a new form of globalization while retaining your own culture, ideology, and institutions » (Li, 2018). De cette façon, l’État chinois base son pouvoir d’attraction sur le développement de son soft power, il conjugue ainsi la diplomatie publique et la cultivation d’un sentiment international positif vis-à-vis de la Chine.

La gestion de la situation sanitaire actuelle est un exemple marquant de la diplomatie économique douce de la Chine. En admettant que peu de pays peuvent se permettre la mise en place de centres de partage d’informations et d’expertise, la Chine profite de son poids économique dans le monde pour faire valoir son mérite, étendre son influence et réformer l’opinion globale. La Chine a également adopté le concept de la Health Silk Road, en lien avec son projet récent de la Belt and Road, ou la nouvelle route de la soie, qui s’inscrit tout autant dans cette stratégie de economic soft power par l’interconnectivité des États et les avantages diplomatiques que tire la Chine en gagnant la confiance populaire, qui se détériore aux États-Unis.

Il serait finalement intéressant de poursuivre la réflexion en se questionnant sur le destin réservé à la relation critique des deux puissances, si la seule fin est la co-destruction, les États-Unis et la Chine sont-ils condamnés à se prêter au jeu du réalisme ?

 

Références 

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Quel pouvoir pour la Chine ? une critique du soft power

RG, v7 n2, 2021

Alex Payette

Alex Payette, Ph.D, est Professeur auxiliaire au Glendon College, York University (Toronto). Il est également Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et Professeur Auxiliaire au département de science politique du Glendon College. Ancien stagiaire postdoctoral Banting pour le CRSH (2018-2020), il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur la structure du Parti-Etat ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine.

Résumé: Basé sur une approche apparentée à la politique comparée, l’article soutient l’idée que pour être à même de comprendre et d’expliquer la politique étrangère chinoise ainsi que sa diplomatie, il faut se tourner du côté du Parti-État, de sa logique et de son fonctionnement interne. En ce sens, au lieu de parler de soft ou encore de sharp power, il serait bon de revoir comment fonctionne le Parti-État afin de voir si les intentions qu’on lui prête sont fondées.

Mots-clés: soft power, sharp power, diplomatie, Chine, loup guerrier

Abstract: Based on an approach closer to comparative politics, the article puts forward the idea that in order to understand Chinese foreign policy and its overall diplomacy, we are required to go back to the Party-State, to its internal logic and inner workings. Hence, rather than talking about soft or even sharp power, it would be wise to assess how the Party-State actually works in order to see if the intentions attributed to it are justified.

Keywords: soft power, sharp power, diplomacy, China, wolf warrior.

Introduction

La notion de soft power (Nye, 1990 ; 2004) est souvent mobilisée dans le champ des études en relations internationales afin de comprendre les agissements de la République Populaire de Chine sur la scène internationale (Li, 2009 ; Lai et Liu, 2012 ; Voci et Luo, 2018 ; Zhu et al., 2020). Pour la période de 1949 à 1976, la politique étrangère de la Chine est principalement le fait du lègue de Zhou Enlai 周恩来 et par la suite, de Deng Xiaoping. Deng, après les méandres de la Révolution culturelle, a tenu à tout prix à éviter les frictions avec les grandes puissances, d’où son objectif de paix et développement 和平与发展. Le tout a été repris sous Hu Jintao (2003-2012) par le biais du concept de la montée pacifique 和平崛起 – qui exprime en soit le retour de la puissance chinoise plutôt que son ascension. Beijing, qui connaissait bien le hard power, ne deviendra familière avec le concept de soft power 软实力 qu’au milieu des années 1990. Cela dit, et malgré que le concept de soft power ait trouvé son interprète principal dans la personne de Wang Huning, éminence grise responsable des Trois Représentants 三个代表, de la Société Harmonieuse 和谐社会 et du Rêve Chinois 中国梦, la manière dont le Parti conduit sa politique étrangère et sa diplomatie demeure embourbée dans la structure de l’État léniniste.

Pendant l’ère Deng-Jiang (1978-2003), nous avons vu une Chine plus « silencieuse » qui tentait de s’ouvrir au monde, de s’intégrer progressivement aux multiples structures internationales – s’inspirant directement des adages maoïstes (p.ex. chercher la vérité par le biais des faits 实事求是 ; dissimulez vos capacités et attendez votre heure 韬光养晦、有所作为, etc.), sans pour autant faire référence au soft power. Cette posture, aux antipodes de la diplomatie de la critique idéologique des années Mao, reflète au contraire la direction du Parti en matière de réformes à l’époque. Le leadership était alors aussi conscient que la voie de la confrontation – vu la situation militaire et économique de la Chine – n’était pas souhaitable. L’ascension pacifique directement inspirée des idiomes précédents avait le même objectif de consolidation économique, sans toutefois prétendre à une Chine en tant que puissance.

Depuis le virage à gauche amorcé par Xi Jinping en 2013, on voit un retour de cette vision conflictuelle de la politique étrangère basée sur des répertoires discursifs maoïstes, mais cette fois-ci, les performances des acteurs suivent le pas. C’est possiblement le début des performances conflictuelles – par le biais de la diplomatie guerrière implémentée par les agents diplomatiques – qui a brouillé la donne lorsque vient le temps de comprendre la politique étrangère chinoise. Cela dit, et quoique cette approche guerrière coexiste avec celle de la main tendue (ex. diplomatie des masques), le tout existe dans son ensemble à l’intérieur de la structure du Parti-État, qui elle-même se trouve à être fragmentée, disjointe et victime de forces centrifuges. Malgré tout, l’étiquette de soft power colle à la peau de Beijing qui, pourtant, peine à mettre en place une véritable stratégie diplomatique cohérente depuis 2013[1].

En ce sens, nous soutenons que la notion de soft power n’est pas adaptée pour rendre compte de certaines facettes de la politique étrangère et de la diplomatie telles que conduites par le Parti-État. Cette notion, ainsi que celle de sharp power, interprète les comportements, les discours et les actions de la Chine d’une manière exogène et post-hoc qui, la plupart du temps, ne tient pas compte des réalités et problématiques internes – structurelles et systémiques – propres au Parti-Etat chinois. Ce faisant, et faute de pouvoir proposer un terme capable de capturer cette réalité dont nous parlons, nous soutenons l’idée qu’en grande partie, la politique étrangère et la diplomatie chinoise devraient être comprises comme délibérées et non intentionnelles. Cette perspective macro tente de saisir et d’expliquer la logique derrière une majorité des actions posées par le Parti sur la scène internationale. Cet article s’adresse directement au champ des études en relations internationales, ainsi qu’aux sous-champs des études sur le soft power, la diplomatie, de la géopolitique, et de l’analyse de la politique étrangère (FPA) par une réflexion qui tire ses sources de la politique comparée et des sous-champs des études sur les régimes autoritaires et plus particulièrement sur le Parti-Etat Chinois. L’objectif premier de ce texte est de recentrer la problématique du soft power chinois vers une discussion sur le fonctionnement interne du Parti, sur les problèmes de l’État léniniste chinois, qui se reflètent directement sur le contenu et la conduite de sa politique étrangère. Le but n’est pas de discréditer l’usage ni la notion de soft power, mais plutôt de proposer une autre avenue explicative basée sur une compréhension du Parti-État. En ce sens, la contribution de cet article est d’ordre théorique.

Dans un premier temps, nous effectuons un retour sur la littérature du soft power chinois, sur ses problèmes, ainsi que sur la notion de sharp power, parfois utilisée comme solution conceptuelle afin de rendre compte des actions de Beijing sur la scène internationale. Ensuite, nous discutons de la diplomatie du loup guerrier des agents du Ministère des Affaires Étrangères (MFA) chinois et sa place dans la discussion du soft power. Enfin, à la lumière des trois premières sections, nous proposons une discussion plus large sur le fonctionnement du Parti-État et ce que cela implique pour le soft power de manière générale.

  1. Une revue du soft power chinois

Avant d’engager notre section plus critique, il nous incombe de faire un bref état des lieux sur la question du soft power chinois. Sans pouvoir faire un retour complet sur les études sur le soft power en Chine (et en langue chinoise), une partie importante des études récentes portant sur le sujet mettent l’accent sur des éléments culturels (Hartig, 2020 ; Hubbert, 2020 ; Liu, 2020 ; Voci et Luo, 2017 ; Ying et al. 2019 ; Kurlantzick, 2007), mais principalement la diplomatie culturelle (Voci et Luo, 2017 ; Liu, 2020), sur les instituts Confucius (Hartig, 2020 ; Hubbert, 2019 ; Lo et Pan, 2016). En fait, ce dernier, surtout depuis 2019, est probablement le sujet le plus en vogue pour les pundits et une grande partie de la communauté académique occidentale.

Le reste des études portent majoritairement sur les liens commerciaux ou encore l’aide internationale de la Chine (Varral, 2012 ; Kurlantzick, 2009 ; Fijałkowski, 2011), sur l’attrait du modèle de développement chinois (Beijing Consensus) à l’étranger (Pang, 2009 ; Kurlantzick, 2009 ; Cho et Jeong, 2008). Bien entendu, c’est sans parler des sous-produits récents du soft power, comme la diplomatie du panda (Zhu, 2013), de la science, des masques (Wong, 2020), des vaccins, pour ne nommer que ceux-ci. Cela dit, beaucoup s’accordent pour dire que l’offensive de charme de Beijing ne fonctionne pas vraiment, surtout lorsque l’on pense au cas de Taiwan (Lin et Chu, 2020), de Hong Kong (Zweig, 2020), et même à l’image que possède la Chine aux États-Unis et au Japon (Chu, Huang et Liu, 2020).

En ce sens, les études mettent l’accent sur des éléments typiques présents dans la définition originale de Nye. Selon elles, la Chine tente de se mettre en scène par le biais surtout de diffusion culturelle, copiant parfois maladroitement les États-Unis. Aussi, selon Voci et Luo, et c’est sûrement l’opinion d’autres, le Parti met en place cette stratégie de soft power de manière consciente, réfléchie et officielle (2017). Le Parti, par le biais d’idiomes et de slogans, communique directement avec la communauté internationale (Voci et Luo, 2017), le tout est élaboré de manière publique par l’État – et non le Parti – si bien que ce dernier planifie les initiatives de soft power afin de pouvoir les traduire en gains économiques. Cela dit, il faut faire attention aux intentions que l’on prête au Parti – et non à l’État – en matière de soft power.

1.1. Peut-on vraiment parler de soft power ?

Contrairement au hard power, le soft power se veut un ensemble d’outils qui ne sert pas à punir, contraindre, ou encore à menacer les autres acteurs afin que ceux-ci adoptent un comportement désiré. Par le biais de ses composantes valorielles et culturelles, se veut un moyen d’amener les acteurs vers un choix tout simplement, car ils sont attirés par une image qui est projetée – d’où l’idée des likeable features – et parce qu’ils envient, souhaitent imiter ou encore devenir plus comme, dans le cas actuel, les États-Unis.

Le soft power demeure défini de manière très large dans ce qu’il est, mais aussi de manière précise par ce qu’il n’est pas : le hard power. La facture du soft power se veut ainsi la culture et les valeurs (comme démontré dans la section précédente), à la fois mises de l’avant en tant que normes et valeurs défendues par un acteur (plus souvent qu’autrement un État-Nation), et projetées vers l’extérieur par le biais de la politique étrangère. Le tout doit demeurer cohérent et relativement uniforme, car la crédibilité d’une puissance est mesurée en ces termes, et la crédibilité est, sur la scène internationale, une ressource rare.

Or, et c’est potentiellement là le problème chez les auteurs comme Voci et Luo (2017), il ne faut pas confondre soft power et propagande en provenance de l’appareil du Parti-État. Les efforts que fait Beijing n’ont que rarement les effets escomptés en ce qui concerne l’image de la Chine en son entier à l’étranger. En fait les opérations de charmes coûteuses (comme accueillir les Jeux olympiques par exemple) ressemblent à beaucoup d’autres de ses investissements peu lucratifs (comme le projet du One Belt, One Road 一带一路)[2]. Cela dit, ces opérations très élaborées doivent d’abord et avant tout faire la promotion de la Chine par le biais de la narrative du Parti-État. Et c’est là que réside le problème principal pour Beijing. Le soft power provient de sa structure autoritaire d’organisation politique et sociale. En plus, depuis l’arrivée de Xi Jinping, le Parti-État dans son entier se voit contraint à mettre un accent de plus en plus marqué sur l’idéologie et le travail idéologique, éléments moins importants sous Hu Jintao ou encore Jiang Zemin. Sous Xi, l’idéologie envahit le champ culturel, en plus d’être à nouveau le cadre de référence pour les comportements jugés acceptables et requis. La surveillance idéologique, qui restreint certains discours et façonne ce que l’on peut faire/dire sur les médias sociaux, a aussi gagné en importance depuis 2017. Pensons par exemple à la surveillance accrue du contenu retrouvé sur les plateformes comme Douyin 抖音 et Kuaishou 快手 ainsi qu’à la nouvelle réglementation sur le type de contenu qui peut être diffusé en flux.

Le régime autoritaire, de manière générale, est en mesure de mettre en place des structures de contrôle social et culturel – parfois avec des limites poreuses et mal définies – qui n’encouragent pas l’innovation ou encore la créativité, éléments essentiels du rayonnement d’un État. Ainsi, bien que certains pays – en Afrique et au Moyen-Orient surtout – aimeraient imiter le développement économique de la Chine, ceux-ci n’ont pas nécessairement la volonté de ressembler à la Chine. Et c’est là le problème principal de qui est nommé soft power chinois : il dépend en grande partie de ce que les autres États en disent (Machida, 2010).

Même lorsque l’on parle de rayonnement médiatique, par le biais du réseau mis en place par l’État chinois pour s’adresser aux publics non-sinophones, l’audience du contenu préparé par Beijing demeure limitée pour deux raisons : 1) le public international n’est pas assujetti aux mêmes règles que les citoyens chinois (ex. accès aux médias étrangers, à la littérature grises des autres États, etc.) ; 2) l’ensemble du contenu doit être revu et approuvé par le système fonctionnel de la propagande 文宣系统, le rendant parfois superficiel ou encore en contradiction avec le reste du monde. L’incapacité de vraiment rayonner est donc due en grande partie à la nature du système, à la structure et au fonctionnement de l’État léniniste chinois. Enfin, il faut également se demander dans quelle mesure le Parti tente vraiment de produire ce que l’on appelle du soft power ? Pour nous, ce terme demeure une rationalisation post-hoc qui tente de faire sens des actions du Parti-État en des termes occidentaux.

1.2. Le sharp power : une solution ?

Le sharp power (Walker, 2018 ; Walker et al., 2018 ; NED, 2017), un concept très proche du soft power, fait référence à la capacité qu’a un régime à influencer un autre acteur afin de potentiellement déstabiliser son système politique par le biais de stratégies de manipulation. Ce concept a été mis de l’avant afin de rendre compte principalement de la réalité diplomatique de la Russie et de la Chine qui, parfois n’utilisent ni le hard power, ni le soft power à proprement parler (NED, 2017). En ce sens, le sharp power définit la manière dont les régimes autoritaires étendent leur influence par le biais de propagande extérieure qui vise à changer la perception desdits régimes, de leurs normes et valeurs, auprès de l’audience occidentale. Cela dit, en quoi le sharp power diffère-t-il réellement du soft power ?

Tableau 1: Sharp et Soft power (comparatif)
Sharp power Soft power
Objectifs Changer, influencer l’opinion publique ainsi que la vision politique d’un agent afin d’obtenir un résultat plus favorable envers l’agent initial
Outils Culture, valeurs, normes, politiques.
Diffusion Médias de masse, médias sociaux, système d’éducation, diplomatie
Élément accentué Désirabilité Coercition indirecte, manipulation, confusion
Intention Attirer, séduire l’audience Pénétrer le système médiatique, l’environnement politique du pays ciblé

Le tableau 1 montre que le soft et le sharp power se ressemblent beaucoup, sans pourtant être exactement la même chose ; le sharp power demeure plus pernicieux. Cela dit, certains attributs rapprochent également le sharp power du hard power, si ce n’est que de par sa nature coercitive. Aussi, ce concept faisait surtout état des actions de la Russie et de la Chine à l’intérieur de pays plus vulnérables (ex. Pérou, Argentine, Pologne, Slovaquie [NED, 2017]), mais depuis peu, ce qualificatif est venu décrire l’influence que possède la Chine dans certains pays occidentaux, dont l’Australie, le Canada et les États-Unis.

Alors, devrait-on parler plutôt, dans le cas de la Chine, de sharp power ? La réponse n’est pas simple. Bien que des critiques existent déjà à l’endroit de la notion (Liu, 2018), nous avons décidé de mettre l’accent sur trois aspects problématiques : 1) le sharp power n’existe qu’entre le soft et le hard power et n’a pas vraiment d’existence propre ; 2) celle-ci nécessite que l’on connaisse l’intention de l’acteur ; 3) le sharp power est utilisé pour qualifier/identifier le même type d’actions de chose que le soft power (ex. la problématique des instituts Confucius).

Nous pourrions également ajouter une quatrième problématique, soit celle de la facture idéologique de la notion de sharp power. En effet, celle-ci semble être une version améliorée du péril jaune 黄祸, ou encore de la menace chinoise (Xinhua, 2018) ; une réponse à l’influence grandissante de la Chine, un régime autoritaire, au sein du monde occidental. Cela dit, la menace idéologique est une voie à double sens : Beijing perçoit également les valeurs dites universelles occidentales comme source de problème pour son système politique. Le leadership communiste est, depuis les années 1980, inquiet de l’occidentalisation de Chine ainsi que du soft power américain qui peut à terme causer des troubles sociaux au sein de la population chinoise. Ce faisant, si une des parties de la définition du sharp power inclut la propagande extérieure et la pénétration de l’environnement médiatique, social et politique, alors le sharp power ne semble servir qu’à définir ce que les uns trouvent inacceptable des autres.

Le discours autour de la notion du sharp power souligne la présence d’un double standard quant à l’acceptabilité de certaines méthodes diplomatiques par certains agents, acceptabilité qui dépend d’un positionnement sur un continuum politique entre démocratie et régime autoritaire. On peut penser par exemple aux sanctions de l’administration Trump qui visaient en premier lieu à contraindre la Chine à ouvrir certains secteurs de son marché domestique. Le tout a été qualifié de juste, de rétribution pour une Chine qui ne joue pas selon les règles. Cela dit, quand Beijing utilise des leviers économiques pour obtenir gain de cause face à un autre gouvernement, le label utilisé est celui de l’injustice et du sharp power. Ce faisant, la charge idéologique qui se trouve derrière cette notion, sans parler du champ lexical péjoratif y étant associé, en plus de l’intention négative qui lui est attribuée, font du sharp power une partie du discours construit sur des discours d’observateurs externes. Nous pourrions offrir le même constat pour soft power.

  1. La diplomatie guerrière chinoise

Depuis le début annoncé de la pandémie en janvier 2020, le MFA est sur le pied de guerre. Nous avons vu des cadres comme Zhao Lijian 赵立坚 et Hua Chunying 华春莹 – sans parler des ambassadeurs chinois aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne – poser des commentaires de mauvais goût, parfois conspirationnistes sur les réseaux sociaux, dont Twitter.

Ces commentaires, qui frôlent souvent l’incident diplomatique, expriment bien ce qu’est la diplomatie du loup guerrier (Wolf Warrior diplomacy 战狼外交)[3] : tourner une position défensive en une position offensive 转守为攻. Ce système discursif, produit de l’appareil de propagande domestique, n’est pas régi par les règles ou même les fonctions de la communication (ex. il n’utilise pas les conventions de sens, ni ne cherche à avoir du sens ou même à en produire). La diplomatie du loup guerrier possède ses propres règles, son propre champ de référents, et des objectifs qui sont, la plupart du temps, mal définis[4].

Ce type d’approche, qui fait fît des conventions diplomatiques établies par Zhou Enlai, est l’expression du virage à gauche opéré par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir. Elle représente l’idéologie du Parti dans une Chine post-société harmonieuse[5], où l’on parle (à nouveau) de lutte politique et de sécurité politique. Ce retour à la lutte politique inhérente à la diplomatie guerrière positionne la Chine comme une puissance établie qui doit se défendre, peu importe la situation. La diplomatie guerrière est ancrée dans la logique de la fuite vers l’avant : même lorsque sont commis des impairs, il est impossible de revenir en arrière, car cela serait un humiliant signe de faiblesse. En ce sens, la diplomatie à la manière de Xi Jinping 习式外交 a forcé la Chine à passer outre sa position défensive afin de créer une position offensive.

3. Une posture ambivalente

D’emblée, les principes fondamentaux qui guidaient jusqu’à tout récemment la politique étrangère chinoise étaient les cinq principes de la coexistence pacifique 和平共处五项原则 tel que définis par Zhou Enlai : 1) le respect mutuel pour l’intégrité et la souveraineté territoriale de tout un chacun ; 2) la non-agression mutuelle ; 3) la non-ingérence mutuelle dans les affaires internes de tout un chacun ; 4) l’égalité et les bénéfices mutuels ; 5) la coexistence pacifique. Le principe de la non-ingérence/interférence est certes celui auquel tient le plus Beijing, qui l’utilise parfois ce dernier afin d’éviter les critiques externes, comme un bouclier contre les accusations. En temps normal, pourtant, le MFA respectait les grandes lignes mises en place par Zhou et reprises par Deng Xiaoping au début des réformes. Cette posture représentait alors l’inconfort de la part des hautes instances du Parti avec le power politics 强国政治 qui, selon celles-ci, ne faisait qu’attirer l’attention de l’Occident vers l’URSS, menant ainsi à une logique de confrontation durant la guerre froide. En ce sens, Beijing a longtemps joué à la politique du dénominateur commun (c.-à-d. attendre de voir ce que les autres font pour se positionner.

Cela dit, depuis le 18e Congrès – et encore plus depuis le 19e en 2017 – Xi a demandé à que l’on « raconte (correctement) l’histoire de la Chine » 说好中国故事 et que l’on « établisse une interprétation correcte de l’histoire du Parti » 树立正确党史观 (Xinhua, 2021). Par le fait même, un système de propagande visant l’extérieur de la Chine (surtout par le biais du MFA et des médias nationaux) a été mis en place afin de s’en assurer. Cela dit, cette approche basée sur la démonstration de fierté ou d’honneur 引以自豪 – qui cherche également à contrôler ce qui est dit sur la Chine – ignore les fonctions de bases inhérentes à la communication, elle-même un élément essentiel de la diplomatie. Le fait de raconter l’histoire de la Chine (correctement) met l’accent de manière unilatérale sur les intérêts fondamentaux de la Chine en criant à la faute/à l’injustice (crying foul) et parfois en accusant les autres de ne pas comprendre ses demandes.

Bien entendu, la Chine peut s’exprimer comme elle veut, même si cela crée des problèmes d’interprétation à l’extérieur de la Chine. Et comme le pire ennemi de Beijing est souvent Beijing elle-même, la mécompréhension qui résulte de la diplomatie guerrière peut pousser certains pays à formuler une politique étrangère plus agressive face à la Chine, lui causant ainsi des problèmes. Faire preuve d’une attitude dure sans toutefois la justifier ne fait que détruire le capital politique du Parti tout en enlevant sa légitimité à sa politique étrangère. Mais alors, comment expliquer cette diplomatie guerrière au vu de concepts comme soft, hard, et de sharp power ? La diplomatie du loup guerrier n’est une expression d’aucun d’entre eux. Au contraire, pour la comprendre, il faut se tourner vers l’appareil du Parti-État.

4. Retour vers le Parti-État

 Une fois à même de saisir les problèmes liés à l’utilisation de la notion de soft et de sharp power, il faut se demander comment comprendre la politique étrangère et parfois ce que la littérature occidentale qualifie de soft power chinois. La réponse n’est pas simple, car elle se trouve directement liée au fonctionnement interne de l’appareil du Parti-État.

En fait, avant de ré-aborder les qualificatifs comme soft et sharp, il nous faut faire un détour par le Parti et son administration. Le système communiste chinois, tel qu’il existe aujourd’hui, met de l’avant une image centralisée et unifiée autour de la personne de Xi Jinping, ou encore du gouvernement central de Beijing. Cela dit, le système, depuis sa fondation, est fragmenté, disjoint et opaque (Lieberthal, 1992). Ce système, basé sur la centralisation du pouvoir décisionnel et la décentralisation des responsabilités (mise en place des politiques), donne lieu à de la résistance et à de la collusion bureaucratique (Zhou, 2009), ainsi qu’à du marchandage entre les unités bureaucratiques/administratives/gouvernementales lors de l’élaboration et la mise en place des politiques (Lampton, 1992). Il faut ajouter à cela les tensions qui existent entre le gouvernement central et les provinces (Zheng, 2007 ; Li, 1998), et les tensions qui existent entre les multiples groupes informels au sommet du Parti-État. L’appareil du Parti-Etat est donc enclin à agir de manière désordonnée, illogique ou encore incohérente. Aussi le système fonctionnel des affaires étrangères n’échappe-t-il pas à cela.

Tableau 2: Le système des affaires étrangères (simplifié)
Organes principaux Rang
Organes « généraux »
Commission Centrale des Affaires Étrangères National
Unité de travail de la Commission Ministériel
Ministère des Affaires Étrangères Ministériel
Département Central du Front Uni Ministériel
Comité des Affaires Étrangères du Congrès Populaire National Ministériel
Comité des Affaires Étrangères de la Commission Consultative Populaire Politique Nationale Ministériel
Taiwan, Macao, Hongkong
Groupe de travail du Comité Central sur les affaires de Hong Kong et Macao National
Unité de travail du groupe Ministériel
Groupe de travail du Comité Central sur les affaires de Taiwan National
Unité de travail du groupe Ministériel

*Données publiques officielles disponibles sur Internet[6]

Le tableau 2 n’inclut qu’une liste sommaire des acteurs directement impliqués dans les affaires étrangères. À première vue, la Commission Centrale des Affaires étrangères – dirigée par Xi – donne le ton à l’ensemble des organisations qui suivent. Cela dit, outre le MFA, qui n’a qu’une fonction de porte-voix, les autres comités ou encore groupes de travail réussissent souvent à se tailler une place en matière de politique étrangère dans la mesure où le système d’emblée fragmenté définit également de manière confuse les responsabilités et les limites. Plusieurs de ces institutions se retrouvent ainsi sur un pied d’égalité hiérarchique, compliquant encore plus la mise en place d’un discours unifié et cohérent.

C’est ainsi que Han Zheng 韩正, le directeur du Groupe de travail portant sur Hong Kong et Macao, a conduit pendant des semaines en 2019 une politique de confrontation avec Hong Kong qui allait à l’encontre du message de Beijing[7]. On peut également penser au discours tenu directement par Xi Jinping à l’endroit de Taiwan, ou encore du porte-parole du Ministère de la Défense, Wu Qian 吴谦, sur le même sujet. En ce sens, même le Ministère de la Défense peut réussir à s’immiscer dans le processus. Pendant les négociations entre la délégation de Liu He 刘鹤, vice-Premier et économiste de Xi Jinping, et les Américains durant la guerre commerciale en 2019, même les quotidiens nationaux comme le People’s Daily, n’ont cessé de critiquer l’approche conciliatrice de Liu tout en insultant Washington. Et comme le système de la propagande est dirigé par Wang Huning, membre du comité permanent du Politburo associé à l’élite pré-Xi, l’accord à la publication de ce type de commentaires n’a pu venir que de lui. Et c’est sans parler de la politique de séduction que mène le Département Central du Front Uni auprès des communautés chinoises d’outre-mer, politique qui pose problème pour Beijing à l’heure actuelle. En ce sens, il faut parler de plusieurs politiques étrangères.

Cette discussion sur la disjonction et les tensions qui peuvent exister entre les acteurs nous amène à examiner certaines des caractéristiques de la politique étrangère chinoise: 1) elle ne s’exprime pas en termes d’objectifs, mais bien en termes d’idées parfois peu cohérentes; 2) elle n’est pas uniforme ni unifiée dans son message ainsi que dans ses méthodes de communication; 3) elle permet l’improvisation du fait de sa structure disjointe et fragmentée; 4) la plupart des actions sont délibérées (c.-à-d. produits d’une structure), mais non intentionnelles au plan des répercussions.

La politique étrangère chinoise, si une telle chose existe au singulier[8], ne s’exprime pas en termes d’objectifs précis. Plutôt, la structure dans son entier doit tenter de faire sens des idées de plusieurs leaders à la fois, et doit interpréter et traduire leurs préférences, sans pour autant négliger l’idéologie du Parti[9]. En ce sens, la cacophonie que sont les affaires étrangères et la diplomatie chinoise reflète les problèmes inhérents à la structure de l’État léniniste chinois : les idées interprétées deviennent des lignes directrices poreuses qui sont reprises délibérément par différents acteurs, sans que les répercussions soient intentionnelles[10].

La diplomatie du loup guerrier en est le parfait exemple : les acteurs du MFA doivent répondre de manière délibérée aux discours (positifs ou négatifs) sur la Chine dans la mesure où c’est là leur seule prérogative. Ont-ils l’intention, de par leurs gestes et leurs discours, de créer des problèmes pour Beijing ? Cela est fort improbable. Au contraire, les faux-pas des acteurs s’expliquent en grande partie par le système fonctionnel du MFA, qui produit des cadres administratifs pour l’État et non des diplomates au sens premier du terme[11]; une politique étrangère mal définie; et par les changements dans la logique de promotion sous Xi Jinping. Ce dernier met un accent prépondérant sur la mise en place de l’idéologie du Parti et de la sienne comme marque de bon fonctionnement d’un ministère, d’un gouvernement[12]. En ce sens, tout comme le développement économique avait été la clé pour beaucoup de promotions entre 1978 et 2012, les cadres du MFA se font aujourd’hui la course pour appliquer la pensée de Xi, défendre et protéger la Chine et le Parti, pressés de démontrer leur loyauté[13].

Le nombre d’acteurs impliqués, les mécanismes de promotion qui favorise la surenchère idéologique et les lignes de responsabilités et d’autorité entre les acteurs et les institutions qui sont mal tracées mènent à une politique étrangère disjointe, parfois confuse et qui, malgré la centralisation de la prise de décisions, permet l’improvisation. En ce sens, l’agir du MFA n’est que le reflet des problèmes structuraux et systémiques qui sont présents au sein du Parti-État.

5. Que reste-t-il du soft power ?

Mais alors quelle place reste-t-il pour le soft power ? En fait, ce qui est catégorisé de soft power est le résultat non-intentionnel (sur le plan des répercussions) d’une action délibérée. Prenons l’allègement de la dette de certains pays africains (Sun, 2020). Ce geste peut produire du soft power, sans pour autant que l’intention y soit. Le soft power serait en fait le sous-produit de cette approche transactionnelle, tout comme l’impression de sharp power d’ailleurs, qui n’exprime que le désaccord et la vision normative que l’occident pose sur les actions de Beijing.

Les instituts Confucius pourraient aussi tomber dans cette catégorie : la mise en place d’un réseau d’institut à vocation premièrement pédagogique et culturelle est délibérée ; ceux-ci servent en premier lieu à favoriser les échanges entre les milieux académiques et à permettre à Beijing de mettre en place une narrative stratégique (Liao, 2018) sur la République Populaire de Chine. Cette décision délibérée est également transactionnelle – les fonds impliqués en font foi. Là où le bât blesse, c’est dans l’utilisation supposément intentionnelle de ces institutions afin de censurer les institutions hôtes. Rappelons que le Parti peine à gérer ses propres de stocks de céréales, demeure incapable d’identifier l’ensemble des mines de charbon présentes dans certaines provinces et a encore de la difficulté à proprement taxer l’ensemble des activités économiques sur son territoire.  Lui imputer une telle stratégie nous semble plus être le fait de la volonté d’observateurs externes que des véritables intentions du Parti. Néanmoins, le Parti sait saisir les opportunités qu’offrent les sociétés démocratiques : si les instituts Confucius ont un pouvoir de coercition, c’est que la société/institution hôte le permet[14]. Comme on dit, l’occasion fait le larron.

Et que dire de la célébration des Jeux olympiques de Beijing en 2008 ? La cérémonie d’ouverture avait été à l’époque qualifiée de victoire pour le soft power chinois par les médias américains comme CNN, et les centres de recherches comme Brookings. Certains y ont même dédié des volumes entiers (Caffrey, 2013 ; Price et Dayan, 2009). Cependant, ces analyses ne veulent y voir que du soft power alors qu’en fait le Parti ne cherchait qu’à se légitimer auprès de sa population, à justifier sa raison d’être et montrer aux Chinois que sous sa tutelle, la Chine reprend sa place parmi le concert des grandes nations.

Ces victoires souvent accidentelles du Parti reflètent également la manière dont les réformes ont été mises en place au tout début des années 1980 : traverser la rivière en tâtant les pierres 摸石头过河. Cela implique qu’il n’y a pas de plan à proprement parler, que parfois les mouvements aléatoires peuvent produire des résultats positifs (c.-à-d. sleepwalking into victory) et que des mouvements calculés peuvent donner lieu à des conséquences inattendues négatives.

Conclusion : voir comme le Parti

Il faut revoir les sous-produits que sont le soft et sharp power et les penser en d’autres termes ; il serait plus judicieux de parler de pragmatisme partiel lorsque l’on parle de politique étrangère chinoise. Beijing ne cherche pas à s’impliquer dans tous les champs de la gouvernance internationale et si elle le fait, elle demeure soit passive ou très peu active ; elle ne cherche non plus pas à assumer les responsabilités de la sécurité commune ni de l’économie internationale.

Il est donc normal que la Chine, en tant que puissance solitaire sur la scène internationale, ne réussisse pas à se hisser au sommet. En fait, le discours portant sur la Chine en tant que prochaine superpuissance, en tant que challenger, en tant que puissance révisionniste, ou encore en tant que grande puissance provient en très grande partie de l’extérieur de celle-ci. On pourrait même dire que ce discours est utile pour certains acteurs. Cela dit, le Parti préfère se concentrer sur deux choses : 1) la mise en place d’une narrative contenant un champ idéationnel et valoriel contrôlé par ce dernier (afin de parler/raconter l’histoire de la Chine correctement); 2) faire la promotion de ses normes afin de pouvoir commercer plus aisément. Ainsi, on ne parle pas de soft power, car Beijing ne cherche pas nécessairement à se faire désirer ni imiter, ni même de sharp power, car le leadership communiste ne comprend pas toujours lui-même ce qu’il veut, ou encore quels rôles devraient jouer la Chine sur la scène internationale.

Malgré la quantité de recherche qui existe sur le soft power en Chine, la politique étrangère et la diplomatie demeurent ancrées dans la torpeur de l’État léniniste et dans l’idéologie du Parti qui, loin d’être universelle, ne cherche qu’à le légitimer et à consolider sa position. D’une certaine manière, cela explique également pourquoi la Chine n’arrive pas vraiment à influencer, sans dire qu’elle n’a pas d’influence, de manière importante ce qui se passe autour du globe : elle ne sait pas comment s’engager ni même si elle le devrait. Cette ambivalence donne parfois lieu à une grande passivité diplomatique qui confirme que la Chine ne sait pas encore ce qu’elle veut être sur la scène internationale. Le Parti ne cherche alors pas à obtenir nécessairement du soft power, mais bien, de manière plus simple, à créer des déficits transactionnels à son avantage, parfois de manière intentionnelle, parfois par accident, afin de répondre à des besoins structurels domestiques.

Le Parti agit souvent de manière délibérée, mais non intentionnelle lorsque vient le temps de parler des répercussions. Il nous incombe, pour reprendre la formulation de James Scott, de voir comme le Parti-État, afin de comprendre ses actions et sa manière d’agir. Comprendre le Parti nous permet également de nous défaire – au moins partiellement – de notions comme le soft et le sharp power, notions qui ne veulent pas dire grand-chose pour l’État léniniste, qui existe dans une logique qui est tout autre.

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[1] Nous reviendrons sur ce point plus loin. Cela dit, considérant les tensions intra-Parti, les conflits entre les institutions qui font partie du système fonctionnel des affaires étrangères 外事系统, et de la multitude d’acteurs impliquée, mettre en place stratégie diplomatique cohérente est une tâche des plus complexes.

[2] Aussi serait-il plus judicieux de penser l’ « OBR » comme étant une idée qui s’inspire profondément de la « Going Out Strategy » 走出去战略 telle que présentée par Zhu Rongji en 1999, et non pas comme une véritable « stratégie » : il aura fallu plus de deux ans à Beijing pour bien définir ce qu’est l’OBR, et même aujourd’hui les versions officielles demeurent floues (ex. projet d’infrastructure, d’investissements communs, etc.), sans parler des effets – contreproductifs – de la diplomatie guerrière sur cette « stratégie ».

[3] Le terme de loup guerrier n’apparait vraiment qu’avec la sortie du film Wolf Warrior 2 en 2017 – un film à portée nationaliste qui dépeint un soldat chinois qui défend des travailleurs médicaux de groupes rebelles et de trafiquants d’armes. L’accent sur la diplomatie du loup guerrier fait transparaître la volonté de Xi de rompre avec la tradition de Deng Xiaoping en matière de politique étrangère.

[4] Contrairement à ce qu’en pense Martin (2021), les diplomates chinois n’ont que très peu d’importance pour le Parti. À la différence des Cadres qui font partie des autres ministères et de ceux qui font partie des multiples paliers de gouvernement, les Cadres du MFA ne servent presque qu’exclusivement à ce ministère et ne sont que très rarement « réutilisés » dans d’autres ministères, et encore moins au sein des paliers de gouvernement. Sur un échantillon de n=965 (ce qui comprend la totalité des Cadres de rang ministériel 正部级 (n=2), vice-ministériel 副部级 (n=5), ainsi qu’une quantité importante de Cadre de rang de bureau 正局级 (n=27) et « de bureau adjoint » (n=95) 副局级, de section 正处级 (n=175) et « de section adjoint » 副处级 (n=661) [les données colligées sont disponibles dans le domaine public]), environ 2% des cadres du MAF ont servi ailleurs dans la structure du Parti-État.

[5] Il est curieux pour le Parti d’avoir accepté de parler de société harmonieuse sous Hu Jintao, discussion qui l’éloignait grandement de la lutte des classes, par exemple.

[6] Le rang politique/administratif 行政级别 des unités est disponible en ligne par le biais du site web du service public. Aussi, le rang est souvent décliné directement par l’institution en question.

[7] Même si l’on remonte à 2019, on retrouve les commentaires de Han Zheng sur le projet de loi d’extradition de manière plus fréquente que ceux de Xi ; il en va de même pour sa présence à Shenzhen (Xiao, 2019). La plupart des discours soutenant le projet d’extradition venaient alors du système des affaires de Hong Kong et Macao, et non de Beijing.

[8] Nous faisons référence ici directement au constat de Lieberthal (1992) et même de Barry Naughton (2007) en ce qui concerne la mise en place des politiques en Chine ; on parle de mises en place de plusieurs politiques et non pas d’une expression unifiée.

[9] La même chose pourrait être dite des « plans » quinquennaux, plans qui ne sont en fait que des orientations générales, l’expression de certaines préférences, etc. (Naughton, 1992 ; 2007 ; Yang, 2004).

[10] L’expression utilisée par Mannison (1969) est doing something on purpose but not intentionally. Cela implique qu’il n’y pas de lien de nécessité entre les répercussions, qui peuvent être positives ou négatives, et l’action en tant que telle. Cela dit, l’action n’est pas accidentelle ni obligée. Elle existe et est voulue à l’intérieur de la structure contraignante qu’est le Parti-État.

[11] Les cadres formés aux écoles de langues étrangères 外语学院 – terrain de recrutement de prédilection pour le MFA – ne sont pas formés à la diplomatie et plutôt à répéter l’idéologie du Parti.

[12] Dans le cas qui nous intéresse, c’est la pensée de Xi Jinping en matière de diplomatie 习近平总书记外交思想, fondée sur la doctrine de la confiance (Confidence doctrine) 自信论 et des 4 points de confiance 四个自信, ainsi que sur les deux éléments à préserver 两个维护, qui prime.

[13] Cela pourrait nous permettre de comprendre pourquoi des acteurs comme Zhao Lijian, Hua Chunying et Wu Qian sont si présents et virulents sur les médias sociaux : 1) Zhao, membre de la septième génération de leadership, a connu une ascension rapide depuis 2015. Cependant, ce dernier, déjà âgé de 48 ans et promu la dernière fois en 2019, doit absolument tout faire pour se démarquer avant 2022 et devenir un Cadre de rang Office-Bureau 厅局级干部 avant son 50e anniversaire pour demeurer dans la course ; 2) Hua Chunying, cadre femme presque âgée de 51 ans, a été promue la dernière fois en 2019. Ce faisant, si elle ne veut pas demeurer jusqu’à 55 ans à son poste actuel, elle doit être promue en 2021 ; 3) Wu Qian tente de rester dans la course pour être promu en ou avant 2022 à un poste de rang vice-ministériel 副部级 au Ministère de la Défense.

[14] Certains comme Gordon Chang – un prolifique auteur sur la chute imminente du Parti depuis la fin des années 1990 – soutiennent l’idée que les contrats entre les deux parties favorisent toujours la partie chinoise et que l’institution hôte, qui désire les fonds chinois, signe sous la contrainte (Wolk, 2021). Cela dit, lorsque l’on regarde de près, par exemple, le contrat signé entre la Texas Southern University (STU) et Beijing Jiaotong – pour la mise en place d’un institut Confucius, on peut se permettre d’en douter : Beijing Jiaotong s’engage à verser 150 000 dollars par an pour l’institut qui en retour demande le même investissement de la part de STU (Campus Reform, N.D.). Ce faisant, l’explication de la contrainte financière ne fait que peu de sens.

Le soft power chinois à l’heure des algorithmes

RG, v7 n2, 2021

Adrien Savolle

Adrien Savolle est candidat au doctorat en anthropologie à l’Université Laval et chargé de cours à l’Université de Montréal. Il est membre du GRITH (U.Laval), de la Chaire conjointe de recherche U.Ottawa-U.Lyon sur l’urbain anthropocène, et est coordinateur des activités scientifiques pour le CÉTASE et le CÉRIUM (UdeM). Ses recherches actuelles portent sur les changements sociaux et culturels engendrés par la construction de safe cities.

Résumé : Le projet des Routes de la soie s’accompagne d’un déploiement d’infrastructures numériques en Eurasie. Les algorithmes chinois sont également disséminés à travers la planète en prenant appui sur les chantiers de villes numériques et de nombreux logiciels. La démultiplication de ces outils de collecte de données personnelles permet à la Chine d’influencer et d’anticiper les comportements individuels et collectifs, et crée un soft Power numérique particulier qui sera analysé dans cet article.

Mots clés : Chine, soft Power numérique, infrastructures numériques, études des sciences et technologies.

Abstract : The Belt and Road Initiative project is accompanied by the deployment of digital infrastructures in Eurasia. Chinese algorithms are also spread around the world, relying on digital city sites and numerous software. The multiplication of these personal data collection tools allows China to influence and anticipate individual and collective behaviors, and creates a particular digital soft power that will be analyzed in this article.

Tags : China, digital soft power, digital infrastructures, Science and technology studies.

Introduction

Les technologies numériques ont été analysées fréquemment dans les sciences sociales, avec des interprétations diverses qui ont fait surgir rapidement deux lignes prépondérantes d’analyse. La première interprétation en fait des outils d’émancipation citoyenne (Shirky, 2009), lorsque la seconde y voit la mise en place d’outils de surveillance et de possibilités novatrices de répressions mobilisables par les États (Morozov, 2011). Les technologies numériques ont également généré de très nombreuses publications sur les restructurations et les promesses de la digital economy. Il faut dire que l’idée de développer l’économie à travers des réseaux numériques a été avancée dès 1961 lors du 12e Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (Stamboliyska, 2017 : 9) et a débouché sur des écosystèmes idéologiques divers, allant d’un capitalisme de surveillance (Zuboff, 2020) dans lequel les entreprises privées spécialisées dans le secteur numérique surveillent les comportements des individus pour transformer leurs besoins et vendre des produits, à un autoritarisme numérique (Glasius et Michaels en, 2018). Le « capitalisme rouge chinois » (Žižek, 2012) est une forme particulière d’autoritarisme numérique dans lequel la vassalité des entreprises privées vis-à-vis de l’exécutif reste la norme, menant de fait à un régime d’autocratie numérique (Kendall-Taylor et al., 2020 : 104).

À ces changements sociétaux variés s’ajoute le fait que les technologies numériques sont également devenues des outils utilisés par les États dans la mise en place de leurs politiques étrangères, en complément de la diplomatie et des forces de coercition traditionnelles. Le soft power (软实力, ruan shili) est un principe politique adopté officiellement en 2007 lors du 17e Congrès du Parti communiste chinois (PCC), mais c’est depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir qu’on constate la mise en place d’un activisme diplomatique à tout crin (Cabestan, 2018) et d’une modernisation accrue de l’armée (Bondaz et Julienne, 2017). C’est également sous la direction de Xi qu’est créé en décembre 2013 le Groupe dirigeant du PCC chargé de la cybersécurité et de l’informatisation qui s’occupe de la planification des politiques entourant les infrastructures numériques et les algorithmes chinois dans le pays comme à l’international.

Ces politiques étrangères chinoises dédiées aux technologies numériques concernent la construction des infrastructures physiques qui seront analysées dans la première partie. Elles se déploient également à travers la diffusion des algorithmes chinois et leur banalisation qui seront traitées dans la seconde partie. Enfin, la dernière partie décrira les changements structurels majeurs qui pourraient subvenir par la transformation des normes du secteur et les dépôts de brevet.

  1. Le déploiement des infrastructures physiques chinoises (hardware) de par le monde et le type de soft power engendré

On ne peut comprendre la puissance technologique contemporaine sans noter que les infrastructures de télécommunication ont été identifiées par la Chine comme le domaine stratégique prioritaire dès la période de réformes économiques lancées dans les années 1980 et 1990 (Boschet et al., 2019 : 16). Cette identification s’est accompagnée de politiques volontaristes et de réglementations encourageant les transferts de technologies dans le cadre d’investissements étrangers. En 2021, la Chine a non seulement rattrapé son retard dans ce secteur, mais elle a fait de l’informatisation (信息化, xinxihua) un secteur-clé pour la gestion de ses intérêts dans le monde (Cheung et al., 2016). Ses projets d’infrastructure à l’international sont multiples et imposants, allant des Routes numériques de la Soie à l’édification de safe cities.

1.1. Les routes numériques de la soie

L’installation des réseaux de fibres optiques accompagnée de la mise en place de centres de données (Data Center) n’est plus l’apanage des États, les Google, Microsoft et Facebook souhaitant maintenant assurer et gérer leurs propres infrastructures dans le domaine (Cimino, 2021). Malgré les multiples raisons expliquant le nombre d’articles scientifiques et grand public portant sur les défis géostratégiques qu’implique la pose de câbles numériques sous-marins[1], les réseaux de fibres optiques traversant les continents sont sous-représentés dans les publications actuelles. Or, le canal le plus visible par lequel la Chine installe ses infrastructures numériques est celui des Routes de la soie (一带一路, yi dai yi lu : Une ceinture, une route). Ces routes annoncées en 2013 répondent à la fois à des défis posés au PCC à l’interne (Jones et Zeng, 2019) et aux prétentions du pays à l’international. Elles englobent donc les deux axes principaux utilisés par Xi Jinping pour analyser les problèmes auxquels le PCC est confronté : la légitimation du pouvoir à l’interne et les périls venant de l’extérieur (économiques, politiques, militaires…) (Cheung, 2021).

En complément des Routes de la soie est avancée en 2015 le projet des Routes des voies informationnelles, le directeur de l’administration de l’espace cyber chinois Lu Wei les nommant Routes numériques (Brown, 2017). Les symboles offerts par la dénomination du projet en Occident sont par la suite incorporés aux communications chinoises qui parlent maintenant de routes numériques de la soie (数字丝绸之路, shuzi sichou zhi lu) (Haq, 2021). Le pays a également profité de la pandémie actuelle pour justifier l’importance de ce volet numérique des Routes de la soie (Giovannini, 2020) qui se traduit d’abord par la pose de câbles optiques longues distances. La figure 1 récapitule, en date de 2018, les réseaux existants en gris foncé[2], le réseau en construction allant de Guanzhou à la Géorgie, et les deux projets encore à l’étude qui éviteraient aux réseaux chinois de passer par la Russie.


Figure 1 : Réseaux de télécommunication en Asie

Infographie Le Monde. Sources : China Telecom ; International Telecommunication Union ; Rostelcom; CB Insight, 2018 ; We are social ; Cnnic.

Ajoutons à ces autoroutes informationnelles la sous-traitance chinoise dans l’installation des émetteurs 5G par de nombreux pays traversés par les Routes de la soie terrestres et maritimes. Huawei est responsable de la mise en place de la 5G pour des opérateurs de télécommunication privés en Indonésie, en Arabie Saoudite, en Turquie, en Afrique du Sud, en Russie et dans différents pays européens, sans compter la mise en place partielle de réseau 5G dans de nombreux pays dont le Canada. Outre les antennes et la technologie 5G installées par Huawei, l’entreprise Alibaba implante aussi des Data Center en Allemagne (Nocetti, 2018 : 127), en Inde, en Indonésie et en Malaisie (Shen, 2018 : 2689). La liste pourrait s’allonger, mais je souhaite juste ici souligner l’étendue de nœuds numériques communicationnels par lesquels la Chine (comme les États-Unis le font avec leur propre réseau) peut engranger des données sur des internautes de plus en plus nombreux, et comment elle peut surveiller précisément les communications sensibles des États comme des entreprises via ces réseaux.

Si cette situation est déjà réalisée, la Chine semble avoir des ambitions futures bien plus grandes comme le démontre la volonté de créer un grand marché informatique transcontinental, en s’appuyant sur le projet de l’Union européenne du Marché digital unique, et du Fond commun (Europe-Chine) d’une valeur de 315 milliards d’euros mis en place à la demande de la Chine (Foucher, 2017 : 109). Xi Jinping a également annoncé personnellement sa volonté d’intégrer aux infrastructures des routes de la soie de l’intelligence artificielle (IA), des nanotechnologies, des ordinateurs quantiques, des mégadonnées (big data) accompagnées de la mise en place de Data Centers, de nuages informatiques (cloud), et enfin des villes intelligentes (Xinhua, 2017).

Ce simple survol des infrastructures physiques numériques permet de voir l’ampleur de la mise en place par la Chine de ce type de soft power particulier (qui peut rapidement se transformer en hard power par la coupure des communications en cas de conflits), qui lui permet d’espionner sans être vu. Ces projets permettent également d’imposer des normes à des entreprises stratégiques étrangères le long des Routes de la Soie, la Chine octroyant des crédits de grande ampleur aux entreprises locales, comme celui de 2,5 milliards de dollars américains accordés par la Banque commerciale de Chine à Bharti Airtel, la plus grosse compagnie de télécommunication indienne. Non seulement ces entreprises se retrouvent avec des crédits importants, mais elles sont dans l’obligation de s’équiper chez Huawei et ZTE pour faciliter l’intégration de leur réseau à celui des Routes numériques (Shen, 2018 : 2687). C’est donc une approche gagnante pour la Chine comme pour le bilan financier de ses équipementiers.

Mais le soft power numérique chinois ne repose pas uniquement sur les voies de communication numérique. La Chine le déploie aussi de manière moins visible, mais tout aussi efficace, à travers les projets de villes numériques, alors que le seul cas empiriquement confirmé d’espionnage et de saisies de données numériques par l’État chinois en dehors de son territoire concerne le siège de l’Union africaine, siège construit par des entreprises chinoises en 2012 (Khadiri, 2018).

1.2. Les infrastructures intégrées aux villes numériques

La technologie numérique intégrée aux villes intelligentes, écologiques ou sécuritaires multiplie les exemples de réussite mis de l’avant par leurs promoteurs (économie de la quantité d’eau et d’électricité utilisée dans une agglomération, réduction de la congestion automobile…), mais le déploiement de ces outils connectés au sein du bâti transforme aussi la relation des humains à l’espace et à leurs déplacements. Ce n’est donc pas un hasard si de nombreux débats (législatifs, éthiques, techniques) ont traité de la possibilité de tracer les Canadiens par la géolocalisation dans le cadre de la gestion de la pandémie.

Pourtant, les safe cities s’imposent de plus en plus dans les projets de planification urbaine au niveau mondial (Courmont et Le Galès, 2019 : 24), avec comme mission autoproclamée d’assurer la sécurité des habitants en mettant en place des outils de prévention contre les actions criminelles potentielles, et en incorporant des mécanismes de réponse en cas de crises de toutes sortes : attentats, catastrophes, changements climatiques. Cependant, ces villes demandent aussi une coopération (volontaire ou non) de leurs habitants, et posent donc le problème de la réduction des libertés individuelles au profit d’une sécurité se voulant optimale (Büscher, et al., 2015). Ce type de gestion gouvernementale est de plus en plus facilité par la généralisation des QR code(s) (Quick response code) dans les villes, empreinte physique de la multiplication des acteurs dans le secteur du online to offline (O2O) (Lee, 2018 : 16) ; et plus généralement par le développement de l’Internet des objets (IdO) qui connecte de nombreux objets à Internet (Greengard, 2015) sous couvert d’une démocratie horizontale découlant du comportement des habitants, ce qui est des plus discutables (Picon, 2019 : 230).

Malgré les épineuses questions que soulève ce type de planification urbaine, les projets en cours de réalisation sont nombreux, et « the development of Safe City solutions has become a strategic bet of Chinese ICT firms to long standing problems of cities in sensible hotspots of the planet (Lagos, Marseille, Lima, Shenzhen) » (Artigas, 2019 : 4), comme le montre la communication de Huawei sur ces 160 chantiers de villes numériques en cours à travers plus de 100 pays (Huawei, 2021), ou encore la figure 2 qui représente le nombre de projets de villes intelligentes dans lesquels des entreprises chinoises sont impliquées par pays.

Figure 2: Projets de villes intelligentes utilisant des technologies chinoises
Source : Atha et al., 2020.

Il est difficile de dresser une liste complète des entreprises chinoises impliquées dans le secteur, dans la mesure où la seule Xiaomi a investi massivement dans 220 compagnies, dont 29 startups spécialisées en IA (Lee, 2018 : 127), mais il est important de faire ressortir les plus importantes et de souligner que « China’s largest technology companies appear to be closely connected to the Communist Party and the government (Magnus 2018). [… et que] although these systems are not by any means identical, it seems likely that data collected by online tech giants will form part of the government’s own system» (Stevens, 2019 : 89). Les entreprises chinoises clés du secteur sont donc Huawei, China Mobile, Inspur, China Unicom, Tencent, ZTE, H3C, Sugon, Alibaba Cloud, Hikvision et Dahua en ce qui concerne l’IdO ; Neusoft, Tencent, Huawei, Inspur, Beiming Software, H3C, Sugon, Taiji, Digital China et Alibaba Cloud en ce qui concerne les mégadonnées ; Sugon, Alibaba Cloud, Tencent Cloud, Huawei, UCloud, China Telecom, Amazon Web Services, Kingsoft, Microsoft Azure, Baidu Cloud en ce qui concerne l’informatique en nuage ; et enfin Alibaba, Baidu, Tencent, iFlyTek, Huawei, SenseTime, Megvii, Intellifusion, CloudWalk, Yitu, Hikvision, Dahua dans le domaine de l’IA (Atha et al., 2020 : 38).

Le rapport de 2020 préparé sur la question pour le Congrès américain a identifié pas moins de 398 entreprises chinoises participant à l’édification des villes intelligentes dans 106 pays (Atha et al., 2020)[3]. Par ailleurs, les entreprises chinoises y trouvent des débouchés non négligeables pour leurs produits (le dernier projet recensé à l’écriture de cet article est un accord de réalisation et de co-financement chinois dans la construction de la ville intelligente de Tanger au Maroc (CGTN, 2021), à la suite de l’octroi de contrats à des firmes chinoises (Hatim, 2020)), et accumulent de l’expertise, alors qu’elles sont déjà prépondérantes sur ce marché.

Les technologies numériques et les capteurs de données chinois sont donc présents sur l’ensemble des continents (voir la carte[4] mise à jour par le Carnegie Endowment for International Peace), mais leurs utilisations varient énormément d’un pays à l’autre. Or, non seulement les risques liés à la captation de données numériques sont bien réels pour les libertés individuelles, mais de nombreux pays cherchent justement par ces projets à mettre en place un autoritarisme numérique à l’image du modèle chinois. C’est donc un type de gouvernementalité spécifique que la Chine promeut et installe (avec la complaisance et la participation d’entreprises non chinoises ; voir Feldstein, 2019) dans plusieurs régions du monde allant des Routes de la Soie (Russie, Ouzbékistan, Serbie, Mongolie, Pakistan) en passant par l’Asie du Sud-est (Malaisie, Singapour), l’Afrique (Éthiopie, Kenya, Ouganda, Égypte, Zambie, Zimbabwe) et l’Amérique du Sud (Bolivie, Venezuela) (Anderson, 2020 ; Layton, 2020 ; Polyakova et Meserole, 2019 ; Sukhankin, 2021).

En effet, « par la collecte de données personnelles et la mise en place de dispositifs de plus en plus sophistiqués dans les domaines de la reconnaissance faciale et vocale, la smart city chinoise est en train de muer en enclave où s’exerce un très fort contrôle politique » (Lincot, 2019 : 149), et cette gestion des populations devient un des facteurs d’exportation de ce type de villes numériques. Il faut dire que le savoir-faire des entreprises chinoises en la matière s’affine au fil des projets et du temps, et que si l’utilisation des QR code(s) est devenue une norme, les données biométriques deviennent des outils de plus en plus utilisés dans ces projets d’infrastructure. À travers ces villes numériques, ce sont donc des valeurs et méthodes concrètes de mode de gouvernement des populations que la Chine dissémine autour du globe.

Mais outre la normalisation de ce type de gouvernementalité numérique ou « soft coercion stymie public opposition » (Joseph, 2019) à la chinoise et du soft power, outre la captation de données toujours plus nombreuses permettant d’influencer les comportements individuels et collectifs des utilisateurs de ces infrastructures que sont les villes numériques et les canaux permettant les échanges des données, le soft power numérique chinois passe également par le développement et la diffusion des programmes et plateformes informatiques. La seconde partie traitera donc de cette technologie moins visible que constituent les algorithmes développés par les entreprises chinoises.

2. Le rôle des BATX et la participation des entreprises non chinoises dans l’extraction massive de données. 

2.1. La différence d’optique des BATX et des GAFAM
Si les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) sont devenus des acteurs majeurs d’Internet, ils le doivent en grande partie à des fonds publics et à une volonté politique des États-Unis (Fontanel et Sushcheva, 2019). Les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) ne sont de ce point de vue que des copies volontaristes de l’État chinois, mais une différence fondamentale, outre la chronologie, les sépare. En effet, alors que les dérégulations du secteur par Reagan transforment les GAFAM en entités privées autonomes, les BATX restent, malgré leur vitrine d’entreprises privées, des vassales de l’État parti chinois, comme le montrent les connexions multiples des BATX avec l’armée chinoise, mais également plusieurs affaires récentes (voir Payette, 2021). Alors que les GAFAM sont dans une logique de recherche d’appropriation et d’accumulation d’argent, les BATX poursuivent certes des objectifs similaires, mais mettent les impératifs nationaux dictés par le PCC au-dessus de toutes autres considérations. Pour analyser les implications de cette différence majeure, il faut décrire le développement des BATX et exemplifier les nombreuses contributions qui ont été apportées par les entreprises non chinoises du secteur pour rendre cela possible. Cependant, il faut pour cela décrire en premier lieu la mise en place de l’écosystème numérique chinois.

2.2. Les modalités historiques de la mise en place de la sphère numérique dans le pays

Le réseau intérieur date de 1987, mais la connexion de la Chine au réseau Internet mondial date d’avril 1994 (Economy, 2018 : 62). Très rapidement, les autorités chinoises perçoivent la menace qui pourrait en émaner et mettent donc rapidement en place des régulations qui viennent encadrer son expansion, son exploitation et son utilisation (Arsène, 2012). La première condamnation pour « violation politique » tombe dès 1998 à l’encontre de Lin Hai qui a envoyé massivement l’adresse d’un magazine prodémocratie basée aux États-Unis. En 2009, Facebook est bloqué à la suite de son utilisation par des manifestants au Xinjiang (Economy, 2018 : 56 ; 63). Enfin, l’utilisation du réseau par le mouvement Falun gong convainc les dirigeants du pays de contrôler encore plus fortement les médias sociaux (Creemers, 2017).

Le PCC mène donc une « strategic censorship » (Lorentzen, 2014) interne, et a, pour ce faire, développé une infrastructure Internet utilisant de nombreux serveurs de petite taille, ce qui facilite les blocages de mots-clés par inspection profonde de paquets (Deep Packet Inspection). À cette censure technique s’ajoute l’autocensure des utilisateurs qui est encouragée via l’obligation pour les internautes de s’inscrire auprès du bureau de police locale en 1996. Ce règlement n’a jamais été appliqué, mais depuis 2009, les autorités ont imposé l’identification des internautes auprès des fournisseurs de service, mais aussi des hôtels et des cafés Internet, mesure renforcée par la Loi antiterrorisme de 2015 (Lei, 2018 : 179). Ce durcissement législatif encadrant spécifiquement Internet s’accompagne d’une stratégie similaire à celle des entreprises privées du secteur en Occident. Le Conseil d’État a en effet annoncé dès 2008 qu’il cherchait à utiliser le réseau pour consulter sa population, ce qui lui permet en vérité d’accroître les données sur le positionnement des Chinois (Balla, 2015) et donc d’anticiper, voire de modifier leurs comportements (nudge, tune, herd) (Zuboff, 2020 : 396-397). La Chine s’est ainsi imposée comme un modèle particulier qui a été envié et copié par d’autres pays, la Chine aidant par exemple à la mise en place du filtrage de l’Internet du Sri Lanka (Weber, 2019a : 77).

Si ce modèle se démarque sur bien des points du socialisme électronique imaginé en 1962 par le cybernéticien Viktor Glouchkov (Strittmater, 2020 : 313), il pourrait être analysé comme un système spécifique à la Chine rendu possible grâce à sa souveraineté numérique ardemment invoquée par les autorités chinoises depuis 2010. Mais ce type d’analyse ne résiste pas à l’analyse des faits. Premièrement, bien que l’Internet chinois soit artificiellement (et non complètement) coupé de l’Internet mondial, la Campagne contre les rumeurs lancée par Xi Jinping en 2013 les assimile à des initiatives contre-révolutionnaires qui obéiraient à des raisons cachées (别有用心, bieyou yongxin) orchestrées le plus souvent de l’étranger (Jun, 2017), comme nous l’avons encore constaté récemment au sujet de Hong Kong. Or, le fait que le pouvoir politique chinois invoque l’argument des puissances étrangères démontre qu’il a totalement conscience des implications géopolitiques des algorithmes qui sont insérés dans le monde numérique.

2.3. La participation volontaire des entreprises étrangères dans la mise en place du soft power numérique chinois

Au cours des dernières années, de nombreuses firmes s’étant volontairement ou non coupées du marché chinois ont essayé d’accommoder les autorités du pays. Le cas du projet du moteur de recherche Dragonfly (projet d’un moteur de recherche compatible aux exigences de censure de la Chine et retraçant chaque recherche au numéro de téléphone de l’utilisateur qui a été officiellement abandonné par Google lorsque les détails se sont répandus dans la presse internationale) est sans doute le plus connu, mais les tractations des entreprises privées non chinoises avec le PCC sont multiples. Ne pouvant citer l’ensemble des coopérations existantes entre les firmes étrangères et le PCC, j’aimerais tout de même noter les plus récentes, en soulignant que cela n’a rien d’étonnant, la logique des firmes étrangères étant avant tout celle du profit financier. C’est ainsi qu’à la demande des autorités chinoises Apple a supprimé des centaines d’applications sur ces appareils (Strittmatter, 2020 : 335 et 365), que Zoom interrompt des appels et en enregistre d’autres (Harwell et Nakashima, 2020), que Microsoft travaille avec l’armée chinoise sur des projets d’IA et de reconnaissances faciales (Murgia et Yang, 2019), que Google, IBM et Xilix travaillent avec l’entreprise chinoise Semptian sur une nouvelle génération de processeur (Gallagher, 2019), et que l’entreprise belge SWIFT coopère avec le gouvernement chinois dans la mise en place de son yuan numérique (Yeung, 2021).

La Chine les utilise aussi allégrement pour véhiculer son message et ses valeurs à l’étranger lorsqu’elle le peut (Thibault, 2019), quitte à élaborer des campagnes d’envoi massif de spams (Nimmo et al., 2021). Notons à ce sujet que les entreprises chinoises représentent le second pôle de rentabilité pour Facebook (ironiquement interdite dans le pays et officiellement contre toute coopération avec le PCC) à travers l’achat de messages publicitaires ciblés (François, 2018). Si le gouvernement chinois a donc appris à utiliser les applications étrangères et a de multiples partenariats avec des firmes non chinoises dans la recherche et le développement (R&D), il utilise également les applications développées par ses propres champions nationaux (et les start-up et licornes qui gravitent autour d’eux) qu’il a fait prospérer.

2.4. Les stratégies chinoises ayant mené à l’édification des BATX et les effets de leurs internationalisations

Les politiques visant à faire des BATX des champions mondiaux se sont appuyées sur trois stratégies complémentaires. La première est le rachat de filiales appartenant à des compagnies étrangères pour mettre la main sur des savoir-faire particuliers que la Chine ne maîtrisait pas (le rachat par Lenovo d’une partie des activités d’IBM en 2009 en est un bon exemple en ce qui concerne les compétences hardware). Le second est celui de l’espionnage (voir Boschet et al., 2019 pour de plus amples détails). Enfin, le troisième est celui de la R&D au sein des firmes chinoises du secteur. Cette volonté d’investir dans la R&D avec des visées d’autonomie commence dès 2003 lorsque le pays se retire du programme de géolocalisation Galliléo et créait son propre système BeiDou (Denicola, 2013 : 90). Cette stratégie encouragée par des fonds publics explique qu’Alibaba soit devenu un acteur mondial majeur en ce qui concerne les Cloud et les Data Center, ou encore que Huawei puisse réagir rapidement aux sanctions américaines en proposant son propre système d’exploitation open source HarmonyOS.

En ce qui concerne spécifiquement le domaine de l’IA, l’absence du respect de vie privée des internautes chinois, ainsi que le volume de données disponibles (la Loi sur la cybersécurité de 2017 impose également aux entreprises étrangères présentes dans le pays de stocker leurs données numériques sur place) explique en partie l’avance prise par le pays dans ce secteur, mais le Plan de développement de la nouvelle génération d’IA adopté par le comité central du PCC en 2017 décrit l’importance de l’IA pour les autorités, que cela soit pour la stabilité interne ou les ambitions du pays sur la scène internationale (soft et hard power confondu) (Ding, 2019)

L’écosystème numérique chinois a donc favorisé l’apparition de champions mondiaux qui installent également leurs systèmes à travers le monde (la Chine était ainsi à l’origine de 8 % des nouvelles applications numériques disponibles aux États-Unis sur la période 2014-2017 (Chaponnière, 2018)). Or, les algorithmes installés par la compagnie de télécommunication ZTE ont permis de surveiller militants, journalistes et opposants sur simple demande du gouvernement éthiopiens en 2014 (HRW, 2014). Nous pouvons donc voir que l’utilisation d’algorithmes peut être tout aussi dommageable que celles des infrastructures numériques physiques, et que les algorithmes permettent également à la Chine d’exporter ses méthodes gouvernementales. Pour ce faire, les algorithmes constituant les IA chinoises s’abreuvent des données recueillies pour perfectionner leur raisonnement. Le rapport de l’Open Technology Found daté de 2019 souligne par exemple que l’entreprise chinoise de reconnaissance faciale CloudWalk rapatrie en Chine les données qu’elle enregistre au Zimbabwe pour entraîner ses IA qui sont pour le moment moins performantes dans la reconnaissance faciale des personnes à la peau foncée (Weber, 2019b). Pour résumer, plus des programmes chinois sont disséminés en dehors du pays, et plus les algorithmes sur lesquels se basent ces programmes gagnent en efficacité, ce qui permet à la Chine d’anticiper de plus en plus finement les logiques et les dynamiques sociales aux quatre coins du monde.

Mais dans ce monde interconnecté, et comme dans le cadre des villes intelligentes, les entreprises de développement chinoises participent à la configuration de nombreuses applications non chinoises. Ne pouvant dans l’état généraliser la pratique de vol de données à la totalité de ces entreprises chinoises, examinons le cas récent de la faille de sécurité affectant l’application Clubhouse. Clubhouse travaille avec la société chinoise Agora qui est spécialisée dans les technologies de l’enregistrement vocal en temps réel. Or, un rapport du Stanford Internet Obervatory démontre que non seulement les données recueillies par Agora ne sont pas chiffrées, mais qu’elles sont compilées sur des serveurs de l’entreprise chinoise, celle-ci ayant l’obligation légale de censurer et d’aider à l’identification des internautes qui émettrait tout message jugé comme mettant en danger la sécurité nationale chinoise (Cable et al., 2021). En somme, les partenariats des entreprises chinoises sont recherchés avant tout pour leurs expertises, avec les dangers inhérents que cela comporte, car de manière plus générale, il faut bien prendre conscience que tout programme informatique est constitué d’algorithmes numériques qui peuvent cacher différentes facettes non visibles pour les utilisateurs. Ajoutons que les programmeurs définissent de manière consciente ou non des biais dans les programmes, et nous ne pouvons que constater qu’il y a donc « an inherent risk for any country that adopts a technology developed on another’s values » (Steckman, 2019 : 86). Ce risque, en ce qui concerne l’utilisation des technologies chinoises, devient de plus en plus documenté, ce qui démontre une généralisation du soft power numérique chinois présenté jusqu’ici. Toutefois, les effets structurants de ce pouvoir si particulier dépassent la sphère de l’espionnage, de l’anticipation ou encore de l’exportation d’une méthode de gouvernance. Le soft power numérique chinois a également des implications économiques à long terme que nous allons maintenant analyser.

  1. L’imposition de ces normes technologiques à travers les brevets intellectuels, et les conséquences prévisibles à moyen terme

L’ensemble des éléments invoqués jusqu’à présent sont à remettre dans le contexte économique mondial et des institutions qui l’encadrent depuis 1945. En effet, lorsque la Chine annonce son intention de devenir le leader de l’IA pour 2030, on réalise que derrière le déploiement des infrastructures et des logiciels déjà décrit se joue la question des normes et des brevets, soft power utilisant l’économie comme faire valoir et pouvant avoir des effets structurants à très long terme. Pour obtenir les résultats attendus, la Chine a, à elle seule, investi plus de la moitié des capitaux mondiaux dans la R&D en IA entre 2013 et 2018 (Burrows, 2018), le gouvernement ayant créé des accords à ce sujet avec d’autres États (Chutel, 2018), tandis que les entreprises chinoises du secteur développent également des partenariats avec de nombreuses universités en dehors de son territoire (Ping, 2018).

Or, si la définition des normes et des standards communs permet aux industries de créer des produits interopérables, « derrière la création des normes et leur internationalisation se cachent des enjeux importants pour la maîtrise des technologies, du savoir-faire et des chaînes de valeur » (Seaman, 2018 : 130). Pour être capable d’imposer ses propres normes dans le secteur du numérique, la Chine investit massivement les instances traditionnelles de négociations de normes internationales[5], mais n’a pas, par exemple, réussi à remplacer la norme wifi par la norme WAPI qu’elle supportait. Elle a donc récemment privilégié les accords régionaux et les accords bilatéraux pour proposer et ratifier ses propres standards dans les secteurs où ses entreprises sont compétitives, et dans le secteur numérique en particulier. Là encore, les Routes de la soie sont des axes stratégiques, avec l’adoption de normes chinoises par la Russie, la Biélorussie, la Serbie, la Mongolie, le Cambodge, la Malaisie, le Kazakhstan, l’Éthiopie, la Grèce, la Suisse et la Turquie (Seaman, 2018 : 132-134). L’adoption de ces normes donne un avantage concurrentiel considérable aux entreprises chinoises, leurs concurrents devant alors acheter leurs équipements ou leurs licences (Chaponnière, 2018). Il faut noter que l’accroissement de l’utilisation des normes chinoises se produit dans un contexte dans lequel le pays est devenu le premier déposant international de brevet en 2019 (OMPI), ce qui assure également des redevances sur tout projet de R&D utilisant les propriétés intellectuelles déposées.

Les normes et les brevets sont des outils du soft power chinois dans le domaine économique qui touchent l’ensemble des secteurs commerciaux, mais qui sont particulièrement importants pour le futur des technologies numériques. De plus, cela pourrait annoncer un leadership chinois de l’économie mondiale, car avec le redémarrage actuel de l’économie chinoise, le pays va certainement renforcer sa présence (maintenant indiscutable) dans les institutions internationales, ce qui pourrait lui permettre de réaliser une ambition ancienne : celle de faire du yuan une monnaie d’échange internationale qui ferait concurrence aux dollars américains. La Chine est d’ailleurs très active sur ce dossier, et la stratégie qu’elle met en place repose largement sur une dématérialisation de sa monnaie nationale, les possibilités du soft power numériques étant décidément multiples.

Conclusion

En résumé, la Chine met en place et utilise un soft power numérique qui utilise de nombreux canaux numériques. Ce soft power numérique va de l’exportation de sa méthode de gouvernance à des possibilités d’anticipation sur les positionnements des autres acteurs étatiques. Profitant de son avance dans le domaine, et rémunérant les entreprises non chinoises du secteur dont elle ne saurait encore se passer, la Chine s’abreuve également de données numériques qui lui permettent d’affiner l’efficacité et les prédictions de ses algorithmes, et investit massivement de manière directe ou indirecte dans ses entreprises spécialisées. Ce faisant, elle arrive à déposer des brevets et à exporter ses propres normes technologiques, ce qui lui assure une place enviable pour les années à venir, et lui donne de puissants outils pour façonner un monde selon ses désirs, le tout de manière soft et graduelle.

Références

Anderson, Ross (2020). The Panopticon Is Already Here. The Atlantic (Boston), septembre.

Arsène, Séverine (2012). Protester sur le Web chinois (1994-2011). Le Temps de Médias, 18 : 99-110.

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[1] La carte de la filière de Huawei dévolue à la pose de câbles numériques sous-marins est à ce sujet très instructif (voir http://www.huaweimarine.com/cn/Experience), mais il ne faut pas oublier que 80 % du flux de données mondiales transitent encore par les États-Unis (Arte, 2018 : 7’33’’).

[2] TEA pour Trans-Europe Asia, TASIM pour TransEurasian Information Superhighway, DREAM pour Diverse Route for European and Asian Markets, ERMC pour Europe-Russia Mongolia-China. Pour plus de détails sur ces câbles déjà construits, voir Rolland, 2015.

[3] Il faut tout de même noter que le savoir-faire chinois en la matière ne peut pour le moment de passer de la contribution de firmes non chinoises comme Microsoft, Amazon, Deloitte et Bosch (Nelson, 2014).

[4] Disponible au https://carnegieendowment.org/publications/interactive/ai-surveillance

[5] La Chine a plus particulièrement investi l’Organisation internationale de normalisation (ISO), la Commission électrotechnique internationale (CEI) et l’Union internationale des télécommunications (UIT).

La diplomatie du masque et du vaccin : nouvel atout de soft ou de hard power pour Pékin ?

RG v7 n2, 2021

Pauline Bonnet

Pauline Bonnet est étudiante en Géopolitique et Relations Internationales à l’Université Catholique de Paris au sein du parcours Sécurité Défense. Elle se spécialise sur la place de la Chine au sein de l’ordre internationale et plus globalement sur la région asiatique.

Résumé : La crise pandémique de la Covid-19 semble avoir défini les grands enjeux de l’année 2020. Débutée sur le territoire chinois, la République Populaire de Chine a été mise sur le devant de la scène dès le début de la pandémie mondiale. Entre les critiques des pays occidentaux face au manque de transparence, les mensonges du Parti Communiste Chinois et les discours de Xi Jinping prônant une gestion multilatérale de la crise sanitaire, Pékin a tenté de mettre en place une réelle stratégie de soft power à travers la diplomatie du masque et d’envoi d’aide médicale.

Mots-clés : soft power, Chine, Organisation Mondiale de la Santé, diplomatie des masques, pandémie de la Covid-19, Nouvelles Routes de la soie.

Summary: The year 2020 has been challenged by many issues but the crisis of Covid-19 mostly challenged it. Beginning in China, the People’s Republic of China has been in the spotlight since the beginning of the pandemic. Between the critics of Western States due to the lack of transparency and the lies of the Communism Party of China and, at the opposite, Xi Jinping’s speeches advocated a multilateral way of management, Pekin tries to define a real strategy of soft power in order of regilding its image. China’s Mask Diplomacy becomes a real soft power strategy during the time of the pandemic of Covid-19.

Keywords: China, Mask Diplomacy, pandemic of Covid-19, Belt and Road Initiative, World Health Organization, soft power.

Alors que Washington menait les démarches pour quitter l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et renforcer, de ce fait, son désintérêt pour une gestion multilatérale de la crise sanitaire, Pékin a décidé de ne pas rester silencieux pendant la crise de la Covid-19 (Le Monde avec AFP, 2020). Le gouvernement chinois a cherché à promouvoir sa vision du système international en mettant au point une réelle stratégie d’influence. « Diplomatie du masque, dons de vaccins, envoi d’aides médicales », les termes employés se multiplient pour décrire l’activisme de ce qui semble être la nouvelle puissance du 21ème siècle. Le « virus chinois », comme désigné par l’ex-président des États-Unis, Donald Trump, débuté en Chine en janvier 2020, a valu à la nouvelle puissance d’être mise sous les feux des projecteurs. De ce fait, la Chine a également essuyé des critiques, souvent négatives, quant à son manque de transparence et sa gestion de l’épidémie jugée malhonnête par les pays occidentaux. La Chine et son soft power ont été confrontés au scepticisme et aux critiques des puissances occidentales malgré la bonne volonté de Xi Jinping de promouvoir le multilatéralisme et de résoudre cette crise « tous ensemble ». Les normes et traités internationaux, conclus par le droit international depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour fonder notre système international, prennent une force obligatoire une fois ratifiés par les États.  Néanmoins, à l’image de Pékin concernant son manque de transparence sur la gestion initiale de l’épidémie et de son annonce tardive du virus de la Covid-19, certains États décident de ne pas le suivre. Le règlement sanitaire de l’OMS et plus précisément son article 6, paru en 2005 et ratifié par la Chine, implique que chaque État dispose de 24 heures pour avertir l’organisation « en cas d’évènement pouvant constituer une urgence sanitaire de santé publique de portée internationale »[1]. Ce règlement est un instrument juridique international qui a une force obligatoire dans les 196 pays du monde l’ayant ratifié. Toutefois, la capacité du gouvernement chinois à résister aux pressions des organisations internationales ainsi qu’à ne pas tenir compte des normes internationales a rendu la mise en place de sanctions internationales difficilement envisageable. Aussi, la difficulté de l’OMS à se rendre en Chine pour enquêter sur les origines de la pandémie traduit la faiblesse du droit international et des instances mondiales à imposer leur règlement. Cela témoigne également de la puissance de Pékin quant à sa capacité à influencer l’agenda mondial.

Ainsi, depuis un an, le Parti Communiste Chinois (PCC), cherche à se positionner, non comme le responsable de cette crise sanitaire, mais comme le sauveur.  La diplomatie des maques, entrepris par Xi Jinping, semble s’inscrire dans une véritable stratégie de soft power visant à redorer l’image de Pékin. De ce fait, deux camps se distinguent : celui devenu encore plus critique face à cet activisme chinois, principalement les pays occidentaux, et à l’opposé, les pays se réjouissant, ou n’ayant d’autres choix que de se réjouir, de l’entraide chinoise. Il semble tout de même légitime de se questionner : pouvons-nous réellement parler de dons ? Qu’attend la Chine en retour de l’aide qu’elle offre à d’autres États ? Sont-ils devenus un nouveau levier de puissance politique pour Pékin ?  Nous pouvons nous questionner si la santé globale est devenue une nouvelle priorité pour le PCC en cette ère de la Covid-19 ou uniquement un moyen d’asseoir son soft power dans le monde.

La santé globale, selon Mark Nichte, recouvre des « problèmes de santé transcendent les frontières nationales, peuvent être influencés par les circonstances ou les expériences d’autres pays, et appellent des réponses collectives » (Nichter, 2008). Si aucun consensus n’est aujourd’hui véritablement défini sur cette notion, elle implique, avant tout, une problématique de gouvernance mondiale de la santé. Bien que les instances mondiales, comme l’OMS puissent être les institutions légitimes face à cette problématique, les acteurs étatiques, principalement la Chine, en font une nouvelle priorité leur permettant d’asseoir leur puissance au sein du système international.  Crée par l’OMS en 2020, le COVAX, a pour but de garantir un accès à tous au vaccin de la Covid-19 et, peut s’inscrire dans cette lignée de gouvernance mondiale pour la santé. Il est, à ce jour, la seule initiative mondiale réunissant les États et les fabricants de vaccins : deux milliards de doses sont prévues d’être distribuées d’ici fin 2021.  Néanmoins, seule la livraison des 600 000 doses a été annoncée par le dispositif COVAX pour le Ghana, la Côte d’Ivoire et l’Inde en mars 2021. Chiffre bien minime pour un projet mondial face aux 200 millions de doses qui ont été promises par le groupe chinois Sinovac dans plus de 20 pays. La superpuissance chinoise serait-elle en capacité de remplacer l’OMS et de garantir, elle, un accès à l’ensemble de la population mondiale au vaccin et au soin ? Si les chiffres fournis par le gouvernement chinois témoignent d’une efficacité sans précédent, le prix à payer de ces dons inquiète les puissances occidentales, en première ligne l’Union Européenne (UE) et les États-Unis, qui y voient un nouveau moyen de pression et d’endettement vis-à-vis de Pékin. Le but de cet article est d’essayer d’analyser comment la diplomatie du masque et de l’aide médicale et, aujourd’hui en 2021, des vaccins, a pu impacter le soft power chinois et son positionnement dans le système international.

1. La diplomatie du masque : un premier outil de soft power chinois efficace et controversé

1.1. La crise de la Covid-19 confirme la volonté chinoise d’asseoir son soft power

Le concept de diplomatie du masque a commencé à être évoqué par les pays occidentaux lorsque Pékin a redoublé ses efforts de communication pour vanter ses différents dons. Le 29 janvier 2021, par le biais de son ministre du Commerce, la Chine s’est félicitée d’une « contribution importante à la lutte mondiale contre l’épidémie » (RTFB Info, 2021). La communication orchestrée par le régime chinois, régulièrement qualifiée de propagande, a fortement mobilisé l’Union Européenne. Si Pékin communique massivement sur ses différents envois de masques et d’aides médicales, l’Union Européenne, dont la France, s’est fait plus discrète début 2020 lorsque les rôles étaient inversés (Le Figaro, 2020). Mi-février un avion chargé de 17 tonnes de matériel médical quittait l’aéroport de Paris Charles de Gaulle à destination du Wuhan. En France, cet envoi a fait polémique dans les semaines qui ont suivi en raison de la situation sanitaire qui se dégradait rapidement sur le territoire et qui laissait apparaître les manques de moyens des hôpitaux français face à la gestion de la Covid-19. Mais, il a eu lieu lorsque la Chine, elle confinée, n’était plus en mesure de répondre aux besoins de ses citoyens. Si cet évènement semble avoir été très rapidement oublié par les autorités chinoises, c’est parce que le PCC a surcommuniqué un mois plus tard, en mars 2020, sur ses propres donations : un million de masques arrivait à Liège, en Belgique, à destination de la France. Ainsi, deux camps se sont rapidement opposés pour répondre à cette diplomatie du masque visant, d’une à rétablir l’image du PCC et de deux à faire oublier l’origine de la pandémie (Bondaz, 2020).

Les pays occidentaux, dont l’Union Européenne, les États-Unis, le Canada, l’Australie et dans une moindre mesure le Japon et l’Inde, y voient un nouveau moyen de pression politique et géopolitique. S’ajoute à cela la volonté du PCC de réécrire l’histoire de la pandémie dans une version lui étant plus favorable.  Car si Pékin agace tant c’est principalement à cause de son laxisme quant à l’origine de la Covid-19 et son entêtement à refuser une enquête internationale sur son territoire. Effrayé dans les premiers mois par la vitesse à laquelle se propageait le virus, le confinement strict imposé par le régime chinois lui a valu de se faire plus discret sur la scène internationale. Néanmoins, les 78 jours de confinement, débutés le 19 janvier 2020 à Wuhan, lui ont permis une maîtrise rapide de la pandémie et ainsi une reprise de sa communication afin de restaurer son image fortement dégradée. La pandémie de la Covid-19 fait mauvaise publicité au gouvernement chinois. Les pays occidentaux, lassés de voir cette superpuissance, si différente de leurs critères démocratiques, les contraindre à une vie (semi) confinée, a engendré une augmentation du racisme antichinois ainsi qu’un désir d’une plus grande autonomie face à Pékin (Bondaz, 2020). Le racisme antichinois et anti-asiatique ont été renforcés, en France notamment, par la crise de la Covid-19 : de nombreux membres de la diaspora chinoise témoignent d’insultes subies dans les transports publics. Les tueries d’Atlanta aux États-Unis, le 24 mars 2021, confirment également ce qui peut être qualifié de « nouveau » racisme par les autorités publiques mais de fléau « longtemps nié et mal identifié » par les associations luttant contre ce racisme asiatique. Pas question pour Xi Jinping de rester les bras croisés face à cette exaspération grandissante à l’encontre de son pays et de ses citoyens (Lesnes, 2021).

La diplomatie du masque et l’envoi d’aides médicales s’inscrivent alors dans une véritable stratégie de soft power visant à faire oublier l’origine du virus et redorer l’image de la Chine afin de la présenter comme une puissance responsable.  Le Parti a multiplié les envois dans les pays qu’elle considère comme ses alliés mettant en lumière sa stratégie de créer des relations bilatérales fortes. L’Europe de l’Est, Centrale, l’Afrique, l’Italie, le Pakistan, le Cambodge, le Laos, l’Iran, ces pays, tous membres des Nouvelles Routes de la soie[2], ont été les premiers bénéficiaires de cette diplomatie (Ekman, 2020).

En effet, cette stratégie, avant de devenir un levier de puissance politique ou de pression géopolitique, a été un moyen pour le gouvernement chinois de confirmer ses alliances. Inversement, cela a également mis en lumière les rivalités existantes : Canberra paye aujourd’hui les frais de sa confrontation avec Pékin. Depuis que la capitale australienne a demandé l’ouverture d’une enquête internationale sur l’origine du coronavirus en janvier 2020, les relations entre les deux pays se sont fortement dégradées au point d’arriver à l’interdiction, pour le groupe chinois Huawei, d’installer son réseau 5G sur le territoire australien. Déjà hostile au gouvernement de Xi Jinping, l’Australie ne s’est pas laissée séduire par les aides de Pékin bien qu’il représente son plus gros partenaire commercial : Canberra ne sacrifiera pas sa démocratie au profit du commerce (Lemaître, 2021). Si cet épisode est révélateur du fossé entre les régimes démocratiques et le régime communiste chinois, les alliés du PCC se sont, eux, réjouis de  cette aide rapide.  Les dons médicaux sont devenus un nouvel instrument de la stratégie chinoise pour asseoir son soft power et promouvoir son modèle de gouvernance. La communication abondante en est la preuve. Les autorités chinoises n’hésitaient pas à relayer massivement, à travers leurs ambassades et journaux officiels, les quantités exportées.  Le message s’accompagnait régulièrement d’un avis vantant la capacité du Parti à vaincre l’épidémie, visant ainsi à propager l’image d’une gouvernance forte et efficace. L’ambassade de Chine en France écrivait le 27 mars 2020 sur son compte Twitter « Les pays asiatiques, dont la Chine, ont été particulièrement performants dans leur lutte contre le Covid-19 parce qu’ils ont ce sens de la collectivité et du civisme qui fait défaut aux démocraties occidentales » (Liabot, 2020). Pékin tente activement de promouvoir son régime à travers cette pandémie.

En Europe, l’Italie, la Serbie et la Hongrie figurent parmi les pays où cette stratégie est la plus visible : trois pays européens ayant des arrangements bilatéraux avec l’État chinois[3]. L’Italie a été le premier pays du G7 à s’inscrire dans l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la soie en 2019. Cette inscription lui a été favorable durant la crise sanitaire : celle-ci lui a permis de bénéficier de l’appui de Xi Jinping lorsqu’elle n’arrivait pas à maîtriser la pandémie sur son territoire (Le Corre, 2020). Début mars 2020, pendant que l’Union Européenne se faisait plutôt discrète sur l’aide qu’elle pouvait octroyer à Rome, Pékin n’a pas hésité à proposer le sien. Le 13 mars 2020, des experts chinois dépêchés par le vice-président de la Croix Rouge chinoise, Yang Huichan et par le médecin Liang Zongan, arrivent à Rome offrant leurs expertises médicales. Accueillie à bras ouverts par les représentants du ministère italien de la santé, la République Populaire de Chine (RPC) confirme le partenariat stratégique qu’elle entretient avec l’Italie. La faiblesse de l’économie italienne, avec une dette publique qui représentait 130% de son PIB en 2019, soit 38000 euros par Italien, ajouté à la fragilité des banques, la fait apparaître comme la sauveuse pour le pays européen. Ainsi, malgré la crainte de l’UE face à l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la soie, Rome, assure sa volonté de coopération avec le gouvernement chinois. Cependant, qu’impliquent les dons de masques gracieusement offerts par le PCC ? À quel prix l’aide chinoise est-elle recevable ? Si Pékin se montre généreux pendant cette crise, il ne faut pas rester naïf quant à ses réelles intentions. Jocelyn Chey, une ex-diplomate australienne, affirme que « l’aide humanitaire de la Chine, comme celles des autres nations, fait partie de son pouvoir d’attraction et a également des objectifs commerciaux et politiques » (Le Point International, 2020). L’Italie offre « des facilités aux chinois » dans le port de Trieste : point d’entrée sur le marché européen, le pays représente un intérêt stratégique pour la RPC. Nous pouvons facilement imaginer le PCC mettre en avant ses dons dans le futur afin de renforcer sa présence sur le sol italien. Si le port du Pirée en Grèce et le port de Sinès au Portugal, faisant actuellement l’objet de nombreux débats[4], sont déjà (quasiment) entre les mains de Pékin, ces dons de masques inquiètent l’UE quant à la présence chinoise grandissante sur son territoire. Certains y voient, en plus d’un atout dans une stratégie de soft power, un nouveau levier de puissance politique et, ici, d’endettement vis-à-vis de la Chine. Si rien n’a pour le moment été officiellement demandé à l’Italie en retour de ces aides, cela n’est pas le cas pour tous les pays européens. En effet, la Serbie et la Hongrie sont les deux nouveaux pays ciblés par le PCC en Europe de l’Est pour le développement de relations privilégiées. Maillons faibles de l’UE à cause des crises relatives à l’état de droit et du froid entre leur gouvernement et Bruxelles, Pékin y voit une aubaine. Quand l’UE n’arrive pas, encore une fois, à fournir l’aide nécessaire aux pays d’Europe centrale, débordés par la gestion de la crise sanitaire, Pékin accourt (Berreta, 2020). Le Président serbe, Aleksandar Vučić, furieux du manque de coopération et d’entraide au sein de l’union, déclarait en mars dernier « La solidarité européenne n’existe pas, c’est un conte de fées sur papier, les seuls capables de venir en aide [aux Serbes], la Chine. ». Subséquemment, c’est en Serbie que la fameuse diplomatie du masque a pu débuter. Masques, médecins, experts médicaux, et aujourd’hui en avril 2021, vaccins, la totale est déployée par Pékin qui n’hésite pas à multiplier les interventions médiatiques soulignant « l’amitié solide comme le fer » entre le peuple serbe et chinois. Le Président serbe a même embrassé le drapeau communiste à l’atterrissage de l’aide médicale démontrant l’efficacité de cette stratégie diplomatique déployée par Xi Jinping. Ce dernier n’a pas hésité à rappeler l’envie de poursuivre la coopération entre les deux pays (Chastand 2021). Cette affirmation laisse percevoir la détermination du Président chinois à déployer ses intérêts, souvent économiques et commerciaux dans les pays, ici européens, ayant reçus son aide lors de la crise sanitaire. « La Chine est prête à travailler de concert avec l’Italie pour contribuer aux efforts de coopération internationale contre l’épidémie, ainsi qu’à la construction d’une route de la soie sanitaire » (Prin, Kahn, 2020). Car ce qui différencie tant la Chine des pays occidentaux est bien cette vision lointaine : Pékin a le temps. L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 a démontré de l’activisme chinois sur la scène internationale. Élu président à vie, le temps de bâtir des alliances solides ne lui manque pas. Les déclarations médiatiques du gouvernement chinois sont également approuvées par celui serbe :  le Président a exprimé que son pays « garderait toujours en souvenir cette aide » ainsi que le souhait d’une « amitié éternelle ». Résultat :  un an plus tard, en mars 2021, la Serbie devient, en proportion de sa population, le pays étant le plus vacciné d’Europe. La réponse : le vaccin chinois inonde le territoire. Un million de doses de Sinopharm ont été livrées en janvier 2021.  Aussi, en mars 2021, la déclaration de M. Vučić accentue la profondeur des relations entretenues avec la RPC : la Serbie sera le premier pays européen où sera produit localement le vaccin chinois Sinopharm. Cette stratégie vaccinale offre également au pays européen des opportunités et des moyens de pression stratégique dans le but d’asseoir son leadership dans la région. Ainsi, la Macédoine du Nord, le Monténégro ainsi que la Bosnie ont pu bénéficier d’une aide serbe provenant des vaccins chinois. Cette relation permet à Xi Jinping de justifier sa stratégie « gagnant-gagnant », stratégie élaborée dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie (Curovic, 2021).

La crise de la Covid-19 a définitivement permis au PCC de renforcer ses alliances déjà existantes et le cas de la Serbie le démontre bien. La Serbie et la Chine sont, depuis la signature en 2009 d’un partenariat stratégique, des alliés fidèles. Les investissements chinois ont atteint près de 8 milliards de dollars en 2019 faisant du pays l’une des destinations principales en Europe Centrale. La Hongrie, voisin de l’État serbe et elle membre de l’UE, est, elle aussi, favorable à cette présence chinoise. En janvier 2021, elle a été le premier pays de l’union à autoriser le vaccin chinois sur son territoire, alors qu’il n’était pas encore approuvé par l’OMS en raison du manque de données fournies. Cinq millions de doses ont été commandées au groupe chinois. (Kauffmann, 2021). La Hongrie de Viktor Orban se lasse de la lenteur de Bruxelles pour répondre aux besoins des pays membres de l’UE. La Chine, elle, agit rapidement. La déclaration du Président hongrois affirmant que le vaccin chinois représente « le vaccin en lequel il a le plus confiance » atteste l’efficacité de la stratégie d’influence chinoise (Chastand, 2021). À en croire ces déclarations des chefs d’État européens nous pourrions facilement oublier l’origine du virus à Wuhan et positionner Pékin comme le sauveur de la pandémie mondiale pourtant partie de son territoire.

1.2. Une stratégie de communication controversée

La stratégie de communication, autour de la diplomatie du masque, reste cependant à nuancer quant à son efficacité. Si les différents évènements décrits précédemment laissent percevoir une réussite de cette diplomatie, certains sinologues y voient, eux, un échec total. Cette sur-communication a, avant de séduire, irrité. Alain Fauchon, éditorialiste au journal français Le Monde, affirme que cette diplomatie du masque a été un véritable échec pour Pékin. En tentant coûte que coûte de faire oublier sa responsabilité sur l’annonce tardive du virus, cela a rendu cette sur-communication contreproductive et n’a guère amélioré son image auprès des pays occidentaux, dans un contexte d’affirmation décomplexée des objectifs chinois (Mottet, 2020). Pire, l’image de la Chine n’aurait jamais été aussi négative depuis les événements de Tiananmen en 1989 (Fauchon, 2020). Le vide laissé par Donald Trump, qui ne maitrisait pas la pandémie sur son territoire, avait donné l’occasion à Xi Jinping d’affirmer la puissance chinoise au sein du système international. Si l’exportation de matériel médical a pu être remerciée par les pays occidentaux, la sur-communication du PCC a très vite tourné à l’agacement. Les États y voient une nouvelle propagande du gouvernement chinois cherchant à imposer sa vision du système international et ses intérêts nationaux (Bondaz, 2020). Entre défiance et suspension, les pays occidentaux se sont plutôt entendus sur cet avis négatif et méfiant vis-à-vis des actions de Pékin.

Dans un premier temps, la qualité défectueuse des masques importés a été soulevée. Cela a engendré une mauvaise publicité au made in China. La Chine cherchait pourtant ces dernières années à éradiquer cette image de produit à faible qualité. De plus, les normes médicales diffèrent entre les masques européens, chinois et américains : une adaptation de la législation européenne a donc dû être menée par Bruxelles afin de recevoir les masques nécessaires aux pays européens (Tronchet, 2020).  Mais, si cette mauvaise qualité est un point à relever quant à cet échec diplomatique, ce sont avant tout les attaques et la propagande orchestrées par Pékin qui ont rendu cette dernière contre-productive (Guillaume Tawil, 2020). Les chiffres annoncés par la RPC laissent de nombreux pays sceptiques face à sa transparence : fin mars 2020, 3305 morts sont annoncés en Chine dont 2500 à Wuhan, épicentre de la pandémie. Chiffre très faible comparé aux pays européens : la France annonçait 3523 morts pour le mois de mars 2020 seulement. Ainsi, la propagande réalisée par le gouvernement chinois, dès 2019 et, l’opacité des origines de la pandémie, ont détérioré plus que redoré son image. Si le gouvernement communiste chinois cherche à minimiser et à cacher la censure et l’oppression effectués dès septembre 2019 lors des premiers cas de Covid-19, les pays occidentaux ne l’ont pas négligé. De nombreux médecins, journalistes, et chefs hospitaliers, à l’image du docteur Li Wenliang aujourd’hui décédé, ont été forcés de se taire afin de cacher les débuts de la pandémie. En plus de sa détermination à redorer son image et à se présenter comme une puissance responsable et fiable, le PCC cherche à faire oublier la censure imposée dans son pays (Bondaz, 2020). Cette volonté est visible dans une tribune publiée le 24 mars 2020 dans le Quotidien du Peuple nous rappelle le chercheur Antoine Bondaz. En effet, elle invite les pays à rejoindre la route de la soie de la santé et indique que « la Chine a, de manière ouverte, transparente et responsable, informé toutes les parties de l’épidémie en temps utile et a travaillé en étroite collaboration avec l’OMS et les pays concernés ». Informations fausses comme nous avons pu le rappeler précédemment à la vue du règlement sanitaire de l’OMS et des journalises, médecins, chercheurs, disparus et, ou, décédés.

Cette diplomatie, made in Xi Jinping, l’a finalement décrédibilisé. Idéologue convaincu, Xi Jinping a surestimé la capacité de son régime à promouvoir ses valeurs et mœurs auprès des puissances occidentales et il semblerait, sous-estimer, le mécontentement de l’Occident face à son manque de transparence et face à leur attachement à leurs valeurs démocratiques (Ekman, 2020). Si les pays asiatiques ont déjà connu plusieurs pandémies sur leur territoire depuis les années 2000, il ne faut pas oublier que la crise de la Covid-19 représente la plus importante que les citoyens européens traversent. Effrayés par ce virus, ils sont en quête de vérité et de compréhension et non pas d’un message mensonger provenant de la Chine, jugée pour la plupart, responsable de la pandémie (Prin, Kahn, 2020). Jean-Pierre Cabestan, professeur de Sciences Politiques à la Hong Kong Baptist University, indique que la diplomatie du masque « s’est retournée contre Pékin car trop agressive et contradictoire tout en niant sa propre responsabilité dans l’origine de la pandémie : le message de Pékin mélangeait trop la générosité avec la propagande alors que les démocraties affrontaient la crise sanitaire » (Prin, et Kahn, 2020). Le manque de ressources médicales n’a pas arrangé la situation, suscitant davantage d’agacement face à la dépendance des pays européens vis-à-vis de Pékin. Cela a donc encouragé la Commission Européenne à contrôler de plus près les investissements chinois sur son territoire et à affirmer son désir de retrouver une certaine souveraineté quant à la production pharmaceutique européenne (Aeberhardt et Hecketsweiler, 2020).

Les attaques du gouvernement chinois sur la gestion européenne de la crise de la Covid-19 ont représenté les critiques de trop faisant définitivement un « flop » de la diplomatie du masque. Elle est devenue une diplomatie trop agressive nuisant toute efficacité. Lu Shaye, ambassadeur chinois en France, déclarait dans un communiqué sur le site de l’ambassade chinoise que les autorités françaises « laissaient mourir dans les Ephad leurs pensionnaires de faim et de maladie. »  Cerise sur le gâteau lorsque le communiqué accuse également les dirigeants occidentaux de ne pas avoir pris le virus au sérieux en parlant de « grippette ». Convoqué par le Quai d’Orsay, Jean Yves Le Drian, Ministre des Affaires Etrangères français, a fait part à Pékin de sa désapprobation quant aux propos tenus par leur ambassadeur. Cette convocation représente une première entre la France et la Chine (Charbonnier , 2020). Cette diplomatie agressive est nommée diplomatie des « loups combattants » en référence au film d’action chinois Wolf Warrior paru en 2020 (Prin, Kahn, 2020). En plus de faire preuve d’agressivité, la RPC a fait preuve d’assurance en inscrivant être « le seul pays capable à avoir vaincu la pandémie » agaçant encore plus les occidentaux. Valérie Niquet, sinologue, développe que cette stratégie agressive n’est pas récente mais s’est accentuée avec la crise de la Covid-19, car la Chine juge qu’elle est aujourd’hui arrivée à une place centrale dans le système international lui permettant d’affirmer sa puissance et sa capacité de réponse (La Matinale RTS, 2020). Le chef de la diplomatie européenne, Joseph Borrel, appelle ainsi à plus de fermeté et à une « stratégie plus robuste » face à la Chine (Le Point International, 2020). Car derrière ses attaques, elle n’hésite pas à critiquer plus largement les régimes démocratiques, mettant en avant son régime socialiste « aux caractéristiques chinoises ». L’ambassade de Chine en France écrivait sur son compte twitter en mars 2020 : « Certaines personnes, dans le fond, sont très admiratives des succès de la gouvernance chinoise. Ils envient l’efficacité de notre système politique et haïssent l’incapacité de leur propre pays à faire aussi bien ! ». En plus d’assurer ses intérêts économiques et géopolitiques, la Chine promeut son système au détriment des démocraties occidentales.

Les États-Unis se sont également montrés virulents face à cette diplomatie du masque. Excédé par l’activisme chinois à se présenter comme le sauveur de la crise sanitaire, l’ex-président, Donald Trump, n’hésitait pas à rappeler l’origine du « virus chinois » comme il l’a nommé. La déclaration de Zhao Lijian, porte-parole du ministère des Affaires Etrangères en Chine, a provoqué une nouvelle polémique en suggérant que le virus de la Covid-19 avait pu être porté par des militaires américains sur le territoire chinois. Avant d’être efficace, cette stratégie de contre-attaque, fait tourner au ridicule la diplomatie chinoise dans les pays occidentaux (Le Point International, 2020).

En dépit de ses efforts diplomatiques,, l’image de la deuxième puissance mondiale reste plus mitigée que jamais. Si elle n’a pas réussi à convaincre les occidentaux cette stratégie lui a tout de même permis de confirmer ses alliances et in fine de promouvoir son modèle de gouvernance auprès des pays en développement. S’il semble trop tôt pour affirmer que la RPC soit la grande gagnante de cette pandémie, il est possible d’affirmer qu’elle témoigne d’un pays de moins en moins isolé et de plus en plus sûre de lui (Ekman 2020). À l’image de la Serbie, de l’Italie ou du Cambodge et de la Thaïlande, Pékin a mis sur le devant de la scène, la puissance de ses alliances bilatérales. Encore mieux, malgré la fermeture de ses frontières avec son voisin asiatique, dès l’annonce de la pandémie, Moscou arrive à maintenir son entente avec Pékin. Cela prouve l’intérêt stratégique de la Russie au sein des Nouvelles Routes de la soie. Il confirme, de ce fait, la capacité du gouvernement chinois à choisir ses alliés en fonction de ses intérêts.  Bien que Téhéran ait aussi été très critique lors du début de la crise sanitaire, accusant la Chine d’être responsable du virus, les deux pays ont signé, fin mars 2021, un accord dit de coopération globale, sur une durée de vingt-cinq ans. Pékin est l’un des premiers partenaires commerciaux de Téhéran et l’un de ses principaux acheteurs de pétrole. Il consent ainsi à ne pas tenir compte au régime iranien de ses premières critiques. À l’inverse, le PCC n’hésite pas à répondre aux critiques occidentales : « Puisque la République de Corée, le Japon et Singapour, qui sont des démocraties asiatiques, parviennent à contrôler l’épidémie, pourquoi les vieilles démocraties comme l’Europe et les États-Unis, n’y parviennent-elles pas ? »[5] La sinologue, Alice Ekman, affirme que cette diplomatie n’a rien de nouveau dans la stratégie chinoise : depuis plus de dix ans le PCC se montre pro-actif sur la scène internationale et les dons de masques à ses alliés prouvent sa détermination à entretenir ses relations stratégiques et à promouvoir, grâce à cette diplomatie, son modèle de gouvernance au détriment de celui prôné par l’Occident.

Pour finir, en énonçant le concept « d’amitié solide comme le fer » Xi Jinping a surtout mis en avant la division de la communauté internationale, et notamment de l’Union Européenne, quant à l’attitude à adopter face à ce géant mondial (Ekman, Verluise, 2020). La deuxième puissance économique mondiale a tout de même pris conscience de l’échec partiel de cette diplomatie du masque et compte ainsi en tirer des leçons pour la prochaine étape : les vaccins. Si la communication entreprise semble redevenir raisonnable vis-à-vis de la distribution des vaccins, c’est que la stratégie choisie par le Parti est différente. Qu’a donc Pékin à cacher derrière ses livraisons ? Les masques et les respirateurs envoyés ont fait preuve de moins de discrétion que les vaccins, pourtant essentiels pour stopper la pandémie.  Plus besoin d’un nouvel atout pour son soft power :  le gouvernement de Xi Jinping entend cette fois-ci utiliser les vaccins comme un véritable levier politique, une force commerciale et, dans une autre mesure, une arme géopolitique.

2.    Les vaccins : une nouvelle arme géopolitique et commerciale chinoise

2.1  Les pays des Nouvelles Routes de la soie au cœur de cette diplomatie

Au même titre que les masques, les vaccins chinois apparaissent, en ce début d’année 2021, comme un nouveau levier de pression géopolitique : la diplomatie du vaccin est elle aussi lancée par le gouvernement chinois et le protectionnisme vaccinal des pays occidentaux n’arrange rien. Si les masques représentaient un véritable outil de soft power pour Pékin, les vaccins sont bels et biens un moyen d’étendre son influence politique et de renforcer ses intérêts économiques et politiques. Dès le début du mois de janvier 2021, la Chine annonçait être en mesure de distribuer et de produire 400 millions de doses de ses trois vaccins dans le monde entier. Si l’agence de presse officielle chinoise affirme que « la Chine ne transformera pas les vaccins du Covid-19 en une sorte d’arme géopolitique et un outil diplomatique », l’idée semble, tout de même, leur avoir traversée l’esprit (Kadiri, Pedroletti, Mesmer, Meyerfeld, Landrin, Barthe, Lemaître, 2020). La confiance affichée par Xi Jinping prouve que le temps n’est plus au « soft » mais au « hard » : place à l’action et aux accords. Ainsi, un glissement d’un atout de soft power à un véritable levier politique et une arme géopolitique est largement observable. En fervent défenseur du multilatéralisme, Xi Jinping promet un vaccin qui deviendra un « bien public mondial ».  Cependant, les pays où les livraisons sont promises apparaissent être scrupuleusement choisis par le Parti (Kauffmann, 2021).

Les pays d’Asie du Sud-Est, zone géostratégique tant dans le cadre du projet des Nouvelles Routes de la soie que dans sa volonté de leadership régional, sont, selon le Premier ministre chinois Li Keqiang, parmi les pays prioritaires : « les vaccins seront fournis en priorité aux pays du Mékong », annonce-t-il le 24 août 2020. Région stratégique des Nouvelles Routes de la soie afin de garantir son accès maritime à l’Océan indien, le PCC n’hésite pas à les favoriser dans cette stratégie vaccinale pour mieux asseoir ses intérêts. Le Cambodge, le Laos, la Thaïlande, la Birmanie ou encore le Pakistan, en marge des pays occidentaux, se réjouissent des accords bilatéraux passés avec Pékin.  Le Cambodge a ainsi salué la présence chinoise sur son territoire (Lincot, Véron, 2021). Le 12 octobre 2020, pendant que l’Europe connaissait sa deuxième vague de pandémie, les deux pays ont signé un accord de libre-échange renforçant le poids de la RPC dans la région. Le Partenariat Régional Économique Global (RECP) renforce le poids de Pékin dans la région asiatique (Mesmer, 2020).  Les sanctions commerciales imposées par l’Union Européenne au Cambodge en raison de la dégradation des droits de l’Homme dans le pays, encouragent Phnom Penh à se tourner vers Pékin. Les négociations de cet accord, débutées en 2012, n’ont pas été remise en cause par l’origine de la pandémie : à l’inverse, l’aide médicale envoyée par la Chine, en mars 2020, pour soutenir les pays à lutter contre la pandémie, renforce l’idée d’un besoin de coopération dans la région asiatique (Le Figaro, 2020). Sa stratégie de soft power semble ainsi fonctionner auprès de ses alliés historiques. Récemment, le Premier ministre cambodgien, Hun Sen, s’est félicité de cette relation privilégiée : « la Chine amie va nous aider avec un million de doses ». Sa diplomatie sanitaire est sans limite : les dons de son vaccin Sinovac à Phnom Penh le justifie. La situation est identique au Laos. Pour le régime chinois, le Laos représente un point central du projet de la BRI lui permettant notamment une voie terrestre pour contourner la mer méridionale et principalement le détroit de Malacca où les enjeux sécuritaires se multiplient (Lincot, Véron, 2020). Le Laos y voit, lui, un moyen de tenir le Vietnam, ennemi historique de la Guerre Froide, à l’écart de son territoire. Ainsi, Pékin entend se servir de ses vaccins comme une véritable arme commerciale et géopolitique lui permettant d’asseoir ses intérêts dans la région en renforçant ses alliances.

Le gouvernement chinois compte bien conquérir tous les pays de la zone asiatique : la Birmanie lui est essentielle afin de bâtir son corridor économique reliant le Yunnan, province au Sud de son territoire, à l’océan Indien. Pékin étant le premier partenaire commercial de Naypyidaw, il est difficilement envisageable pour le pays d’Asie du Sud d’omettre une critique négative face à l’activisme chinois sur son territoire. Xi Jinping a d’ailleurs rappelé, en mai 2020 en pleine période de pandémie, l’importance de ce corridor à l’ex-président birman, Win Myint, avant le coup d’État de la junte militaire le premier février 2021 (Bara, 2020). Il en est de même pour la Thaïlande. Xi Jinping s’est assuré en juillet 2020 auprès du Premier ministre thaïlandais, Prauthoy Chan-o-Cha, de la poursuite du projet de chemin de fer Chine-Thaïlande (Lincot, Véron 2021). Crise sanitaire mondiale ou non, le PCC entend bien poursuivre son projet planétaire. De plus, ces pays n’ont d’autres choix que de se tourner vers les vaccins chinois bien moins onéreux que ceux développés par les occidentaux. Car en effet, si les vaccins ont un intérêt stratégique pour le régime communiste chinois, ils lui sont également une arme commerciale sans précédent malgré l’annonce de « biens publics mondiaux » énoncée par Xi Jinping. L’exemple du Bangladesh en témoigne.  Faute d’entente avec le fabricant chinois Sinovac, le laboratoire s’est retiré du pays laissant le champ libre aux fabricants bangladais et indien, Beximco Pharma et Serum Institue of India. Yun Sun, chercheuse au sein d’un think tank nord-américain Stimson Center, affirme que les laboratoires chinois reçoivent des subventions de la part du Parti leur permettant d’être plus compétitifs sur le marché économique mondial (Le Monde, 2020).

Subséquemment, Xi Jinping affirme : « la présence des États-Unis en Asie est un choix alors que la présence chinoise est une réalité géopolitique » (Bellanger, 2021).  Le vaccin devient, de surcroit, la nouvelle preuve d’amour que les autorités chinoises envoient à leurs alliés asiatiques. Les vaccins deviennent une véritable arme géopolitique :  un tiers des vaccins sont destinés à l’Indonésie, premier pays musulman au monde. De la sorte, le PCC se justifie d’une tolérance vis-à-vis de la religion musulmane à travers la pandémie et les aides octroyées. Dans un contexte où le Xinjiang, à majorité musulmane, est au centre des tensions internationales, Pékin utilise le vaccin pour contredire les accusations occidentales quant au génocide religieux opéré dans l’ouest de son territoire (Malovic, 2021). En outre, l’Indonésie est un allié historique des États-Unis. Le choix de l’Indonésie est donc à triple intérêt : affaiblir la présence des États-Unis dans la région en passant des accords bilatéraux avec ses alliés historiques, se munir d’un levier de pression pour influencer, dans le futur, des partenariats au sein de la BRI et contredire les critiques occidentales. Les arrangements bilatéraux orchestrés par Pékin contestent les discours de Xi Jinping appelant à une gestion multilatérale de la crise sanitaire.

Si géographiquement l’Asie du Sud représente la cour gardée de la Chine où elle entend bien accroître son influence, sa stratégie est la même dans le monde arabe et, d’une manière plus générale, dans les pays en développement.  Profitant du contexte électoral tendu aux États-Unis, d’une politique orientée vers la pandémie en Europe et au Japon, ainsi qu’un intérêt dans les pays développés de la part des laboratoires Pfizer et Astra Zeneca, Pékin se tourne lui, encore une fois, vers les pays en développement. Les pays du Sud sont les pays stratégiques de la BRI en se situant sur les passages des nouvelles routes maritimes et terrestres et Xi Jinping multiplie les efforts diplomatiques pour les attendrir. Ainsi, au Proche et Moyen-Orient, la RPC vise les pays qui ont besoin de diversifier leurs alliances, notamment pour contourner Washington, et ceux dans l’incapacité de se priver des services de la deuxième puissance économique mondiale. L’Égypte, le Maroc et les Émirat Arabes-Unis sont dans la ligne de mire du gouvernement chinois. Plus d’un milliard de doses sont annoncées être produites et distribuées dans les six premiers mois de 2021. Si ces échéances laissent sceptiques certains pays, Pékin a une solution : la production locale, deuxième avantage non négligeable pour la RPC face aux pays occidentaux. La capitale chinoise propose à certains pays de produire localement le vaccin chinois grâce à des transferts de technologies et des chaînes de production locale. Début 2021 cela est le cas aux Philippines et le projet est en cours au Maroc, en Algérie et au Kenya. Cette efficacité porte ses fruits. Les Émirats sont parmi les pays ayant vacciné la plus grande partie de leur population : 52,46% de la population a été vaccinée dès mars 2021 et 100% est annoncée pour cet été. En mai 2021, la France a seulement atteint le seuil de 37,56% de personne vaccinée et le taux de 50% souhaite être atteint d’ici l’été 2021. Abou Dhabi a signé un accord stratégique avec Pékin : en réalisant les essais de la phase 3 de son vaccin sur son territoire, il lui offre en échange des millions de doses vaccinales. Les Émirats représentent un avantage géopolitique pour le pays : sur les dix millions d’habitants, neuf millions sont des migrants. Cela permet au régime chinois de garantir l’universalité et l’efficacité dans le monde entier de son vaccin. (Colly, Rouy, Fontaine, 2021).

2.2  Le vaccin : une nouvelle forme de dette envers Pékin ?

Aujourd’hui, c’est la présence chinoise sur le continent africain qui suscite de plus en plus d’inquiétudes de la part des pays occidentaux, notamment de l’UE. Prêts pour développer les infrastructures contre opportunités de marché pour les entreprises chinoises : la chanson est la même mais suscite de nombreuses problématiques quant à la souveraineté des pays qui deviennent de plus en plus endettés face à Pékin. Nous pouvons nous interroger : les vaccins peuvent-ils représenter la nouvelle dette chinoise ?  L’exemple du Sri Lanka, qui a dû céder la gestion de son port de Hambantota pour une durée de 99 ans, a marqué les esprits et a révélé le piège de la dette liée aux Nouvelles Routes de la soie (Guillard, 2021). La crise de la Covid-19 a impacté l’économie internationale, mais principalement les pays en développement, souvent dépendants de leurs exportations de matières premières. Le Pakistan, allié historique de la Chine depuis sa création, entretient des liens étroits avec Pékin. Il est un pays central dans le projet de Xi Jinping lui permettant d’accéder plus facilement au golfe arabo-persique grâce au port de Gwadar. Cependant, ce dernier a été contraint d’envoyer mi-avril une demande au gouvernement chinois pour une révision des remboursements qui devaient avoir lieu en mai. Si Xi Jinping a assuré faire un effort pour « son ami pakistanais », cela a soulevé l’inquiétude de l’Organisation des Nations Unies quant à l’ampleur des dettes vis-à-vis du régime chinois dans les pays en développement. Car géographiquement le PCC n’a aucune limite : l’Afrique n’a pas échappé aux généreux dons chinois de masques et aujourd’hui, en 2021, de vaccins (Soudan, 2021). Le Sénégal, la Guinée Équatoriale et l’Égypte ont été les premiers à recevoir gratuitement, 200 000 doses de vaccins chinois. Geste salué par le Président sénégalais Macky Sall auprès de l’ambassadeur chinois à Dakar « Monsieur l’ambassadeur, soyez mon interprète auprès de mon ami Xi Jinping pour lui transmettre mes sincères remerciements » (Artz, 2021). À l’inverse des routes historiques de la soie, l’Afrique est intégrée au projet pharamineux de Xi Jinping. En mars 2020, plus de 12 000 ensembles de dépistage arrivaient à Addis-Abeba en Éthiopie à destination de l’Africa CDC, branche gérant la thématique sanitaire au sein de l’Union Africaine (Procopio, 2020). Des réunions virtuelles, entre le gouvernement chinois et les gouvernements africains, avaient également été organisées fin mars 2020 dans le but de « partager l’expérience » du virus. La présence médicale chinoise en Afrique n’est cependant pas nouvelle : lors de la crise sanitaire d’Ebola, plus de 1200 professionnels de santé chinois avaient été déployés sur le continent. Le chercheur Antoine Bondaz qualifie cet activisme de « diplomatie sanitaire » visant à créer une véritable route de la soie sanitaire en Afrique (Bondaz, 2020).

Le continent africain présente un triple intérêt : entre ses matières premières abondantes, ses infrastructures à construire, et sa démographie croissante représentant un marché de taille pour les produits manufacturés chinois, le PCC y soigne son image. Les vaccins peuvent représenter un véritable atout pour Pékin car, si l’Union Européenne peut se permettre dans certains cas de décliner le vaccin chinois, cela n’est pas le cas pour l’Afrique. Sa faiblesse institutionnelle et son manque de moyens contraignent certains États africains à accepter les accords chinois pour les tests cliniques et pour le vaccin envers leur population. 37 pays africains, sur les 54 du continent, faisaient, en 2019, partie de la BRI. Cette participation leur est favorable en temps de la Covid-19 si nous tenons seulement compte de la capacité de la Chine à fournir du matériel médical et des vaccins. Xi Jinping a rappelé en mai 2020, lors d’une réunion à l’OMS, que son pays ne laisserait pas tomber ses « amis » : moyen efficace de rappeler aux pays africains qu’ils peuvent bénéficier d’une aide chinoise durant la crise sanitaire en échange d’accords dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie (Paris, 2020). Les pays africains n’ont, aujourd’hui, aucune raison de refuser l’initiative si ce n’est un désaccord direct avec Pékin ce qui paraît difficilement plausible à la vue des efforts diplomatiques déployés par le régime chinois pour conquérir et amadouer tout le continent. Si l’Europe et les États-Unis se lassent de cette présence chinoise en Afrique, les pays y voient, eux, un partenaire davantage fiable, développant leurs infrastructures, de ce fait leur économie, et important des produits manufacturés nécessaires à leur marché interne. Si cela se fait principalement contre une mainmise chinoise sur leurs matières premières, les pays africains n’ont, mis à part le risque de la dette, aucun intérêt à tourner le dos au gouvernement chinois. Cependant, cette dette inquiète. Encore plus en période de pandémie où l’économie mondiale et les exportations de matières premières se voient impactées par une hausse des prix et une inflation importante. À ce titre, bon nombre de pays ont demandé, comme le Pakistan, une annulation ou une révision de leur dette afin de lutter contre la pandémie de la Covid-19. Si les discours de Pékin laissaient sous-entendre une entraide, nous pouvons nous interroger : les vaccins ne représentent-ils pas un nouveau moyen de chantage pour la RPC ? Le PCC n’ayant d’autres choix que de soigner son image et de faire preuve de compréhension face à la dette de ses alliés s’est vu contraint de repousser ses dates limites de remboursement.  Néanmoins, il ne peut se permettre de l’annuler au risque de mettre en péril sa propre économie. La Chine va devoir faire face à des problèmes économiques sur son propre territoire l’obligeant ainsi à faire preuve de flexibilité auprès de ses « amis ». En outre, cette présence chinoise est plutôt bien vue sur le continent : un habitant d’Alger déclarait au journal français Le Monde « Quand tu as besoin d’aide en tant que pays du tiers monde, ce sont toujours les mêmes qui sont là : les Chinois, les Russes et les Cubains ». Subséquemment, la fameuse dette chinoise semble représenter le seul point pouvant porter préjudice aux relations sino-africaines. La tournée réalisée, en janvier 2021, en Afrique par le Ministère des Affaires Étrangères, Wang Yi, témoigne de l’importance accordée au continent par le gouvernement chinois (Tilouine, 2021).

Également, le chargé d’affaire chinois Wang Jian affirme que le pays est en train d’accorder une aide vaccinale « sans contrepartie à 69 pays en développement », le « vaccin du peuple » va permettre d’accroitre, grâce aux accords bilatéraux, la production mondiale de vaccin et la lutte mondiale contre la pandémie (Lemaître, 2020). La Chine joue cette partie à long terme. Si aucun accord direct, impliquant des vaccins contre des futurs projets, n’a été passé, il semble tout de même probable que le PCC s’en fasse un levier de pression stratégique. Début novembre 2020, Pékin promettait à la Malaisie un accès privilégié à ses vaccins en échange de la libération des 60 pêcheurs chinois arrêtés pour avoir violés les eaux territoriales malaisiennes. Parallèlement, le vrai bénéficie est sur le long terme : les pays favorisés par le régime sont généralement les pays sur les routes commerciales maritimes empruntées par les navires chinois où transitent 80% de leur commerce. (Philip, 2020). Loin d’une promesse de « biens publics » Pékin se sert du vaccin comme une véritable arme géopolitique. La question n’est plus de l’ordre du soft power mais de l’avenir de la deuxième puissance mondiale et de sa capacité à imposer ses intérêts. Fin janvier 2021, la Chine fournissait déjà le Brésil, l’Indonésie et les Émirat Arabes-Unis. Le Maroc, la Turquie, le Botswana ou encore la République Démocratique du Congo attendaient, eux, leurs doses (Artz, 2021). Cet activisme chinois fait peur au point de voir l’OMS apparaître en deuxième ligne de front quand il s’agit de garantir un accès à tous au vaccin de la Covid-19.

Conclusion : une domination chinoise d’une gouvernance sanitaire mondiale ?

Si cette diplomatie sanitaire trouble les pays occidentaux c’est que Pékin, en plus du vaccin, véhicule une autre idée auprès des pays en développement : celui d’un pays autoritaire qui, à l’inverse des pays occidentaux, a réussi à vaincre l’épidémie. Bon nombre de chercheurs se questionnent : la crise de la Covid-19 est-elle révélatrice d’un changement du système international où la Chine aurait une place centrale, voire un rôle hégémonique ? Car derrière cette diplomatie du masque et des vaccins il y a la promotion d’un système « socialiste aux caractéristiques chinoises ». S’opposant fermement à la vision occidentale, la Chine séduit les acteurs des pays en développement. Le modèle chinois trouve du sens en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud et jusqu’à, récemment, en Europe de l’Est et Amérique Latine. Ainsi, Pékin serait-il devenu, en dépit de l’origine du virus, le nouveau maître d’une « gouvernance mondiale de la santé » ? Avant toute chose, pouvons-nous affirmer que le gouvernement chinois souhaite se positionner comme tel ? Si certains peuvent douter de sa volonté hégémonique, sa détermination de s’affirmer comme puissance n’est, elle, pas à prouver. La RPC n’entend plus rester silencieuse face aux occidentaux et encore moins au sein d’y système international qu’elle juge obsolète (Duclos, 2020). Le PCC a ainsi joué sur deux tableaux pendant cette crise. D’un côté, une diplomatie pro-active pour des accords bilatéraux et de l’autre côté une stratégie diplomatique vantant une gestion multilatérale de la crise sanitaire au sein des instances mondiales. L’activisme chinois au sein de l’OMS a été réalisé dans le but de faire oublier l’origine du virus et chercher à réécrire l’histoire à sa manière comme nous avons pu le démontrer.  Car si ces deux stratégies peuvent être paradoxales, c’est grâce à cette combinaison qu’elle possède aujourd’hui cette puissance (Ekman, 2020).

De plus, si l’OMS semble apparaître comme un acteur de second rang face à la gestion sanitaire de la pandémie, c’est principalement dû à la dépendance de ce dernier vis-à-vis des États, notamment de la Chine. Cette dépendance est expliquée en grande partie par des questions de financement : elle contribue de plus en plus au budget de l’institution. Sa participation s’élève  à 12% (contre 20% pour les États-Unis), chiffre constamment croissant ces dernières années (évalué en fonction de la fortune du pays et de la population). Également, la Chine a annoncé, en avril 2020, vouloir verser une somme supplémentaire de 30 millions de dollars pour pouvoir aider les pays en développement à lutter contre le virus. Le souhait de Donald Trump de stopper la contribution des États-Unis à l’OMS, jugeant l’organisation pro-Pékin, renforce la position de leader de Xi Jinping. Le droit international est ainsi totalement impuissant face à cette super-puissance qui paraît dicter les règles du jeu et dominer le système international (Gaïdz et  Semo, 2020).

S’ajoute à cela les inégalités croissantes entre les pays membres des organisations onusiennes. Les pays occidentaux ont acheté 90% des doses des deux vaccins américains laissant peu de place aux pays du Sud. Les « vieilles » inégalités Nord-Sud resurgissent suscitant la rancœur des pays en développement. Le Président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, a vivement critiqué en janvier 2021, la gestion de la crise par les puissances occidentales.  « Les pays riches ont acheté de grandes doses de vaccins. Le but était d’accumuler ces vaccins et cela se fait au détriment des autres pays du monde qui en ont le plus besoin » a-t-il déclaré. Xi Jinping sait entendre cette colère et en jouer à son avantage. Elle semble aujourd’hui se positionner comme l’acteur en capacité de résoudre cette crise en offrant, à tous et à un prix raisonnable, un accès aux vaccins chinois. Antoine Bondaz l’affirme bien : elle construit une véritable route de la soie sanitaire à travers cette stratégie. (Bondaz, 2020).

Ainsi, si pour certains la crise de la Covid-19 concourt au déclin du multilatéralisme, elle a avant tout mis en avant la puissance chinoise dans l’ordre international (Lemaître, 2020). Cette crise lui a permis, si ce n’est de bâtir de nouvelles alliances, de consolider celles déjà existantes à l’instar de la Russie, de la Serbie ou encore du Sénégal, du Pakistan et du Cambodge. Si l’Union Européenne et les États-Unis ne veulent pas laisser le PCC bâtir sa propre vision du système international il va falloir adopter une stratégie cohérente entre commerce, économie, diplomatie et droits de l’Homme. Aujourd’hui la Chine n’entend pas se laisser critiquer pour sa gestion de la pandémie ni accepter des critiques sur ses « affaires internes » comme les Ouighours (Ekman, 2020). La diplomatie des « loups combattants » est assurément renforcée depuis cette pandémie et le projet des Nouvelles Routes de la soie peut prétendre répondre à une gouvernance mondiale sanitaire en investissant dans les infrastructures hospitalières et en assurant un accès à tous aux vaccins et soins médicaux.  Néanmoins, ce modèle est, en 2021, mis au défi d’une par Taiwan et de deux par l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis. La très bonne gestion de l’épidémie sur son territoire place Taiwan dans une position de force dans cette crise sanitaire lui permettant de proposer un contre-modèle de celui prôné par Pékin. Son exclusion des instances internationales ne lui permet pas de s’assurer un soutien des puissances occidentales mais cela a permis de requestionner les États occidentaux face à cette prise de position, favorable au régime chinois (AFP, 2021).

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[1] Voir le Règlement Sanitaire International (RSI), Organisation Mondiale de la Santé. https://www.who.int/features/qa/39/fr/

[2]Projet lancé en 2013 par l’actuel président Xi Jinping visant à créer un vaste réseau d’infrastructures terrestres et maritimes reliant les différents territoires entre eux à partir des grandes villes chinoises afin de faciliter les échanges multisectoriels

[3] La Serbie est depuis 2012 candidat officiel à l’adhésion de l’Union Européenne mais n’en fait officiellement pas parti.

[4] Les autorités portugaises viennent d’annoncer en avril 2021 le rapport du choix concernant l’acheteur du port. Les chinois sont jugés favoris de ce nouvel achat.  Marie Charrel et Nathalie Guibert, (2021), le port de Sines au Portugal, porte d’entrée stratégique de l’Europe, pris dans le conflit entre Chine et États-Unis. Le Monde International, 9 avril.

[5] Voir le compte twitter de l’Ambassade de Chine en France et ses déclarations réalisées en mars 2020 pendant la période de la Covid-19.

Le Blue Dot Network, un outil de soft power adapté aux ambitions japonaises dans le monde de l’après-covid ?

RG v7 n2, 2021

Antoine Congost

Antoine Congost est diplômé de Science politique, Université de Montréal, Québec, Canada.

Résumé

La stratégie d’influence internationale du Japon, puissance non militaire, repose depuis longtemps sur le soft power. La sécurité humaine, l’autonomisation de ses partenaires et la promotion du multilatéralisme et du droit international sont au cœur de son approche. Le Blue Dot Network (BDN), annoncé en 2019 aux côtés de l’Australie et des États-Unis, s’inscrit dans cette posture. Le BDN vise à promouvoir les infrastructures de qualité en termes de durabilité, de viabilité, de transparence et d’impact social et environnemental. Parce qu’il se pose en alternative à la Belt and Road Initiative (BRI) de la Chine, le BDN apparaît comme une ambitieuse politique japonaise de diplomatie économique. Récente, elle doit toutefois se préciser et se concrétiser. Cette courte analyse tente de montrer que le BDN apparaît comme un prolongement logique de l’approche japonaise d’influence économique et que la crise sanitaire offre une opportunité au Japon d’approfondir son action et d’élargir les champs de coopération dans le cadre de cette politique. Le pays peut profiter de la relative fragilisation de l’influence chinoise pour renforcer son image de partenaire fiable, et en l’amarrant à des objectifs économiques et sécuritaires, le BDN constituerait un des leviers permettant au Japon de jouer un rôle central dans l’ordre international post-pandémie.

Mots-clés : Japon; Soft Power; Infrastructures; Belt and Road Initiative; Blue Dot Network

Abstract

As a non-military power, Japan’s international influence strategy has long been based on soft power. Ensuring human security, empowering its partners, as well as promoting multilateralism and international law are at the core of its approach. The Blue Dot Network (BDN), first announced in 2019 alongside Australia and the United States, is part of this stance. The BDN aims to promote quality infrastructure in terms of sustainability, viability, transparency as well as social and environmental impact. As an alternative to China’s Belt and Road Initiative (BRI), the BDN is an ambitious Japanese economic diplomacy policy. However, as a recent policy, it still needs to be clarified and concretized. This short analysis attempts to show that the BDN comes as the logical extension of Japan’s approach to economic influence and that the ongoing Covid-19 crisis offers an opportunity for Japan to deepen its action and broaden the fields of cooperation under this policy. Japan can take advantage of the relative weakening of Chinese influence to strengthen its image as a reliable partner, and by linking it to economic and security objectives, the BDN could constitute one of the levers enabling Japan to play a central role in the post-pandemic international order.

Keywords: Japan; Soft Power; Infrastructures; Belt and Road Initiative; Blue Dot Network

Introduction

« Le soft power est indispensable pour créer un monde plus durable à travers la coopération, la collaboration et la compréhension mutuelle » (Fisk, 2020). Ces mots de l’ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), Ban Ki-moon, résument bien la position japonaise en matière d’influence internationale. La projection internationale du Japon, puissance non militaire, repose en effet depuis longtemps sur le soft power. La sécurité humaine, l’autonomisation de ses partenaires et la promotion du multilatéralisme et du droit international sont au cœur de cette approche.

Le soft power, ou puissance douce, est défini par Joseph Nye comme la capacité d’un État à influencer les préférences et les comportements d’autres acteurs grâce à des moyens non coercitifs, comme le commerce, la culture, l’éducation et la science, ou encore la diplomatie. C’est sa capacité à se rendre attractif et à convaincre les autres qu’ils partagent des objectifs et des intérêts communs (Berger, 2010). Le soft power diffère du hard power en cela qu’il n’use pas de moyens coercitifs, comme la puissance militaire, pour influencer les actes des autres acteurs.

Le Japon, derrière les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et devant la Chine, est considéré comme la quatrième plus grande puissance mondiale en termes de soft power (Global Soft Power Index, 2020). Si le rayonnement culturel du pays est bien connu, son influence passe par d’autres vecteurs importants tels que les valeurs libérales et la promotion de l’État de droit ou, ce qui nous intéresse ici, l’économie. D’après Nye, le pouvoir économique peut d’une part influencer la volonté des autres pays à coopérer avec un État dans le but d’augmenter sa propre prospérité matérielle. Il peut d’autre part, grâce au succès économique, créer ou renforcer l’image d’un pays en tant que modèle à émuler (Berger, 2010). On comprend pourquoi le Japon, à travers un fort consensus au sein de sa bureaucratie comme au sein de son secteur privé (Nicolas, 2014), a fait de la promotion des infrastructures un de ses fers de lance en matière de soft power, particulièrement en Asie du Sud-Est. Elle sert sa stratégie de croissance et sa diplomatie économique, favorise sa vitalité industrielle et s’aligne avec les nouvelles priorités en matière de développement durable (Nicolas, 2014). Elle lui permet de sécuriser les approvisionnements en ressources naturelles, surtout énergétiques, mais aussi d’établir des relations diplomatiques cordiales et des partenariats stratégiques avec des pays partageant ses objectifs et ses valeurs (Basu, 2018).

Le soft power économique japonais par les infrastructures s’inscrit dans un contexte à la fois favorable et porteur de défis. Favorable, parce que les besoins de la région indo-pacifique en matière d’infrastructures sont plus importants que jamais. Pour maintenir leurs perspectives de croissance, éradiquer la pauvreté et répondre aux enjeux climatiques, les pays asiatiques en développement éprouveraient des besoins d’investissements en infrastructures équivalents à 1700 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 (Asian Development Bank, 2017). Il existe donc un « infrastructure gap » en Asie (Harris, 2019), que les deux grandes puissances régionales que sont le Japon et la Chine entendent combler en jouant un rôle central dans la construction des infrastructures dont la région a besoin pour croître. Le Japon est depuis longtemps à l’avant-garde dans ce domaine : fin 2016, les stocks d’investissements directs à l’étranger (IDE) japonais dans les grandes économies asiatiques représentaient en effet 260 milliards dollars, contre 58 milliards pour la Chine (Harris, 2019).

Porteur de défis ensuite, parce que les initiatives de soft power économique japonais représentent une réponse vitale à l’influence croissante exercée par la Chine dans la région, qui repose elle aussi grandement sur le financement et l’exportation d’infrastructures. La Belt and Road Initiative (BRI) entend développer les réseaux d’infrastructures dans les transports, mais aussi les réseaux numériques connectant la Chine à l’Asie du Sud-Est et même jusqu’à l’Afrique (Simpfendorfer, 2012 ; Lanteigne, 2015). Les investissements réalisés dans le cadre de la BRI en Asie du Sud-Est sont passés de 16,8 milliards de dollars en 2014 à plus de 29 milliards en 2019 (Yu, 2021). En participant de façon aussi active au développement de la région, donc à la croissance économique et à l’amélioration globale de la qualité de vie des populations, le financement de ces infrastructures permet à la Chine d’améliorer son image. Il s’agit d’un instrument majeur de la stratégie du Président Xi Jinping pour faire de la Chine un leader mondial en termes de puissance et d’influence d’ici à la moitié du siècle (Basu, 2018). La part croissante des investissements pilotés par la Chine dans le cadre du BRI concurrence frontalement la forte influence économique du Japon dans la région. La BRI pourrait, avec le temps, amplifier la dépendance économique des pays de la région vis-à-vis de la Chine et remodeler le système actuel d’alliances, pour l’instant globalement favorables aux grandes puissances occidentales et au Japon.

Face à la quantité, c’est-à-dire notamment les colossaux moyens financiers déployés par la Chine et avec lesquels il est difficile de rivaliser, le Japon et ses alliés répondent par la qualité. Le Blue Dot Network (BDN), annoncé en 2019 aux côtés de l’Australie et des États-Unis, s’inscrit dans cette posture. Le BDN, par des mécanismes de certification de projets, vise à promouvoir les infrastructures de qualité en termes de durabilité, de viabilité, de transparence et d’impact social et environnemental (Hartman, 2020). Pour l’heure, on constate un intérêt limité pour le BDN, d’une part par son statut encore embryonnaire, d’autre part par son ampleur a priori modeste surtout face aux moyens déployés par la Chine. Mais il est intéressant de comprendre en quoi il s’inscrit dans la stratégie japonaise de soft power, une forme novatrice de contrebalancement à la BRI, et représente un outil qui trouve d’autant plus son sens dans le contexte de la crise de la Covid-19.

  1. Un contexte favorable

1.1. La BRI est en relative perte de vitesse

La rivalité sino-japonaise en matière d’infrastructures n’a jamais autant occupé l’agenda international asiatique (Murashkin, 2020). Si la BRI vient sérieusement bousculer la domination historique du Japon en tant qu’investisseur et initiateur de projets, elle connaît depuis peu une relative fragilisation. Elle porte même atteinte à l’image de la Chine, qui, par ses méthodes, suscite une méfiance grandissante de la part de ses partenaires. À travers la BRI, la Chine pratique en effet des conditions de prêt désavantageuses pour les pays récipiendaires (Chotani, 2020) et exige notamment des taux d’intérêt élevés et des prises d’hypothèque comme condition de financement (Chaponnière, 2019). Les dispositifs et les termes de financement sont souvent jugés opaques, à l’image des institutions chinoises à l’origine de ces politiques, telles que la China Development Bank et la China Export-Import Bank (Kuo, 2020). La BRI est également critiquée pour les ambitions de domination politique qu’elle dissimulerait (Kuranel, 2020). Au-delà de la rentabilité de ces financements, l’intérêt stratégique est évident : elle lui permet de contrôler les voies maritimes vers l’Inde, comme le récent port construit au Sri Lanka (Chaponnière, 2018), et de clientéliser des pays jugés moins fréquentables par les Occidentaux, c’est-à-dire ne correspondant pas aux mêmes caractéristiques de démocraties libérales fondées sur l’État de droit. La dimension géopolitique est en effet primordiale pour le pays, notamment dans le cadre de ses relations tendues avec les États-Unis (Nicolas, 2014). Au cours des dernières années, plusieurs pays en développement ont d’ailleurs musclé leurs négociations concernant des projets de la BRI. Certains ont même décliné ou revu à la baisse des plans d’investissement chinois lorsque les conditions étaient jugées inéquitables, comme le Myanmar à propos de projets de port en 2018 et de barrage en 2019 (McCawley, 2019). La Malaisie aussi se tourne maintenant davantage vers le Japon, notamment parce la Chine exige depuis peu des garanties de prêts plus importantes pour apporter son financement, ceci afin de s’assurer une plus grande sécurité quant au remboursement (Chaponnière, 2018). Un dernier grief important fait à la Chine est la mauvaise qualité de ses infrastructures, comme l’a récemment exprimé l’Indonésie (Yu, 2017).

1.2. La pandémie apporte de nouveaux enjeux internationaux en matière de chaînes de valeur et de coopération

La pandémie, par les dysfonctionnements et le ralentissement de la production qu’elle a provoqués, a mis en évidence la surdépendance des économies régionales vis-à-vis de la chaîne de valeur chinoise. Cela est particulièrement visible en Asie du Sud-Est où les économies sont aussi densément reliées les unes aux autres, mais, en réalité, la tendance est mondiale. Afin d’être mieux préparées à des chocs systémiques similaires à la crise sanitaire en cours, il est aujourd’hui vital pour elles de diversifier leurs partenaires, de développer des voies alternatives (Panda, 2020) et de sécuriser des chaînes de production au niveau national. La pandémie a particulièrement complexifié les besoins en infrastructures sociales et sanitaires, que ce soit en termes de rénovations pour les anciennes infrastructures, et de constructions pour les nouvelles (Kuranel, 2020). Les investissements privés comme publics ont été réduits par la crise économique subséquente. Certains pays d’Asie n’ont pas les ressources financières suffisantes pour mener à bien de tels projets, générant un vide à combler pour des initiatives internationales comme la BRI et le BDN. La rivalité entre les États-Unis et la Chine, ainsi que le ralentissement des projets de la BRI en raison de la pandémie, représentent donc une opportunité pour le Japon d’accentuer ses arguments en faveur de chaînes de valeurs alternatives, soit de meilleure qualité, durables, transparentes, et ayant un réel impact sur le développement (Chotani, 2020).

La pandémie a également révélé le besoin croissant en coordination et coopération régionale. Sur le long terme, la crise pourrait en effet affaiblir la légitimité de l’ordre international libéral dans la région (Kim Jiyoon, 2020). Les grandes institutions internationales, comme le G7, ont échoué à faire des déclarations communes et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été fortement critiquée dans sa gestion de la crise. En réaction aux défaillances des institutions traditionnelles, la pandémie pourrait au contraire contribuer à l’émergence de nouvelles institutions régionales chargées de faire face aux défis de sécurité communs. Le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité en Asie-Pacifique, composé des Quad States que sont le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Inde, collabore d’ailleurs sur le plan diplomatique et militaire avec la Corée du Sud, le Vietnam et la Nouvelle-Zélande dans le dialogue Quad Plus. L’objectif est ici de coordonner leur réponse à la pandémie, ouvrant la voie à une plus grande coopération multilatérale dans le futur, y compris sur les infrastructures sanitaires. La pandémie serait alors une opportunité de générer du soft power à travers une collaboration et une coopération proactive avec d’autres pays, le leadership dépendant aujourd’hui davantage de la collaboration que de décisions unilatérales basées sur des intérêts à court terme (Stanislas, 2020). Cette voie peut être suivie par le Japon s’il souhaite voir s’épanouir sa stratégie fondée sur le multilatéralisme et l’État de droit (Kim Jiyoon, 2020). C’est justement cela qu’incarne son approche du soft power économique, et particulièrement sa dernière initiative, le BDN.

  1. L’approche japonaise du soft power économique, un terreau solide pour le BDN

2.1. Le rôle central de l’autonomisation, des partenariats public-privé et des valeurs libérales

Le Japon considère depuis longtemps l’Asie du Sud-Est comme son pré carré (Chaponnière, 2019), où il joue un rôle moteur en matière de dynamisme économique depuis le XIXe siècle. Il s’y est forgé une image de partenaire fiable et y a développé une certaine pratique de coopération internationale. Son approche non militaire des relations internationales est liée à l’identité de nation pacifique qu’il s’est forgé et repose avant tout sur le soft power. Son action internationale est ancrée dans des valeurs internationalistes, d’usage de la force retenue, de valorisation du potentiel des sociétés aidées, notamment via l’aide au développement (Delamotte, 2020). Ses trois piliers sont donc l’autonomisation, la pacification des espaces maritimes et la résolution des différends par l’État de droit (Funabashi, 2017). Cette approche apparaît toujours comme la façon la plus pertinente pour le pays d’augmenter son influence (Funabashi, 2017).

La coopération économique pratiquée par Tokyo est d’approche mercantiliste. L’État porte le paradigme néo-libéral des flying geese, modèle de développement basé sur la rationalité du marché, tout en aidant ses voisins à amorcer la transition vers des secteurs industriels plus lucratifs pour en bénéficier lui-même (Harris, 2019). Le pays s’appuie pour cela sur un savoir-faire en termes d’infrastructures et de hautes technologies, notamment dans le domaine de l’efficacité énergétique, qui est l’un des meilleurs du monde (Nicolas, 2014). Dès 1998, le premier ministre Obuchi a décidé de mettre l’humain au centre de la diplomatie japonaise, en adoptant une people-centric approach (Funabashi, 2017). En son cœur se trouve le concept de sécurité humaine, qui passe notamment par la promotion de la coopération économique, au contraire du concept de sécurité nationale, qui, lui, repose sur la projection militaire. En matière de santé notamment, la technique japonaise est dite catalytique (Funabashi, 2017). Héritée de l’occupation américaine, elle consiste en grande partie à former des leaders dans les pays partenaires. Dans cette démarche, l’assistance technique et la formation sont les catalyseurs de l’autonomisation locale et finalement de l’autosuffisance. Plutôt que des écoles ou des hôpitaux, le Japon construit plus volontiers des infrastructures dites hard, soit des ponts et autres infrastructures vitales pour augmenter les liens commerciaux, stimuler la croissance à long terme et promouvoir les transferts de technologies et de savoir-faire en conception, construction et maintenance (Funabashi, 2017). Le recours aux partenariats public-privé fait également partie de la tradition japonaise en matière de développement international (Harris, 2019). L’État japonais a récemment accéléré sa volonté de briser la distinction entre les financements privés et publics, en apportant son soutien à l’investissement privé pour renforcer la capacité d’action du pays sur le marché international des infrastructures, dans une démarche appelée All-Japan Policy (Nicolas, 2014). En 2017, le gouvernement a annoncé un plan de 40 milliards de dollars pour soutenir le développement d’infrastructures de grande échelle en Asie. Le but est encore ici d’encourager le secteur privé japonais à augmenter les investissements dans les pays de la région (Direction générale du Trésor, 2017). La tenue régulière du Ministerial Meeting on Strategy relating to Infrastructure Export and Economic Cooperation depuis 2013 (METI, 2020) permet également de coordonner l’action de l’État avec le secteur privé.

Le Japon est par ailleurs fortement engagé dans le multilatéralisme basé sur les règles libérales de libre-échange (Tomoaki, 2020). En atteste par exemple sa participation à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), un accord de libre-échange phare pour l’établissement d’un ordre commercial global basé sur les règles (Affaires mondiales Canada, 2020). L’État cherche notamment à asseoir son discours de Free and Open Indo-Pacific (FOIP), en permettant une stabilité régionale nécessaire à la prospérité économique. Son approche vise à accroitre son influence par la défense de ces idées et les retombées positives sur son image (Delamotte, 2020). Face à la politique économique prédatrice de la Chine, le Japon opte donc pour une diplomatie économique plus nuancée afin de renouer avec la prospérité internationale, ralentie depuis l’explosion de la bulle spéculative au tournant des années 1990, suivie par la crise asiatique de 1997. C’est au cœur de cette stratégie que s’inscrivent les infrastructures de qualité que le Japon promeut, respectueuses de l’environnement et transparentes dans leur fonctionnement (Panda, 2020).

2.2. Les enjeux géostratégiques : sécurité économique et dynamiques d’alliances

Le volontarisme de Tokyo répond à une certaine inquiétude face au nombre croissant de ports construits, gérés ou détenus par la Chine dans la région (Mottet, 2020). À l’heure où l’État chinois sécurise des routes maritimes vers le Moyen-Orient et l’Europe, et, ce faisant, accroit son influence économique et ses capacités de déploiement militaire, la sécurité nationale semble primordiale pour le Japon. La BRI, par son projet de restructuration des relations économiques dans la région et entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe, inquiète fortement Tokyo qui craint de se voir reléguer « en périphérie de la nouvelle architecture régionale et transrégionale » (Mottet, 2020).

Ceci pousse le Japon à entretenir et à renforcer précautionneusement ses alliances face à la Chine. En novembre 2018, l’institution américaine de financement du développement, l’Overseas Private Investment Corporation, la Japan Bank for International Cooperation (JBIC) et la Nippon Export and Investment Insurance (NEXI) ont notamment signé un protocole d’entente afin d’accélérer les investissements dans les infrastructures et le secteur de l’énergie en Asie-Pacifique. En plus des États-Unis, cette approche est soutenue par l’Inde, un autre allié de taille du Japon, qui appelle également de ses voeux une connectivité régionale accrue basée sur « universally recognized international norms, prudent financing and respect for sovereignty and territorial integrity » (Ministry of External Affairs, Government of India, 2017). Afin de tenir son image de contributeur actif à la stabilité régionale, le Japon cherche donc à agir dans le cadre d’alliances avec les États-Unis, l’Inde, et ses partenaires traditionnels, en essayant d’imposer la rhétorique libérale du droit international à son rival chinois (Basu, 2018). Il souhaite devenir un intermédiaire stratégique dans la région, notamment en faisant le pont entre la Chine et l’Inde (Brînză, 2018). À travers la promotion de ses infrastructures, le Japon conçoit la sécurité humaine comme de la sécurité intérieure, en cela qu’il perçoit la résilience sociale comme une forme moderne de dissuasion contre des menaces non militaires. Il tente ainsi de créer un environnement international capable de s’adapter aux risques futurs (Friedman, 2020). Une approche particulièrement pertinente à l’heure de la crise sanitaire mondiale.

2.3. Les politiques japonaises d’influence économique : des réponses alternatives à la BRI

Dès les années 1980, le Japon s’est affirmé comme l’un des plus grands pourvoyeurs mondiaux d’aide internationale, au point de fournir plus de financements que n’importe quel autre pays dans le courant des années 1990, avec près de 9 milliards de dollars par an en aide bilatérale (Berger, 2010). Si la Chine et le Japon reposent sur des moyens techniques similaires, à savoir les agences de crédit à l’exportation telles que la JBIC et la China Exim Bank (Nicolas, 2014), le Japon a rapidement développé ses propres outils. La Japan International Cooperation Agency (JICA) pour l’aide au développement (Funabashi, 2017) ou la Japan Overseas Infrastructure Investment Corporation for Transport and Urban Development (JOIN) et la Nippon Export and Investment Insurance (NEXI) en font partie. Mais surtout « par opposition aux investissements que sponsorise le gouvernement chinois à travers la BRI, le Japon (…) valorise la qualité, la durabilité, et l’environnement » (Delamotte, 2020). Bien antérieure au BDN, cette tendance s’est concrétisée avec l’annonce du Partenariat étendu pour les infrastructures de qualité (EPQI) par le gouvernement japonais lors du G7 de 2016. Il s’agit d’une occasion pour le Japon de briller par son savoir-faire technique et d’affirmer une voie différente de la BRI. L’ambition est grande, puisque la stratégie nationale d’exportation des systèmes d’infrastructures avait pour objectif de générer 300 milliards de dollars en 2020 (Delamotte, 2020) et à moyen terme d’augmenter de 25% les prêts japonais en aide au développement pour les infrastructures en Asie (Direction générale du Trésor, 2017). Cette politique soutient de nombreux projets en cours en Inde, au Sri Lanka, en Thaïlande et au Myanmar. En miroir à la BRI, il s’agit de construire des relations de confiance, de transparence et de développement (Panda, 2020), notamment en réformant ses politiques de prêts, plus avantageuses pour les pays emprunteurs (Harris, 2019). Il s’agit là d’un engagement que le Japon a formalisé au Sommet de l’ASEAN de 2016 dans la Déclaration de Vientiane pour la promotion du développement d’infrastructures.

L’accent mis sur la qualité des investissements permet au Japon de garder une certaine avance sur la Chine dans l’utilisation de l’aide au développement et des investissements stratégiques comme leviers d’influence régionale (Harris, 2019). Pour être crédible face à la Chine, soutenir les opportunités de développement des entreprises japonaises et promouvoir le développement régional, le Japon met en avant une large gamme de critères pour guider les investisseurs : impact social, soutenabilité de la dette, viabilité environnementale, niveau de sécurité des constructions, impact sur l’emploi local et expertise technique (Harris, 2019). Ces objectifs sont décrits dans sa Charte de la coopération au développement de 2015 comme permettant aux États du Sud-Est asiatique d’échapper au « piège de la classe moyenne » avec des infrastructures qui renforcent la connectivité au sein et entre les États, et réduisent les inégalités. C’est un niveau d’expertise que la Chine n’a pas ou ne met pas de l’avant (Harris, 2019) et qui répond à un intérêt grandissant pour le développement durable, la gestion d’entreprises pour l’investissement responsable, la sécurité des données et la vie privée (Tomoaki, 2020). Le Japon agirait ainsi en réaction aux initiatives chinoises, peu soucieuses de ces considérations qualitatives et sociales. Par ailleurs, pour asseoir l’agenda de la BRI, la Chine privilégie les relations bilatérales clientélistes, visant parfois à diviser des pays alliés. Par exemple, Pékin a volontairement apporté une aide matérielle à certains pays européens plutôt qu’à d’autres au début de la crise sanitaire. Le Japon, de son côté, accélère et approfondit ses partenariats commerciaux et sa présence dans les instances multilatérales.

Au final, le Japon reste fidèle au respect du droit international et au multilatéralisme. C’est ce qu’il fait à travers sa stratégie de Free and Open Indo-Pacific ou lorsqu’il crée la Foundation Center for Global Partnership en 1991. À partir des années 1990, en mettant l’emphase sur la coopération bilatérale et surtout multilatérale pour répondre à des enjeux internationaux, tels que l’environnement ou la connectivité régionale, le Japon a effectué un changement de paradigme. Abandonnant une approche historiquement exceptionnaliste, il tend désormais vers une forme d’universalisme en mettant en avant les intérêts partagés avec les autres nations (Watanabe, 2017). Le Japon prend part à ou initie de nombreuses instances de dialogue multilatérales, comme la Asian Development Bank (ADB) pour le développement d’une connectivité stratégique et économique en Indo-Pacifique (Basu, 2018). Cela se traduit notamment par une coopération renforcée avec l’Inde dans le cadre, par exemple, du Corridor de Croissance Asie-Afrique créé en 2017 pour lequel le Japon et l’ADB développent des infrastructures portuaires reliant l’Inde à l’Afrique et l’Inde à l’Asie du Sud-Est (Mottet, 2020). En opérant en parallèle de la BRI chinoise, ce mode d’action a surtout pour but de maintenir les plus hauts standards de gouvernance dans la région (Basu, 2018) et de pousser Pékin « à contribuer à la stabilisation de l’ensemble de l’Asie-Pacifique tout en respectant les règles de gouvernance et les valeurs du système libéral. » (Mottet, 2020). La dernière initiative de Tokyo et de ses alliés américains et australiens, le Blue Dot Network, semble offrir une synthèse de cette approche.

  1. Le Blue Dot Network

3.1. Une initiative récente et originale

Le BDN a été annoncé par le Japon, les États-Unis et l’Australie en novembre 2019 lors de l’Indo-Pacific Business Forum en Thaïlande. Il s’agit d’une initiative multipartite, à laquelle peuvent s’associer d’autres partenaires de la région, dans le cadre d’un partenariat public-privé visant à promouvoir des infrastructures de qualité, durables et transparentes via un processus de certification et de classification (Panda, 2020). Ce consortium réunit le Department of Foreign Affairs and Trade (DFAT) australien, la JBIC japonaise et le US Overseas Private Investment Corporation (OPIC). Le but de cette initiative est d’évaluer et de certifier des projets d’infrastructures sur la base de principes et de standards communément acceptés pour promouvoir un développement des infrastructures axé sur le marché, la transparence et la viabilité financière en Indo-Pacifique et au-delà (Milne, 2020). Lors de son annonce, le Conseiller à la sécurité nationale américain Robert O’Brien a comparé l’initiative au Guide Michelin et son système d’étoiles récompensant l’excellence des établissements évalués (The Japan Times, 2019).

Plus qu’une alliance économique entre le Japon et ses partenaires, le BDN est davantage une plateforme permettant la poursuite de ses objectifs géostratégiques vis-à-vis de la Chine. Si les spécificités du projet sont encore relativement floues, l’image renvoyée est celle d’une tentative de freinage de la BRI, six ans après son lancement, bien que les trois parties s’en défendent (Kuranel, 2020).  Le Japon, les États-Unis et l’Australie prennent en effet grand soin d’expliquer que le BDN n’est pas une initiative concurrente à la BRI, même si le choix de la couleur bleue, en contraste au rouge de la BRI, ne semble pas innocent (Kuo, 2020). C’est bien la volonté de distinction du Japon que l’on retrouve ici. Le BDN entend jouer un rôle de certificateur, là où la BRI s’affiche comme « maître d’œuvre » des différents projets d’infrastructures. Il s’agit davantage d’une autorité de standardisation qu’un initiateur de projets ou d’un financier. Son objectif principal est de promouvoir et soutenir l’investissement privé dans des infrastructures ouvertes et inclusives, transparentes, viables économiquement, durables financièrement, écologiquement et socialement, et conformes au droit, aux réglementations et aux standards internationaux. Le but est de faciliter l’accès de groupes d’investisseurs au réseau de financement d’infrastructures et de renforcer l’image de prestige et de fiabilité du Japon et de ses alliés. Le réseau couvre quatre principales catégories d’infrastructures, à savoir l’énergie, les télécommunications, les transports, et les infrastructures sociales (Kuranel, 2020). Il se veut également inclusif : les nouveaux membres sont les bienvenus s’ils promeuvent les investissements de haute qualité menés par le secteur privé. Des discussions sont d’ailleurs en cours avec l’Union européenne en ce sens (Kuo, 2020).

3.2. Une politique alignée avec l’approche et les intérêts du Japon

Comme mentionné précédemment, les piliers du rayonnement japonais par le développement d’infrastructures sont le renforcement de l’image d’excellence technique et de partenaire fiable du pays, la promotion du multilatéralisme et des relations économiques équitables, et le maintien de la sécurité et de l’ordre régional via ses alliances, notamment avec les États-Unis, l’Australie ou l’Inde sur des terrains non militaires. D’après Friedman, la puissance nationale a pris plusieurs formes successives au cours des deux derniers siècles : la puissance nucléaire des réseaux d’alliances a par exemple succédé à la puissance maritime de la colonisation. Au XXIe siècle, elles seraient en passe d’être remplacées par la « puissance de résilience » du soft power (Friedman, 2020). Il s’agit de la capacité d’un État à absorber les chocs systémiques, à s’adapter aux perturbations et à rebondir rapidement. Si au XXe siècle la priorité des politiques publiques était d’augmenter l’efficacité de l’industrie et de la société, la priorité serait désormais à l’augmentation de la capacité résilience, notamment parce que le XXe siècle a mené à des systèmes interconnectés plus vulnérables aux chocs (Friedman, 2020). Dans une logique jugée expansionniste par certains observateurs (Greer, 2018), Pékin a recours au détachement massif de travailleurs chinois sur ses projets internationaux, souvent au détriment des économies locales et du transfert de compétences. À l’heure du dérèglement climatique et de la crise sanitaire mondiale, le BDN propose une voie prometteuse en matière de soft power en cela qu’il met l’accent sur l’autonomisation des sociétés par des infrastructures viables.

En accord avec la stratégie de partenariat public-privé chère au Japon, l’intérêt central du BDN est d’impliquer le secteur privé, dans une conjoncture où les gouvernements ne disposent pas des ressources nécessaires pour répondre à la demande en infrastructures, estimée dans le monde à 94 billiards de dollars d’ici les vingt prochaines années (Global Infrastructure Outlook, 2017). Une puissance de frappe du secteur public qui est d’autant plus amoindrie par les répercussions économiques des politiques de lutte contre le virus de la Covid-19. Le rôle des gouvernements est ici d’encourager le secteur privé et de renforcer la confiance des investisseurs en réduisant les risques à l’investissement. Ces derniers sont en effet multiples et de plus en plus complexes. Ils peuvent être environnementaux, sociaux, sanitaires, sécuritaires, mais aussi légaux et politiques, comme des potentielles disputes autour de contrats ou les risques posés par un État de droit faible (Kuo, 2020). Le BDN serait en effet particulièrement attrayant pour les fonds d’assurance et de pension qui recherchent des projets de long terme et peu risqués dans lesquels placer leurs milliards de dollars, ce que le BDN pourrait certifier. La certification pourrait à terme dépasser l’évaluation technique des projets et s’assurer de leur conformité légale ainsi que leur viabilité financière (Kuranel, 2020). En termes de puissance financière pure, c’est-à-dire sa capacité à lever des capitaux, le BDN est bien plus limité que la BRI et son plan d’investissement à long terme de 575 milliards de dollars (Panda 2020). Sa valeur ajoutée ne repose pas tant sur sa force de frappe financière que sur son image de puissance stable, fiable, extrêmement développée et pouvant compter sur des alliés puissants et capables de mobiliser le secteur privé. Le BDN est en effet un programme financièrement modeste permettant au gouvernement d’afficher, à très peu de frais et sans en détailler les dépenses, son soutien à l’investissement dans les infrastructures en Asie. (McCawley, 2019). En cela c’est un produit à haute valeur ajoutée et un outil de soft power potentiellement très efficace. Face aux enjeux sécuritaires en mer de Chine, le BDN permet, par ailleurs, de mettre en confiance les États-Unis pour leurs intérêts économiques et militaires, et réduit la dépendance des économies de l’ASEAN à la Chine, dont la stratégie clientéliste est de plus en plus agressive. En renforçant les partenariats public-privé, le BDN permet également de contourner l’affrontement direct, bien trop politisé et dangereux, avec Pékin (Murashkin, 2020). Le BDN semble également aligné avec les intérêts que le Japon partage avec les États-Unis et l’Australie, à savoir le développement d’entreprises innovantes et de l’expertise technique, l’État de droit et des retours sur investissement à long terme (Kuo, 2020). Beaucoup d’infrastructures stratégiques, dans leur conception et leur exploitation, sont toujours peu rentables dans la région, parce qu’elles ne génèrent pas assez de devises pour rembourser les crédits qui les ont financées comme les centrales électriques ou les améliorations du réseau routier (Chaponnière, 2019). Le BDN permettrait de s’assurer à l’avance de la solidité et de la rentabilité de tels projets grâce à son système de certification, qui prend en compte leur viabilité financière.

Finalement, après des premières semaines marquées par le repli de la plupart des États sur eux-mêmes, la crise sanitaire a peu à peu montré l’importance de la coordination internationale dans des domaines vitaux, comme la sécurité humanitaire et sur les valeurs de coopération. Elle a également montré les bénéfices en termes de prestige et d’influence que peuvent en tirer les États proactifs (Panda, 2020). À court terme, c’est ce que la Chine a compris et utilisé à travers sa « diplomatie du masque ». En s’engageant à plus long terme à travers des initiatives comme le BDN, en mettant en avant les valeurs de l’ordre international libéral, en promouvant les bonnes pratiques de gouvernance et en mettant l’accent sur l’autonomisation des sociétés, le Japon peut indirectement contrebalancer l’influence chinoise. Plus largement, le BDN peut ici servir de levier pour approfondir les partenariats régionaux en matière de diplomatie, de défense et de sécurité.

3.3. Un projet né dans un contexte incertain et aux contours encore flous

Si le contexte de la pandémie offre des perspectives intéressantes au BDN à moyen et long terme, elle peut jouer contre lui à court terme. Lancé un an avant la crise, le projet pourrait souffrir de la fragilisation des finances publiques et de la frilosité des investisseurs, amplifiant les difficultés de financement des projets dont il fait la promotion (Panda, 2020). D’autre part, certains pays de la région, comme l’Indonésie, sont rendus plus dépendants à l’industrie chinoise en raison de développements politiques et économiques liés à la pandémie. Cela risque de les éloigner de l’influence potentielle du BDN (Milne, 2020). Sur les plans politique et social, les standards que veulent imposer le Japon, les États-Unis et l’Australie à travers le BDN peuvent soulever un problème éculé : il n’est pas certain que ces valeurs libérales et l’attention portée à l’impact social et environnemental des projets soient au goût de tous les pays partenaires (McCawley, 2019). La plupart des grandes démocraties libérales industrialisées rencontrent souvent des difficultés à dialoguer avec des interlocuteurs de pays émergents lorsque leurs politiques d’aide au développement s’accompagnent de conditions politiques, comme le renforcement de l’État de droit, et économiques, comme le développement de l’économie de marché ou la rigueur budgétaire, dans les pays récipiendaires. Sur ce point, la Chine tire justement son épingle du jeu lorsqu’elle fait reposer sa BRI sur le consensus de Pékin, son modèle de développement prônant la non-ingérence dans la gouvernance des pays partenaires. Enfin et surtout, les dispositifs précis de certification et de financement restent majoritairement flous ou inconnus. On peut s’attendre à ce que les politiques existantes de la JBIC, du Department of Foreign Affairs and Trade australien et de la Development Finance Corporation américaine servent de modèle de gouvernance (Kuo, 2020), lançant un défi supplémentaire en termes de coordination entre les trois alliés.

Conclusion

L’approche japonaise en matière de soft power économique repose sur la volonté de renforcer à long terme les capacités d’élaboration de projets, de partenariats public-privé, d’évaluation des conséquences environnementales et sociales et de financement d’infrastructures de qualité, « des valeurs qui soulignent les carences de l’aide publique au développement chinoise » (Delamotte, 2020). Les pratiques de la Chine sont, en effet, de plus en plus pointées du doigt pour le manque de prise en compte des enjeux environnementaux, pour la mauvaise qualité de leurs infrastructures et pour leurs pratiques de financement souvent aliénantes pour les pays bénéficiaires. La position du Japon rejoint les intérêts des États-Unis et d’autres puissances démocratiques dans la région, soit la promotion du développement économique de l’Indo-Pacifique de façon libre, ouverte et durable. C’est en cela une forme de contrepied à l’approche chinoise (Harris, 2019), dont le BDN est l’incarnation la plus récente.

La crise sanitaire offre une opportunité majeure au Japon d’approfondir son action et d’élargir les champs de coopération dans le cadre du BDN. Il peut profiter de la relative fragilisation de l’influence chinoise et du ralentissement de la BRI pour renforcer son image de partenaire fiable. En l’amarrant à des objectifs économiques et sécuritaires, le BDN constituerait un levier permettant au Japon de renforcer son statut de leader régional et mondial dans l’ordre international post-pandémie. Le rôle de Tokyo sera crucial une fois la crise passée, car les conséquences économiques du virus vont probablement amplifier les appels, au Japon et dans d’autres puissances moyennes, en faveur de mesures protectionnistes et d’isolement d’une économie mondiale chaotique (Patey, 2020). Dans ce contexte, le Japon peut être un acteur central pour revitaliser la coopération internationale et la confiance des partenaires économiques par des initiatives comme le BDN. Le Japon doit mettre l’accent sur ces nouvelles chaînes de valeur, en termes de résilience infrastructurelle bien sûr, mais aussi en termes de qualité de vie, de sûreté, et d’environnement qu’elles génèrent (Chotani, 2020). Sur ce point, Tokyo peut tirer profit d’une certaine avance sur Pékin, car là où la Chine cherche à améliorer son image, le Japon cherche à conserver la bonne image dont il jouit déjà depuis des décennies.

L’avenir dira si le BDN va concurrencer de front la BRI et la freiner en imposant des standards de qualité transversaux et exigeants ou bien si elle agira en parallèle en étendant son rôle au développement de nouveaux projets d’infrastructures (Kuranel, 2020). La malléabilité de cette politique, peu coûteuse et peu contraignante, permettrait de la déployer au-delà de la région indo-pacifique. À ce titre, les discussions en cours avec l’Union européenne, qui a récemment entamé un « pivot » vers l’Asie, sont encourageantes. Il y a là une opportunité de se démarquer des pratiques d’influence chinoises en mettant l’emphase sur les valeurs sociales partagées avec des alliés influents comme les États-Unis, l’Australie ou l’Inde (Tomoaki, 2020). Par ailleurs, à l’échelle mondiale, la demande en rénovation et en construction d’infrastructures reste en forte croissance, principalement dans les secteurs de l’énergie et des transports (Direction générale du Trésor, 2017). Mais à très court terme, il conviendra surtout de suivre attentivement les futurs développements de ce projet, lancé quelques mois avant les grands bouleversements apportés par la pandémie, dont les contours restent flous et dont l’avenir est encore incertain.

Références

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