Le Japon dans le monde

RG v7 n3 (2021)

Delamotte, G. (dir.) (2019), Le Japon dans le monde. Paris, CNRS Éditions.

La pandémie de covid-19 a mis à mal l’économie japonaise. Le PIB s’est effondré au deuxième trimestre 2020 et peine à reprendre le chemin de la croissance. La troisième puissance économique mondiale connaît une récession qualifiée d’historique.

Mais ces maux très conjoncturels ne font que renforcer une tendance lourde. Le gouvernement japonais est en effet confronté à une multitude de défis : une croissance économique qui ne parvient pas depuis trois décennies, et en dépit de plans ambitieux de relance, à retrouver la dynamique qui fut autrefois la sienne ; un vieillissement de la population qui se traduit par des transformations profondes de la société et alimente un débat récurrent sur la pertinence de l’immigration pour compenser le déclin rapide de la population active soutenant les personnes âgées ; une crise politique symbolisée par la très faible participation aux élections et le désintérêt de la population pour un processus électoral dominé par un parti au fonctionnement opaque, sans perspective crédible d’alternance ; les craintes liées à la vulnérabilité de l’archipel face aux éléments, craintes que le tsunami du Sendai en 2011 et le désastre de Fukushima n’ont fait que renforcer ; ou encore un environnement géopolitique régional très incertain.

C’est précisément sur cet aspect des relations du Japon avec ses environnements proche et lointain que l’ouvrage dirigé par Guibourg Delamotte met l’accent.

Les enjeux sont, en effet, de taille. Le Japon entretient avec la notion de puissance une relation complexe. Archipel, il inscrit dans sa Constitution de 1946 l’interdiction du maintien d’un potentiel de guerre, pour s’arrimer durablement au camp occidental dont il a besoin pour assurer sa sécurité dans le contexte de la guerre froide. La diplomatie japonaise a cependant réussi à jouir d’une relative autonomie, en partie grâce au miracle économique qu’a connu ce pays. Mais ces paramètres sont en mutation. Délogé de sa place de première puissance économique asiatique en 2010 par la Chine, le Japon entretient des relations ambigües avec ses voisins, avec lesquels il est impliqué dans des disputes territoriales et maritimes, îles Kouriles avec la Russie; îlot Takeshima/Dokdo avec la Corée du Sud; îles Senkaku/Diaoyu avec la Chine et Taiwan. Le Japon est impliqué dans une vive concurrence économique que les dialogues régionaux ou bilatéraux apaisent difficilement – le cas de la relation avec Séoul est ici éclairant –, dans un contexte où leur interdépendance ne fait que se renforcer mais où le passif de l’héritage colonial japonais demeure sensible. Le Japon se sent également menacé militairement, par la Corée du Nord bien sûr, mais aussi par la Chine, les ambitions grandissantes de la Corée du Sud, le raidissement de la Russie ou encore la vacance du leadership états-unien sous la présidence Trump. Dans ce contexte marqué par ces incertitudes quant aux intentions de ses voisins mais aussi de son principal allié, Tokyo cherche de nouveaux partenaires pour sa sécurité et compenser une éventuelle défaillance de l’engagement de Washington à ses côtés. Dans le même temps, les forces armées japonaises se modernisent et accompagnent une course aux armements qui concerne tous les acteurs de la région (Tan, 2014). Comment amener la Corée du Nord à renoncer à son programme nucléaire ? Comment contenir la puissance maritime chinoise ? Comment réagir face à une administration américaine durablement protectionniste et un régime chinois supposément libre-échangiste, mais aux projets géoéconomiques potentiellement menaçants?

Si l’intention de l’ouvrage est bonne et de nombreux développements s’avèrent très éclairants, les chapitres de ce collectif demeurent cependant, sur le fond et la forme – ainsi que sur le format –, très inégaux. On y trouve ainsi une intéressante mise au point sur les paramètres intérieurs, les défis économiques japonais, la dynamique sociale, ou le régime politique. Une deuxième partie aborde les défis sécuritaires, les relations complexes du Japon avec la Chine et la Corée du Nord, avec l’inconfortable allié américain, avec l’Union européenne. Une troisième partie aborde les moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs politiques du Japon dans le monde : la politique de défense ; les leviers diplomatiques et en particulier l’attachement du Japon au multilatéralisme via les Nations Unies ; les leviers de la politique d’influence (soft power) mis en œuvre par Tokyo.

Certes, il fallait faire des choix dans cet ouvrage dirigé, mais on peut s’étonner de celui opéré pour les problématiques abordées et, en creux, de celles qui ont été passées sous silence. Ainsi, on découvrira que le seul chapitre sur les relations du Japon avec l’Union européenne compte 70 pages sur 245, alors que par ailleurs rien n’est dit sur les relations du Japon avec l’Afrique ou l’Asie, l’Inde et l’Asie du Sud-est en particulier, surtout dans un contexte de déploiement du grand projet chinois des nouvelles routes de la soie. De même, le chapitre sur la puissance et les défis économiques du Japon ne fait qu’esquisser le pouvoir d’influence actuel de l’économie japonaise dans le monde. De plus, si les questions mémorielles liées à l’héritage de la Seconde guerre mondiale sont évoquées dans les développements sur la relation avec Pékin, elles auraient ainsi pu faire l’objet d’un chapitre à part entière tant elles affectent la relation de Tokyo avec ses voisins, Chine, Corée du Sud et Asie du Sud-est. Dans la même veine, il parait manquer un chapitre sur la relation avec la Corée du Sud, partenaire économique proche, partenaire stratégique aux vues convergentes sur le dilemme de sécurité face à la Corée du Nord et à la Chine, mais relation encore amère et teintée ici aussi par l’héritage du conflit mondial et les politiques mémorielles de part et d’autre. On regrettera également l’absence d’un chapitre sur la relation avec la Russie, complexe depuis 1945 avec les hésitations japonaises entre fermeté à l’endroit de Moscou, fermeté parfois imposée par Washington (Mormanne, 1992); et ouverture vers une forme de partenariat économique, ouverture souvent sabotée par la persistance du contentieux territorial des îles Kouriles. Enfin, le débat sur l’amendement de l’article 9, évoqué, aurait gagné à être complété par une section sur le débat entre universalisme et nationalisme, car ce débat traverse aussi la société et le milieu politique japonais.

Au final, un ouvrage clair, aux chapitres bien écrits, qui aborde l’essentiel même s’il laisse dans l’ombre des aspects importants de la question des relations du Japon dans son environnement régional et de son ouverture au monde.

Frédéric Lasserre

Références

Mormanne, T. (1992). Le problème des Kouriles : pour un retour à Saint-Pétersbourg. Cipango, Cahiers d’études japonaises, 1, p. 58-89.

Tan, A. (2014). The Arms Race in Asia. Trends, Causes and Implications, Londres et New York, Routledge.

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