La grande vitesse ferroviaire, un produit industriel à forte dimension géopolitique ? La diplomatie ferroviaire du Japon face à l’ascension de l’offre chinoise.

Regards géopolitiques v9n3, 2023

Frédéric Lasserre

Directeur du Conseil québécois d’Études géopolitiques

Titulaire de la Chaire de recherche en Études Indo-pacifiques, Université Laval

Frederic.lasserre@ggr.ulaval.ca

Résumé

La grande vitesse ferroviaire constitue un marché de plus en plus concurrentiel dans lequel le Japon détenait une avance industrielle conséquente. Si dans les années 1980 la France est devenue son principal concurrent, lui prenant le marché coréen en 1994, le Japon demeurait un acteur majeur en Asie, obtenant d’importants contrats en 1998 à Taiwan puis en 2004 en Chine. Depuis, la Chine a intégré la technologie japonaise et allemande, et se pose désormais en concurrent sur le marché mondial de la grande vitesse ferroviaire. L’octroi de contrats importants à des firmes chinoises en Thaïlande, en Malaisie et en Indonésie a résonné comme un brutal avertissement pour l’industrie japonaise : une rivalité majeure s’est dessinée entre les deux États sur ce marché.  Mais, appuyées par l’État, les entreprises japonaises n’ont pas dit leur dernier mot.

Mots-clés : Japon, Chine, grande vitesse ferroviaire, marché, technologie ferroviaire, Nouvelles routes de la soie.

Abstract

High-speed rail is an increasingly competitive market in which Japan had a significant industrial lead. While in the 1980s France became its main competitor, winning the Korean market in 1994, Japan remained a major player in Asia, obtaining major contracts in 1998 in Taiwan and in 2007 in China. Since then, China has integrated Japanese and German technology and is now a competitor in the global high-speed rail market. The awarding of major contracts to Chinese firms in Thailand, Malaysia and Indonesia was a stark warning to the Japanese industry that a major rivalry had emerged between the two states in this market.  But Japanese companies, backed by the government, have not said their last word.

Keywords : Japan, China, high speed rail, market, railway technology, new silk road.

Introduction

La grande vitesse ferroviaire constitue un marché de plus en plus concurrentiel. Longtemps apanage des Japonais avec le lancement du Shinkansen en 1964 (Kawasaki et Mitsubishi), puis des Français avec le TGV[1] en 1981 (Alstom et GIE Francorail), d’autres producteurs sont apparus sur le marché : l’Allemagne avec les ICE 1 à 3 (Velaro 320) de Siemens; l’Italie avec le Pendolino qui adapte les rames à des voies existantes ETR séries 400 développées par Fiat Ferroviaria), puis la mise au point de rames adaptées aux LGV (rames ETR séries 500 et 600 conçues à l’époque par le canadien Bombardier et l’italien AnsaldoBreda) ; la Corée du Sud où Hyundai a acheté le droit de fabriquer sous licence la technologie française d’Alstom (trains KTX en circulation en 2004) et a commencé à prospecter le marché mondial; la Russie avec le Sapsan (technologie allemande Siemens Velaro 320, 250 km/h) puis la Chine qui inaugure des lignes à grande vitesse (LGV) en 2008 avec du matériel roulant de technologie allemande (Siemens Velaro 320 pour lesquels les Chinois ont très vite réussi une rétro-ingénierie[2] permettant de fabriquer ce matériel sans licence[3]) et japonaise.

Fig. 1. Le TGV français sur la ligne Paris-Lyon, 1984.

Le train est encore dans son état d’origine : livrée orange avec logo SNCF en face avant. Le cliché permet d’avoir un aperçu du profil type d’une ligne à grande vitesse : courbes à très grand rayon et profil en long avec de fortes rampes permises par la puissance de traction et l’absence de trafic fret.

Cliché : Jérôme Le Roy

Si le français Alstom détient le record de vitesse de matériel sur rail (575 km/h en 2007), c’est la Chine qui se targue de la plus grande vitesse commerciale (350 km/h en 2017 contre 320 km/h pour le TGV français[4]). Chine et Japon sont par ailleurs engagés dans une rivalité pour la mise au point de véhicules à sustentation magnétique (Maglev). Le Japon détient le record de vitesse du transport guidé (603 km/h en 2015), mais la Chine exploite une ligne commerciale entre Shanghai et l’aéroport international utilisant la technologie allemande développée par Thyssen Krupp et Siemens et abandonnée par ces constructeurs allemands en 2011. Ces équipements, dont les coûts d’infrastructure sont prohibitifs, et qui ne peuvent pas profiter des réseaux ferroviaires existants pour atteindre le cœur des agglomérations, ne séduisent guère à l’export pour le moment.

La vente de la technologie de la grande vitesse (infrastructure et matériel roulant) représente un enjeu industriel important : elle soutient un secteur animé par de grands groupes industriels, souvent des « champions » nationaux, les grappes industrielles que ces entreprises de pointe structurent, et permet de poursuite la recherche et développement dans ce marché à forte valeur ajoutée. Les retombées industrielles sont donc conséquentes. Au-delà de ces aspects économiques, se trouve l’enjeu des normes de transport, car le choix d’un fournisseur pour la construction d’une LGV[5] et des systèmes de contrôle et de signalisation, ainsi que la fourniture de rames, oriente en partie les choix pour de futurs achats (renouvellement du parc roulant ou extension du réseau), l’interopérabilité entre matériels de constructeurs différents n’étant pas toujours facile à mettre en œuvre. Enfin, l’ampleur financière et la durée de tels contrats renforcent les liens entre les pays fournisseurs et le pays client : il y a une dimension de pouvoir d’influence à travers la vente de systèmes TGV, prestige industriel et coopération économique escomptée notamment. On mesure donc pourquoi les États soutiennent leurs champions ferroviaires dans leur quête de débouchés à l’exportation.

Fig. 2. Le Shinkansen 700, Tokyo, 2019.

On peut observer l’attention donnée à la réduction de la friction aérodynamique (face avant profilée, carénage de la base du pantographe en toiture) et le gabarit généreux des rames, les Shinkansen n’étant pas limités par le gabarit du réseau classique sur lequel ils ne peuvent pas circuler.

Cliché : Dana Le Roy

Fig. 3. Le Shinkansen 700 à Tokyo, 2023

Cliché Sam Dwyer, Rail Pictures, https://www.railpictures.net/photo/826078/

  1. Un activisme commercial chinois qui permet de remporter plusieurs contrats

Fort de son rôle de modèle économique en Asie, le Japon s’est beaucoup investi dans la construction d’infrastructures de transport ou de télécommunication dans des pays clients, avec comme levier financier des fonds libérés par la Banque Asiatique de Développement et l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) (Bhagawati, 2016). Malgré la crise économique et financière des années 1990, ces appuis financiers en faveur des grands contrats d’infrastructures sont demeurés l’une des priorités du gouvernement japonais à l’étranger (Hong, 2018). Cependant, après les débuts du réseau de LGV en 2008, la Chine, qui a notamment acheté la technologie du Shinkansen japonais en 2004 et allemande de Siemens en 2005, est rapidement devenue un acteur majeur à l’export tout en se dotant du plus grand réseau ferroviaire à grande vitesse au monde, 42 000 km fin 2022 (Preston, 2023) – une décision d’affaires que les entreprises japonaises du secteur Kawasaki Heavy Industries, Mitsubichi Electric et Hitachi, ont amèrement regrettée par la suite (Dickie, 2010).

Fig. 4. Le CRH 380 D, Shanghai, 2016.

Cliché : https://www.railpictures.net/photo/617746/

De plus, tout en devenant la deuxième économie mondiale en 2010, la Chine a remis en question la position dominante du Japon dans le marché des infrastructures en Asie (Meyer, 2011 ; Babin, 2018), à travers un activisme commercial entamé au tournant du 21e siècle et accéléré avec le lancement des Nouvelles routes de la soie en 2013. Elle participe aujourd’hui activement à la construction et au financement de nouveaux équipements permettant de développer le transport dans cette région à l’aide de nouvelles routes, ports, chemins de fer et aéroports (Lasserre, Mottet et Courmont, 2019).

Ainsi, dès 2003, des entreprises chinoises ont obtenu des contrats dans le domaine des travaux publics pour la construction de lignes LGV, en Turquie (Ankara – Istanbul), puis en Arabie Saoudite en partenariat avec la française Bouygues (Médine – La Mecque, 2008), puis en Iran (Téhéran-Qom-Ispahan, 2011). La compétitivité des entreprises chinoises en termes de prix a joué pour ces contrats d’infrastructures, lesquels représentent environ 60 à 80% du coût total d’un projet de train à grande vitesse. Les entreprises chinoises de travaux publics ont très rapidement appris et maitrisé la technique du béton précontraint[6] dans les années 1990 pour pouvoir proposer des services à l’export (construction d’ouvrages d’art modernes) sur des marchés très concurrentiels.

Une fois la technologie du matériel roulant maitrisée, des sociétés chinoises ont pu vendre l’ensemble ligne ferroviaire et rames à grande vitesse, tout d’abord au Laos en 2009, puis au Mexique en 2014 (projet annulé en 2018), en 2014/2015 en Russie à la suite de la dégradation des relations entre Moscou et les Occidentaux[7], puis en 2014 en Thaïlande et en 2015 en Indonésie, ces derniers contrats résonnant comme un coup de tonnerre dans le monde ferroviaire (voir tableau 1). Les clients demandent de plus en plus de flexibilité : l’intégration technique et commerciale ne fonctionne pas toujours et, là où les projets donnent lieu à de véritables appels d’offres avec une compétition raisonnablement ouverte, les lots (études, infrastructure, matériel) sont souvent octroyés séparément. Ainsi en Arabie Saoudite, le français Systra a exécuté l’essentiel des études, les partenaires chinois CRCC (China Railway Construction Corporation) et français Bouygues ont construit l’infrastructure et l’Espagnol Talgo a obtenu le marché du matériel roulant. L’obtention en 2010 du marché des rames de la société franco-belgo-britannique Eurostar (rames transmanche) par Siemens avec des rames dérivées des Velaro 320, un marché vu jusqu’alors comme une chasse gardée d’Alstom, a montré à quel point les marchés de la grande vitesse ferroviaire étaient devenus ouverts.

  1. De cuisantes déconvenues japonaises

Le Japon et la Chine étaient en effet concurrents lors de l’appel d’offres pour la construction de la LGV Jakarta-Bandung en Indonésie, contrat que la Chine avait finalement remporté pour ce projet estimé à plus de 5 milliards $ en septembre 2015, alors que le Japon était initialement donné gagnant (Yu, 2017), provoquant un retentissement considérable. Cette ligne à grande vitesse fait partie intégrante du plan de la Chine pour la construction du réseau ferroviaire pan-asiatique (PARN) qui traverserait plusieurs pays d’Asie du Sud-Est via différentes routes reliant Kunming (Chine) à Singapour (Yu, 2017 ; Chan, 2018 ; Babin, 2018), et qui structurerait le corridor Chine-Indochine dans le cadre du programme des nouvelles routes de la soie. Un réel activisme chinois a été déployé afin de remporter un important contrat illustrant la détermination de Pékin à déployer son programme des Nouvelles routes de la soie et à affirmer la capacité industrielle de la Chine. À l’inverse, l’offre japonaise pour ce projet ferroviaire Jakarta-Bandung a mis en évidence la faiblesse du Japon dans la promotion des exportations de trains à grande vitesse à l’étranger, faute sans doute d’avoir pris la mesure de l’ambition et de la détermination chinoises.

L’Agence de coopération internationale du Japon (JICA) avait inclus le projet dans son plan d’aide au développement à l’étranger et avait accepté en principe de financer 75 % du coût total du projet à un taux d’intérêt de 0,1 % sur 40 ans et une période de grâce de 11 ans, à condition que le gouvernement hôte fournisse une garantie de remboursement du prêt. Jakarta se montrait réticent à assumer la responsabilité financière. La Banque de Développement de Chine a proposé deux tranches de prêts avec une échéance de 40 ans et une période de grâce de 10 ans, et une tranche libellée en USD d’une valeur de 2,3805 milliards de dollars à 2% d’intérêt, et une tranche libellée en RMB d’une valeur de 1,587 milliard de dollars à 3,46% d’intérêt (AidData, 2017). Le montage financier proposé par le Japon prévoyait une garantie souveraine du gouvernement indonésien ; la responsabilité du gouvernement indonésien dans le rachat du foncier ; et pas de transfert de technologie ; alors que le montage financier chinois proposait l’exact contraire (Nurcholis, 2022), ce qui explique que, malgré des conditions de prêt plus avantageuses, Jakarta ait finalement opté pour le projet chinois, qui présentait nettement moins de responsabilité financière et opératoire.

Tableau 1. Contrats ou possibilités de contrats ferroviaires à grande vitesse pour des entreprises chinoises.

Montants en milliards USD

Sources : compilation de l’auteur d’après la presse professionnelle.

LGV : ligne à grande vitesse

CAF : Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles

CRCC : China Railway Construction Corporation

CRRC : China Railway Rolling Stock Corporation

CREC : China Railway Engineering Corporation

CRDC : China Railway Design Corporation

FS : Ferrovie dello Stato

Au Laos, le contrat de construction de la voie ferrée Boten (Yunnan) – Vientiane avait été octroyé en 2009 à la Chine et la ligne inaugurée en 2021. Le Laos a souscrit d’importants emprunts (1,52 milliards $ US) auprès des banques chinoises ExIm Bank et China Development Bank pour ce projet. En revanche, aucune information n’est disponible sur 60 % du montage financier (3,62 milliards $ US), qui seraient apportés par des banques chinoises, en échange d’une participation importante dans la Laos-China Railway Company Limited, une coentreprise sino-laotienne gestionnaire du tronçon laotien (Mottet, 2019). Présentée comme une ligne à grande vitesse par la Chine, cette voie nouvelle, si elle offre un service nettement plus rapide que la plupart des liaisons ferroviaires en Asie du Sud-Est et permet d’améliorer considérablement les temps de transport dans ce pays enclavé et aux infrastructures de transport très insuffisantes, ne rencontre cependant pas les critères révisés de l’Union Internationale des Chemins de fer (UIC), selon lesquelles la grande vitesse ferroviaire est supérieure à 250 km/h[8]. De nombreuses lignes classiques en Europe fonctionnent à 160 km/h. De plus, à voie unique et faisant circuler des convois de fret à 120 km/h, la ligne ne pourra pas offrir un service cadencé à haute fréquence.

En 2014 le gouvernement thaïlandais a indiqué qu’il souhaitait octroyer la construction de la ligne Bangkok – Nakhon Ratchasima à des entreprises chinoises, puis en 2016 la construction de la ligne Bangkok – Chiang Mai à des sociétés japonaises. Dans le montage de ce projet, Tokyo souhaitait contribuer à travers des prêts à taux préférentiels, alors que la Thaïlande voulait un investissement commun afin de réduire son risque commercial. Estimant justement la rentabilité de cet investissement plutôt faible, le Japon a refusé d’investir conjointement avec la Thaïlande dans le projet qui, compte tenu des paramètres définis par Bangkok, ne lui semblait pas réalisable, ce qui a abouti à la suspension du projet en février 2018 (Chachavalpongpun, 2018 ; The Straight Times 2018). Des pourparlers ont repris en 2023 entre Thaïlande et Japon (Bangkok Post, 2023).

Convenu dans le cadre de l’accord de 2014, le prolongement de la ligne Nord-Est au-delà de Nakhon Ratchasima vers le Laos a été confirmé en 2021 et octroyé à des entreprises chinoises. Il ne semble pas que le projet comprenne de prise de participation ou d’investissement chinois, mais un montage en BOT (Build – Operate – Transfert) sur 3 ans dans une structure qui a été renégociée en 2016 pour exclure toute prise de participation chinoise (Jikkham, 2015 ; Lertpusit, 2023). Des doutes pèsent cependant sur la rentabilité du projet de LGV Bangkok-Kuala Lumpur (Azman et Mardiah, 2022), même si le gouvernement thaïlandais a décidé d’aller de l’avant avec le premier tronçon Bangkok- Hua Hin, pour un coût estimé de 4,4 milliards $. Compte tenu de l’obtention de deux contrats par des entreprises chinoises et du refus du Japon d’aller de l’avant selon la formule de co-investissement demandée par Bangkok, il est vraisemblable que la Chine serait bien placée pour obtenir le contrat.

Dans le cadre de l’appel d’offres du TGV Kuala Lumpur-Singapour, le gouvernement japonais s’était engagé à soutenir un consortium d’entreprises japonaises à l’aide d’un fonds mixte privé/public (Keidanren, 2016). L’offre japonaise comprenait un transfert total de technologie et le développement de fournisseurs locaux au profit des entreprises malaisiennes et singapouriennes, y compris pour les petites et moyennes entreprises locales (Pavlicevic, 2017). C’est finalement l’offre chinoise qui a été retenue, mais le projet a subi les soubresauts de la politique intérieure malaisienne : annulé en mai 2018 à la suite du retour au pouvoir du Premier ministre Mahathir, le projet, sous une forme remaniée, a été relancé en septembre 2018, pour être à nouveau annulé par le gouvernement malaisien le 1er janvier 2021. Singapour et Kuala Lumpur ont cependant convenu en mars 2022 de reprendre des études de faisabilité pour un train à grande vitesse, mais l’avenir du projet demeure incertain.

En 2014, le gouvernement du Bangladesh a initié une étude de faisabilité pour une LGV de Dacca à Chittagong. Le coût très élevé du projet (estimation à près de 11,4 milliards $ pour un pays pauvre et déjà endetté) explique les hésitations du gouvernement, alors que Pékin presse Dacca de signer une entente rapidement (Adhikary, 2022).

  1. Des ajustements japonais : outils de financement et image de qualité

3.1. Se doter de leviers financiers plus efficaces

À la suite de ces échecs, le gouvernement japonais a rapidement réajusté ses politiques afin de renforcer sa compétitivité dans l’exportation d’infrastructures à l’étranger avec le PQI (Yu, 2017, Pavlicevic et Kartz, 2017 ; Hong, 2018). Depuis qu’il est devenu Premier ministre pour la deuxième fois en 2012, Shinzo Abe a donné à plusieurs reprises aux compagnies d’infrastructures japonaises l’assurance que le gouvernement japonais fournirait un soutien politique et financier à leurs efforts de recherches d’exportations (Pavlicevic et Kartz 2017 ; Sano, 2018 ; Hong, 2018). Les exportations de produits ferroviaires et les technologiques annexes apparaissent comme un élément clef du programme politique et économique de l’administration Abe (Abenomics) pour « créer de nouvelles frontières de croissances » et stimuler une économie japonaise stagnante, affectée par la baisse de la consommation intérieure et le vieillissement de sa population (Basu, 2016 ; Yu, 2017 ; Pavlicevic, 2017).

Dans le cadre des Nouvelles routes de la soie, vaste programme de coopération économique promu par la Chine, et qui ne se limite pas au domaine des transports (Courmont et al, 2023), la Chine a mis sur pied des leviers de financement pour les pays partenaires, le Fonds des Routes de la Soie (Silk Road Fund), la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (BAII) et des facilités à travers ses banques d’affaires, ExIm Bank et China Development Bank (Callaghan et Hubbard, 2016 ; Bloomberg, 2022).

Afin de maintenir sa compétitivité sur le marché des infrastructures, qui implique souvent de complexes montages financiers au vu des sommes importantes engagées, le Japon a dû s’adapter même si souvent son offre financière était moins chère que l’offre chinoise. Avec le lancement de la Belt and Road Initiative, une concurrence feutrée a émergé, concurrence renforcée par la promotion par le Japon du concept d’« Indo-Pacifique libre et ouvert », régionyme fédérant les puissances maritimes des océans Pacifique et Indien, et implicitement désireux de limiter l’influence grandissante de la Chine (Milhiet, 2022 ; Saint-Mézard, 2022). Le Japon a dès lors développé le concept de Partenariat pour des Infrastructures de Qualité (PQI) afin de soutenir les efforts de recherche d’exportation des entreprises japonaises (Pavlicevic et Kratz, 2017 ; Yu, 2017). Le PQI vise à accélérer le financement de projets grâce au fonds de l’Agence japonaise de coopération internationale, de la Banque Asiatique de Développement, de la Banque japonaise pour la coopération internationale (JBIC), et de la Japan Overseas Infrastructure Investment Corporation for Transport and Urban Development (JOIN) (Bhagawati, 2016). Dans cette optique, ces institutions sont encouragées à entreprendre des projets en prenant « des risques supplémentaires en s’exemptant de l’exigence d’assurer la certitude du remboursement pour chaque projet, tout en maintenant le principe d’assurer des revenus suffisants pour couvrir ses dépenses dans leur ensemble » (MOFA, 2015), donc à accepter davantage de risques pour faire aboutir les montages de projets. Ces mesures devraient permettre d’accélérer les procédures officielles pour les prêts d’aides publiques au développement du Japon liés au PQI (Hong, 2018).

Ce PQI a été lancé avec un budget de 110 milliards de dollars, soit un montant symboliquement légèrement supérieur à la capitalisation initiale de la BAII dont la Chine est le premier actionnaire (Mardell, 2017 ; Yu, 2017 ; Pavlicevic et Kratz, 2017 ; Combal-Weiss, 2018). Ce fonds est aujourd’hui d’environ 200 milliards de dollars, il est prévu pour financer des projets d’infrastructures à travers le monde, extraction de ressources naturelles, production et transport d’énergie, télécommunications, transport. Parmi les mesures prévues dans le cadre du Partenariat pour les infrastructures de qualité figure une augmentation de 50% des capacités de prêts de la Banque asiatique de développement dont le Japon est l’actionnaire principal, et une augmentation à hauteur de 25% des prêts japonais APD[9] pour les infrastructures en Asie (Ministère de l’Économie et des Finances, 2017). Cette instrumentalisation des outils financiers à des fins de promotion des ventes stratégiques de l’État n’est pas propre à la concurrence entre Chine et Japon : on l’observe chez de nombreux grands exportateurs. Elle a cependant alimenté un débat sur la rivalité qui se serait également développée entre la BAII, banque de développement multinationale mais créée par la Chine dans le cadre des Nouvelles routes de la soie, et la Banque Asiatique de Développement (Wang, 2022).

3.2. Un financement plus généreux?

Dans la même veine, Tokyo fait valoir que son offre de financement est moins chère grâce à des taux d’intérêt plus bas, et plus transparent. Il est difficile de connaitre exactement les taux pratiqués par les banques chinoises ou le Fonds des routes de la soie, car ces institutions ne dévoilent pas toujours les paramètres des prêts (taux, période de remboursement, garanties) consentis pour les montages financiers des grands projets d’infrastructure. La Chine, dans son argumentaire de vente, a su faire preuve de réactivité et de sens des affaires, qui lui ont notamment permis de décrocher le contrat de train à grande vitesse indonésien face à une offre japonaise trop sûre d’elle-même et peu réactive (Tiezzi, 2015 ; Nurcholis, 2022). Les entreprises chinoises soulignent aussi leurs coûts plus bas et leurs délais de livraison plus courts. Pékin fait également valoir son souci de traiter avec tous les partenaires potentiels, y compris les pays pauvres souvent négligés par les Occidentaux ou le Japon du fait de leur faible solvabilité (Owino, 2022) – au risque d’alimenter les critiques lui reprochant de favoriser le surendettement desdits partenaires. Le Japon met davantage l’accent, outre la qualité de ses produits, sur le souci de ne pas pousser pour des projets inefficaces et peu adaptés, sur la transparence des montages financiers (critères du Club de Paris) et sur des taux concessionnels plus faibles que la plupart des autres bailleurs de fonds (Ritchie, 2022). Ainsi, le taux d’intérêt conclu pour le montage financier du TGV Ahmedabad – Mumbai en Inde est-il de 0,1% (The Economic Times, 2018), contre 2,3% pour les 465 millions $ empruntés par le Laos auprès de la Banque d’importexport de Chine (Eximbank) (Mottet, 2019). Aux Philippines, la Chine demandait plus de 3% d’intérêt pour un prêt destiné à financer le projet ferroviaire de Mindanao (Elemia et Maitem, 2022)[10].

Dans le cadre de la BRI, la Chine investit certes, mais pas de façon prépondérante, contrairement à une idée tenace répandue dans les médias (Courmont et al, 2023) : elle procède souvent à travers des prêts peu concessionnels et donc avec le levier de l’endettement des pays partenaires. De 2013 à 2021, les prêts octroyés par les banques d’affaires d’État chinoises ont été multipliés par cinq, et la proportion entre prêts et dons se situe autour de 31 pour 1. Il est difficile, par manque de transparence, de connaitre les paramètres des prêts consentis aux pays en développement. Ces prêts, parfois qualifiés de prêts à taux concessionnels, sont certes sous les taux du marché mais demeurent coûteux puisqu’ils gravitent entre 2 et 3% (Zhang, 2018). Un prêt typique de banques d’affaires chinoises repose sur un taux d’intérêt de 4,2 % en moyenne et une période de remboursement de moins de 10 ans. En comparaison, un prêt typique d’un prêteur du Comité d’Aide au Développement de l’OCDE comme l’Allemagne, la France ou le Japon est assorti d’un taux d’intérêt de 1,1 % et d’une période de remboursement de 28 ans (Wooley, 2021). Une autre source parle d’un taux moyen de 4,14% et d’une période de remboursement de 16,6 ans pour les prêts chinois, contre 2,1% et 17,9 ans pour les prêts de la Banque mondiale (Morris et al, 2020).

Tokyo reste par ailleurs le principal pourvoyeur d’aide aux infrastructures dans des pays comme le Vietnam, les Philippines et l’Inde (Pajon, 2020).

3.3. Marteler l’image de la qualité et de la durabilité

Par ailleurs, Tokyo, comme argument de vente, comparait la haute qualité des exportations d’infrastructures japonaises aux problèmes de qualité et de fiabilité perçus des produits « Made in China » (Hong, 2018). Le Japon vante notamment l’expertise technologique de son célèbre système de trains à grande vitesse, le Shinkansen. Ce train a fonctionné pendant près de 60 ans sans aucun accident mortel, ce qui illustrerait l’excellence du système TGV japonais (Pavlicevic et Kratz, 2017). Certains médias ont d’ailleurs opposé ce fait au système chinois en prenant l’exemple de l’accident près de Wenzhou en 2011 avec la collision de deux trains à grande vitesse (Shepard, 2017). La perception de la qualité et de la fiabilité des infrastructures et équipements japonais serait positive en Asie (Chandran, 2019 ; Sharma, 2022) ; à l’opposé, la qualité des infrastructures construites en Chine a souvent été remise en question par certains pays de la région, avec par exemple l’Indonésie (Yu, 2017) mais ailleurs dans le monde aussi (ThePrint, 2022 ; Dube et Steinhauser, 2023) et un faible souci de l’adaptation des projets aux besoins locaux réels (Ng, 2019). Selon le gouvernement japonais, c’est la qualité, laquelle inclut l’adaptation du produit aux besoins réels des populations locales, plutôt que la quantité des investissements qui distingue le PQI, de même que son engagement en faveur de la durabilité environnementale et financière (Dadabaev, 2018). De fait, le Japon s’est engagé dans de nombreux projets de rénovation ferroviaire, proposant aux pays partenaires non pas forcément de grands projets de nouvelles infrastructures à grande vitesse dont l’écartement standard (1,435 m) les coupe souvent des réseaux locaux, métrique en Asie du Sud-est ; large en ex-URSS (1,52 m ; très large dans le sous-continent indien (1,67 m), mais plutôt des modernisations des réseaux existants, travaux moins médiatiques mais aussi moins onéreux et permettant des offres de service plus abordables pour les populations locales (Wu, 2019). Le projet de liaison Jakarta-Surabaya en était une illustration. La Chine œuvre aussi sur ce marché de la rénovation ferroviaire, notamment en Iran (Kashmir Observer, 2018, Financial Tribune, 2018) mais semble préférer l’image de modernité et de puissance que connotent les contrats de TGV.

Cet accent mis par Tokyo sur ces aspects de transparence et de qualité semble être une critique implicite contre la BRI de la Chine, à qui on a reproché d’avoir favorisé l’endettement de pays partenaires à travers des « pièges de la dette »[11], d’avoir livré des infrastructures de piètre qualité, et d’avoir financé de grands projets qui ont peu profité aux populations locales, comme le port de Hambantota et l’aéroport Mattala Rajapaksa au Sri Lanka, ou le train Addis Abeba-Djibouti en Éthiopie. Pour sa part, le Japon cite à son actif le port de Mombasa au Kenya, la ligne ferroviaire à grande vitesse Mumbai-Ahmedabad en Inde et le projet de réseau numérique en Tanzanie comme trois exemples de projets d’infrastructure de qualité (Duggan, 2018). C’est en partie pour répondre à ces critiques que la Chine a nettement resserré ses prêts internationaux (Chakrabarty, 2022; Deng, 2022).

Ainsi, en Indonésie, face aux coûts élevés du projet de LGV Bandung-Surabaya, le Japon a préféré plaider en faveur d’une solution alternative, la modernisation de la ligne Jakarta-Surabaya pour faire passer la vitesse commerciale de 80 à entre 145 et 190 km/h (semi haute vitesse) (Suzuki, 2019 ; Citrinot, 2021). Cette contre-proposition, validée par Jakarta à travers une annonce publique en 2016 (VOA, 2016) puis un accord avec Tokyo en 2019, pourrait être menée à bien en parallèle au prolongement de la LGV de Bandung à Surabaya avec la Chine comme partenaire (Business Today, 2022 ; The Star, 2022 ; Nirmala, 2021 ; Jakarta Post, 2022).

En établissant le programme PQI, en renforçant sa compétitivité financière à l’exportation pour les produits d’infrastructures et en renforçant l’idée de projets de qualité et plus adaptés aux besoins locaux, le Japon s’est efforcé de bonifier sa capacité à concurrencer la Chine dans le financement et la construction d’infrastructures ferroviaires (Babin, 2018).

Sur le fond, l’importance des conditions financières des projets dans l’attribution des marchés à grande vitesse montre que la technologie a mûri et n’est plus un élément disruptif comme il pouvait l’être de 1960 à 1995 (marchés à l’export des lignes Madrid-Séville et Séoul-Busan attribués à la France). Entre les compétiteurs qui s’appuient sur les technologies françaises, allemandes et japonaises et les nouveaux entrants (Espagne, Suisse[12]), le niveau technologique est devenu à peu près équivalent et les différences jouent à la marge sur la fiabilité notamment. De même, de nombreux acteurs maîtrisent maintenant la technique de construction des infrastructures ferroviaires[13]. Entre concurrents de niveaux technologiques similaires, c’est donc largement sur les questions des montages financiers, des retombées économiques et des choix politiques que se décident les octrois de contrats.

  1. Le Japon toujours dans la course

 4.1. Le Japon remporte encore des succès à l’export

De fait, après le choc de la perte des marchés indonésien et malaisien, le Japon n’a pas dit son dernier mot et s’efforce de demeurer compétitif, en valorisant ses atouts sans chercher à concurrencer la Chine sur le créneau des atouts de celle-ci – les bas coûts. Après avoir obtenu le marché taiwanais en 1998, le Japon s’efforce de sécuriser celui du renouvellement des rames – même si des désaccords ont perduré sur le coût du matériel proposé avant l’entente de principe en mars 2023 (Ryugen, 2023). C’est a priori avec le Japon que le Vietnam voudrait traiter pour ses projets de LGV – la principale difficulté résidant ici dans les coûts d’infrastructure très élevés de tels projets compte tenu de la configuration du terrain. Hanoi a réaffirmé récemment son option pour une coopération avec le Japon pour ce grand projet de 1 545 km (Nikkei Asia, 2023). Aux États-Unis, le contrat d’achat des rames pour le TGV Dallas-Houston a été accordé à Hitachi et Kawasaki en 2017. Au Royaume-Uni, c’est un partenariat Alstom-Hitachi qui a obtenu le contrat de fourniture des rames TGV en 2021. En Thaïlande, le gouvernement s’efforce manifestement de conserver le Japon dans la course en reprenant des pourparlers avec le Japon, et en apportant des modifications au projet, notamment la réduction de la vitesse à 200 km/h, ce qui réduirait considérablement les coûts[14] (Clark, 2023).

Tableau 2. Contrats ou possibilités de contrat ferroviaires à grande vitesse pour des entreprises japonaises.

Montants en milliards USD.

Sources : compilation de l’auteur d’après la presse professionnelle.

4.2. L’énorme marché indien : savoir cultiver la coopération avec New Dehli

Le Japon a par ailleurs obtenu un premier contrat de train à grande vitesse sur le marché indien, la liaison entre Mumbai et Ahmedabad, un énorme marché puisque les chemins de fer indiens prévoient, d’ici 2051, la construction de plus 4 760 km de LGV (Ministry of Railways, 2020). L’obtention de ce premier contrat et les relations tendues entre l’Inde et la Chine favoriseront sans doute l’octroi de nouveaux contrats pour des entreprises japonaises. A cette prévision, deux bémols : la politique indienne repose sur l’indépendance nationale et le refus de tout rapprochement excessif avec un autre État ; par ailleurs, le projet de TGV Inde-Japon approuvé en 2015 prévoit la cession de licences de production de rames en Inde, ce qui permettrait à l’Inde de produire elle-même des trains à grande vitesse sur le marché domestique voire à l’export, comme l’ont fait la Corée du Sud (technologie française), la Chine (technologies japonaise et allemande) ou l’Espagne (technologie en partie française). Des négociations sont encore en cours sur le calendrier et le contenu des transferts de technologie : Tokyo, échaudé par les conséquences du transfert hâtif de technologies en Chine en 2007, souhaiterait se voir garantir l’octroi de la construction de plusieurs corridors ferroviaires avant tout transfert majeur sur la technologie du matériel roulant (Dasgupta, Jain, Obayashi, 2018). De fait, il n’est pas clair si les transferts de technologie planifiés à ce jour porteront sur la technologie du matériel roulant, de forte valeur ajoutée; un récent communiqué de l’Agence de coopération japonaise parlant plutôt de transferts de savoir-faire en ingénierie de LGV et de gares (JICA, 2022).

Figure 5. Plan de développement des lignes à grande vitesse en Inde.

Source : Ministry of Railways (2020) ; High Speed Rail Alliance (2021).

Conclusion

Les trains à grande vitesse sont des symboles politiques forts tout autant que des enjeux industriels majeurs. Associés aux yeux des gouvernements comme des populations, à la puissance économique, à la modernité technologique, ils impliquent aussi des contrats de plusieurs milliards de $, de grands chantiers de travaux publics générateurs d’emplois, et d’importants débouchés pour de grands groupes industriels. On prend dès lors la mesure des enjeux diplomatiques que peut revêtir l’obtention des contrats à l’exportation pour les pays détenteurs de la technologie.

En Asie, le Japon, pionnier en matière de grande vitesse ferroviaire, avait une position incontestée mais n’a pendant longtemps guère exporté son savoir-faire. Les entreprises japonaises perdent le contrat en Corée du Sud en 1994 au profit des Français, mais remportent les marchés taiwanais (1998) puis chinois (2004). Si la concurrence coréenne se fait encore modérée (contrat de conception avec KNR au Maroc en 2022), en revanche les entreprises chinoises ont rapidement adapté les technologies japonaise et allemande ont remporté de nombreux contrats, d’abord en travaux publics de construction des voies, puis de fourniture de rames TGV. L’échec du projet japonais en Indonésie en 2015, dans un contexte de forte promotion chinoise des nouvelles routes de la soie, a résonné comme un coup de tonnerre à Tokyo.

Face à la concurrence chinoise dans un marché où la technologie prédomine beaucoup moins dans les choix qu’auparavant, le Japon s’efforce de s’adapter, en bonifiant son offre financière, en soulignant son souci de proposer des projets adaptés aux besoins locaux réels. Des entreprises japonaises ont remporté plusieurs contrats récemment, dont une première ligne dans le grand marché indien. Il reste à voir si le Japon saura gérer les fortes attentes indiennes en matière de transfert de technologie et s’il saura profiter d’un relatif désenchantement face aux pratiques commerciales chinoises.

Frédéric Lasserre

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[1] Note liminaire : on rappelle ici la distinction entre le train à grande vitesse, nom commun issu du développement par la SNCF du TGV dans les années 1970 et 1980, et le sigle « TGV ».  Le sigle est passé dans le vocabulaire courant pour désigner tous les types de trains à grande vitesse, alors que « TGV » est au sens propre une marque déposée par la SNCF en 2012 pour éviter les abus de langage comme « le TGV japonais » fréquemment lus dans la presse, et qui s’utilise sans article défini comme dans «Voyagez avec TGV ». Cela dit, le niveau d’appropriation du sigle « TGV » dans le langage courant est tel que la distinction, dans la pratique, est souvent vouée à l’échec.

[2] La rétro-ingénierie, ou ingénierie inversée, est l’activité qui consiste à étudier un objet manufacturé pour en déterminer le fonctionnement interne, la méthode de fabrication, dans l’optique de le modifier ou de le copier.

[3] Il a été dit à l’époque que le risque de rétro-ingénierie était la raison principale pour laquelle Alstom s’est désengagé de la compétition pour vendre le TGV en Chine. La suite lui a donné raison.

[4] Les réseaux européens, en particulier la France et l’Espagne ont envisagé dans les années 2000 une vitesse commerciale de 360 km/h permise par les nouveaux matériels et les voies les plus récentes, mais ont renoncé au vu des coûts énergétiques élevés (de l’ordre de 40% de plus par rapport à 320 km/h) au regard du faible gain de temps (2 minutes aux 100 km).

[5] Ligne à Grande Vitesse. Un train ne peut circuler à grande vitesse que sur une infrastructure adaptée (courbes, pentes, ballast, tolérances du profil de voie, caténaire, installations électriques) et dotée d’une signalisation spécifique (signalisation en cabine) dont les coûts sont beaucoup plus importants (environ 20 millions d’euros au km en plaine) que ceux d’une ligne dite « classique ».

[6] Le béton précontraint est un matériau de construction composite dans lequel ont été préalablement introduites des tensions opposées à celles qu’il devra subir une fois mis en œuvre. Cette technique vise à améliorer la résistance du béton et permet donc de produire un matériau de construction plus résistant, ce qui permet aussi de simplifier les contraintes de construction pour assurer la solidité et la fiabilité d’une structure en l’allégeant considérablement par rapport à la technique traditionnelle du béton armé.

[7] Le train à grande vitesse russe Moscou-St Pétersbourg (Sapsan) est de technologie Siemens (Velaro 320) et des pourparlers avaient débuté entre Berlin et Moscou jusqu’en 2014.

[8] Jusqu’aux années 2000, l’UIC considérait que la grande vitesse commençait au-dessus de 160 km/h, permettant par exemple à l’Intercity 125 britannique d’être considéré comme de la grande vitesse à 200 km/h. On trouve aujourd’hui parfois dans la littérature l’appellation de « semi grande vitesse » entre 160 et 200 km/h.

[9] APD : Aide Publique au Développement (en anglais ODA : Official Development Assistance), fonds destinés à l’aide au développement mesurés par le Comité d’Aide au Développement de l’OCDE. Les crédits à l’export et les prêts non concessionnels ne sont pas considérés comme de l’aide publique au développement.

[10] Il s’agit de la construction d’une ligne classique circulaire sur l’île de Mindanao. La première phase comprend 105 km.

[11] Dont le caractère délibéré est contesté : voir Pairault (2022)  et Bazile et al (2022). Plus vraisemblablement, ces surendettements, bien réels, sont imputables à des erreurs de gestion des pays partenaires et à une trop grande libéralité dans l’octroi des prêts de la part des banques chinoises (Yoshimatsu, 2021).

[12] Les CFF, lassés des dysfonctionnements chroniques des ETR 570 et ETR 610 sur les liaisons avec l’Italie, ont commandé au constructeur suisse Stadler Rail les rames RABe 501 « Giruno » pendulaires et aptes à 250 km/h notamment dans le tunnel de base du Gothard. Stadler est donc devenu un nouvel entrant dans le domaine de la grande vitesse ferroviaire.

[13] L’époque où des entreprises françaises avaient dû reconstruire entièrement des segments entiers de la LGV Séoul-Busan pour cause de non-respect des normes élémentaires par les grandes entreprises coréennes, est bel et bien terminée.

[14] Il ne s’agirait plus alors techniquement d’une LGV mais d’une ligne classique  améliorée similaire au corridor New-York – Washington où les rames Acela construites par Alstom et Bombardier circulent jusqu’à 240 km/h sur certaines sections.

La sécurité économique du Japon : la gestion de la vulnérabilité dans l’interdépendance sino-japonaise

Regards géopolitiques v9n3, 2023

 

Éric Boulanger

[boulanger.eric@uqam.ca]

Éric Boulanger est chargé de cours au département de science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est directeur adjoint du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM) et codirecteur de l’Observatoire de l’Asie de l’Est. Ses recherches portent sur la politique intérieure et étrangère du Japon et l’économie politique asiatique.

Résumé : La mise en place d’une nouvelle politique publique en matière de sécurité économique par le gouvernement du Japon en 2022 est un facteur stratégique de la politique commerciale de ce pays, mais elle apparaît construite sur mesure pour gérer les nouveaux défis de l’interdépendance économique entre le Japon et Chine dans le contexte de la crise de l’ordre international libéral.

Mots clés : Japon, sécurité économique, Chine, politique commerciale

Abstract: The establishment of a new public policy on economic security by the Government of Japan in 2022 is a strategic factor in this country’s trade policy, but it appears tailor-made to manage the new challenges of Japan-China economic interdependence in the context of the crisis of the liberal international order.

Keywords: Japan, economic security, China, trade policy

Introduction

En mai 2022 le parlement japonais approuvait la Loi sur la promotion de la sécurité économique. Elle est le résultat d’un effort entrepris à partir de 2016 pour développer une stratégie nationale de sécurisation de la prospérité économique nationale. Cela n’est pas nouveau ; le Japon détient une longue tradition d’envisager ses rapports avec le reste du monde en termes de sécurité économique dans une perspective néo-mercantiliste. Le concept de sécurité économique, du moins dans cette dernière perspective, a été abandonné avec le virage libre-échangiste du Japon au début du XXIe siècle à la faveur d’une gestion du risque par le biais du multilatéralisme, des accords commerciaux et d’une politique d’ouverture de l’économie nationale à la concurrence étrangère (Boulanger, 2011). Ce retour à une conceptualisation sécuritaire des rapports économiques internationaux est une brèche dans la politique commerciale libre-échangiste axée sur la gestion du risque, et ce, même si cette loi est « rédigée dans le langage du commerce » (Goto, 2022 : 229). Une hausse du protectionnisme et de la discrimination commerciale est inévitable si Tokyo veut effectivement se protéger d’actes de « coercition » de la part de pays étrangers. C’est également une certaine désillusion à l’égard, premièrement, de la mondialisation et de l’interdépendance et, deuxièmement, de son projet de fonder sa prospérité sur une intégration toujours plus étroite à l’Asie, dans une division régionale du travail fort compétitive et étroitement intégrée et institutionnalisée. Le comportement « assertif » de la Chine dans plusieurs facettes de ses relations extérieures fait obstacle à ce processus d’institutionnalisation et les tribulations néo-mercantilistes de l’administration Trump dont la guerre commerciale sino-américaine ont été les deux principaux facteurs qui expliquent ce retour à une politique de sécurité économique. D’ailleurs, la nouvelle stratégie de sécurité nationale du Japon de janvier 2023 se présente comme un pendant politique et militaire de la nouvelle loi en matière de sécurité économique.

  1. Retour en arrière
    1.1. Sur l’histoire économique du Japon

De l’époque de Meiji jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la sécurité économique était conçue sous l’angle du slogan fukoku kyōhei, (enrichir le pays, renforcer l’armée). Les facteurs d’insécurité étaient liés, à la base, à l’absence en grande quantité de ressources naturelles et énergétiques et aux contingences alimentaires de l’archipel. Ce slogan est également la réponse nipponne aux menaces impérialistes occidentales en Asie depuis la première guerre de l’opium en 1839 et devient le cri de ralliement de l’expansion territoriale de l’Empire japonais en Asie de l’Est. La prospérité industrielle reposait donc sur la conquête de nouveaux territoires comme la Manchourie ou la Corée – le Japon est l’un des rares empires qui installe ses usines loin de la métropole, en territoire conquis, près des ressources naturelles et énergétiques – d’où l’importance stratégique du contrôle des voies régionales de navigation (Barnhart, 1987 ; Nitta, 2002).

Avec la fin de l’occupation américaine en 1952 et l’émergence d’un ordre économique international libéral, la vulnérabilité traditionnelle du Japon à l’égard de ses approvisionnements en ressources naturelles, énergétiques et alimentaires est fortement diminuée en raison de l’ouverture de l’Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient au commerce international. Tokyo recentrait alors l’articulation de la sécurité économique dans le cadre de son modèle développementaliste de croissance au sein duquel l’industrialisation se retrouve, comme avant 1945, au cœur de la prospérité et de l’indépendance nationales, non pas à des fins militaires mais essentiellement civiles. Le Japon fixe donc des impératifs en matière de sécurité économique en lien avec la mise en place d’une structure industrielle optimale. Quitte à simplifier, le pays devait produire tout ce qu’il pouvait produire pour dégager un degré relativement élevé d’autonomie économique à l’intérieur des limites structurelles et naturelles de l’archipel (Boulanger, 2000). L’intégration à l’économie internationale était inévitable. Idéalement, les investissements directs étrangers du Japon en Asie du Sud-Est et ailleurs dans le monde pouvaient compléter cette structure industrielle optimale. À partir des années 1970, les exportations sont poursuivies dans une perspective néo-mercantiliste de conquête de parts de marché à l’étranger. Les menaces à la sécurité économique étaient de voir surgir des mesures protectionnistes de ses principaux partenaires commerciaux, dont l’imposition de règles visant à circonscrire son modèle développementaliste, en particulier à partir des années 1980 alors que le néolibéralisme forme les nouvelles bases institutionnelles de la mondialisation, de moins en moins en symbiose avec les propres bases institutionnelles néo-mercantilistes du Japon. Ce dernier sécurise son ouverture commerciale avec des maisons de commerce (sogo shosha) et des conglomérats (keiretsu) qui participent, par leur poids dans les échanges commerciaux et leurs vastes capacités industrielles, à la coordination des politiques industrielle et commerciale avec le gouvernement, notamment avec l’influent ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (mieux connu par son acronyme anglais actuel, METI). La sécurité économique est étroitement gérée au sein du Japon Inc. Au cours des années 1980, le Japon atteint le faîte de sa puissance commerciale, industrielle et financière, portée par des progrès technologiques considérables. On parle alors d’une possible Pax Nipponica tellement la domination économique du Japon apparaît irrépressible (Vogel, 1986).

À la suite de l’éclatement de la bulle financière en 1990, le Japon sombre dans deux décennies de ralentissement économique. Le modèle développementaliste s’avère incompatible avec la mondialisation économique néolibérale, les politiques en faveur de l’intégration régionale en Europe et dans les Amériques, l’explosion des investissements directs à l’étranger et la globalisation financière. Plusieurs en appellent à une troisième ouverture du Japon, notamment à la concurrence étrangère afin de « nettoyer » son économie de ses larges oligopoles dans les services (les services financiers, la vente au détail, etc.), ou la construction, des secteurs souvent peu productifs et fortement endettés (Boulanger, 2015). Les menaces à la sécurité économique pourraient bien surgir de son insularité plutôt que de la concurrence étrangère. Le changement demeure difficile à faire comme en fait foi la déclaration d’Ichiro Ozawa, l’un des politiciens les plus influents des années 1990 et 2000 et un soi-disant « réformiste » du modèle nippon : « le Japon doit changer pour demeurer le même » (The Financial Times, 2008). Les difficultés économiques de plusieurs de ses champions mondiaux dans le secteur de l’électronique, les pressions américaines pour que le Japon élimine ses nombreux obstacles à la concurrence et, enfin, le refus du Japon de participer à la Guerre du Golfe de 1990 font apparaître comme des anachronismes d’une autre époque à la fois son modèle développementaliste et son pacifisme constitutionnel.

Sous l’impulsion de trois gouvernements réformistes, Ryutaro Hashimoto (1996-1998), Junichiro Koizumi (2001-2006) et Shinzo Abe (2002-2007 et 2012-2020), le Japon entreprend une vaste réforme sociétale dont une réforme de l’administration gouvernementale, qui renforce notamment l’autorité du premier ministre, et de la gouvernance et de la régulation économiques invitant les firmes à s’adapter aux impératifs de la mondialisation dans une économie ouverte à la concurrence étrangère. Les politiques néo-mercantilistes sont abandonnées aux bénéfices d’une politique commerciale libre-échangiste qui est devenue la pierre angulaire de la « troisième ouverture » de l’ère moderne du Japon ; la conceptualisation de la sécurité économique de l’époque de la guerre froide laisse donc place à une gestion du risque par le truchement d’accord commerciaux, d’une défense des institutions du multilatéralisme et d’une ouverture à la concurrence étrangère (Boulanger, 2018).

1.2 Multilatéralisme et interdépendance

Le Japon saute dans le train des accords de partenariat économique (de vastes accords commerciaux dont le pilier central demeure un accord le libre-échange) avec les économies de la région visant le renforcement de l’interdépendance asiatique. Il mise sur les réseaux de production et d’approvisionnement mis en place en Asie depuis le milieu des années 1980. Ils sont les bases matérielles d’une nouvelle politique commerciale libre-échangiste dans laquelle Tokyo place l’Asie au cœur de la prospérité économique nationale. Le Japon signe de nombreux accords commerciaux sur une base bilatérale avec plusieurs pays de l’ASEAN et ensuite avec des pays de l’Amérique latine et de l’Europe. Sa nouvelle politique commerciale l’amène ensuite à participer à des accords plus vastes, dont le Partenariat économique global et régional (PERG) de l’ASEAN+5, l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste avec 11 pays de l’Asie-Pacifique et, enfin, avec l’Union européenne.

La gestion du risque pouvait se faire à l’intérieur d’une économie mondiale fortement interdépendante, mais dont les bases institutionnelles pouvaient s’articuler au sein de ces accords et d’organisations internationales comme l’Organisation mondiale du commerce. Un exemple de cette gestion du risque : les investissements japonais en Chine ont souvent été faits en prenant en considération, de façon relativement informelle, la règle de la « Chine+1 » selon laquelle un investissement en Chine devait être accompagné d’un investissement similaire ailleurs en Asie, par exemple en Thaïlande ou au Vietnam (METI, 2021). Cette règle est en somme une stratégie de diversification du risque pour au moins trois facteurs : premièrement cette règle visait à contrer les impacts négatifs que pourraient avoir des tensions nationalistes sur la production comme en avril 2005 lorsque des manifestations antijaponaises ont déferlé dans les grandes villes de Chine (Chen Weiss, 2014). Deuxièmement, cette règle visait à affronter des enjeux économiques comme ceux induits par le régime chinois d’investissements et celui du droit de propriété qui ont souvent causé bien des maux aux firmes étrangères, affectant ainsi leur production locale. Enfin, cette règle visait à affronter – indirectement – les risques liés aux catastrophes naturelles (à l’image des inondations en Thaïlande 2017 mettant en périls certaines activités des industries japonaises dans ce pays), lesquelles sont en plus forte hausse en Asie qu’ailleurs dans le monde. Par exemple, il y a aujourd’hui en Asie en moyenne 160 cas de catastrophes naturelles en comparaison à 80 pour l’ensemble des Amériques (METI, 2021 : 82).

Cette gestion du risque se faisait en abstraction des références à la sécurité économique, dans la mesure où, d’une part, il n’y avait pas une menace ciblée par exemple à la pérennité des investissements étrangers japonais ou aux chaînes d’approvisionnement et, d’autre part, le principe de « hot economics, cold politics », à défaut d’une institutionnalisation plus contraignante des rapports sino-japonais (Dreyer, 2014), faisait en sorte que les tensions politiques n’étaient pas un frein à l’expansion des rapports commerciaux. L’instabilité pouvant surgir de ces trois facteurs mentionnés ci-dessus peut être alors confrontée sur une base diplomatique, comme ce fut le cas en 2005 (Chen Weiss, 2014) ou sur la base d’une insertion de la Chine dans des accords commerciaux où les droits de propriété intellectuelle sont protégés selon les règles en vigueur dans les économies avancées. Enfin, la gestion des catastrophes naturelles est un enjeu technique que le Japon défend depuis plusieurs années dans sa politique étrangère et notamment dans ses schèmes de coopération avec les pays de l’Asie du Sud-Est.

  1. La nouvelle politique de sécurité économique

2.1. Une pensée stratégique en évolution

L’élection de Joe Biden à la présidence américaine a favorisé une nette amélioration des relations entre les États-Unis et le Japon et cela n’est pas étranger aux efforts du Japon de mettre en place de nouvelles mesures en matière de sécurité nationale, dont la sécurité économique où la Chine est perçue comme menace. En fait cette déclaration de Biden aurait pu sortir de la bouche du premier ministre Fumio Kishida tant les intérêts de sécurité entre les deux pays convergent : « Nous relèverons directement les défis posés à notre prospérité, notre sécurité et nos valeurs démocratiques par notre concurrent le plus sérieux, la Chine »[1]. Cette convergence d’intérêt se reflète plus spécifiquement dans la Déclaration conjointe du Comité consultatif de politique économique États-Unis-Japon qui confirme leur volonté de renforcer leur sécurité économique dans le cadre d’un « ordre international fondé sur des règles » (Département d’État, 2022). C’est dans un tel contexte que le Comité d’experts sur la législation en matière de sécurité économique affirmait dans son rapport du 26 novembre 2021 qu’avec la progression de la mondialisation économique « de nouveaux risques pour la sûreté et la sécurité des personnes sont apparus, et il est de plus en plus nécessaire de reconsidérer la politique économique du point de vue de la sécurité ». Ce comité d’experts est assez clair : « il est devenu important de prendre des mesures préventives pour prévenir l’avènement d’actions affectant l’économie et susceptibles de nuire à la sécurité du pays et de sa population » (notre traduction) (Cabinet Office, 2021). Avec la Loi sur la promotion de la sécurité économique, le gouvernement Kishida soulignait sa volonté de développer une stratégie de sécurisation de la prospérité économique nationale faisant partie d’une tendance plus large de repenser la sécurité nationale dans le contexte d’une affirmation de plus en plus forte de la puissance chinoise en Asie, mais aussi ailleurs dans le monde et dans les organisations internationales, souvent en remettant en question les valeurs et principes de l’ordre international libéral.

Il n’est donc pas surprenant de retrouver quelque mois plus tard dans la nouvelle stratégie de sécurité nationale des références à la sécurité économique (ce qui était à peine effleuré dans la stratégie datant de 2013). Pour le gouvernement, des liens fondamentaux se déploient entre sécurité et économie : « Le Japon cherche à atteindre un cercle vertueux de sécurité et de croissance économique, dans lequel la croissance économique favorisera l’amélioration de la sécurité nationale tout en garantissant un environnement de sécurité dans lequel son économie peut croître » (notre traduction) (IISS, 2023).

Cette intégration étroite de la sphère économique à la stratégie de sécurité nationale (où on discute principalement de menaces militaires) est une rupture avec le modèle de l’après-guerre où la sécurité économique proposait une série de moyens pour hausser et pérenniser la prospérité économique en diminuant les menaces à cette dernière. C’est également la reconnaissance que la gestion du risque des années 2000 et 2010 n’offre plus les bénéfices escomptés.

Est-ce un retour au fukoku kyōhei des années 1868 à 1945 ? Il est peu probable. Par contre, comme pour la pratique du fukoku kyōhei, il est évident, lorsqu’on examine les nombreuses exigences en matière de sécurité que la nouvelle loi impose aux entreprises japonaises, qu’un certain degré d’inefficacité est à prévoir, dont une baisse des gains qu’une entreprise peut retirer d’accords de libre-échange si elle n’avait pas à se préoccuper de ces mesures de sécurité. Par exemple, une entreprise devra prendre en considération cette nouvelle législation dans ses choix d’implanter un centre de recherche ou une usine en Chine, s’il est décidé que ces choix peuvent s’avérer être une menace pour la sécurité économique, et ce, même si les coûts de production en Chine sont moins élevés qu’ailleurs (IISS, 2022).

Par contre, l’importance accordée par Tokyo à la coopération et au multilatéralisme pour atteindre ses objectifs en matière de sécurité économique laisse croire que la défense de l’ordre international libéral demeure au cœur de la législation, laquelle s’inscrit dans l’effort des pays occidentaux de non seulement engager la Chine sur les aspects les plus controversés de sa politique économique étrangère, mais de contenir sa puissance, notamment en ce qui a trait à son accès aux technologies les plus avancées. Sanae Takaichi, la ministre d’État pour la sécurité économique, affirmait en août 2022 que « nous n’avons pas de nation spécifique à surveiller », « cependant nous devons garder un œil attentif sur les pays qui pourraient avoir un impact sur notre sécurité économique, y compris la Chine ». Dans la même veine, discutant des chaînes d’approvisionnement, dont l’interruption de plusieurs pendant la pandémie a eu des effets directs sur les entreprises japonaises, elle affirmait qu’il est « extrêmement important de renforcer celles pour les semi-conducteurs. L’amélioration de la collaboration avec des alliés, y compris les États-Unis, sera essentielle » (notre traduction) (Fujioka et Hagiwara, 2022).

La conceptualisation de la sécurité économique est donc liée de près au constat suivant : « certaines nations, ne partageant pas les valeurs universelles, tentent de réviser l’ordre international existant ». Et « certains pays tentent d’étendre leur propre influence en contraignant économiquement d’autres pays par des moyens tels que la restriction d’exportations de ressources minérales, de nourriture et de fournitures industrielles et médicales, ainsi que l’octroi de prêts à d’autres pays tout en ignorant la viabilité de leur dette » (notre traduction) (Cabinet Office 2022). Dans son plus récent Livre bleu sur la diplomatie, le ministère des Affaires étrangères (2002 : 287) réitère sa confiance dans les accords commerciaux et le multilatéralisme, malgré « l’incertitude croissante à l’égard de l’ordre international libéral », mais n’ignore pas les menaces à la sécurité énergétique et alimentaire qui pèsent sur le pays, des menaces qu’il a mis en exergue dans son rapport annuel.

Les principaux enjeux pour la sécurité économique sont l’interruption des chaînes d’approvisionnement, des menaces, comme les cyber-attaques, qui peuvent nuire au bon fonctionnement des entreprises ou à la sécurité des infrastructures. Ces menaces peuvent venir de la Chine, même si elle n’est jamais nommée, ou d’ailleurs. La sécurité économique participe donc à la défense de l’ordre international, sur deux points principaux : faire en sorte que le Japon puisse résister à la coercition de pays malveillants et donc de réduire sa dépendance à l’égard de ceux-ci. Il n’est pas le seul pays à le faire. Il y a une tendance globale par laquelle l’asymétrie de l’interdépendance ne peut plus être administrée par une hausse de la coopération multilatérale, comme on l’entend habituellement dans les analyses néo-institutionnalistes en relations internationales (Keohane, 2015), mais par une réduction unilatérale du facteur dépendance. Un cas extrême de cette position est le Brexit qui a d’ailleurs mis en évidence les coûts élevés de cette stratégie. Un pays n’en sort pas nécessairement renforcé, ni plus prospère. Ce n’est pas la stratégie du Japon en raison des investissements massifs des firmes japonaises en Chine et du degré d’intégration élevé de leur économie, du moins en matière d’échanges commerciaux. La Chine a toujours été considérée, pour reprendre les mots de l’ancien premier ministre Shigeru Yoshida, comme un « marché naturel[2] » pour le Japon, à l’instar du marché américain pour les firmes canadiennes. Par contre, dans une situation où ces investissements seraient l’objet de coercition, ils doivent être transférés au Japon ou ailleurs, une politique une première fois formulée lors de la pandémie de la COVID-19. En avril 2020, Tokyo offrait aux firmes la possibilité de rapatrier au Japon leurs filiales chinoises où les délocaliser ailleurs en Asie. Dans le cadre d’un budget national additionnel pour affronter le recul économique lié à la COVID-19, Tokyo allouait des sommes considérables : environ 350 millions de dollars pour la première option et deux milliards pour la deuxième (Dreyer, 2020). Il est difficile d’évaluer les résultats de cette politique, d’autant plus qu’il y a dans des circonstances « normales » des centaines de firmes japonaises qui à chaque année mettent fin à leurs activités en sol chinois pour des raisons strictement commerciales.

En juillet 2020, déjà 57 firmes avaient transféré leur production au Japon et 30 autres l’ont fait ailleurs dans la région de l’ASEAN. Il y aurait 1700 entreprises qui auraient montré un intérêt pour le programme (Chen 2020). Un fait nouveau, le gouvernement examine la vulnérabilité des chaînes de valeur en se basant sur les parts de marché détenues par un seul pays au Japon (et/ou par les pays en deuxième et troisième position) (METI, 2020 : 76-129). Ce facteur est central au programme de délocalisation à l’extérieur de la Chine des firmes japonaises (Duchâtel 2020). L’objectif demeure qu’il faut éviter qu’une crise sanitaire, financière ou politique vienne affecter négativement la croissance toujours fragile de l’économie japonaise par le biais d’une rupture dans les chaînes de valeur.

Dans cette optique, la politique de sécurité économique repose sur quatre piliers ou secteurs prioritaires :

  1. Renforcer les chaînes d’approvisionnement des produits stratégiques ;
  2. Assurer la sécurité et la fiabilité des infrastructures clés ;
  3. Accroître le développement de technologies avancées, critiques à la sécurité nationale ;
  4. La non-divulgation de demandes de brevet ;

Ces quatre piliers sont à la base de la vision du gouvernement de sécuriser l’économie nationale contre des actes d’agression de gouvernements étrangers en diminuant le degré de vulnérabilité de ces secteurs économiques (Nakagawa et al., 2022).

2.2. Premier pilier : le renforcement des chaînes de valeur.

Cet aspect est probablement le plus important et c’est le pilier auquel le gouvernement fait le plus souvent référence dans ses documents d’analyse comme ceux produits par le Comité d’experts sur la législation en matière de sécurité économique. La pandémie de la COVID-19 a par ailleurs induit la nécessité d’agir d’urgence à ce niveau. Par exemple, le confinement de la société chinoise en 2020 a forcé les constructeurs automobiles japonais à mettre leurs usines à l’arrêt pendant quelques semaines et/ou à ralentir leur production pendant quelques mois. La Chine représente jusqu’à 38 % des importations japonaises de pièces automobiles depuis quelques années (Obe, 2021).

La résilience des chaînes d’approvisionnement est stratégique, car elles fournissent les « matériaux de base, les composants, les installations, les équipements, les programmes qui sont nécessaires à la production de biens » qui sont indispensables à la « survie de la nation ». Onze secteurs ou produits ont été ciblés : les préparations antimicrobiennes, les engrais, les aimants permanents, les machines-outils et robots industriels, les pièces d’aéronefs (y compris les moteurs et cellules d’aéronefs), les semi-conducteurs, les batteries, l’infonuagique, le gaz naturel, les minéraux métalliques et les pièces et composants pour les navires (moteurs, outils de navigation, hélices, etc.) (Nakagawa et al., 2022).

Ce pilier exige également de nouvelles mesures en matière de contrôle des exportations. En mars 2023, le gouvernement annonçait une ordonnance qui ajoutait 23 items à la liste des articles soumis à des contrôles à l’exportation pour l’agencer aux restrictions déjà en vigueur aux États-Unis. S’y retrouvent des équipements de pointe pour la fabrication de semi-conducteurs et des produits liés à la fabrication d’équipements pour la « lithographie aux ultraviolets extrêmes et des équipements de gravure pour empiler des dispositifs de mémoire en trois dimensions ». La Chine n’est pas nommée dans l’ordonnance, mais l’exportation de ces produits nécessitera une autorisation du METI, à l’exception de ceux à destination de 42 pays « désignés comme amis » (Nikkei, 2023).

Dans le secteur des minéraux métalliques, on retrouve les terres rares mais également plus de 35 autres minéraux comme le germanium, le lithium, le nickel ou le niobium (Nakagawa et al., 2022). Le Japon est dépendant presqu’à 100 % de l’étranger pour ces minéraux. Près de 65 % des importations de terres rares proviennent de la Chine. La menace de Beijing d’imposer un embargo en 2012 a amené le Japon à diversifier ses sources d’approvisionnement, mais aussi à lancer un vaste projet d’exploration des fonds marins dans sa zone économique exclusive. Les efforts du Japon pour exploiter les fonds marins sont passés du stade de la recherche et du développement à celui de l’extraction des ressources.

Si tout se passe comme prévu, la dépendance actuelle du Japon vis-à-vis de la Chine pour ses approvisionnements en métaux de terres rares pourrait être considérablement réduite, voire éliminée d’ici la fin de la décennie. La stratégie nationale de diversification, de recherche et d’exploitation a fait en sorte que la dépendance à l’égard de la Chine est passée de 90 % il y a une décennie à moins de 58 % (Foster, 2023). Par contre, un problème s’élève à l’horizon. La Chine domine la production mondiale, traitant environ 85 % des terres rares mondiales. Elle est maintenant un importateur net de terres rares et tente d’améliorer sa position au sein de cette chaîne de valeur en développant les maillons les plus profitables et les plus stratégiques comme la recherche et le développement ou la fabrication de produits industriels de pointe. Depuis quelques années la Chine règlemente la production et l’exportation de ses terres rares afin de « promouvoir l’exploitation minière et le traitement offshore – la portion la moins profitable et la plus dommageable pour l’environnement de la production de terres rares – afin de maximiser le développement du lucratif secteur en aval pour fabriquer des produits de haute technologie qui nécessitent des intrants de terres rares » (Hui, 2021). Si le Japon peut diversifier ses approvisionnements avec le Vietnam ou le Brésil qui détiennent des ressources importantes, il est probable qu’il va rencontrer sur son chemin des concurrents chinois qui cherchent à s’approvisionner également dans ces marchés. De plus, il devra affronter la concurrence de firmes chinoises qui tentent de conquérir des parts de marché où le Japon est dominant comme dans le secteur des aimants haute performance. La compagnie Hitachi Metals, par exemple, détient la majorité des brevets pour la fabrication d’aimants en néodyme (utilisés entre autres dans les disques durs d’ordinateurs), un marché que la Chine vise à dominer dans les prochaines années (Yao, 2022).

Les actions prises par le Japon pour éliminer sa dépendance à l’égard de la Chine en matière de terres rares sont plutôt une exception. La sécurisation de ses chaînes d’approvisionnement ne suivra pas la même route, mais il n’en demeure pas moins que la « militarisation » (Goto, 2022 ; Funabashi, 2020) par la Chine de ses avantages commerciaux au sein de l’interdépendance globale a poussé le Japon, non pas à s’isoler du marché mondial, mais à se dégager de l’emprise chinoise, d’où la priorité qu’il accorde à la coopération avec les pays démocratiques comme le Canada, l’Australie ou l’Inde.

2.3. Deuxième pilier : assurer la sécurité et la fiabilité des infrastructures clés

La raison d’être de cette mesure, dans le contexte où les infrastructures sont de plus en plus numérisées et complexes, est d’atténuer les risques éventuels liés aux cyber-attaques. Les secteurs visés par ce pilier sont les entreprises d’électricité, les entreprises de gaz, le raffinage du pétrole et les entreprises actives dans le gaz naturel, les approvisionnements en eau, les chemins de fer, le camionnage et les services d’expédition, le transport aérien, les installations aéroportuaires, les télécommunications, la radiodiffusion, les services postaux, les institutions financières et les services de cartes de crédit (Sakurada et al., 2022).

Les exploitants d’infrastructures qui ne sont pas dans cette liste devront cependant se plier aux exigences de la loi si le ministère compétent a déterminé que ces infrastructures « utilisent des installations critiques dont la suspension ou le dysfonctionnement entraînera des perturbations dans la fourniture stable de services et présentent un risque élevé de porter atteinte à la sécurité du Japon et de sa population ». Dans tous les cas, les exploitants devront soumettre une évaluation du risque à l’intérieur d’une période de temps fixe (Sakurada et al., 2022).

2.4. Troisième pilier : accroître le développement de technologies avancées, critiques à la sécurité nationale

La raison d’être de ce pilier est de sécuriser la recherche et le développement ainsi que l’utilisation et l’exploitation des technologies de pointe, en particulier celles qui sont « importantes pour le maintien de la vie des gens et des activités économiques ». La loi fait référence à deux cas : premièrement, des « acteurs étrangers » peuvent faire une utilisation « inappropriée de ces technologies » et, deuxièmement, la dépendance étrangère du Japon à l’égard de ces technologies « rend problématique la continuation de leur utilisation » au pays. À cet égard le Japon propose un renforcement de la coopération entre les secteurs privé et public, entre autres dans les secteurs de l’aérospatiale, l’informatique quantique, l’intelligence artificielle et les biotechnologies (Nakagawa et al., 2022).

2.5. Quatrième pilier : la non-divulgation de demandes de brevet

Toute une série de brevets considérés comme essentiels et stratégiques à la sécurité nationale seront protégés. Selon le quotidien Nikkei, le secret d’État sera imposé aux brevets qui peuvent aider à développer des armes nucléaires, telles que l’enrichissement d’uranium et des innovations de pointe comme la technologie quantique. Le Japon indemnisera les entreprises pour conserver des brevets secrets avec des applications militaires potentielles en vertu de la législation sur la sécurité économique (cité dans Reuters, 2021). À la suite d’un processus décisionnel où la décision finale de protection d’un brevet sera prise par le premier ministre, des restrictions seront imposées à son utilisation. Entre autres : des restrictions seront imposées à l’utilisation du brevet par une personne non autorisée ; il y aura une interdiction de divulguer le brevet ; il y aura une mise en œuvre de « systèmes d’approbation pour partager l’invention avec d’autres opérateurs commerciaux » et, enfin, il sera interdit de déposer une demande de brevet à l’international (Nakagawa et al., 2022).

  1. Mise en application et coordination nationale et internationale de la loi sur la sécurité économique

 La mise en application de la nouvelle loi sur la sécurité économique prendra plusieurs années et exigera des efforts considérables de coordination entre les entreprises privées, les centres de recherche privés et publics et les universités, le secteur financier, les organisations patronales comme le Keidanren et Keizai Doyukai et plusieurs ministères et agences gouvernementales. De plus, le gouvernement offrira une aide financière substantielle pour aider les firmes à s’adapter aux nouvelles exigences de la loi. Par exemple, lorsqu’un brevet sera gardé secret, le gouvernement remboursera jusqu’à 20 ans de revenus liés aux royautés. Dans le cas des chaînes d’approvisionnement ou des infrastructures, une aide financière sera automatiquement offerte si des améliorations doivent être apportées afin de respecter les exigences de la loi.

Le Cabinet a donc mis en place en août 2021 le Conseil pour la promotion de la sécurité économique dirigé par le premier ministre (Cabinet Office, 2021). Le processus décisionnel en matière de sécurité économique place le premier ministre et le Kantei au cœur de celui-ci reflétant une tendance forte depuis deux décennies favorisant l’activisme de l’exécutif en ce qui a trait aux politiques de sécurité et de défense nationales. D’ailleurs, le premier ministre est à la tête du Conseil de sécurité nationale (Kokka anzen hoshō kaigi) à l’intérieur duquel un bureau est dédié à la sécurité économique. Cependant, c’est une ministre d’État (qui ne siège pas au Conseil de sécurité nationale), Sanae Takaichi, qui est en charge de la politique de sécurité économique, renforçant l’impression que le Kantei garde la main haute sur ce domaine stratégique de la politique étrangère.

Plusieurs ministères sont directement impliqués dans la mise en application et la gestion de la politique de sécurité économique : le METI, le ministère du Territoire, des Infrastructures, du Transport et du Tourisme, le ministère de la Santé, de la Sécurité sociale et du Travail, le ministère de l’Agriculture, des Pêches et de la Forêt, ainsi qu’une série d’agences gouvernementales comme le Bureau des brevets ou bien encore la Japan Organization for Metals and Energy Security créée à la suite des menaces chinoises d’embargo sur les terres rares. Ces organes du gouvernement ont la responsabilité de non seulement mettre en application la nouvelle législation, mais également de « raffiner » la stratégie nationale pour tenir compte des particularités des activités des entreprises concernées. Le cas par cas sera probablement la règle compte tenu que cette nouvelle politique ne doit pas avoir une portée protectionniste et doit s’ancrer dans la politique commerciale libre-échangiste du gouvernement.

Le ministère de la Défense sera probablement appelé à intervenir dans les décisions prisent en ce qui a trait aux limites imposées aux échanges internationaux afin de diminuer la vulnérabilité des secteurs économiques, des infrastructures et des technologies de pointe en lien avec la sécurité militaire. La nouvelle stratégie de défense nationale est explicite à ce sujet : le ministère de la Défense doit renforcer la sécurité des infrastructures nationales les plus vulnérables et « alimenter » le développement de l’industrie nationale de la défense (IISS, 2023). D’ailleurs, les secteurs visés par la politique de sécurité économique sont souvent dominés par des firmes qui détiennent à la fois des activités de production civiles et militaires.

Le ministère des Affaires étrangères détient un rôle important pour coordonner les efforts du Japon avec ses principaux alliés. Cette coordination a déjà débuté avec les États-Unis et repose sur des liens étroits développés depuis plusieurs décennies par exemple sur les brevets ayant une portée stratégique. En 1956, les États-Unis et le Japon ont signé un accord dans le but de « faciliter l’échange de droits de brevet » et « prévoit de garder secrètes les demandes de brevet déposées auprès du gouvernement japonais ». Cet accord sera soumis à la nouvelle loi sur la sécurité économique à partir de 2024 (Koike, 2022).

Le Japon a mis en place une nouvelle loi sur les secrets d’État en 2013 visant à imposer de nouvelles limites à la divulgation d’information considérée comme stratégique. Cette loi a souvent été interprétée comme faisant partie intégrante de la coopération américano-japonaise en matière de sécurité qui déjà, en 2007, avait amené les deux pays à signer l’Accord sur la sécurité générale des informations militaires (Pollman, 2015).

Par ailleurs, en 2021, ces deux pays mettaient en branle The U.S.-Japan Competitiveness and Resilience (CoRe) Partnership (Maison-Blanche, 2022) qui depuis fait partie intégrante du US.-Japan Economic Policy Consultative Committee (EPCC ou Economic 2+2) qui porte sur la coopération dans un vaste ensemble de secteurs économiques, dont plusieurs sont inclus dans la stratégie japonaise de sécurité économique notamment la résilience des chaînes d’approvisionnement, des infrastructures et des réseaux de communication, les ordinateurs quantiques, le commerce numérique ou les contrôles à l’exportation de technologies sensibles (Département d’État, 2022).

La coopération se poursuit avec d’autres pays démocratiques, avec par exemple, l’initiative du Japon, de l’Australie et de l’Inde pour renforcer la résilience de leurs chaînes de valeur (« Supply Chain Resilience Initiative ») (METI, avril 2021) qui apparait cibler les risques associés au marché chinois. Enfin, le ministère des Affaires étrangères (2022 : 303) a placé dans plus de 60 missions diplomatiques des « assistants spéciaux pour les ressources naturelles » afin de participer au renforcement et à la stabilité des approvisionnements en énergie et en ressources minérales. Il est rare qu’une politique publique nationale recouvre autant d’acteurs et de domaines. Pour assurer son succès, les efforts de coordination seront, somme toute, monumentaux.

Conclusion

 Trois défis se dressent à l’horizon. Une batterie de nouvelles lois devront être adoptées par le Parlement pour permettre une mise en application détaillée et précise de cette nouvelle loi sur la sécurité économique. Même si certaines grandes entreprises ont déjà mis en place à l’intérieur de leur structure organisationnelle des instances pour la gestion de la sécurité économique, il n’en demeure pas moins, que des contraintes législatives trop fortes pourront ralentir, voire mettre un frein à leurs activités à l’étranger, en particulier en Chine, par exemple pour protéger des technologies de pointe. Les entreprises devront apprendre à incorporer dans leur processus décisionnel des analyses de risque qui devront être acceptées par le ministère compétent. La complexité du processus (notamment pour les nombreuses PME spécialisées dans le développement ou l’utilisation de technologies de pointe) exigera une étroite collaboration avec les instances bureaucratiques. Si cette collaboration était une caractéristique dynamique du modèle développementaliste,  aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation, elle est bien souvent défaillante.

La coopération du Japon avec ses partenaires commerciaux partageant les mêmes idées en matière de sécurité économique est essentielle. À cet égard, les efforts diplomatiques du gouvernement ne sont pas négligeables, mais il n’en demeure pas moins que les États-Unis font quelques fois peu de cas des intérêts de leurs alliés dans sa tentative de contenir l’émergence d’une superpuissance technologique chinoise comme en font foi ses restrictions à l’exportation dans le secteur des semi-conducteurs qui ne prennent pas nécessairement en considération la complexité multinationale de cet environnement technologique. Le créneau des firmes japonaises dans ce domaine est la machinerie nécessaire à la production et elles pourraient devenir alors des victimes collatérales des décisions américaines.

Enfin, la Chine n’a pas encore répliqué aux effets déjà contraignants des mesures d’endiguement de ses capacités technologiques. Deux trajectoires non exclusives peuvent émerger : d’une part, la Chine réussira à surmonter les limites imposées par les pays étrangers, dont le Japon, en développant ses propres capacités et ses propres marchés d’exportation en mesure d’offrir une concurrence qui pourrait se retourner contre les entreprises japonaises. Une autre trajectoire place la Chine, dans la continuité de sa diplomatie peu coopérative, voire querelleuse, dans une position de rivalité imposant des sanctions commerciales sévères au Japon comme elle l’a fait avec d’autres pays dont l’Australie, mettant en péril à la fois les exportations et investissements nippons en Chine. Si le gouvernement ne veut pas que cette nouvelle loi dégénère dans une guerre commerciale avec la Chine, elle ne devrait pas devenir une fin en soi ni un imbroglio bureaucratique et encore moins une nouvelle forme de protectionnisme, mais strictement une mesure exceptionnelle pour amener la Chine à dégager ses activités économiques de ses ambitions politiques.

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[1] Cité dans : The National Institute for Defense Studies (2022), p. 77 [notre traduction].

[2] En 1949, Yoshida déclarait : « Peu m’importe que la Chine soit rouge ou verte. C’est un marché naturel, et le Japon doit raisonner en termes de marché ». Cité dans Serra (2007 : 517).

Quel avenir géopolitique pour la Nouvelle-Calédonie ?

Paco Milhiet

 Docteur en Géopolitique de l’Institut Catholique de Paris, et de l’Université de la Polynésie française. Enseignant-chercheur au Centre de recherche de l’École de l’air, enseignant à Science-po Aix.

pmilhiet@gmail.com

Résumé : Les trois référendums d’autodétermination successifs menés entre 2018-2021 en Nouvelle-Calédonie n’ont pas permis, pour l’instant, de définir le futur statut de la collectivité. Une situation politique interne compliquée, à laquelle se superposent des problématiques géopolitiques à différentes échelles. Territoire stratégique riche en matières premières, à travers une Zone économique exclusive étendue, la collectivité est la cible de convoitises internationales.

Mots-clés : Nouvelle-Calédonie, Indo-Pacifique, France, Outre-mer, Géopolitique

Summary : The three self-determination referendums held in New-Caledonia between 2018 and 2021 have not yet defined the future statute of  the French overseas collectivity. In addition to this complicated domestic situation, the territory with its strategic location, raw materials and extensive exclusive economic zone (EEZ) is facing growing attention from various international actors.

Keywords : New Caledonia, Indo-Pacific, France, French oversea territories, Geopolitics

La Nouvelle-Calédonie est un archipel sous souveraineté française situé dans le Pacifique Sud, à quelques 1200 km à l’est-nord-est des côtes australiennes et à 1 500 km au nord-nord-ouest de la Nouvelle-Zélande.

Peuplée par des populations kanak[1] depuis plus de 3 000 ans, la Grande terre, l’île principale de l’archipel, est découverte par James Cook en 1774 et proclamée française en 1853. Les vagues successives d’immigrations de colons européens et asiatiques, conjuguées aux guerres, à l’alcoolisme, et aux maladies, vont marginaliser le peuple kanak qui devient minoritaire (Cailloce, 2020). D’abord discriminé par l’autorité coloniale, notamment à travers la spoliation foncière, la population autochtone a progressivement accédé aux droits civiques, mais reste largement en marge du développement économique de l’île provoqué par la découverte du nickel en 1874.

Les indépendances successives dans le Pacifique océanien (les îles Samoa en 1962, Nauru en 1968, les îles Fidji et Tonga en 1970, les îles Salomon en 1975 et le Vanuatu en 1980), influencent les revendications culturelles et nationalistes en Nouvelle-Calédonie. En 1984 le Front de Libération National kanak et Socialiste (FLNKS), nouvellement créé, boycotte les élections territoriales, organise des barrages sur les routes, et met en place d’un gouvernement provisoire de Kanaky. C’est le début des « événements », dénomination pudique pour qualifier une réelle situation de guerre civile. Le paroxysme des tensions est atteint en 1988 avec la prise d’otage d’Ouvéa. Quatre gendarmes sont assassinés, vingt-sept autres sont détenus dans une grotte, en pleine période des élections présidentielles française de 1988. Une opération de libération des otages menée par l’armée française se solde par la mort de dix-neuf indépendantistes et de deux militaires.

La médiation de Michel Rocard, alors premier ministre, aboutit à la signature des accords de Matignon en juin 1988, prévoyant la mise en place d’un statut de transition de dix ans qui devait se solder par un référendum d’autodétermination. L’accord de Nouméa de 1998 repousse l’échéance électorale de vingt ans (2018) et prévoit la possibilité d’organiser deux autres référendums en cas de vote négatif.

Le processus référendaire organisé en trois scrutins entre 2018 et 2021 constitua donc une période charnière pour l’avenir de la collectivité. La période de transition prévue par les accords de Nouméa étant désormais terminée, quelles perspectives géopolitiques se profilent pour la Nouvelle-Calédonie ?

L’évolution statutaire calédonienne demeure un processus en construction qui suscite énormément de débats et tensions au sein de la collectivité. Le futur statut aura des conséquences nationales, car il entrainera une réforme de la constitution française (I).  Par ailleurs, l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie sera observé par de nombreux acteurs des relations internationales qui s’intéressent à ce territoire stratégique et y développent leur influence (II).

Les enjeux en Nouvelle-Calédonie sont donc imbriqués et différenciés à toutes les échelles d’analyses ; locale, nationale, régionale et internationale. Autant de représentations géopolitiques d’un même espace étudié qu’il convient d’analyser dans cet article.

Fig. 1. Localisation de la Nouvelle-Calédonie.

Réalisation : Paco Milhiet 2023, www.d-map.com

1.     Avec la fin des accords de Nouméa, le retour de l’instabilité politique ?

« Je savoure à l’avance la perplexité des professeurs de droit public devant la nouveauté et l’étrangeté de l’objet constitutionnel que vous venez d’inventer ensemble […] ». Michel Rocard, discours du 5 mai 1988

La Nouvelle-Calédonie est une collectivité d’outre-mer sui generis. Elle dispose d’une architecture institutionnelle unique en France avec son propre organe exécutif, le Gouvernement, un Président, un organe législatif, le Congrès et un sénat coutumier. La collectivité est également divisée en 3 provinces, chacune possède une assemblée délibérante et dispose de représentants au Congrès.

L’État reste compétent dans les domaines régaliens (la justice, l’ordre public, la défense, la monnaie et les affaires étrangères), mais la collectivité calédonienne peut voter des « lois du pays » dans les domaines énumérés par la loi organique. La Nouvelle-Calédonie bénéficie donc d’un partage de souveraineté et d’une large autonomie. Elle dispose même de représentants à l’étranger dans les ambassades de France, et d’un siège indépendant de celui de la France dans plusieurs organisations internationales (Organisation internationale de la francophonie, UNESCO, forum des îles du Pacifique, l’Organisation mondiale de la santé, le Programme régional Océanie sur l’Environnement, la Communauté du Pacifique-le siège de l’institution est à Nouméa).

Autre spécificité locale, l’institution d’une citoyenneté calédonienne distincte de la  nationalité française. Cette disposition exclut des votes locaux toute personne installée sur le territoire après 1994, soit près de 34 000 personnes, 17% du corps électoral. Ce régime dérogatoire est donc contraire à la notion d’égalité des citoyens, pourtant inscrit dans la constitution française.

1.1. Trois référendums, et ensuite ?

Conformément aux accords de Nouméa et au titre XIII de la constitution française, les Calédoniens étaient invités à répondre trois fois entre 2018 et 2021 à la question suivante : « voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ». Une première échéance référendaire fut organisée en novembre 2018 La mobilisation des électeurs fut au rendez-vous avec près de 81 % de participation. Le score des indépendantistes se révéla bien plus élevé que ce que n’avaient prédit les sondages. Si le « non » l’a emporté à 56,67 %, seulement 18 000 voix séparèrent les deux camps. La corrélation entre l’appartenance communautaire et le vote fut quasi parfaite. Les Kanak ont voté pour l’indépendance, les autres communautés ont voté contre (voir Tableau 1). Les statistiques ethniques étant autorisées en Nouvelle-Calédonie, cette ethnicisation du vote a été démontrée (Pantz, 2021). En octobre 2020 a eu lieu le deuxième référendum avec un taux de participation en hausse (85 %) et des résultats plus serrés. Le « non » l’a encore emporté, mais avec seulement 53 ,26 % des suffrages exprimés, et un écart entre les deux camps de près de 10 000 voix.

Oui Non Participation
1er référendum du 4/11/2018 43.33% 56.67% 81.01%
2e référendum du 4/10/2020 46.74% 53.26% 85.69%
3e référendum du 12/12/2021 3.50% 96.50% 41.87%

Tableau 1. Les résultats du processus référendaire en Nouvelle-Calédonie : «  Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? »

Réalisation : auteur, d’après le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie : https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Elections

Le scénario du pire, une majorité à 50,1 %, était à craindre pour le 3ème référendum du 12 décembre 2021. Mais les principaux partis indépendantistes ont finalement appelé à ne pas participer au scrutin en raison du contexte sanitaire lié à la crise covid. Les résultats (96,5 % de « non ») furent donc un trompe-l’œil masquant une abstention record.

Ainsi, le processus référendaire qui devait déboucher sur une évolution statutaire consensuelle s’apparente désormais comme le début d’une période de confrontation politique. Les partis indépendantistes ont déjà contesté la légitimité démocratique du dernier referendum auprès d’organisations internationales (ONU, Forum des îles du Pacifique, Groupe de fer-de-lance mélanésien). L’ethnicisation du vote est une réalité démontrée même si elle va à l’encontre du destin commun prôné par l’État depuis 1988.

Et maintenant ? L’accord de Nouméa reste évasif en cas de choix de maintien au sein de la République française, « si la réponse [à la troisième consultation] est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Les spécialistes de droit constitutionnel débattent des dispositions à adopter. L’échéance référendaire prévue étant arrivée à son terme, le statut actuel est-il devenu caduc ? C’est ce qu’avait défendu l’ex-ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu (Lecornu, 2021). De nombreuses dispositions des accords de Nouméa sont en effet contraires à des principes constitutionnellement protégés, notamment la restriction du corps électoral pour les élections locales. Une révision constitutionnelle (1998) fut même nécessaire pour « constitutionnaliser » l’accord de Nouméa. Celui-ci étant arrivé à son terme, plus rien ne justifie a priori les atteintes aux droits et libertés garantis par la constitution. Certains spécialistes du contentieux pourraient à terme contester la validité des prochaines échéances électorales et annuler les élections, notamment les élections provinciales de 2024.

D’autres arguent que certaines dispositions prévues par les accords sont irréversibles : la notion de peuple kanak, la citoyenneté calédonienne, les restrictions au droit de vote pour certains nationaux, l’emploi local (Chauchat, 2021). Le principal point d’achoppement concerne évidemment le gel du corps électoral pour les scrutins locaux et référendaires, une revendication historique des partis indépendantistes pour ne pas devenir minoritaire lors des échéances référendaires. Une remise en cause de cette disposition pourrait menacer la paix civile.

Un seul point semble faire l’unanimité, une révision constitutionnelle est inévitable.

1.2. Vers un fédéralisme à la française ?

L’évolution statutaire calédonienne constitue un processus inédit dans le droit constitutionnel français. Les dérogations accordées à l’entité calédonienne rapprochent la France d’une organisation quasi fédérale, dans laquelle l’État partage avec la Nouvelle-Calédonie différentes compétences législatives, juridictionnelles et administratives. Si la notion de « souveraineté partagée » ne fait pas l’unanimité dans un pays centralisé comme la France (Lemaire, 2005), l’État, à travers l’évolution statutaire calédonienne, déroge à certains principes fondateurs de sa constitution (Descheemaeker, 2023).

Avec les lois de pays désormais admises en Nouvelle-Calédonie, une réinterprétation constructive du principe d’« unicité » de la République est en cours. Le caractère « indivisible » de celle-ci est également remis en cause par la possibilité offerte à la Nouvelle-Calédonie de se séparer de l’ensemble républicain. L’évolution calédonienne sera donc scrupuleusement observée dans d’autres collectivités françaises, celles-ci pouvant inspirer d’autres mouvements autonomistes en France.

D’abord dans le Pacifique, les statuts de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie ont souvent évolué conjointement (Regnault, 2013). Localement, les Polynésiens lorgnent sur les Calédoniens quand ils ont un meilleur statut et inversement. Certains attributs de souveraineté sont reconnus sans difficulté à Papeete et depuis longtemps, comme le drapeau, l’hymne, la langue, tandis que cela donne lieu à des débats houleux à Nouméa. L’évolution statutaire en Nouvelle- Calédonie exercera donc forcément une influence en Polynésie française, mais aussi dans d’autres collectivités, où des acteurs – autonomistes ou indépendantistes – s’inspireront du futur statut calédonien pour définir un nouveau rapport de force avec l’État. Ainsi, les autonomistes corses font désormais référence à la Nouvelle-Calédonie pour espérer une évolution statutaire de « l’île de beauté ». Le gouvernement français brandit parfois même la menace d’une « autonomie imposée » pour recadrer des mouvements sociaux qui lui sont défavorables comme ce fut le cas lors des contestations en Guadeloupe en 2021.

Il faudra donc beaucoup d’audace, et de la créativité aux différents responsables politiques pour que la prochaine réforme constitutionnelle, prévue en 2024, satisfasse tout le monde. L’évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie sera également observée au-delà des frontières nationales françaises. Ce territoire stratégique, au cœur de l’océan Pacifique, est désormais convoité par différents acteurs des relations internationales.

2. Nouvelle-Calédonie :  à la confluence d’intérêts géopolitiques concurrents

« Nous n’avons pas peur de la Chine. C’est la France, pas elle, qui nous a colonisés. (…) Nous ne nous tournons pas que vers l’Europe, elle est loin d’ici, on ne va pas faire aujourd’hui comme si la Chine n’existait pas ».

Roch Wamytan, Le Monde, 2020[1].

Longtemps marquée par son insularité et son éloignement des principales routes commerciales, l’Océanie devient une zone géopolitique au centre des problématiques internationales, théâtre d’une lutte d’influence sino-américaine en ce début de XXIème siècle. Si l’Océanie est considérée comme un « lac américain » (Heffer, 1995) au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la République Populaire de Chine (RPC) y développe son influence depuis le début du XXIème siècle.  Les diverses stratégies adoptées par Pékin dans la zone sont d’ailleurs bien documentées (Wesley-Smith, 2021) : manipulation du roman national, influence économique, relais de la diaspora, aides au développement, diplomatie du portefeuille visant à limiter toute influence de Taiwan, participation et organisation de dialogues multilatéraux, coopérations politiques et militaires bilatérales. En 2017, la diplomatie chinoise faisait même la promotion de trois « passages économiques bleus », comme composantes des Nouvelles routes de la soie maritimes, notamment le passage « Chine-Océanie-Pacifique Sud » (Jie, 2017). La tournée diplomatique du ministre des Affaires étrangères de la RPC, Wang Yi, en 2022 dans huit États de la zone (les Salomon, Kiribati, Samoa, Fidji, Tonga, Vanuatu, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Timor-Leste), ponctuée par un sommet régional aux îles Fidji, confirme cet intérêt croissant.

Les collectivités françaises de l’Indo-Pacifique (CFIP), spécifiquement la Nouvelle-Calédonie, étaient et sont toujours concernées par la montée en puissance de la Chine en Océanie. Les autorités françaises sont longtemps restées discrètes sur ce phénomène pourtant déjà bien documenté et très largement discuté dans les sphères de pouvoir des pays riverains (Australie et États-Unis en particulier).

2.1. Une pierre angulaire de la stratégie Indo-Pacifique française

Une bascule s’est opérée en mai 2018 avec l’élaboration d’une stratégie Indo-Pacifique annoncée par le président Emmanuel Macron lors d’un discours en Australie puis en Nouvelle-Calédonie. Depuis cette date, le Président et les différentes autorités françaises concernées font systématiquement référence au concept Indo-Pacifique quand ils s’expriment sur des questions relatives à la géopolitique de l’Asie et des océans Indien et Pacifique. Le concept a même fait l’objet d’une publication interministérielle en 2022 (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 2022). Cette nouvelle nomenclature permet à la diplomatie française de légitimer et crédibiliser le statut de la France dans la région, en valorisant ses attributs de puissance diplomatiques, culturels, économiques et militaires. En effet, 93% des 11 millions de km² de la ZEE française se situent en Indo-Pacifique, près de 1,7 million de citoyens français résident dans les CFIP, 20 000 expatriés français habitent les pays de la région, 7 000 filiales d’entreprises y sont implantées et près de 7 500 militaires stationnent en permanence dans les cinq bases prépositionnées de la zone (dont 1 450 en Nouvelle-Calédonie). Parmi les 70 riverains de l’Indo-Pacifique, 16 ont une frontière maritime avec la France.

C’est donc avant tout l’exercice de la souveraineté nationale dans les collectivités françaises de la zone qui légitime la présence française. Ainsi, l’île de La Réunion, Mayotte, les Terres australes et antarctiques françaises, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française sont une composante majeure de la stratégie mise en œuvre par l’État. La Nouvelle-Calédonie n’échappe pas à ce phénomène, et en constitue même la pierre angulaire. Rien d’étonnant donc que le président de la République, Emmanuel Macron, ait choisi Nouméa en 2018 pour expliciter sa nouvelle stratégie. La Nouvelle-Calédonie est la plus grande des CFIP en termes de superficie terrestre et sa ZEE représente 13% de la ZEE française. Territoire riche en matières premières, elle est la seule CFIP disposant d’une économie significative en dehors des subsides de l’État.

Particularité géologique du « caillou »[2], la Nouvelle-Calédonie possède une grande richesse minérale, particulièrement en nickel. Ce métal, parfois qualifié « d’or vert », entre dans la composition de très nombreux alliages métalliques et aciers inoxydables. Il est également indispensable pour le marché de batterie de véhicule électrique. Selon le United States Geological Survey, la Nouvelle-Calédonie détiendrait environ 7 %, des réserves mondiales de nickel, en cinquième position (IEOM, 2021) après l’Indonésie (21 %), l’Australie (21 %), le Brésil (16 %) et la Russie (7%). Malgré une baisse de production pour les années 2020 et 2021, la Nouvelle-Calédonie reste le quatrième producteur mondial. La production métallurgique représente 90 % des exportations du territoire et emploi 12 000 personnes quasiment 20 % de la population active. Mais la principale richesse de l’île est en train de devenir un fardeau économique. Sur la période 2008-2020, les trois principaux opérateurs métallurgiques de l’île[3] ont cumulé près 16,3 milliards d’euros de déficit (soit 200 % du PIB calédonien de 2021). Le dernier exercice bénéficiaire remonte à 2007. Aucune des usines n’est rentable, et la production en recule. Si bien que certains spécialistes pensent qu’il serait préférable pour la Nouvelle-Calédonie de se détourner du nickel pour valoriser d’autres ressources naturelles (Vandendyck, 2020). Si une crise politique venait se superposer à la crise industrielle et économique en cours, d’autres acteurs des relations internationales pourraient en profiter pour tisser leur influence localement, en premier lieu la RPC, actrice incontournable du marché international du nickel.

2.2. Un territoire convoité

À l’instar de nombreuses matières premières, la RPC a pris la maitrise du marché mondial du nickel à travers un contrôle étatique sur les grands groupes chinois. Le gouvernement de Pékin soutient les capacités de production de pays émergents comme l’Indonésie, qui dépassent la production calédonienne. Pour la Chine, la conjoncture économique calédonienne est un enjeu secondaire, mais son appétit insatiable pour les matières premières en générale et le nickel en particulier, font de la Nouvelle-Calédonie un territoire stratégique et donc convoité. En 2021, les commandes chinoises concentrent 66 % de la totalité des exportations du territoire (IEOM, 2021). Le déplacement de Zhai Jun, ancien ambassadeur de Chine en France, sur le « caillou » en 2017 atteste de cet intérêt. À mesure que les acteurs du nickel calédonien s’enfoncent dans la crise, les intérêts chinois sur l’île vont probablement se développer. Le partenariat entre la Société minière du Sud Pacifique et l’entreprise chinoise Yangzhou Yichuan Nickel Industry, confirme l’intérêt de groupes chinois pour le nickel calédonien. Et les liens ne se limitent pas au secteur du nickel.

Contrairement à la Polynésie française ou à l’île de La Réunion, il n’y a pas de communauté chinoise établie en Nouvelle-Calédonie. Mais la RPC a une longue tradition de soutien des partis politiques qui s’opposent à l’influence occidentale. Le soutien aux indépendantistes n’est pas annoncé publiquement, mais le spectre de la rhétorique anticoloniale est bien présent. La Chine est membre du comité spécial des 24, organisme responsable de la promotion de la décolonisation aux Nations unies, qui a inscrit la Nouvelle-Calédonie (1986) et la Polynésie française (2013) sur la liste des pays considérés comme non autonome, au grand dam de la diplomatie française (Al Wardi, 2018). Par ailleurs, la RPC a déjà pénétré les réseaux multinationaux océaniens, à travers des financements au Groupe de fer-de-lance mélanésien et en étant membres associés du Forum des îles du Pacifique, de l’Organisation du tourisme pour le Pacifique Sud et de la Western and Central Pacific Fishing Commission.

Localement, depuis 2016, une association d’amitié sino-calédonienne a été créée par l’ancienne directrice de cabinet de Roch Wamytan, président du Congrès et grand leader indépendantiste. Cette association entretient des liens étroits avec l’association du peuple chinois pour l’amitié avec l’étranger (APCAE), organisme parapublic qui promeut les relations entre la RPC et le reste du monde en nouant des relations avec des organisations et personnalités étrangères « amies » de la Chine. Certains observateurs lui reprochent cependant d’être un outil de propagande diplomatique, mené par d’anciens fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères. Une façade publique du système du Front Uni, pour influencer et coopter les élites afin de promouvoir les intérêts du PCC (Brady, 2003).

Si les spéculations d’une « Nouvelle-Calédonie chinoise » en cas de départ français sont parfois invoquées dans la presse, la présence chinoise dans la collectivité reste pour l’instant modeste et repose sur peu d’éléments tangibles. Un autre acteur des relations internationales a par ailleurs démontré de l’intérêt pour les ressources calédoniennes. Il s’agit du PDG de l’entreprise Tesla, Elon Musk. Son entreprise a signé un accord de livraison de nickel avec le complexe industriel de Prony Ressources en Nouvelle-Calédonie. L’objectif pour l’entreprise américaine est de maitriser davantage la production des batteries du futur des véhicules électriques et autonomes. La maitrise de l’exploitation et de l’approvisionnement des matières premières est une composante fondamentale des rivalités géopolitiques. Si certains spéculaient sur une influence grandissante de la Chine en Nouvelle-Calédonie, avec l’arrivée de Tesla, il semblerait que la Nouvelle-Calédonie penche plus du côté américain, du moins pour l’instant. En plein exercice de soft power pour (re)conquérir une zone d’influence traditionnelle, le gouvernement américain même prit la liberté d’invité le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et figure du mouvement indépendantiste, Louis Mapou, à Washington lors d’un sommet insulaire des pays du Pacifique, ce qui a suscité un certain malaise à Paris.

Fig. 2. Le Président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou, aux côtés du Secrétaire d’État américain Anthony Blinken.

Crédit : The Pacific Journal, https://www.pacific-journal.com/area/first-meetings-for-president-mapou-in-washington-d-c/

Conclusion : La Nouvelle-Calédonie et le Québec, des convergences francophones en Indo-Pacifique ?

Le contexte géopolitique calédonien reste donc incertains en ce début d’année 2023, les prochaines échéances politiques seront cruciales et devront être observées scrupuleusement, notamment le voyage présidentiel d’Emmanuel Macron annoncé en juillet 2023, les élections provinciales et la réforme constitutionnelle de 2024.

En attendant, un transfert de souveraineté évolutif s’invente au quotidien, non seulement à Paris, à Nouméa et peut-être bientôt ailleurs. Il ne serait donc pas étonnant, à terme, de voir la collectivité calédonienne définir une stratégie Indo-Pacifique propre, en complément du narratif développé à Paris. À cet égard, l’exemple canadien pourrait servir de référence. Si le Canada a officialisé sa propre stratégie Indo-Pacifique en décembre 2022, une de ses provinces, le Québec, l’avait devancé depuis février 2021 (Lasserre, 2023). Au Canada, les affaires étrangères demeurent une compétence fédérale, mais plusieurs provinces, en particulier le Québec, exercent une action internationale en matière de culture, de santé et d’éducation (doctrine Gérin-Lajoie). Ces outils « para diplomatiques » (Soldatos,1990) permettent à la « la belle province » de disposer de bureaux de représentations à l’étranger, notamment en Indo-Pacifique (Japon, Singapour, Inde, Chine, Corée du Sud). Un exemple à suivre, peut-être, pour la France et la Nouvelle-Calédonie ?

Des projets de collaborations pour la promotion d’une francophonie « Indo-Pacifique » pourraient même voir le jour…

Ces thématiques souvent apolitiques et consensuelles pourraient associer Québécois et Calédoniens sans distinctions sociales et ethniques, dans un objectif commun de promotion et d’interconnaissances culturelles.  Le sujet est ouvert !

Paco Milhiet

Références

Al Wardi, Sémir (2018). La Polynésie française est-elle une colonie ? Outre-mers 2018/1 n°398-399.

Al Wardi, Sémir, (dir.), Regnault, Jean-Marc (dir.) (2021). L’Indo-Pacifique et les Nouvelles routes de la soie, Société française d’histoire des Outre-Mers.

Al Wardi, Sémir ; Regnault, Jean-Marc ; Sabouret, Jean-François (dir.) (2017), L’Océanie convoitée. Histoire, géopolitique et sociétés, Paris, CNRS éditions.

Brady, Anne-Marie (2003). Making the Foreign Serve China: Managing Foreigners in the People’s Republic. Lanham : Rowman & Littlefield Publishers.

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Guiart, Jean (1983). La terre est le sang des morts, L’homme et la société 67-68, pp. 99-113.

Heffer, Jean (1995). Les États-Unis et le Pacifique. Histoire d’une frontière, Paris, Albin Michel.

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Regnault, Jean-Marc (2013). L’ONU, la France et les décolonisations tardives, l’exemple des terres françaises d’Océanie, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille.

Vandendyck, Bastien (2020). Deuxième référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie : horizons incertains, Institut des relations internationales et stratégiques, Asia Focus n° 147, https://www.iris-france.org/notes/deuxieme-referendum-dautodetermination-en-nouvelle-caledonie-horizons-incertains/

Wesley-Smith, Terence. (dir) (2021), The China Alternative: Changing Regional Order in the Pacific Islands. Canberra, Pacific Series, ANU Press.

[1] Harold Thibault, La Chine lorgne la Nouvelle-Calédonie et ses réserves de Nickel, Le Monde, , 2 oct. 2020, https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/10/02/la-chine-lorgne-la-nouvelle-caledonie-et-ses-reserves-de-nickel_6054537_823448.html

[2] Appellation non officielle, mais communément utilisée pour désigner la Nouvelle-Calédonie.

[3] La société Le Nickel (filiale du groupe Eramet), la Société minière du Sud Pacifique (détenue à 87 % par Sofinor, un groupe public gérant les actions de la province nord, interface économique de la cause indépendantiste) et Poney Ressources Nouvelle-Calédonie, un consortium néocalédonien.

[1]Le mot « Kanak » conformément au texte de l’accord de Nouméa de 1998, est invariable. En effet, au cours des événements de 1985, le gouvernement provisoire de Kanaky, présidé par Jean-Marie Tjibaou imposa en une nouvelle graphie « kanak, invariable en genre et en nombre, quelle que soit la nature du mot, substantif, adjectif, adverbe », in Mireille Darot, Calédonie, Kanaky, ou Caillou ? Implicites identitaires dans la désignation de la Nouvelle-Calédonie, Mots, les langages politiques 53, 1997, pp 8-25.

Saint-Mézard, Isabelle (2022). Géopolitique de l’Indo Pacifique. Genèse et mise en œuvre d’une idée. Paris, PUF.

Regards géopolitiques vol.9 n1, 2023.

Saint-Mézard, Isabelle (2022). Géopolitique de l’Indo Pacifique. Genèse et mise en œuvre d’une idée. Paris, PUF.

Lorsqu’elle est apparue dans les années 2000, l’idée d’englober les océans Pacifique et Indien dans une seule entité spatiale appelée « Indo-Pacifique » paraissait saugrenue. La justification d’une telle association paraissait ténue et les dynamiques de la région appelée Asie-Pacifique semblaient solides, même si ce régionyme aussi avait essuyé des critiques lors de son avènement au début des années 1990 (Lasserre, 2001). Une décennie plus tard, cette nouvelle façon de penser l’espace en Asie est devenue incontournable. De nombreux États et organisations régionales se la sont appropriée, du Japon à l’Australie, de l’Inde à l’Indonésie et à l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) en passant par la France, l’Allemagne et l’Union européenne. Les États-Unis, quant à eux, ont désigné cet immense espace, essentiellement pensé dans sa dimension maritime, comme leur théâtre prioritaire d’engagement extérieur. À l’inverse, la Chine, suivie par la Russie, dénonce l’Indo-Pacifique comme un projet d’endiguement mené par les États-Unis et leurs alliés à son encontre, et rappelant le containment mené pendant la guerre froide.

Isabelle Saint-Mézard le rappelle en introduction : les noms des régions n’ont rien de naturel, ils reflètent avant tout des constructions épistémologiques, sociales et politiques. L’avènement du vocale d’Indo-Pacifique, qui a détrôné celui d’Asie-Pacifique, traduit, tout comme son prédécesseur, une lecture particulière de la réalité géopolitique : elle n’est donc pas neutre et certainement pas objective – ce qui ne signifie pas qu’elle soit illégitime. Il s’agit simplement ici de souligner le fait que l’étiquette d’Indo-Pacifique traduit des représentations, des projets, des lectures de la dynamique de l’Asie et de son environnement développés par les différents acteurs, États asiatiques mais aussi externes.

Une première partie présente précsiément la genèse de ce concept d’Indo-Pacifique et son évolution depuis 2007, en détaillant les discours des « fondateurs, des convertis et des réfractaires ». L’ouvrage brosse ainsi le portrait des représentations, des lectures géopolitiques des quatre promoteurs historiques du concept : le Japon tout d’abord, qui pourtant avait largement milité pour l’avènement du concept précédent d’Asie-Pacifique, mais qui à partir de 2007 plaide peu à peu pour un nouveau paradigme de lecture des dynamiques géopolitiques. Les politiques et discours de l’Australie  également, des États-Unis et de l’Inde sont analysés afin de retracer le cheminement de ces promoteurs actifs de l’idée d’une réalité indo-pacifique. L’auteure aborde ensuite les cas d’acteurs qui se sont ralliés à l’idée, parfois après des hésitations, notamment l’Indonésie, l’ASEAN ou l’Union européenne ; et les États résolument hostiles au concept, Chine et Russie, dans lequel ils voient, non sans arguments, une construction géopolitique avant tout destinée à nuire à l’influence grandissante de Pékin.

Comment comprendre l’émergence et le succès de ce nouveau concept ?  Dans une seconde partie, l’auteure mobilise le concept d’ « anxiété géopolitique », soit les craintes et les représentations d’un ordre politique bouleversé par la rapide ascension économique puis politique et militaire de la Chine, et des frictions que celle-ci engendre, surtout depuis le lancement du grand projet chinois des nouvelles routes de la soie, souvent perçu comme un outil de séduction de la Chine à vocation non pas seulement économique, mais bien aussi politique.  Ainsi, pour Washington, acteur au cœur de cette seconde section, l’ascension de la Chine représente une menace;  le concept d’Indo-Pacifique constitue l’outil idéal pour fédérer les alliés afin de limiter l’expansion maritime de la Chine en Asie. La troisième section détaille les motivations du Japon, le souci de sa propre affirmation face à l’avènement d’une Chine puissante à ses portes, dans le cadre d’une  alliance avec les États-Unis dont la solidité suscite des doutes à Tokyo. D’une manière semblable, pour l’Australie, le sentiment de devoir compter sur ses propres forces, la « hantise de l’abandon » déjà vécu pendant la Seconde guerre mondiale, renforce le désir de chercher de nouveaux alliés tout en cultivant la relation avec Washington. Une quatrième section aborde la stratégie particulière de l’Inde, confrontée depuis la guerre de 1962 à la menace perçue sur sa frontière continentale avec la Chine, menace renforcée par l’alliance solide de Pékin avec le Pakistan ennemi récurrent de l’Inde (guerres de 1947, 1965, 1971, 1999). New Dehli cherche des appuis pour rompre son isolement mais ne souhaite ni provoquer la Chine, ni, par choix idéologique, entrer dans ce qui pourrait paraitre comme une alliance avec les États-Unis et compromettrait son autonomie politique de chef de file des non-alignés.

De fait, au-delà de l’adoption d’un vocable commun, la représentation de ce que recouvre l’Indo-Pacifique varie grandement d’un promoteur à l’autre, tant dans la définition des limites de la région, que dans la compréhension de ce que doit comporter la coopération promue par les quatre fondateurs. Ces représentations distinctes, parfois divergentes permettent de rendre compte de l’absence d’institutionnalisation du concept et du développement d’arrangements minilatéraux, dont le Quad, des accords de coopérations trilatéraux, ou l’Aukus en sont la manifestation. Le concept recouvre des imaginaires distincts, des lectures différentes, des intentions parfois complémentaires mais parfois contradictoires également. Bref, ces réalités illustrent à quel point il n’est pas de région Indo-Pacifique, pas davantage qu’il n’y avait une région Asie-Pacifique, mais en quoi l’idée sert avant tout à fédérer des États ou institutions régionales en fonction de leurs représentations, de leurs craintes et anxiété géopolitiques, et de leur agenda politique qui, de manière opportuniste, peut viser à mobiliser ce nouveau concept pour servir leurs intérêts, ainsi l’Indonésie qui vise à renforcer son rôle géopolitique majeur d’interface entre océans Indien et Pacifique ; ou la France qui entend affirmer son statut de puissance incontournable à travers ses territoires d’outre-mer dans ces deux océans.

Il s’agit là d’un ouvrage très clair, bien argumenté, bien construit. Le raisonnement est limpide et accessible pour tout public. L’ouvrage expose clairement les stratégies et les représentations des différents acteurs. Il démontre clairement comment les débats et enjeux autour du concept d’Indo-Pacifique reflètent le durcissement des rapports de force entre grandes puissances en Asie et les stratégies d’influence et de coalition que chacun met en place dans tous les domaines : diplomatique, économique et technologique, écologique et sanitaire, et surtout, idéologique.

Frédéric Lasserre

Directeur du CQEG

Titulaire de la Chaire de recherche en Études indo-pacifiques.

Références

Lasserre, F. (2001). L’ère du Pacifique : Une représentation schématique ? Histoires de centres du monde. Dans Lasserre, F. et Gonon, E. (dir.), Espaces et enjeux : méthodes d’une géopolitique critique. Paris/Montréal : L’Harmattan, 381-398.

Les enjeux d’interprétation du droit international de la mer : le cas de la mer de Chine du Sud

Frédéric Lasserre et Olga Alexeeva

RG v9n1, 2023

Après des études en commerce international, Frédéric Lasserre a travaillé comme consultant à l’Observatoire Européen de Géopolitique (Lyon) puis comme conseiller en affaires internationales au ministère québécois de l’Industrie et du Commerce, puis au sein d’Investissement Québec. Il est professeur depuis 2001 au département de géographie de l’Université Laval (Québec), et dirige le Conseil québécois d’Études géopolitiques (CQEG) ainsi que la Chaire de recherche en partenariat en Études indo-pacifiques (CREIP).

Il a mené de nombreuses recherches dans le domaine de la gestion de l’eau, au sujet de l’Arctique, en géopolitique des transports, sur les différents frontaliers maritimes en Asie et sur les politiques de la Chine. Avec son ouvrage L’éveil du dragon. Les défis du développement de la Chine au XXIe siècle (Presses de l’Université du Québec), il a remporté le Prix du Meilleur livre d’Affaires HEC en 2006.

frederic.lasserre@ggr.ulaval.ca

Après avoir étudié et enseigné à Bordeaux, Paris, Tianjin, Pékin, Québec et Taipei, Olga V. Alexeeva a rejoint le département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) en 2012. Senior Fellow au sein du China Institute de l’Université d’Alberta, elle est l’auteure de plusieurs articles scientifiques et grand public sur les différents aspects de la géopolitique et des relations internationales de la Chine. Ses dernières publications se portent sur la stratégie de la Chine en Arctique et sur la coopération sino-russe dans le cadre du projet chinois Belt and Road Initiative (BRI). Chercheuse invitée à l’Université Paris-Cité en 2017 et 2019, elle fait partie du groupe d’experts qui offrent des cours à l’Institut canadien du service extérieur du ministère des Affaires mondiales Canada.

alexeeva.olga@uqam.ca


Résumé

Les conflits en mer de Chine du Sud se sont traduits en une course pour l’occupation des îlots des Paracels et des Spratleys depuis les années 1960. Le but était d’occuper les îles. Avec l’avènement de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, la rivalité s’est déplacée vers l’affirmation des droits des États sur les espaces maritimes. Le discours des protagonistes a évolué quant à la légitimité et la nature juridique des espaces maritimes revendiqués. La Malaisie, le Vietnam, les Philippines ont développé des représentations selon lesquelles les îles des Spratleys n’ont pas droit à une zone économique exclusive, avec comme conséquence indirecte de nier cette possibilité à la Chine. Il semble que cette évolution des discours juridique reflète la volonté de mobiliser le droit de la mer afin de contrer les arguments des adversaires, dans une logique de lutte d’influence.

Mots-clés :  mer de Chine du Sud ; droit de la mer ; souveraineté ; régime des îles.

Summary

Conflicts in the South China Sea have resulted in a race for the occupation of the Paracels and Spratly islets since the 1960s. The goal was to occupy the islands. With the advent of the United Nations Convention on the Law of the Sea, the rivalry shifted to the assertion of state rights over maritime spaces. The discourse of the protagonists has evolved as to the legitimacy and legal nature of the maritime spaces claimed. Malaysia, Vietnam and the Philippines have developed representations according to which the Spratly islands do not have the right to an exclusive economic zone, with the indirect consequence of denying this possibility to China. It seems that this evolution of legal discourse reflects the will to mobilize the law of the sea in order to counter the arguments of adversaries, in a logic of struggle for influence.

Keywords : South China Sea ; Law of the Sea ; sovereignty ; regime of islands.


Les conflits en mer de Chine du Sud (MCS) se sont traduits en une course pour l’occupation des îles et des îlots des Paracels et des Spratleys depuis les années 1960. Le but était d’occuper les îles, bases de garnisons militaires égrenées comme autant de marqueurs de souveraineté. Puis avec l’avènement de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), la rivalité s’est déplacée vers l’affirmation des droits des États sur les espaces maritimes. Avec le temps, la Chine a affirmé sa prééminence militaire : expulsion de la garnison sud-vietnamienne des Paracels (1974), prise de contrôle de positions dans le secteur vietnamien des Spratleys (1988) et ensuite dans le secteur philippin (1995), contrôle du récif Scarborough (2012) puis remblaiement massif de récifs pour la construction d’îles artificielles et de petites bases militaires (depuis 2014). Le discours des protagonistes a évolué quant à la légitimité et la nature juridique des espaces maritimes revendiqués. La Malaisie, le Vietnam, les Philippines ont développé des représentations selon lesquelles les îles des Spratleys n’ont pas droit à une zone économique exclusive (ZEE), avec comme conséquence indirecte de nier cette possibilité à la Chine. Cette lutte juridique a également poussé Pékin à modifier sa rhétorique officielle. Il semble que cette évolution des discours juridique reflète la volonté de mobiliser le droit de la mer afin de contrer les arguments des adversaires, dans une logique de lutte d’influence.

Une évolution des discours juridiques des États d’Asie du Sud-Est

Si les protagonistes avaient affiché des revendications sur des espaces maritimes et si celles-ci étaient parfois représentées sur des cartes, leurs définitions manquaient souvent de clarté et de justification légale (Lasserre, 1996; McDorman, 2014). Récemment, la Malaisie, le Brunei, le Vietnam et les Philippines ont tenté de reformuler leurs revendications et de les ancrer dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982, une stratégie qui contraste avec celle de la République populaire de Chine (RPC) dont l’évolution aboutit à des discours considérés comme en décalage croissant avec la CNUDM. Entre 1995 et 2016, la revendication chinoise en MCS reposait surtout sur la ligne à neuf tirets [九段线], dont le flou juridique a été critiqué à la fois en termes de portée (quelle est la nature de l’espace maritime englobé ?) et de légalité (sur quelle base repose ce tracé ?). Depuis 2016, en réaction au verdict de la Cour permanente d’arbitrage, son discours a évolué vers la théorie dite des « Quatre sha » ([四沙] ou des quatre bancs de sable), selon laquelle de grands archipels (parfois fictifs) constitueraient implicitement le socle juridique de ses revendications d’espaces maritimes.

Cette évolution observée parmi les protagonistes d’Asie du Sud-Est pourrait être interprétée comme une manœuvre contre la Chine: en reformulant leurs revendications afin de les rendre plus conforme avec le droit de la mer, il se pourrait que ces États s’efforcent de souligner, par contraste, le caractère manifestement illégal et inacceptable des revendications de la Chine. Cette stratégie consisterait à mettre en évidence une divergence entre les acteurs qui s’efforcent d’aligner leur position sur les principes du droit international, et ceux qui fondent leurs revendications sur les interprétations contestables du droit de la mer.

Le choc des discours juridiques en mer de Chine du Sud

Le gouvernement de la République populaire de Chine (RPC) illustre sa prétention en MCS en utilisant ce qui a été appelé la ligne des neuf tirets, ou ligne en U (U-shaped line) (Fig. 1), qui englobe la plus grande partie de l’étendue maritime de cette mer. Son origine remonte au Comité d’inspection des cartes de la terre et de l’eau du gouvernement du Guomindang, formé en 1933 (Franckx et Benatar, 2012). Elle a été rendue publique pour la première fois en 1935 ou en 1936 (Zou, 1999; Wang, 2015) mais la plupart des chercheurs mentionnent une première apparition officielle entre 1946 et 1948, dans un atlas créé pour les autorités nationalistes, avant d’être reproduite par le gouvernement de la RPC en 1949 (Gau, 2012).

Fig.1. La mer de Chine du Sud : un écheveau de revendications.

Source : Adapté et mis à jour d’après Lasserre, 2017.

À l’époque, la ligne était composée de 11 tirets; deux ont été abandonnées en 1953 par la RPC (Wang, 2015), tandis qu’un nouveau tiret a été ajouté en 2013, à l’est de Taïwan : depuis, certains chercheurs parlent plutôt de la ligne des dix tirets. En dépit de certaines divergences, la direction générale et la position de la ligne en forme de U ont peu évolué entre 1947 et 2009 (US Office of Ocean and Polar Affairs, 2014), date à laquelle la ligne a été pour la première fois officialisée dans un communiqué de la Chine (Gouvernement de la RPC, 2009).

Une grande incertitude demeure sur ce que représente en fait cette ligne des neuf tirets, car la Chine ne l’a jamais expliqué, malgré les demandes répétées des États voisins (Zou, 1999; Fravel, 2011; Song et Tønnesson, 2013), ce qui les a de plus en plus irrité. La réticence du gouvernement chinois à définir la nature et la localisation exacte de la ligne a créé un flou permettant diverses interprétations (Lasserre, 2017), ainsi que de la méfiance vis-à-vis des intentions réelles du gouvernement chinois. Les Philippines ont contesté la position de la Chine en 2011 et ont donné leur propre interprétation (Gouvernement des Philippines, 2011). Même l’Indonésie, qui n’a pas de revendication en MCS, a estimé nécessaire de faire une déclaration officielle concernant la revendication de la Chine en MCS dans sa Note Verbale de 2010 :

Jusqu’à présent, il n’existe aucune explication claire quant à la base juridique, à la méthode du tracé et au statut de ces tirets séparés […]. La ligne des neuf tirets […] manque clairement de base juridique en droit international et revient à remettre en cause le droit de la CNUDM de 1982 (Gouvernement d’Indonésie, 2010)[1].

Avant 2009, les protagonistes d’Asie du Sud-Est dans les disputes sur des formations insulaires ou des zones maritimes en MCS n’avaient pas clairement défini leurs revendications, que ce soit en justifiant leur extension sur des bases légales, ou en publiant les coordonnées exactes des limites des espaces maritimes revendiqués. Le Vietnam revendique ainsi une ZEE, mais son étendue n’est pas formellement spécifiée et repose sur des sources indirectes comme des cartes de blocs pétroliers offerts par le gouvernement vietnamien (Lasserre, 1996). La Malaisie a revendiqué un plateau continental en 1966 (Continental Shelf Act n°57) et a conclu un accord sur sa limite avec l’Indonésie en 1969 (Directorate of National Mapping, 1979). Les Philippines ont hésité entre plusieurs définitions contradictoires de leurs espaces maritimes: la première était les limites du traité de Paris de 1898, longtemps considérées comme définissant des eaux territoriales (US Navy Judge Advocate General’s Corps, 2014). Une seconde est un système de lignes de base droites (annoncé en 1961, Republic Act nº3046) à partir duquel une ZEE serait définie (Décret présidentiel nº1599, 1979). Il existait également une définition ambiguë du groupe d’îles appelées Kalayaan, réclamé par le décret présidentiel nº1596 en 1978 et enserré dans un quadrilatère dessiné dans l’archipel des Spratleys, quadrilatère pour lequel il n’était pas clair si seules les îles sont revendiquées à travers une ligne d’allocation, ou si la revendication portait également sur les eaux et le sous-sol (Prescott et Morgan, 1983 ; Lasserre, 1999).

Le 6 mai 2009, la Malaisie et le Vietnam ont déposé une soumission conjointe pour leur plateau continental étendu dans la partie sud de la MCS; le 7 mai, le Vietnam a présenté sa propre demande pour la partie centrale de la MCS. Tout d’abord, ce faisant, ils ont rendu publique la position de la limite extérieure de leurs ZEE respectives. De fait, dans ces deux soumissions, les deux États se sont abstenus d’utiliser les formations insulaires qu’ils revendiquent en MCS dans les définitions de leurs ZEE ou de leur plateau continental étendu. Au lieu de cela, les limites des zones de 200 milles sont basées sur le tracé des lignes de base le long de la côte de chaque État, lignes de base revendiquées par le Vietnam en 1977 (US Office of the Geographer, 1983) et par la Malaisie, implicitement dès 1969 (US Office of the Geographer, 1970), et officiellement en 2006, avec la Baseline of Maritime Zones Act (Loi 660, les coordonnées exactes n’ont pas été publiées).

Ainsi, tant la Malaisie que le Vietnam ont ignoré les îles Spratleys dans la définition de leurs espaces maritimes, ce qui implique qu’ils estiment qu’en vertu de l’article 121(3) ces formations insulaires sont des rochers qui ne peuvent générer ni ZEE ni plateaux continentaux. Cette prise de position traduit également un processus de réflexion qui avait commencé beaucoup plus tôt au Vietnam. Si Hanoi avait considéré dans le passé que les îles Spratleys donnaient droit à un plateau continental (comme en témoignent les cartes des blocs pétroliers des années 1990), il semblerait que le gouvernement ait commencé à modifier sa position d’une revendication rayonnant à partir des îles vers une revendication dérivant de la seule souveraineté sur la partie continentale du territoire vietnamien (Dzurek, 1992). Dès 1994, le Comité vietnamien pour le plateau continental avait estimé que ni les îles Spratleys ni les îles Paracels n’étaient plus que des rochers (Huynh, 1994), et qu’elles n’avaient donc pas droit à une ZEE et à un plateau continental. Ce changement dans le discours juridique était clairement motivé, dans le discours vietnamien, par un désir politique de saper les revendications de la Chine en MCS (Lasserre, 1996, 1998). La loi du Vietnam de 2012 (Gouvernement du Vietnam, 2012) (articles 15 et 17) affirme que le Vietnam ne revendique qu’une ZEE de 200 milles et un plateau continental à partir de ses lignes de base (continentales) (Poling, 2013).

Les Philippines ont également clarifié leur position concernant leurs zones maritimes en 2009, après de longues années d’hésitation (Lasserre, 1996 et 2005). Le Republic Act n°9522 d’avril 2009 abandonne le tracé rectangulaire du groupe des îles Kalayaan datant de 1978 tout comme l’idée d’enclore le Kalayaan dans un ensemble de lignes de base droites, et établit plutôt que l’étendue de la ZEE sera mesurée à partir des lignes de base archipélagiques de 1961 (modifiée en 2009). Il précise également que le régime des îles prévaudra pour les îles Kalayaan revendiquées en MCS et, par conséquent, aucune ligne de base droite n’a été tracée autour de l’ensemble de ces îles. Les espaces maritimes que pourront générer ces îles sont donc uniquement la mer territoriale et, possiblement, une ZEE si les îlots des Kalayaan se conforment aux dispositions de l’article 121(3) de la CNUDM. Les Philippines ont ainsi déclaré leur intention de réclamer une ZEE à partir de la ligne de base archipélagique, restreinte à une ligne tracée le long de l ‘archipel principal et n’englobant pas les Kalayaan (Gouvernement des Philippines, 2012).

Les États d’Asie du Sud-Est ont-ils modifié leur discours juridique à dessein ?

On observe une évolution, dans les discours des États d’Asie du Sud-Est impliqués dans le conflit en mer de Chine du Sud, Vietnam, Philippines, Malaisie, et même Indonésie qui pourtant n’est pas directement impliquée dans la dispute de souveraineté sur les îles des Spratleys, quant au statut de ces îles et à leur capacité à générer des espaces maritimes. Faute d’accès aux minutes des discussions des gouvernements, il est difficile de déterminer si ces changements procèdent d’un désir de se conformer au droit international, ou s’il s’agit d’une utilisation du droit comme d’un outil politique visant à orienter le cours de la dispute.

Une enquête menée par les auteurs (Nov. 2021 – Mars 2022) auprès de 14 chercheurs internationaux souligne que le changement de discours des pays d’Asie du Sud-Est dans le conflit de mer de Chine du Sud, les conduisant à requalifier le statut des îles des Spratleys, ne constituerait pas qu’un geste de portée juridique. Que l’objectif premier ait été de se conformer au droit international ou de chercher d’emblée à employer celui-ci à des fins politiques, ces chercheurs voient dans cette évolution des positions la mobilisation d’un levier d’influence à saveur juridique, afin de tenter de contenir la pression chinoise dans le conflit de mer de Chine du Sud (Lasserre et Alexeeva, 2023).

Réaction chinoise : le nouveau concept de groupes d’îles

Le 12 juillet 2016, la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, agissant au titre de tribunal constitué selon l’article 7 de la CNUDM, a rendu son arbitrage suite à la requête engagée par les Philippines en 2013 (CPA, 2016). Dans sa décision, la Cour déboute les revendications chinoises quant à la notion de droits historiques et estime qu’aucune formation insulaire des Spratleys ne constitue une île au sens de l’article 121, ce qui ne leur permet pas de générer de ZEE ni de plateau continental. Furieuse, la Chine a récusé cette décision (Philips et al, 2016) et a affirmé ne pas vouloir accepter l’arbitrage. Pourtant, le discours chinois a évolué depuis 2016, laissant supposer le désir de la Chine d’adapter son argumentaire dans le contexte de la publication des décisions de la Cour.

En effet, avant 2016, la Chine faisait référence à sa souveraineté sur les îles de mer de Chine, décrites de manière générique et regroupées en quatre groupes d’îles, desquelles découlaient ses revendications sur des espaces maritimes[2]. Aucun statut particulier n’était attribué aux groupes d’îles. On a pu relever de rares exceptions avec l’apparition de deux nouveaux termes dans le vocabulaire utilisé pour décrire les revendications chinoises dans la mer de Chine du Sud- les « quatre bancs de sable » [四沙ou sisha] en 1987, et les « quatre archipels » [四沙群岛ou sisha qundao] en 1992. Toutefois, il s’agissait dans le premier cas d’une mention descriptive dans le corps du texte d’un article portant sur la pêche (Li et Li, 1987), dans le second d’un article politique (Zhou, 1992) mais qui n’a pas donné de suite dans la littérature en chinois. Ainsi, en 2009, la Note verbale de protestation de la Chine contre le dépôt de la soumission conjointe Vietnam-Malaisie mentionne encore expressément que la Chine « has indisputable sovereignty over the South China Sea islands and the adjacent waters » (Gouvernement de la RPC, 2009) tout en introduisant pour la première fois de manière officielle la carte des neuf tirets (Lasserre, 2017).

À partir de 2014 (US Office of Ocean and Polar Affairs, 2022) ou de 2016 (Viray, 2017; Hayton, 2018; VietnamPlus, 2020; Zhu et Li, 2021) selon les auteurs, il semble que le gouvernement chinois ait entamé une promotion active du concept des quatre archipels de mer de Chine du Sud [南海四沙群島 ou nanhai sisha qundao], une nouvelle doctrine dite des « Quatre sha ». En 2014, la Chine souligne ainsi sa souveraineté sur les îles de mer de Chine du sud à appréhender « comme un tout » (as a whole) (Gouvernement de la RPC, 2014). Mais c’est surtout à partir de 2016 qu’on observe une transition, initiée le jour même de la publication de l’arbitrage de la CPA, le 12 juillet 2016, dans un communiqué chinois : « China’s Nanhai Zhudao (the South China Sea Islands) consist of Dongsha Qundao (the Dongsha Islands), Xisha Qundao (the Xisha Islands), Zhongsha Qundao (the Zhongsha Islands) and Nansha Qundao (the Nansha Islands) » (Gouvernement de la RPC, 2016). On retrouve ce nouveau concept dans les déclarations officielles de la Chine, notamment dans ses Notes verbales déposées auprès des Nations Unies. Ainsi en 2019, protestant contre le dépôt d’une demande de plateau continental étendu par la Malaisie, la Chine affirme que « China has sovereignty over Nanhai Zhudao, consisting of Dongsha Qundao, Xisha Qundao, Zhongsha Qundao and Nansha Qundao[3] ; China has internal waters, based on Nanhai Zhudao; China has exclusive economic zone and continental shelf, based on Nanhai Zhudao » (Gouvernement de la RPC, 2019), une expression reprise contre le Vietnam en 2020 (Gouvernement de la RPC, 2020). En janvier 2022, le ministre des Affaires étrangères de Malaisie, Saifuddin Abdullah, affirmait de manière directe que plusieurs États d’Asie du Sud-Est avaient observé un glissement du discours sur la ligne des neuf tirets, vers un discours fondé sur la théorie des « Quatre Sha » (fig. 2). « [La Chine] est passée de l’utilisation de la ligne à neuf tirets à celle de Quatre Sha. Je peux voir un certain changement de politique dans la façon dont ils abordent la mer de Chine méridionale. Il reste à voir si l'[approche] des Quatre Sha est plus agressive ou si la ligne à neuf tirets est plus agressive » (cité dans Mustafa, 2022).

Fig. 2. Les limites probables des « quatre sha » du discours chinois en mer de Chine du Sud, selon le département d’État américain.

Source : auteurs, adapté d’après US Office of Ocean and Polar Affairs (2022). Limits in the Seas n°150, People’s Republic of China: Maritime Claims in the South China Sea. Washington, DC, US Department of State, https://www.state.gov/wp-content/uploads/2022/01/LIS150-SCS.pdf.

Ainsi, dans le discours chinois, il n’est plus fait référence à des groupes d’îles considérées dans leur individualité, ni à la ligne des neuf tirets dont la signification n’avait jamais été précisée (Lasserre, 2017), mais à quatre archipels qui seraient les unités de base du discours juridique chinois. À travers cette évolution, sans reconnaitre le verdict de la CPA de 2016, la Chine évacue malgré tout le concept d’île, fragilisé par l’arbitrage, pour y substituer celui d’archipel qui lui, dans le discours officiel, permettrait de générer les espaces maritimes du droit de la mer à partir de lignes de base regroupant les ilots. Cette analyse est soutenue par plusieurs chercheurs chinois (Chinese Society of International Law, 2018) avec l’idée d’une « approche différente de la Convention du droit de la mer » (Hong, 2022). Ce nouveau discours permet de se dégager des conséquences de l’arbitrage de 2016, puisque les espaces maritimes chinois ne seraient plus engendrés par les ilots, mais par les archipels. Il est en revanche contestable car, d’une part, le droit de la mer ne permet pas aux États continentaux de se prévaloir de la création d’archipels définis par de longues lignes de base rectilignes, fussent-elles droites (art. 7) ou archipélagiques (art. 47) (Baumert et Melchior, 2015; Roach, 2018); d’autre part, il ne permet pas de se prévaloir d’espaces maritimes générés à partir d’entités archipélagiques, si les ilots qui constituent ces archipels ne peuvent eux-mêmes générer de ZEE ou de plateau continental (US Office of Ocean and Polar Affairs, 2022), car ce sont les îles, et non les archipels considérés comme entités distinctes selon la lecture chinoise, qui peuvent engendrer des ZEE ou des plateaux continentaux selon la Convention de 1982.

Ce n’est pas la première évolution de la pensée juridique chinoise en mer de Chine du Sud. La notion de droits historiques sur de vastes espaces maritimes, présente dans la pensée juridique chinoise, a été reprise à partir des années 1990 sur la base de raisonnements initialement promus par le gouvernement taiwanais (Hayton, 2018). Compte tenu des négociations ayant présidé à la signature de la Convention en 1982, et auxquelles la Chine avait participé, cette notion de droits historiques définis dans le cadre de la ligne à neuf tirets avait clairement été abandonnée en 1982 et sa réactivation atteste d’une modulation des discours, jugée opportuniste (Guilfoyle, 2019). De la même manière, la mutation du discours chinois vers un nouvel argument juridique fondé sur les droits à une ZEE à partir d’archipels, lecture juridique très particulière de la Convention, semble procéder d’une conception de la doctrine juridique comme outil politique.

Conclusion

En mer de Chine du Sud, le conflit portant sur les archipels des Paracels et des Spratleys a glissé d’enjeux de souveraineté sur les îles au contrôle des espaces maritimes, une évolution renforcée par l’avènement de la Convention sur le droit de la mer qui offre la possibilité aux États côtiers de contrôler de vastes espaces maritimes. On peut observer que tant la Chine que les États d’Asie du Sud-Est ont fait évoluer leur discours juridique. Le Vietnam, les Philippines et la Malaisie se sont ainsi départis d’une certaine ambiguïté quant au statut des îles des Spratleys, pour finalement embrasser l’idée que ces îles ne génèrent pas de ZEE, une requalification qui a pour effet de priver la Chine en droit de vastes espaces maritimes et qui donc semble traduire une instrumentalisation politique du droit de la mer. La Chine a également vu sa doctrine évoluer, passant de revendications d’espaces maritimes prévues dans le cadre de la Convention à partir des îles des Paracels et des Spratleys ; à la notion de droits historiques ambigus dans le cadre de la ligne à neuf tirets; pour récemment voir se développer le concept des « Quatre Sha », quatre archipels pensés comme unités autonomes, enserrés dans des lignes de base et engendrant des ZEE. Dans le cas de la Chine, il ne s’agit pas de saper les revendications des autres protagonistes, mais de trouver une nouvelle base juridique pour défendre une revendication très ambitieuse. Tous ces changements, cependant, témoignent du recours au droit conçu comme outil d’influence et de promotion des intérêts nationaux.

Références

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[1] Traduction libre.

[2] Art. 2. […] The PRC’s territorial land includes the mainland and its offshore islands, Taiwan and the various affiliated islands including Diaoyu Island, Penghu Islands, Dongsha Islands, Xisha Islands, Nansha (Spratly) Islands and other islands that belong to the People’s Republic of China (Gouvernement de la RPC, 1992).

[3][3] « La Chine détient la souveraineté sur Nanhai Zhudao [诸岛 ou zhudao, i.e. diverses iles], constitué des [archipels de] Dongsha Qundao, Xisha Qundao, Zhongsha Qundao et Nansha Qundao. » Traduction libre.

Le récit politique chinois : Soft power, communication, influence

Regards géopolitiques, v8 n4, 2022

Olivier Arifon (2021). Le récit politique chinois : Soft power, communication, influence. Paris : L’Harmattan, 145p.

Olivier Arifon, spécialiste de la communication entre la Chine, le Japon l’Inde et l’Europe, nous propose ce livre intitulé Le récit politique chinois : Soft power, communication, influence. Dans cet ouvrage, M. Arifon expose le récit politique moderne de la Chine en utilisant les stratégies de Soft power, de communication et d’influence. L’auteur tente également de décrypter les représentations et les perceptions des cultures développées systématiquement par la Chine, avec ses logiques propres et ses dimensions historiques, politiques et idéologiques afin de confronter les occidentales (p. 17).

D’entrée de jeu, l’auteur introduit des questions fondamentales concernant « comment la Chine développe son influence dans plusieurs directions au service de son projet politique » par le biais du récit proposé par le gouvernement chinois dans le cadre de sa politique de Soft power (p. 20). Une méthodologie combinant les échanges, les discours et les actes, ainsi que des observations préliminaires sont également présentées dans cette introduction.

Afin de dessiner le récit politique de la Chine et de répondre aux interrogations exposées ci-dessus, l’auteur tente de valider ses analyses à l’aide de trois études de cas. Le premier cas, qui porte sur l’UE, organise une comparaison du Soft power élaboré par la Chine avec celui de l’UE. Selon l’auteur, la crédibilité est cruciale pour l’attractivité d’une culture et de valeurs, ce qui exige une consonance entre les émetteurs et les récepteurs des messages quand « les gens s’imaginent transformés et améliorés en adoptant certaines valeurs » d’une culture donnée (p. 36).  Le Soft power chinois s’appuie sur une double facette : l’une est la culture, l’autre est l’économie, la technologie et les investissements, alors que celui de l’UE met bien davantage l’accent sur les enjeux de valeurs, soit « l’attractivité par la norme » (p. 41). À l’aide d’indices, la comparaison montre que le discours politique de la Chine et son volontarisme de Soft power semble insuffisant pour établir une cohérence entre les images développées et les perceptions des destinataires de ses messages.

Toujours dans une perspective empirique visant à répondre aux interrogations en matière du récit politique chinois, la suite de l’ouvrage se penche sur les discours développés autour de la connectivité et du développement des infrastructures dans les Balkans, où deux modèles concernant l’économie, le financement, la norme et le politique sont actifs (p. 77-78). En combinant une méthode quantitative pour identifier les tendances et une méthode qualitative pour l’analyse critique, six journaux (dont quatre européens et deux chinois) et deux sites sont étudiés. L’auteur indique qu’un manque de couverture de la communication dans la presse nuit à la réception du projet de développement par les publics dans les Balkans occidentaux. Malgré l’émergence de réticences par les pays partenaires de la Chine, Pékin pose son influence économique et politique dans cette région par le biais du développement des infrastructures, de la connectivité et de projets liés à l’énergie, ainsi qu’à travers ses discours officiels très visibles à travers les médias.

Le troisième cas se trouve dans la région de Bruxelles-Capitale où l’influence est basée sur la diffusion des idées et la multiplicité des acteurs. Un récit est « méthodiquement » et « régulièrement » (p. 23) diffusé par le gouvernement chinois en utilisant la diplomatie publique et le lobbying auprès du Parlement européen. L’accent est mis sur les réussites de la Chine, comme les technologies de communication et les projets dans le cadre de la Belt and Road Initiative, dans le but de mettre en avant son Soft power et d’augmenter son influence auprès des instances européennes à Bruxelles.

Comme le stipule l’auteur, l’ouvrage est écrit par un « observateur » et pour les lecteurs qui s’intéressent à la relation entre sciences de la communication et sciences politiques. Ainsi, O. Arifon effectue une série d’essais, dont certains arguments sont importants (l’attractivité culturelle d’un pays, l’influence économique, la diplomatie publique), comme un aller-retour réflexif entre la culture européenne et celle de la Chine pour fournir aux lecteurs un cadre méthodologique afin de décrypter les stratégies chinoises développées à travers la communication. L’originalité de l’ouvrage réside également dans une démarche comparative en tenant compte de la culture locale de la région ciblée, mettant en lumière les jeux d’influence de la Chine.

Toutefois, s’appuyant seulement sur les expériences des communications de la Chine en Europe, les limitations inhérentes de cet ouvrage sont évidentes. En tant qu’outil de décryptage du récit politique chinois, la portée théorique de ce cadre apporté par l’auteur pourrait ne pas être considérée comme suffisante, car le bilan de trois cas régionaux n’apparaît pas nécessairement convaincant. De plus, les arguments sont spécifiquement précisés sous l’angle et la perspective de l’UE, la portée pratique de cet outil pour interpréter les récits politiques de manière globale est donc sujette à caution. Enfin, le lecteur pourra avoir le regret de ne pas trouver les réactions et les rôles joués par les autres pays ou par la communauté internationale en matière d’influence chinoise à travers son récit politique puisque la complexité du Soft power détermine que son efficacité dépend de non seulement de l’action unilatérale, mais aussi de l’influence coopérative et des interactions des acteurs à l’échelle mondiale.

Sijie Ren

Étudiante au doctorat en gestion internationale à l’Université Laval

 

La Chine et les ressources halieutiques en Arctique. II – Analyse du développement récent de l’encadrement juridique de la gestion du secteur hauturier en Chine

Regards géopolitiques v8 n3, 2022

Yeukyin Chiu

Yeukyin Chiu est étudiante au doctorat en sciences géographiques à l’Université Laval, à Québec. Elle s’intéresse au secteur hauturier de la Chine et à la gouvernance des ressources halieutiques en Arctique.

Courriel : yeuk-yin.chiu.1@ulaval.ca

Résumé : Le réchauffement climatique favorisera les conditions de pêche commerciale dans les régions arctiques. Dans les prochaines décennies, il y aura des possibilités que certaines parties de la banquise au centre de l’océan Arctique soient disparues en été; plus de poissons vont migrer vers le nord grâce à la hausse de la température de la mer. En 2018, la Chine a exprimé ses intérêts envers les ressources halieutiques arctiques et son intention de participer dans sa gouvernance. Elle est aussi en train de réviser ses documents juridiques des pêches. Alors, quelle sorte de joueur sera-t-elle dans la gouvernance des stocks en Arctique ? Cet article essaie de trouver une réponse en analysant la compatibilité du présent encadrement juridique de la Chine et des normes internationales qui concernent la pêche commerciale en haute mer, et en examinant les défis que la Chine rencontre lors de sa préparation d’appliquer les mesures de l’État du port.

Mots clés : pêche hauturière de la Chine, les ressources halieutiques arctiques, responsabilités de l’état du pavillon, les mesures de l’État du Port

Abstracts: Global warming may bring positive impacts to commercial fishing in Arctic areas. In the future, parts of the central of the Arctic Ocean may be free of ice in summer. The rise of temperature will also encourage some commercial stocks to move northward. On the other hand, China expressed its interests in Arctic fishery resources and its governance in 2018. Its fishery legal documents are also revising. So, what kind of player will China be in Arctic fish stocks governance? This article tries to find the answer by analysing the compatibility of China’s juridical framework in regulating her own distant water fishing industry and the international standard of commercial fishing in the high sea; and by looking into the difficulties that China encountered in the preparation of applying port state measures in her ports.

Keywords: China distant-water fishing industry, Arctic fishery resources, flag state responsibilities, Ports States Measures Agreement

Introduction

En Arctique, la plupart des ressources halieutiques sont concentrées dans le périphérique de l’océan Arctique. Les stocks sont gouvernés par les États riverains ou par les Organisations régionales de gestion des pêches (ORGP ci-après). Pour le moment, le cœur de l’océan Arctique est encore couvert par les banquises; la pratique de la pêche commerciale n’est pas possible. La fonte de la banquise arctique pourrait changer cette situation. Si la température mondiale augmentait 2°C, certaines parties au centre de l’océan Arctique pourraient être libres de glace en été (Meredith, 2019). Cela donc donnerait des possibilités de la pêche commerciale. Cependant, la disponibilité et la durabilité des stocks sont encore un mystère aujourd’hui.

Bien que la Chine soit le premier pays producteur de captures marines au monde (FAO, 2018; Xue, 2006), elle n’est pas une pêcheuse fréquente dans les eaux en Arctique[1]. Cette situation pourrait changer, parce que Pékin a annoncé ses intentions de participer dans la gestion de ressources halieutiques arctiques en 2018 (The State Council, 2018). En même année, les membres de l’Arctic Five (qui sont les pays riverains de l’océan Arctique, donc le Canada, les États-Unis, le Danemark par le Groenland, la Norvège et la Russie) ont conclu une entente[2] avec l’Islande, la Chine, la Corée du Sud, le Japon et l’Union européenne pour suspendre la pêche commerciale dans le cœur de l’océan Arctique pour 16 ans (Pêches et Océans Canada, 2018, 3 octobre). Les changements climatiques pourraient apporter des défis au système présent de distribution des stocks, et l’apparition d’un nouveau joueur pourrait aussi amener des changements aux règles de jeu. Alors, quelle sorte de joueur serait la Chine dans la gouvernance des stocks en Arctique ? Possède-t-elle un système juridique efficace pour réguler son propre secteur hauturier pour que ses navires puissent pêcher en normes internationales ? Cet article essaie de trouver des réponses en étudiant les normes internationales aujourd’hui, l’encadrement juridique de la Chine pour régir le secteur, les défis du système et les efforts qu’elle consacre pour se préparer à atteindre de nouvelles normes internationales. L’étude de ces éléments sera basée sur les informations apparues dans les sites web du Gouvernement de la Chine et les organisations internationales et les articles académiques.

  1. Les normes internationales pour les pêcheurs hauturiers aujourd’hui

La gestion des ressources halieutiques en haute mer est gérée par un système international chapeauté par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982) (la CNUDM ci-après). En théorie, les ressources halieutiques en haute mer sont ouvertes à tous[3]. La conclusion de l’Accord de conformité de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture en 1993 (l’Accord de conformité ci-après) et de l’Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons en 1995 (l’Accord sur les stocks ci-après) établissent les responsabilités de l’État du pavillon. Ces documents exigent que l’État du pavillon soit responsable des comportements de leurs navires. En haute mer, les États forment des ORGP pour gérer des ressources halieutiques. L’État du pavillon doit faire partie de l’ORGP qui gère les stocks dans la région auxquelles leurs navires puissent pêcher, il doit régir leurs navires et respecter les règles et les quotas établis par les ORGP.

Par la suite, comme la pêche hauturière en haute mer est devenue une activité traçable, la lutte contre les pêches illégales devenait le thème principal de la conservation des stocks dans les années 2000. Cependant, le contrôle de débarquement des prises illégales demeure difficile. Comme la souveraineté des navires repose sur l’État du pavillon, l’État du port n’a pas le droit de réaliser des enquêtes lorsqu’il soupçonne des débarquements des prises illégales dans leurs ports. Pour éliminer la pêche illégale efficacement, l’Accord relatif aux mesures du ressort de l’État du Port (PSMA ci-après) fut conclu en 2009. Selon l’Accord, les signataires doivent désigner des ports de débarquement; les navires ont besoin de demander la permission de débarquement à l’avance; l’État du port a le droit de refuser la demande de débarquement. Les signataires doivent aussi échanger des données et permettre des inspections sur des navires qui battent leur pavillon[4].

Sommairement, les normes internationales du secteur hauturier aujourd’hui réfèrent à deux responsabilités principales : les responsabilités de l’État du pavillon et les responsabilités de l’État du port. L’attitude de la Chine pour la conservation et l’utilisation des ressources halieutiques pourrait être comme contradictoire. D’un côté, elle n’a pas signé l’Accord de conformité (FAO, 2003) et n’a pas ratifié l’Accord sur les stocks en raison de la question de l’inspection coercitive sur les navires, car elle croit que cela peut nuire à sa souveraineté (Nations unies, 1995, 4 décembre). Elle n’a pas signé le PSMA non plus (FAO, n.d.). De l’autre côté, la Chine fait partie de plusieurs ORGP mondialement[5]. Pour comprendre sa prise de position, il faut donc examiner son encadrement juridique pour voir si elle possède des lois pour s’assurer le comportement de ses navires de pêche.

2. La Chine et les responsabilités de l’État du pavillon

Selon les Directives volontaires pour la conduite de l’État du pavillon publié par la FAO[6] en 2014, les responsabilités de l’État du pavillon pourraient être divisées en 4 parties : l’engagement politique, l’enregistrement des navires, l’autorisation et la surveillance et le contrôle. Il est demandé aux États d’incorporer les principes du guide dans leurs législations et réglementations afin de s’assurer de l’efficacité des mesures (FAO, 2014).

L’engagement politique réfère à l’existence d’une organisation autorisée avec un mandat de la gestion de la pêche; juridiquement, l’État du pavillon doit adopter des lois et des règlements établis par les ORGP afin d’être à même de faire appliquer des mesures de conservation. En Chine, le Bureau des pêches, qui est sous le chapeau du ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales (MAAR ci-après), est responsable de la gestion de pêche (Bureau des pêches du Ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales, 2020). Juridiquement, la Loi sur les pêches (渔业法) et les Règlements de la gestion de la pêche hauturière (远洋渔业管理规定) (les Règlements ci-après) sont les documents principaux qui régulent le secteur. Le MAAR établit aussi des ordres administratifs pour s’adapter aux nouvelles exigences des ORGP, comme la Méthode de la gestion du système de surveillance des navires hauturiers (远洋渔船船位监测管理办法 ).

La FAO exige que les États du pavillon soient responsables de bien vérifier des informations des navires avant l’immatriculation; d’interdire les navires qui ont participé dans la pêche illégale; de gérer l’émission de permis de pêche et d’avoir la capacité d’appliquer son contrôle juridique sur les navires (FAO, 2017). En Chine, les navires de pêche sont régis par la Méthode de l’enregistrement des navires de pêche (渔业船舶登记办法). La gouvernance du secteur est réalisée par la gestion des navires[7], des entreprises[8], des projets de pêche[9] et des travailleurs. Le gouvernement central évalue les entreprises hauturières, octroie leur statut et approuvé des permis de pêche à l’extérieur. Il y a aussi un système de liste noire pour bloquer les travailleurs et les entreprises qui sont condamnés d’avoir participé dans la pêche illégale à retourner dans le secteur[10].

3. Les responsabilités de l’État du port et les défis d’application

En théorie, l’encadrement juridique de la Chine lui permet de respecter les responsabilités de l’État du pavillon. Cependant, les éléments des mesures de l’État du port sont absents. Ni la loi sur les pêches ni les Règlements n’exigent des navires hauturiers de débarquer leurs prises dans les ports désignés. Le pouvoir concerne le refus des demandes de débarquement et la réalisation des inspections n’est aussi pas précisé[11]. Cependant, la Chine a exprimé son appui aux mesures de l’État du port dans le livre blanc des exécutions des conventions du secteur de la pêche hauturière de la Chine 2020. Alors, quels sont des défis qui l’empêchent de réaliser des mesures de l’État du port ?

Pour que l’inspection du débarquement des prises illégales soit faisable, la capacité de retracer des informations à jour comme le nom propre des poissons, le lieu et le temps de pêche est essentielle. Ces informations doivent être à jour afin de permettre la réalisation des enquêtes. Pour avoir ces informations, la Chine a besoin d’un système qui permet la synchronisation et la circulation des informations des navires hauturiers. De plus, les ports de pêche doivent être équipés pour assister les inspections. En réalité, la majorité des ports de pêche en Chine n’étaient pas équipés pour soutenir les opérations d’inspection; de plus, la responsabilité de la gestion des ports n’est pas bien définie et elle relevait de différents ministères : le ministère de transports s’occupait la conformité des navires, les douanes s’occupaient les débarquements des produits, le MAAR s’occupait les pêches; tous ces facteurs rendent l’application des mesures de l’État du port difficile (Wang et al., 2017).

Les défis pourraient aussi être une question intergouvernementale. Même si le but ultime de l’État est de développer le secteur, les responsabilités de chaque niveau du gouvernement ne sont pas pareilles. Par conséquent, il y a des nuances dans leurs objectives et leurs visions. Le bureau des pêches au niveau du gouvernement central s’occupe de la planification et la gestion des pêches nationales. Il s’occupe des négociations des ententes internationales, des crises diplomatiques et de l’établissement des nouveaux règlements, etc. Les bureaux provinciaux, de municipalité et de comté s’occupent du développement du secteur dans leur région[12]. Il n’est pas clair si ces derniers bureaux sont sous la direction du bureau des pêches au niveau central, ou ils sont sous la direction du gouvernement local où ils appartiennent géographiquement. La question du patronat de ces bureaux pourrait causer une nuance sur leur objectif. En réalité, le développement économique local est souvent un indicateur de la performance du gouvernement local (Li, 2020). Les intérêts amenés par le secteur hauturier ne viennent pas seulement des revenus engendrés par la vente des poissons, mais aussi par le développement des hubs de pêche, des chaînes de transformation des poissons et des centres de logistique, etc. Le secteur crée des postes de travail et amènent d’autres avantages économiques[13] (Le groupe de travail sur l’étude de renforcement du secteur de la pêche hauturière chinois, 2010). Ces intérêts sont souvent importants pour les municipalités et les comtés éloignés des grandes villes. Leurs gouvernements ne sont pas responsables de la diplomatie du secteur, ils s’occupent plutôt la construction des infrastructures et ils visent à attirer plus d’investissements dans leurs territoires.

La construction de la base nationale des pêches hauturières (国家远洋渔业基地) à Lianjiang (连江) démonte le fardeau du gouvernement de comté. En 2019, après Zhoushan (舟山) et Rongcheng (荣成), le MAAR a approuvé la construction de la troisième base nationale des pêches hauturières; le coût de construction estimé est 20 milliards renminbis (Li, 2019). Cependant, le gouvernement central a accordé seulement 50 millions renminbis, qui est l’équivalent de 0,05% du coût total (Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire de la province du Fujian, 2021). Le financement du projet est un défi pour le gouvernement de Lianjiang. Il est clair que la participation des investisseurs privés est nécessaire. Un document publié par le gouvernement de Lianjiang indique que le Groupe Hongdong Fishery (une entreprise hauturière chinoise) et le Groupe Vanke (un groupe de promoteur immobilier) ont co-investi 3,5 milliards renminbis pour créer le parc industriel dans la base (Le gouvernement du comté de Lianjiang, 2020). Une autre exemple, dans les développements des ports des pêches, le gouvernement central subventionne juste vingt-cinq pour cent du budget pour le développement du port, les gouvernements de municipalité et de comté sont responsables de financer ou d’attirer les investissements pour terminer les projets, ces derniers doivent aussi respecter plusieurs exigences comme avoir la présence des entreprises hauturières réputées pour obtenir cet appui financier (Bureau de l’Agriculture et des Affaires rurales de la province du Liaoning, 2021). À certains égards, les intérêts des gouvernements de municipalité ou de comté et ceux des entreprises du secteur sont relatifs.

En comparaison, les problèmes environnementaux comme la pollution de sources d’eau ou la déforestation, l’épuisement du stock de poissons en haute mer lointain ne provoquerait pas un impact négatif immédiat à la population locale. En revanche, les politiques qui pourraient induire des impacts négatifs aux entreprises hauturières privées pourraient causer des situations non souhaitables pour ces gouvernements. Il est logique que les gouvernements locaux valorisent davantage les intérêts du secteur que la lutte contre des prises illégales en haute mer.

4. La préparation pour appliquer des mesures de l’État du port

À la fin de 2018, les bureaux des pêches au niveau provincial étaient demandés par le gouvernement central à proposer des ports désignés de débarquements des prises dans leur province. Ces ports doivent être équipés pour permettre la supervision par internet (Ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales, 2019b). Finalement, 107 ports ont été sélectionnés (Ministère de l’agriculture et des affaires rurales, 2020, 2021)[14]. En 2019, le MAAR a publié l’Ébauche des lois sur la pêche (version révisée) (l’Ébauche ci-après). Des éléments des mesures de l’État du port comme débarquement des prises au port désigné, inspection du port, autorisation et enregistrement des prises sont aussi ajoutés[15]. La responsabilité de la gestion des ports et des investigations des prises illégales est confiée principalement[16] aux gouvernements de municipalités et de comté (Ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales, 2019).

Parmi les trois niveaux du gouvernement (central, provincial et de municipalité et de comté), les intérêts des gouvernements de municipalités et de comtés semblent le plus proches avec ceux des entreprises privées. En absence d’autres motivations ou d’un bon système de supervision politique, l’efficacité du contrôle de débarquement des prises illégales pourrait être douteuse. Un document officiel publié par le gouvernement central en 2019 fait écho de ce doute de la qualité de gestion du port. Dans le Rapport concernant l’inspection d’application des lois sur les pêches, le problème de la qualité de la gestion des ports est souligné :

« il existe des gestions non régulées dans certains endroits, certains parmi eux prendre une partie de profit dans les prises sans bien vérifier des navires ni vérifier si les prises sont venues des sources illégales ou non, il faut renforcer la capacité de la réalisation de la gestion des navires, des individus et des prises dans les ports… » (…渔港管理中一些地方存在经营管理不规范现象有的甚至是从进港渔船的渔获物中进行抽成对进港渔船不加区分不管渔获物是否为合法捕捞依港管船管人管渔获责任仍需强化落实。)(Wu, 2019)[17].

D’ailleurs, le partage des informations sur les enquêtes concernant des prises illégales n’est pas mentionné dans les documents officiels pour le moment. On ne sait donc pas si la Chine partage ces informations avec les États qui ont signés le PSMA.

Conclusion

Pour conclure, l’encadrement juridique de la Chine lui permet de respecter les obligations de l’État du pavillon. La Chine est aussi en train de développer sa capacité de mettre en oeuvre des mesures de l’État du port. Cependant, on constate une différence de perception politique selon le palier de gouvernement. Pour que la Chine soit capable de pêcher en respectant les responsabilités de l’État du pavillon et de l’État du port, une amélioration de la coordination horizontale (interministérielle) et verticale (entre différents niveaux de gouvernement) semble une étape incontournable. Pour que la Chine puisse avoir une image d’une puissance hauturière responsable (Bureau des pêches du Ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales, 2017; Bureau des pêches du Ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales, 2022), peut-être, faut-il créer davantage d’incitations politiques pour que la gestion des prises illégales soit perçue comme aussi importante, aux yeux des gouvernements de municipalités ou de comté, que l’aspect économique. Mise en contexte dans la gouvernance des stocks arctiques, une capacité discutable pour mettre en oeuvre les mesures de l’État du port ne contribue pas à établir la confiance avec les partenariats dans la région et la communauté internationale. Une histoire à suivre…

Références

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Ministère de l’Agriculture et des affaires rurales (2021). L’annonce du MAAR numéro 428. 14 mai 2021. http://www.moa.gov.cn/govpublic/YYJ/202105/t20210518_6367915.htm c. le 28 août 2022.

Nations Unies (1995, 4 décembre). Accord aux fins de l’application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s’effectuent tant à l’intérieur qu’au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs. https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXI-7&chapter=21&clang=_en#EndDec c. le 1er février 2022.

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Wu, W. (2019). China Information News. 全国人民代表大会常务委员会执法检查组关于检查《中华人民共和国渔业法》实施情况的报告 (Rapport concernant l’inspection d’application des lois sur les pêches réalisée par le groupe d’inspection du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire), http://www.npc.gov.cn/npc/c30834/201912/022a2e6da6374d1dab4cb4606c54092d.shtml c. le 2 sept. 2022.

Xue, Guifang (Julia) (2006). China’s distant water fisheries and its response to flag state responsibilities. Marine Policy.  30(6), 651-658.


[1] La Chine a une entente bilatérale avec la Russie dans la mer de Béring, mais le quota accordé par la Russie n’est pas publié (Bureau de presse du Ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales, 2020) (Sobolevskaya et al., 2015). Parmi les 3 ORGP qui gouvernent les stocks dans les hautes mers en Arctique, dont la Commission des pêches de l’Atlantique du Nord-Est (la CPANE ci-après), l’Organisation des pêches de l’Atlantique du Nord-Ouest (l’OPANO) et la Convention sur la conservation et la gestion des ressources en colin dans la partie centrale de la mer de Béring (la Convention de Béring ci-après), la Chine a seulement signé la dernière convention. Cependant, la Convention de Béring n’accorde plus de quota aux signataires à cause de pénurie du stock.

[2] L’Accord international pour la prévention d’activités non réglementées de pêche en haute mer dans le centre de l’océan Arctique (l’Accord pour la prévention de pêche ci-après)

[3] Article 116 de la CNUDM.

[4] Article 7-15 du PSMA.

[5] La Chine est membre de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (1996), la Commission des thons de l’océan Indien (1998), la Commission de la pêche de Pacifique Ouest et central (2004), la Commission interaméricaine du thon tropical (n.d.), la Commission régionale de la gestion de pêche du Pacifique Sud (2009), la Commission de pêche du Pacifique Nord (2015), l’Accord de pêche du Sud de l’océan Indienne (2006) et la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Atlantique (2006).

[6] FAO est une abréviation anglaise de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organisation)

[7] Article 21 – 25 des Règlements.

[8] Article 18 – 19 des Règlements.

[9] Article 8 – 17 des Règlements.

[10] Article 34 des Règlements.

[11] Article 38 des Règlements a seulement indiqué que « le chef de chaque bureau des pêches de chaque niveau du gouvernement doit travailler avec les départements concernés pour bien gérer des ports » sans bien préciser des responsabilités.

[12] Article 4 des Règlements.

[13] Le Chinese Fishery Statistics Yearbook n’a pas distingué le nombre d’employés qui travaillent dans le secteur hauturier et ceux qui travaillent dans le secteur de pêche dans les eaux internes et l’aquaculture, on ne peut pas savoir le nombre officiel de travaillants dans le secteur hauturier.

[14] Parmi les ports sélectionnés, certains n’ont jamais été mentionnés dans la planification de la construction des ports de pêche 2018-2025, la logique de la sélection pourrait être difficile à comprendre, cela pourrait démontrer la différence de vision entre les gouvernements locaux et le gouvernement central.

[15] Article 36 de l’Ébauche.

[16] Article 8, 37, 50, 52 et 53 de l’Ébauche.

[17] La citation vient du sixième alinéa sous le deuxième point (le 15e paragraphe) de l’article.

Les nouvelles routes de la soie… vues de Chine

Regards géopolitiques, v8 n3, 2022

Alexandre Schiele

Alexandre Schiele est chercheur affilié au Centre Louis Frieberg pour les études est-asiatiques de l’Université de Jérusalem, et chercheur associé au Conseil québécois d’études géopolitiques de l’Université Laval.

Résumé : Les nouvelles routes de la soie sont l’une des initiatives phares de la présidence de Xi Jinping. À partir de l’analyse de ses discours, cet article montre que, loin d’être limitées à la seule dimension économique, elles sont en fait le fer de lance d’une double volonté de réorganisation du système international à l’avantage de la Chine, et de transition de son modèle de croissance pour échapper au piège du revenu intermédiaire.

Mots clé : Chine, nouvelles routes de la soie, relations internationales, réforme du système international, transition économique.

Abstract : The new silk roads are one of the flagship initiatives of Xi Jinping’s presidency. From an analysis of his speeches, this article shows that, far from being solely limited to economic ends, they jointly pursue the reorganization of the international system to the benefit of China, and the transition of its growth model to escape the middle-income trap.

Keywords: China, new silk roads, international relations, reform of the international system, economic transition.

Introduction

En janvier 2017, au Forum économique mondial de Davos (Suisse), le Président Xi Jinping, prenant le contrepied du discours protectionniste de l’administration Trump nouvellement investie, se fit le chantre du libre-échange et de la coopération internationale. Tels étaient en somme ses vœux pour le Nouvel An chinois (Xi, 2017a). Cinq années plus tard, près de 350 millions de Chinois sont astreints à diverses formes de confinement régulièrement renforcées : l’activité industrielle tourne au ralenti ; les ports, les porte-conteneurs et les chaînes logistiques sont paralysés ; les délais de livraison internationaux s’allongent ; et tous les observateurs appréhendent une réduction de l’offre sur les marchés internationaux accélérant une inflation déjà galopante (Hale et al., 2022). Et d’aucuns pensent que cette conjoncture risque de contrarier l’initiative dite des « Nouvelles routes de la soie », lancée il y a de cela moins d’une décennie, une initiative bousculée par la pandémie de Covid 19, par les accusations récurrentes qu’elle prend au piège de la dette les nations partenaires (Wade 2020), et finalement par l’isolement international de la Russie – pièce maitresse du pont avec l’Europe – en réaction à son invasion de l’Ukraine.

Mais en quoi cette initiative, proposée par Xi Jinping dans deux discours pour la première fois en 2013, d’abord à Astana au Kazakhstan le 7 septembre (Xi, 2013a) puis à Jakarta en Indonésie le 3 octobre (Xi, 2013b), consiste-t-elle ? C’est-à-dire quels sont les objectifs poursuivis par la Chine ? Comme l’analyse des discours de Xi Jinping le montre : elles servent, premièrement, une pluralité d’objectifs sur le long terme dont l’économie n’est qu’une préoccupation parmi d’autres ; deuxièmement, elles visent à réorganiser les règles de gouvernance du système international non seulement à l’avantage de la Chine, mais à les faire graviter autour d’elle ; par contre, troisièmement, elles participent aussi d’un impératif de transition économique vers un nouveau modèle de croissance pour échapper au « piège du revenu intermédiaire », laquelle ne peut réussir qu’en associant d’autres pays.

  1. Les nouvelle routes de la soie… vues de l’extérieur

Or, trop souvent les nouvelles routes de la soie ne sont abordées que du point de vue de ses impacts hors de Chine, et principalement sous l’angle économique. Ainsi, dans une fiche synthèse, mise à jour en janvier 2020, le Council on Foreign Relations décrit « les nouvelles de la soie » comme étant, d’une part, « un vaste réseau de chemins de fer, de pipelines énergétiques, d’autoroutes, de passages frontaliers simplifiés vers l’ouest – à travers les montagneuses ex-républiques soviétiques – et vers le sud, vers le Pakistan, l’Inde et le reste de l’Asie du Sud-est », ainsi que, d’autre part, d’installations portuaires « sur le pourtour de l’Océan indien, de l’Asie du Sud-est jusqu’en Afrique de l’Est et certaines parties de l’Europe » (Chatzky et McBride, 2020). En somme, un ensemble de projets de services, de transport, d’investissements (le plus souvent sous forme de prêts par les banques d’État chinoises) et de projets d’infrastructures destinés à faciliter tant le commerce international que l’intégration économique des pays limitrophes participants à ces projets.

            Les nouvelles routes de la soie sont l’une des politiques phares de la présidence de Xi Jinping, au point d’avoir été inscrites dans la Constitution du Parti lors de la révision de 2017 (State Council of the People’s Republic of China, 2017). Et pourtant, les détails de cette initiative demeurent pour le moins vagues : repose-t-elle sur un plan d’ensemble ou s’agit-il d’un agrégat de réalisations ponctuelles dont certaines seraient plus coordonnées entre elles que d’autres. Les observateurs étrangers s’arrêtent souvent aux réalisations matérielles, d’où l’attention particulière qu’ils portent aux infrastructures et aux données chiffrées. Ainsi, sont fréquemment mentionnés le Corridor économique Chine-Pakistan (Sacks, 2021) et le Nouveau Pont terrestre eurasiatique (Babones, 2017).

Or, l’un comme l’autre a été initié avant le lancement des nouvelles routes de la soie : le Corridor est formellement annoncé en mai 2013 (State Council of the People’s Republic of China, 2013) mais a véritablement démarré au début des années 2000 (Dawn, 2008) ; tandis que le premier train de marchandises chinois à destination de l’Europe, concrétisant le Pont terrestre, est arrivé à Hambourg en 2008, opéré conjointement par la DB Cargo Eurasia et la Shanghai Orient Silkroad Intermodal Co. Ltd. (Railway Gazette International 2008). L’initiative s’inscrit donc dans le prolongement de la présidence de Hu Jintao (2002-2013), et dans la foulée de l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce en décembre 2001. Selon nous, on ne peut faire l’impasse sur cet arrière-plan lorsque qu’il est question d’analyser les visées officielles sous-jacentes, lesquelles, dans le contexte politique chinois, ne peuvent être réduites à la dimension économique, souvent la seule retenue par les observateurs étrangers, à l’instar du Council on Foreign Relations. Qui plus est, certains critiques ne voient dans ces projets que la manifestation d’ambitions géopolitiques occultées par la Chine.

Comme l’analyse qui suit va le montrer, les déclarations publiques de Xi Jinping sur les nouvelles routes de la soie expriment moins une vision personnelle que la position du Parti-État, laquelle, débordant la seule dimension économique, promeut ouvertement une reconfiguration des règles du jeu politique international.

Certes, parce que les discours politiques visent à persuader, occulter, rallier, ou à l’extrême n’être qu’un exercice de propagande, leur portée est limitée. Cela est vrai tant dans les démocraties que dans les dictatures. Or, en Chine, depuis Deng Xiaoping, les discours politiques, particulièrement ceux destinés à un auditoire intérieur, et plus encore aux cadres du régime, se démarquent par leur aspect programmatique (Schiele, 2018, p. 10-11). Ainsi, ils cadrent et hiérarchisent tant les priorités du moment, que les éléments de langage à adopter. C’est pourquoi il est important de sérier les discours de Xi Jinping selon les auditoires auxquels ils sont destinés : à l’évidence, un discours prononcé au Bureau politique, au Comité central ou lors d’une réunion d’un groupe dirigeant restreint revêt une importance tout autre que celle d’un discours livré devant un parterre d’étudiants lors d’un déplacement à l’étranger. Cela étant, le mode répétitif des discours officiels chinois, quel que soit le public auxquels ils sont destinés, gomme les inflexions que l’on voudrait anticiper au premier abord.

2. Deux initiatives distinctes et complémentaires, mais une visée globale

L’initiative des nouvelles routes de la soie a été officiellement lancée dès après l’investiture de Xi Jinping comme Président de la République populaire de Chine, quatre mois après sa nomination au poste de Secrétaire général du Parti communiste chinois.[1] La première mention des nouvelles routes de la soie ou, plus exactement, de la « ceinture économique de la route de la soie », a eu lieu dans un discours prononcé à l’Université Nazarbayez à Astana au Kazakhstan (Xi, 2013a). La seconde mention, lorsqu’il est alors question de « la route de la soie maritime du 21e siècle », a été faite le 3 octobre devant le Conseil représentatif du peuple, la chambre basse du parlement indonésien (Xi, 2013b).

La différence d’auditoires se révèle tant dans le ton que dans le propos. À Astana, Xi Jinping relate une version schématisée de l’histoire de la route de la soie et des relations de bon voisinage qui uniraient la Chine à l’Asie centrale, avec un appel à les resserrer sur les plans économique, politique et sécuritaire. À Jakarta, plus spécifique, il lie son intention de raffermir les liens entre la Chine et l’Association des nations du Sud-est asiatiques (ANASE) à des objectifs plus précis allant de l’augmentation du volume des échanges commerciaux à la tenue de réunions plus régulières entre les ministres de la défense. À ce stade, ces discours en restent aux souhaits. Et lors de la parution du premier volume des œuvres de Xi Jinping l’année suivante (2014) – qui balise l’horizon idéologique des thématiques développées et leurs domaines d’applications concrètes – les nouvelles routes de la soie n’en constituent pas un thème central.[2]

Notons cependant que dans aucun des deux discours Xi Jinping ne s’adresse spécifiquement au pays hôte, mais à des groupes de pays plus ou moins intégrés : l’Asie centrale (associé à l’Organisation de coopération de Shanghai) et l’ANASE. Il a la même visée dans son discours de Dar es Salam en Tanzanie le 25 mars de la même année lorsqu’il s’adresse alors à l’Afrique (Xi Jinping 2013c) ; dans celui devant le Sénat mexicain le 5 juin en englobant l’Amérique latine et les Caraïbes (Xi Jinping 2013d) ; le 1er avril 2014 à Bruxelles, en assimilant Europe et Union Européenne de manière interchangeable (Xi, 2014a) ; et le 5 juin 2014, à l’occasion de la sixième Conférence ministérielle du Forum de coopération entre la Chine et les pays arabes, où il parle au monde arabe dans sa totalité (Xi, 2014b). Si le lecteur peut s’interroger sur le lien avec les nouvelles routes de la soie, rappelons que dans son discours du 1er avril 2014, il appelait symboliquement à la construction d’un pont terrestre eurasiatique ; et dans celui du 5 juin 2014, à renforcer la coopération sino-arabe en « promouvant l’esprit de la route de la soie ».

Mais, il serait erroné de croire que la Chine ne projette les nouvelles routes de la soie que dans des espaces géographiques bien circonscrits. Ainsi, dans son discours du 14 mai 2017 à l’occasion de l’ouverture du Forum de coopération internationale pour les nouvelles routes de la soie, Xi Jinping souligne que près d’une centaine de pays de tous les continents ont manifesté leur intérêt pour un tel projet, ce qui à ses yeux est déjà une victoire (Xi, 2017b). Et il pointe certaines réalisations en cours : telles les connexions ferroviaires Chine-Laos et Jakarta-Bandung, mais aussi Addis Abeba-Djibouti et Hongrie-Serbie. Bien sûr, elles ont pour objectif d’accroître les échanges, et impliquent un vaste programme de développement des infrastructures à cette fin. Mais, comme Xi Jinping l’affirme lui-même à cette occasion elles ne s’y limitent pas, car elles n’ont pas qu’une vocation purement économique.

3. Coopération régionale et harmonisation des politiques

L’observateur étranger pourrait penser que plus les pays souscrivent aux finalités économiques initiales plus la Chine élargit ses objectifs. Et pourtant, cette visée multiple était affirmée dès les discours d’Astana et de Jakarta où Xi Jinping appelait à un renforcement des liens culturels, éducatifs, touristiques, médicaux, mais aussi entre « les jeunes, les cellules de réflexion [think tank], les parlements, les organisations non-gouvernementales et les organisations civiles » (Xi, 2013b, p. 322) afin d’approfondir la compréhension mutuelle pour renforcer l’amitié entre les nations.

Cela dit, tant à Astana qu’à Jakarta, la Chine poursuit deux buts complémentaires : un approfondissement des liens économiques et une collaboration en matière de sécurité (Xi, 2013a et 2013b). Par contre, parce que l’ANASE (1967) se fonde d’abord sur les liens économiques en Asie du Sud-est, et que l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS, 2001) repose principalement sur les enjeux sécuritaires en Asie centrale, la Chine se devait de convaincre les pays de ces deux régions d’élargir leur collaboration à de nouveaux domaines malgré leurs probables réticences (Albert, 2015 ; Council on Foreign Relations, 2022), évoquées de manière indirecte par Xi Jinping.

Ainsi, les discours d’Astana et de Jakarta visent à présenter les nouvelles routes de la soie comme le prolongement naturel des collaborations déjà établies, mais en pointant que leur renforcement dans les domaines existants ne suffira pas pour atteindre les objectifs poursuivis par ce même renforcement. Car, dans un cas comme dans l’autre, comme Xi Jinping l’explique le 21 mai 2014 lors du Quatrième sommet de la Conférence sur les interactions et les mesures de construction de la confiance en Asie : « Une sécurité durable [sustainable] implique de mettre l’accent à la fois sur le développement et la sécurité, afin que la sécurité devienne durable [durable] » (p.393), et réciproquement en ce qui concerne le développement durable. Cela synthétise la vision chinoise.

Dans le même discours d’Astana, il affirme :

Nous [la Chine et les pays centrasiatiques] avons fixé nos objectifs de développement à moyen et long terme sur la base de nos conditions nationales. Nos objectifs stratégiques sont les mêmes – garantir un développement économique stable et durable, édifier une nation prospère et forte et réaliser une régénération nationale. C’est pourquoi nous devons approfondir notre collaboration dans tous les domaines, profiter de nos bonnes relations politiques, de notre proximité géographique et de notre complémentarité économique afin de stimuler une croissance durable, et former une communauté d’intérêts partagés et d’avantages mutuels.” (p. 317)

Et lors de la conférence de presse organisée dans le cadre du Forum de coopération internationale pour les nouvelles routes de soie, Xi Jinping annonce que cette communauté est en voie de réalisation, la Chine ayant « signé plusieurs accords de collaboration » au cours du Forum, et « 68 pays et organisations internationales » ayant déjà conclu de tels accords avec la Chine depuis le lancement de l’initiative (Xi, 2017b. p. 133).

En clôture du Forum, l’agence de presse Xinhua (Chine nouvelle) a publié la liste des 76 accords signés depuis 2013 (Xinhua, 2017). La plupart ne semblent être que des protocoles d’entente (memorandum of understanding), autrement dit des déclarations d’intention, alors que d’autres s’éloignent de la raison d’être de la conférence : ainsi l’accord avec la Thaïlande concerne l’usage pacifique de l’énergie nucléaire, et le protocole avec le Cambodge porte sur la construction d’une station d’observation océanique gérée conjointement (Joint Ocean Observation Station).

L’erreur consisterait à ne considérer que les accords conclus. Dès les discours d’Astana et de Jakarta, Xi Jinping présente sa vision pour une coopération régionale renforcée et les accords formels y jouent certes un rôle important, mais plus secondaire que l’on ne pourrait le croire. Ainsi non seulement appelle-t-il à renforcer la coopération avec la Russie et les États centrasiatiques, mais aussi à renforcer la « coordination » avec ceux-ci. Spécifiquement, il appelle à « renforcer les consultations sur les politiques [policy consultation] » (p. 318). En pratique, il invite :

[l]es pays [à] s’engager dans des discussions complètes autour des stratégies et politiques de développement, adopter des plans et des mesures pour faire avancer la coopération régionale au moyen de consultations mues par le souci de trouver un terrain d’entente en écartant les points d’achoppement “ (p. 318)[.]

Concrètement, cela se traduit par la multiplication des rencontres entre les responsables nationaux chargés de questions spécifiques, et préférablement par leur institutionnalisation souple sous la forme de plateformes et de mécanismes permanents de consultation et de dialogue. Par contre, c’est dans son discours de Jakarta, devant la chambre basse du parlement, que Xi Jinping précise l’objectif poursuivi par ces consultations :

“[l]a Chine est prête à étendre sa collaboration pratique dans tous les domaines avec les pays de l’ANASE afin de répondre aux besoins de chacun et de compléter les forces de chacun » (p. 321).

Il avait déjà exprimé la même idée six mois plus tôt, le 7 avril, lors du Forum Bao pour la Conférence annuelle de l’Asie :

[t]ous les pays sont liés et partagent des intérêts convergents. Ils doivent mettre en commun et partager leurs forces. Lorsqu’il poursuit ses propres intérêts, un pays doit respecter les préoccupations légitimes des autres. En poursuivant son propre développement, un pays doit promouvoir le développement de tous “ (Xi, 2013e, p. 363).

En pratique, comme il l’affirme dans son discours du 27 mars 2013 lors d’une rencontre des BRICS[3], cela se traduit, d’une part, par une coordination des politiques au niveau macro d’une part (Xi, 2013f), mais aussi, d’autre part, comme il le spécifie le 5 juin 2014 devant les représentants des pays arabes, par des objectifs, des stratégies et des politiques communs aux niveaux méso et micro, ainsi que par le « partage des ressources des deux côtés » (p. 351), dans le cadre de projets spécifiques (Xi, 2014b). Qui plus est, le 10 juin 2018, lors de la rencontre des chefs d’État de l’OCS, il est plus assertif : la complémentarité des pays implique celle de leurs « stratégies de développement. » (Xi, 2018a, p. 513).

4. La Chine, puissance ouvertement révisionniste

Ce faisant, la Chine cherche à façonner son extérieur proche et lointain afin de rééquilibrer le système régional à son avantage, et par le fait même influencer indirectement le système international. Et elle ne s’en cache pas. Ainsi, dans son discours du 7 avril 2013, après avoir chanté les louanges d’une Asie devenue à la fois « l’une des plus dynamiques et des plus prometteuses régions du monde », Xi Jinping insiste : l’Asie « doit transformer et améliorer son modèle de développement afin de rester en phase avec la dynamique du moment » (p. 361).

Concrètement, cela signifie que si « la Chine ne peut se développer en étant coupée du reste de l’Asie et du monde [,] le reste de l’Asie et du monde ne peut connaître la prospérité et la stabilité sans la Chine. » (p. 564) Et pour ceux qui n’auraient pas compris, il précise : « plus la Chine croît rapidement, plus elle créera d’opportunités de développement pour le reste de l’Asie et du monde. » (p. 366) En d’autres mots, la Chine s’affirme comme le moteur du développement mondial et le principal acteur de la paix mondiale – comme étant le pays le plus en phase avec la « dynamique du moment » (Publisher’s note in Xi, 2014, n. p.) – et invite fortement les pays qui veulent continuer à bénéficier de cette conjoncture à s’aligner sur elle, à adapter leurs politiques, leurs stratégies et leurs objectifs en fonction des siens.

Soulignons aussi la conception particulière du multilatéralisme épousée par la Chine. Tout d’abord, comme la liste mentionnée plus haut des 76 accords le montre, elle ne reconnaît comme projets s’inscrivant dans l’initiative des nouvelles routes de la soie que ceux dans lesquels elle s’est elle-même impliquée. En d’autres termes, la Chine cherche à nouer un nombre toujours plus important de relations bilatérales plus profondes, lesquelles formeraient les rayons d’une roue dont elle occuperait le centre. Par contre, fidèle à la ligne édictée depuis Deng Xiaoping, elle se refuse catégoriquement à transformer ses relations en des alliances formelles. Cela étant dit, par ses relations bilatérales, elle ne cherche pas uniquement à lier les États, mais aussi les entités publiques et privées infranationales, transnationales et supranationales.

Ce dernier niveau est particulièrement significatif, car, comme nous l’avons montré plus haut, la Chine s’adresse moins à des pays qu’à des groupes de pays. Et Xi Jinping répète inlassablement que le moment unipolaire, dominé par les États-Unis, s’estompe progressivement, le monde revenant à un équilibre multipolaire, une transition que la Chine cherche à accélérer. Or, fait intéressant, Xi Jinping ne parle pas d’un ordre multipolaire interétatique, mais inter-civilisationnel. Il va sans dire que nulle civilisation a atteint un degré d’organisation politique équivalent à celui d’un État-Nation… à l’exception, dans les discours de Xi Jinping, de la Chine.

Quel que soit le sens à donner à cette prise de position, il ne fait aucun doute que la Chine perçoit le système international dans sa forme existante comme lui étant non seulement défavorable mais aussi injuste. D’où les appels incessants de Xi Jinping à réformer les règles de gouvernance du système international afin qu’elles reflètent mieux sa réalité actuelle.[4] Et la crise financière de 2008 ainsi que la crise de liquidité et d’insécurité qui s’ensuivirent au cours des années 2010 ont été la brèche par laquelle la Chine a pu non seulement proposer une solution alternative à l’ordre existant, mais aussi tenter de la mettre en pratique. Et Xi Jinping l’affirme ouvertement dans ces mêmes discours.

Arrivé à ce stade, le lecteur pourrait être irrité par un corpus de discours qui semble limité aux deux premières années du mandat de Xi Jinping. Mais l’explication réside dans le fonctionnement même du régime du Parti-État. Le même congrès qui a élu Xi Jinping Secrétaire général pour les cinq années suivantes en 2012, a aussi fixé les grandes lignes politiques intérieures et extérieures pour ces cinq mêmes années. Et dès ses premières apparitions publiques, Xi Jinping donne le ton. Ainsi, lors d’un séminaire du Parti-État sur le « travail de diplomatie de voisinage » le 24 octobre 2013 (Xi, 2013k), soit un peu moins de trois semaines après le discours de Jakarta, il affirme :

“[n]ous devons créer et consolider des relations amicales et approfondir les coopérations mutuellement bénéfiques avec les pays voisins, préserver et faire le meilleur emploi des opportunités stratégiques dont nous profitons, et préserver la souveraineté étatique, la sécurité nationale, et les intérêts de développement de la Chine. […] La politique de base de diplomatie de voisinage consiste à les traiter comme amis et partenaires, leur donner un sentiment de confiance et de soutenir leur développement. […] En retour, nous espérons que les pays voisins seront plus disposés envers nous, et nous espérons que la Chine développera des affinités plus fortes avec eux, et que notre attrait et notre influence iront croissants” (p. 326-327).

Les nouvelles routes de la soie participent de cet objectif. Jusque-là, rien que de très normal. Cependant, cet extrait est précédé par la déclaration suivante : « [l]a diplomatie de la Chine est guidée par, et doit servir, les Deux objectifs centenaires [Two Centenary Goals] et notre régénération nationale » (p. 326).

Les Deux objectifs centenaires ont été formulés dès l’accession au pouvoir de Xi Jinping, et mentionnés pour la première fois dans lors d’un discours prononcé le 29 novembre 2012 :

[j]e crois fermement que l’objectif de construire une société modérément prospère dans tous les domaines peut être atteint d’ici 2021, lorsque le PCC célébrera son centenaire ; l’objectif de transformer la Chine en un pays socialiste moderne, prospère, fort, démocratique, culturellement avancé et harmonieux peut, quant à lui, être atteint d’ici 2049, lorsque la RPC marquera son centenaire ; et le rêve de la régénération de la nation chinoise sera réalisé” (Xi 2012, p. 38).

Voilà donc en quoi consiste le Rêve chinois, sans conteste le projet phare de sa présidence, et grâce auquel il cherche à se distinguer radicalement de son prédécesseur Hu Jintao. Mais, qu’entendre réellement par ce projet plus collectif – nationaliste même – qu’individuel, alors que la Chine est déjà la deuxième puissance économique mondiale et qu’elle en est consciente ? Officiellement : effacer l’humiliation des Guerres de l’Opium (1839-1842 ; 1856-1860) (Xi 2012 ;  2014c) lesquelles non seulement ont contribué au déclin de la Chine, mais lui ont ravi son statut de puissance dominante, de modèle à émuler, et de centre du monde asiatique, ainsi que, plus impardonnable encore, son sentiment d’avoir été le centre du monde (Kang 2010).

5. Réponses à des préoccupations plus immédiates

Dans les discours destinés aux hauts cadres du Parti-État, l’initiative des nouvelles routes de la soie a une visée plus pragmatique et, pourrait-on dire, immédiate. Le rapport faisant le bilan des cinq années précédentes, présenté le 18 octobre 2017 au 19e Congrès du Parti – lequel a reconduit Xi Jinping dans ses fonctions – vante l’avancement de cette initiative. Mais, étonnamment, il n’en est question que parmi d’autres réalisations : « [l]e développement régional est devenu plus équilibré ; l’initiative des nouvelles routes de la soie, le développement coordonné de la région Beijing-Tianjin-Hebei et le développement de la Ceinture économique du Yangzi ont tous connu des avancées significatives. » (Xi Jinping 2017c, p. 4)

Depuis, ces projets ont toujours été associés dans les discours, et celui de la « Grande baie de Guangdong-Hong Kong-Macao » a été ajouté à cette liste (Xi, 2018b, p. 244). Or, ces trois projets d’intégration régionale ont une portée autrement plus nationale que celle à laquelle l’on s’attendrait dans le cas des nouvelles routes de la soie. Lors de la troisième session du groupe d’étude du Bureau politique, le 30 janvier 2018, Xi Jinping affirme sans ambages que ces trois projets participent non seulement d’une volonté de modernisation de l’économie, mais d’une volonté d’ « accélération » de cette modernisation. Par modernisation, il entend : « [l’élargissement] de la réforme structurelle axée sur l’offre, [le développement] d’une industrie manufacturière avancée, et [l’intégration complète] de l’économie réelle avec les technologies d’Internet, du big data et de l’intelligence artificielle. » (p. 283)

Concrètement, le Parti-État veut user de ses pouvoirs d’intervention pour assurer la transition rapide d’une économie dominée par des entreprises reposant sur une main-d’œuvre abondante, mais produisant des biens et des services à faible valeur ajoutée, vers une économie dominée par des entreprises de haute technologie créant des biens et des services à haute valeur ajoutée d’ici 2025. Tel était l’objectif du treizième plan quinquennal (2016-2020), adopté en 2015, et celui du quatorzième plan quinquennal (2021-2025), alors à l’état d’ébauche. Bien que proclamant le succès de la construction d’une société modérément prospère, la pandémie de Covid 19 a conduit le Parti-État à réviser ses objectifs, le quatorzième plan quinquennal dans sa version adoptée en 2020 repoussant dans les faits sa construction à 2035 (Wong, 2020).

L’enjeu demeure néanmoins entier : si c’est en devenant l’atelier du monde que la Chine s’est hissée au rang de la seconde puissance économique mondiale, elle demeure, d’une part, dépendante de l’étranger pour les technologies de pointe alors que les économies exportatrices se montrent de plus en plus méfiantes quant à l’utilisation qu’elle peut en faire (McBride et Chatzky, 2019), et, d’autre part, depuis le tournant des années 2010 sa croissance, alors à deux chiffres, a ralenti et ainsi accru les risques de tomber dans le ‘piège du revenu intermédiaire’, dont seule une quinzaine pays est parvenue à s’extraire.[5] (Gill et Kharas, 2015) Aussi, tout ralentissement de l’amélioration des conditions de vie pourrait potentiellement se muer en une contestation du régime.

Nous comprenons alors mieux l’insistance de Xi Jinping lors de son intervention du 24 octobre 2013 à l’occasion du séminaire du Parti-État sur le « travail de diplomatie de voisinage » :

“[n]ous devons travailler avec nos voisins pour accélérer la connexion des infrastructures entre la Chine et les pays et nos pays voisins, et établir une Ceinture économique de la route de la soie et une route de la soie maritime répondant aux demandes du 21e siècle. Nous devons accélérer le rythme de la mise en œuvre de la stratégie de zones de libre-échange avec nos voisins, étendre la coopération en matière de commerce et d’investissement, et créer un nouveau modèle d’intégration économique régional” (Xi, 2013k, p. 327).

Conclusion : les Nouvelles routes de la soie : des objectifs pluriels sur le long terme

            L’initiative des Nouvelles routes de la soie, telle que le Parti-État chinois la conçoit, poursuit des d’objectifs concomitants qui vont bien au-delà de la dimension économique, tandis que l’expression, délibérément choisie, les masque en réifiant l’imaginaire des routes historiques de la soie : des caravanes de chameaux traversant les déserts d’oasis en oasis et transportant une myriade de produits rares et exotiques. En fait, ces objectifs sont de trois ordres étroitement imbriqués : un objectif géopolitique, un objectif symbolique et un objectif pragmatique. Ils ont en commun de se projeter dans le long terme.

            Premièrement : sur le plan géopolitique, la Chine cherche à nouer de nouvelles formes de relations bilatérales fondées sur la consultation pour favoriser une plus grande intégration et une harmonisation des politiques dans plusieurs domaines, dont les deux principaux sont le développement économique et la sécurité – deux domaines complémentaires pour la Chine. L’objectif est autant de proposer que d’actualiser un contre-modèle à l’hégémonie américaine, dont la Chine anticipe le déclin tout en cherchant à l’accélérer. Or, elle se présente comme le moteur économique et le garant de la paix, non seulement en Asie, mais à l’échelle mondiale : elle enjoint donc les pays à moduler leurs plans de développement en fonction des siens tout autant que leurs politiques, en un mot à l’émuler.

            Deuxièmement : elle cherche à mailler les États tout autant que les entités publiques et privées, infranationales comme supranationales. Car la multipolarité qu’elle appelle de ses vœux n’est pas internationale, mais inter-civilisationnelle. Et elle ne se perçoit pas comme une nation comme les autres, mais comme une civilisation politiquement organisée, et cherche en conséquence à infléchir les règles du jeu politique international pour qu’il reflète mieux la perception qu’elle projette d’elle-même. C’est pourquoi, sur le plan symbolique, les nouvelles routes de la soie servent le Rêve chinois, celui de la grande régénération de la nation chinoise laquelle effacera l’humiliation des Guerres de l’Opium en recentrant l’Asie, si ce n’est le monde, sur la Chine.

            Troisièmement : pragmatique, la Chine réalise qu’elle arrive aux limites de son modèle de croissance, fondé sur un développement industriel, mobilisant une main-d’œuvre abondante, qui produit biens et services en grand nombre, mais à faible valeur ajoutée. Elle se sait dépendante des importations de technologie de pointe pour poursuivre son développement, alors que les pays exportateurs se montrent de plus en plus méfiants et réticents à son égard. Et en parallèle, parce qu’elle voit aussi son taux de croissance chuter, elle redoute d’être prise au ‘piège du revenu intermédiaire’.

Ainsi, les nouvelles routes de la soie ne représentent qu’une composante d’un plan stratégique qui cherche à associer des pays étrangers à sa volonté de transition économique assortie d’une tentative de rééquilibrage géopolitique à son avantage.

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[1] Bien que la fonction de président soit symbolique, c’est la seule qui soit reconnue par les gouvernements étrangers pour désigner l’interlocuteur officiel de la Chine.

[2] Elles ne le deviendront qu’à partir du second volume (2017).

[3] Forum de cinq grandes économies émergentes : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.

[4] Pour la seule année 2013 : les 23 mars (Xi, 2013g) ; 25 mars (Xi, 2013c) ; 27 mars (Xi, 2013f) ; 7 avril (Xi, 2013e) ; 7 juin (Xi, 2013h) ; 5 septembre (Xi, 2013i) ; 3 octobre (Xi, 2013b) ; et 7 octobre (Xi, 2013j).

[5] Dont la Corée du Sud, Hong Kong, le Japon, Singapour et Taiwan.

La Chine et les ressources halieutiques en Arctique. I – Analyse du développement des hauturiers chinois en Arctique

RG v8 n2, 2022

Yeukyin Chiu

Yeukyin Chiu est étudiante à la maîtrise en études internationales à l’Université Laval, à Québec. Elle s’intéresse au secteur hauturier de la Chine et à la gouvernance des ressources halieutiques en Arctique.

Courriel : yeuk-yin.chiu.1@ulaval.ca

Résumé : Compte tenu de l’avènement des changements climatiques et de la fonte accélérée de la banquise, la pêche commerciale au centre de l’océan Arctique pourrait être possible dans le futur. En 2018, la Chine a exprimé clairement ses intérêts pour les ressources halieutiques de l’Arctique et son intention de participer à la gouvernance de la gestion des ressources en Arctique. Cet article vise à discuter l’encadrement juridique de la gestion des poissons en Arctique aujourd’hui et les défis rencontrés par la Chine pour l’accès aux stocks.

Mots clés : changements climatiques, ressources halieutiques arctiques, la Chine, secteur hauturier,

Abstract: The climatic change and the melt of ice sheets make the commercial fishing in the center of Arctic Ocean possible in the future. In 2018, China expressed its interests in Arctic fishery resources and their governance. This article aims at understanding the current international judicial system which governs the stocks in the Arctic and the challenges that China is facing when trying to have access to Arctic fishery resources.

Keywords: Climatic change, Arctic fishery resource, China, distant water fishing

Introduction

Aujourd’hui, les impacts des changements climatiques sont manifestes. Le réchauffement planétaire implique que l’environnement de l’Arctique est en train de changer. L’étendue de la banquise affichait une tendance à diminuer entre 1979 et 2019 (Pörtner et al., 2019). Certains chercheurs ont estimé qu’il n’y aura plus de glace durant l’été avant la fin du 21e siècle (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2019). Si la fonte de banquise permet d’avoir des étés sans banquise en Arctique, il se peut que la pêche commerciale au cœur de l’océan Arctique devienne possible (Van Pelt et al., 2017). Pour les États riverains de l’océan Arctique, le secteur de la pêche est important pour le développement régional. Par ailleurs, la pêche hauturière, qui réfère à la pratique que des navires de pêche commerciale pêchent en dehors des eaux territoriales de leur pays d’origine, continue de se développer (Yozell et al., 2019). Certains pays asiatiques, comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud ont gagné de l’importance dans le secteur de la pêche hauturière dans les dernières décennies. La Chine, qui est de loin la plus grande productrice de captures marines au monde (FAO, 2018b), continue d’élargir son espace de pêche. En 2018, Pékin a exprimé ses intérêts pour l’exploitation des ressources halieutiques en Arctique tout comme son intention de participer dans la gouvernance de gestion des stocks de poissons en haute mer dans l’océan Arctique (The State Council, 2018). Étant donné que la ressource halieutique est une ressource mobile sensible aux changements climatiques, le réchauffement climatique et l’apparition des nouveaux joueurs impliquent de nouveaux défis quant à la gestion des ressources halieutiques dans la région. Quelles sont les contraintes qui pèsent sur l’accès de la Chine aux ressources halieutiques arctiques ?

Pour comprendre les impacts de la Chine sur le développement de la pêche hauturière en Arctique, la discussion sera divisée en trois parties. Les deux premières parties discutées dans cet article aborderont le secteur de la pêche commerciale en Arctique et le système de gestion internationale des ressources halieutiques dans cette région aujourd’hui, et le développement du secteur de la pêche hauturière en Arctique par la Chine et ses défis. Un deuxième article abordera les moyens juridiques et politiques que Pékin utilise pour gérer son secteur de la pêche hauturière. Les analyses seront basées sur les données et les annonces publiées par des gouvernements, des organisations internationales comme l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (le FAO ci-après), l’Union européenne (UE), les Nations Unies, des organisations non gouvernementales, des think tanks et des articles académiques.

1.     Le développement de la pêche commerciale en Arctique et le système international de la gestion des stocks de poisson dans la région

En Arctique, la basse température annuelle et la grande fluctuation de la disponibilité de la lumière ne favorisent pas le développement de l’agriculture. Par conséquent, la pêche et la chasse en mer sont les principaux moyens d’acquérir de la protéine animale pour la population locale (FAO, 2018b). Aujourd’hui, la capacité des pêcheurs s’est beaucoup améliorée quant aux distances de voyages et à la conservation des poissons grâce à l’évolution rapide de la technologie.

1.1. L’importance de la pêche commerciale pour les pays arctiques

Le développement de la pêche commerciale est souvent un des moteurs du développement économique pour les régions arctiques.  Par exemple, l’exportation des poissons et des crevettes représente 92% des exportations totales du Groenland (Booth et al., 2014). En Alaska, l’exportation de poissons représente plus de la moitié de ses exportations totales (Resources Development Council, n.d.). En 2018, les cinq États riverains de l’océan Arctique (dont le Canada, les États-Unis, le Danemark par le Groenland, la Norvège et la Russie) et l’Islande figuraient parmi les 25 premiers pays producteurs de captures marines au monde (FAO, 2018b).

Cependant, ce ne sont pas toutes les régions de l’Arctique qui pourraient profiter des ressources halieutiques. Selon un rapport réalisé par l’Arctic Monitoring & Assessment Programme en 2005 (Vilhjálmsson et al., 2005), la distribution des poissons est concentrée dans quatre zones de pêche importantes : l’Atlantique nord-est (la mer de Barents et la mer de Norvège), l’Atlantique nord-central (le Groenland et l’Islande), Terre-Neuve, la mer du Labrador et le nord-est du Canada, et le nord du Pacifique (la mer de Béring, la mer de Tchouktches et les îles Aléoutiennes) (veuillez référer à figure 1)(Vilhjálmsson et al., 2005). Selon Sea Around Us, un projet de recherche initié par l’Université de la Colombie-Britannique qui vise à analyser les conséquences des activités de pêche sur les écosystèmes marins, les prises dans ces quatre zones comptent pour 97% du volume de pêche total de la région (Sea Around Us, n.d.-a) (voir fig. 1).

Au-delà d’une répartition naturellement inégale, la disponibilité du stock en Arctique n’est pas garantie. Plusieurs effondrements de stocks sont notables, comme la chute de stocks de hareng dans les années 1960 et 1970 en Norvège (Lorentzen et al., 2006), la chute du stock de colin dans le bassin aléoutien à la fin des années 1980 (Bailey, 2011) et la quasi-disparition de la morue au Canada atlantique dans les années 1990 (Myers et al., 1997). L’effondrement du stock est souvent suivi par une interdiction de pêche dans la région et cela a des conséquences socio-économiques majeures pour les communautés de pêcheurs.

Figure 1 – Les quatre zones de pêche principales et leur volume de prise, les zones de haute mer et les zones qui sont gouvernées par les ORGP en Arctique.

Source : autrice, d’après une présentation du Molenaar en 2016 et des informations de Sea Around Us, de l’AMAP, de la CPANE et de la FAO (“Convention on the Conservation and Management of Pollock Ressources in the Central Bering Sea,” 1994; Molenaar, 2016; Sea Around Us, n.d.-a, n.d.-b; The 20th Annual Conference of the Parties to the Convention on the Conservation and Management of Pollock Resources in the Central Bering Sea, 2015; Vilhjálmsson et al., 2005)

La poursuite de la contraction de la banquise en Arctique a conduit à des changements dans l’écosystème marin en Arctique. Pour le moment, on observe que deux phénomènes pourraient influencer l’activité de la pêche : la migration vers le Nord des poissons et la menace de l’acidification. La première réfère au déplacement vers le nord des poissons. En raison de l’augmentation de la température de l’océan, certaines espèces épipélagiques (les espèces qui vivent de la surface jusqu’à 200 mètres de profondeur) subarctiques ou tempérées pourraient coloniser des eaux arctiques (Cheung et al., 2016; Haug et al., 2017). Certains chercheurs estiment que la distribution des poissons s’est déplacée vers le pôle Nord à une vitesse de 52 km par décennie en moyenne (Pörtner et al., 2019). Le deuxième phénomène, l’acidification de l’océan, est causé par la hausse d’absorption du dioxyde de carbone par les océans (Arctic Monitoring and Assessment Programme, 2013). Il pourrait nuire à la formation des squelettes des poissons et des coquilles des mollusques qui pourrait enchaîner des problèmes pour la chaîne alimentaire (Haug et al., 2017).

1.2.Comment les stocks en Arctique sont-ils gérés ?

Aujourd’hui, le principal encadrement du régime juridique de la conservation des ressources halieutiques en Arctique est la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM ci-après). Elle fut conclue en 1982. Tous les États riverains de l’océan Arctique et l’Islande ont signé et ratifié la CNUDM sauf les États-Unis, mais ces derniers appliquent les principes de la CNUDM comme des droits coutumiers (Congressional Research Service, 2020). La CNDUM délimite les espaces maritimes, indique les droits et les responsabilités des États sur l’exploitation économique de la mer, sur la liberté de navigation, sur la recherche scientifique et sur la protection environnementale.

Selon la Convention, les États jouissent de la souveraineté territoriale dans les eaux intérieures et les mers territoriales[1]. À partir des lignes de base jusqu’à la limite des 200 milles marins se trouve la zone économique exclusive (ZEE). Les États côtiers conservent les droits souverains d’exploitation sur les ressources naturelles biologiques et non biologiques dans sa ZEE [2]; ils ont la responsabilité de les conserver et de s’assurer de ne pas les surexploiter. Dans le cas où une espèce existe aussi dans la ZEE des pays voisins, les États ont la responsabilité de former des organisations régionales de gestion des pêches (ORGP ci-après) pour conserver les stocks[3]. La zone en dehors de la ZEE est la haute mer, qui est un espace ouvert à tous pour pêcher et pour faire des recherches scientifiques[4]. La CNUDM encourage la coopération internationale par la création des ORGP[5].

Cependant, la CNUDM n’a pas précisé les responsabilités des ORGP. Cela rend parfois la coopération internationale en haute mer difficile et inefficace (Lugten, 2010). Dans les années 1990, deux accords contraignants furent conclus : l’Accord de conformité en 1993 de la FAO et l’Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons en 1995. Le premier oblige les États à prendre leurs responsabilités quant à leurs propres navires qui pêchent en haute mer. Les navires peuvent seulement pêcher lorsqu’ils sont autorisés par leur État; les États du pavillon sont donc capables d’exercer leurs responsabilités à régler leurs navires (FAO, 2018a; Lugten, 2010). Le deuxième accord oblige les États à se joindre à l’ORGP qui gouverne ladite région en haute mer pour avoir accès à ses ressources halieutiques, et confère des droits à l’État côtier pour le contrôle des prises de stocks de poissons chevauchant, c’est-à-dire passant d’un côté à l’autre de la limite de la ZEE[6].

En Arctique, la plupart des espaces maritimes se situent dans les ZEE des membres de l’Arctic Five et de l’Islande. Les stocks dans ces zones sont donc protégés par les lois domestiques et les ORGP qui les couvrent. Par contre, il y a quatre zones en haute mer : le Banana Hole dans la mer de Norvège, le Loophole dans la mer de Barents, le Donut Hole dans la mer de Béring et le centre de l’océan Arctique (Molenaar, 2016). Ils sont gouvernés par trois ORGP : la Commission des pêches de l’Atlantique Nord-Est (CPANE ci-après), l’Organisation des pêches de l’Atlantique Nord-Ouest (OPANO ci-après) et la Convention sur la conservation et la gestion des ressources en colin dans la partie centrale de la mer de Béring (la Convention de la mer de Béring ci-après). Ces ORGP couvrent les stocks dans le Banana Hole, le Loophole et le Donut Hole. Pour le moment, aucune ORGP n’est encore établie pour protéger les stocks dans le centre de l’océan Arctique car la pêche commerciale n’est pas encore possible. (Pour la situation géographique des zones de haute mer en Arctique, voir la figure 1).

En 2018, les membres de l’Arctic Five ont conclu l’Accord international pour la prévention d’activités non réglementées de pêche en haute mer dans le centre de l’océan Arctique (ci-après l’Accord pour la prévention de pêche) avec l’Islande, l’Union européenne, la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Les signataires conviennent d’adopter une approche prudente sur la ressource halieutique dans le centre de l’océan Arctique et affirment vouloir empêcher la pêche commerciale dans cette région avant d’avoir acquis suffisamment de connaissances sur la durabilité des stocks (“Declaration concerning the prevention of unregulated high seas fishing in the Central Arctic Ocean,” 2015). Bien que l’Accord suspende la pêche commerciale temporairement dans le centre de l’océan Arctique, celui-ci n’a pas établi une ORGP, ni précisé des mesures de protection (Papastavridis, 2018). Juridiquement, c’est comme une espace vide pour la conservation du stock.

2.     Le développement du secteur hauturier chinois en Arctique

La Chine est la plus grande productrice mondiale de captures marines depuis des années 1990 (Xue, 2006). Aujourd’hui, on peut trouver les flottes chinoises qui pêchent partout dans le monde. Selon l’estimation du think tank américain Stimon Center, la Chine et Taiwan partagent 60% des efforts de pêche hauturière mondiale dans les dernières décennies, tandis que le Japon, la Corée du Sud et l’Espagne partagent chacun 10% des efforts (Yozell et al., 2019). Le développement du secteur hauturier chinois a commencé relativement tard par rapport aux autres puissances hauturières; les premiers voyages des flottes chinoises à l’ouest de l’Afrique et en mer de Béring furent réalisés en 1985 (Chen et al., 2019; Mallory, 2013).

L’appétit de la Chine pour les poissons arctiques a commencé à apparaître dans les documents officiels de haut niveau dans le treizième plan quinquennal (2017-2021). Dans ce plan, la participation active dans les affaires de pêche dans les zones polaires est un des trois objectifs du secteur hauturier[7] (Bureau des pêches du Ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales, 2017). En 2018, Pékin a publié le Livre blanc des politiques de l’Arctique de la Chine et a annoncé ces intentions concernant la gestion des stocks en Arctique : elle appuie l’idée de la création d’une ORGP dans le cœur de l’océan Arctique, du renforcement de la surveillance et de la recherche sur les stocks et aussi de la coopération scientifique avec les États riverains de l’océan Arctique (The State Council, 2018).

2.1. Pourquoi la Chine s’intéresse-t-elle à la gouvernance des poissons arctiques ?

Selon les données disponibles sur le UN Comtrade Database, la valeur des poissons et des fruits de mer exportée par les pays arctiques vers la Chine s’est accrue de 1324% entre 1998 et 2018, soit une augmentation annuelle moyenne de 14,2% par an[8]. Pour la Chine, les ressources halieutiques en Arctique sont importantes à cause de plusieurs facteurs. Concernant les facteurs socio-économiques, la demande des ressources halieutiques arctiques en provenance des pays arctiques est énorme, et cette demande a continué d’augmenter dans les dernières décennies. L’enrichissement du pays et la croissance de la classe moyenne augmentent les besoins en fruits de mer et en poissons de grande valeur. L’urbanisation change le goût des consommateurs chinois. Aujourd’hui, la majorité des consommateurs en Chine sont équipés d’un congélateur à la maison, favorisant la vente de poissons congelés; les problèmes de pollutions domestiques sensibilisent les consommateurs chinois à la sécurité alimentaire, ils sont prêts à payer plus cher pour acheter des poissons qui viennent de sources propres et dont l’origine est traçable (Crona et al., 2020; Wang et al., 2009). De plus, les banquets de fruits de mer ou de poissons de grande valeur sont aussi une activité sociale importante (Fabinyi et al., 2016).

La deuxième raison d’une augmentation de l’importation de poissons et de fruits de mer en Chine concerne le développement des usines de traitement des poissons et des fruits de mer. La Chine ne consomme pas tous les poissons qu’elle pêche; une partie des poissons est envoyée aux usines pour être traitée et pour être réexportées après. Par exemple, 50% des ressources halieutiques d’Alaska exportées en Chine vont retourner vers le marché américain après avoir été traités en Chine (Haddon et al., 2018). Entre 2008 et 2018, le secteur de la transformation des poissons et des fruits de mer en Chine a augmenté sa production de 42%; les usines de transformation sont concentrées dans les provinces au bord de la mer, comme le Liaoning (11,5%), le Shangdong (31,4%) et le Fujian (19,1%) et contribuent au développement économique de ces provinces (Bureau des pêches du Ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales et al., 2018).

La troisième raison concerne la diminution des prises dans les eaux domestiques qui peut s’expliquer par deux facteurs principaux. Le premier est relié à la ratification de la CNUDM en 1996, puisqu’elle oblige la Chine à conclure des ententes avec les États voisins comme le Japon, la Corée du Sud et le Viêtnam afin de partager les stocks dans les ZEE qui se chevauchent. La Chine a donc dû fermer plusieurs zones de pêche traditionnelle à ses pêcheurs une fois des accords bilatéraux conclus (Colin, 2016). De plus, la surexploitation et l’effondrement des stocks font partie du problème.  Dans la mer Jaune et la mer de Chine orientale, plus de 50% des stocks sont surexploités ou se sont effondrés (Sea Around Us, n.d.-c, n.d.-d). La situation est si grave que le gouvernement chinois a dû établir une série de politiques pour conserver ses écosystèmes marins, comme l’établissement de moratoires de pêche dans ses eaux intérieures, la politique de la « croissance nulle »[9] sur les prises domestiques (Cao et al., 2017). Peu importe les efforts du gouvernement, ils se heurtent à une réalité du marché : la demande intérieure pour les poissons n’a jamais cessé de croitre rapidement. La consommation de poissons par habitant a augmenté de 3,1 kg par personne et par an en 1985 à 11,4 kg en 2019 (Crona et al., 2020). Pour satisfaire le marché domestique, la Chine n’a pas le choix que d’aller plus loin pour chercher de poissons.

Pour Pékin, le secteur de la pêche hauturière a également une mission politique. Il permet à la Chine de développer de bonnes relations avec les pays d’Afrique de l’Ouest comme la Mauritanie, la Guinée-Bissau et la République de Guinée par ses projets de pêche (Bureau des pêches du Ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales, 2016). En 2010, un groupe ad hoc était créé au sein du gouvernement pour discuter les stratégies pour renforcer le secteur hauturier chinois. Dans le rapport de la discussion, la phrase « celui qui occupe (ou possède) a tous les droits » « 占有即权益 » est apparue. Pour certains fonctionnaires, pêcher régulièrement en haute mer affirme les droits dont la Chine jouit. Ils croient que les pays qui ont une longue histoire d’utilisation des ressources marines et halieutiques ont davantage de droits quand il s’agit de distribuer ou partager ces ressources. Certes, le rapport a aussi précisé qu’une telle occupation des ressources soit fondée sur les principes de respecter le développement durable, l’histoire et le statu quo. Le développement du secteur hauturier a donc une mission politique pour la Chine (Le groupe de travail sur l’étude de renforcement du secteur de la pêche hauturière chinois, 2010).

Sous la direction de Xi Jinping depuis 2013, la Chine a adopté un style de diplomatie qui est plus affirmé et proactif en matière de gouvernance globale (Lin, 2019). Cependant, la Chine n’est pas un État arctique. Elle a besoin d’arguments pour justifier la légitimité de sa présence dans les eaux arctiques, surtout, lorsque son autoportrait comme « un État proche de l’Arctique (near Arctic State) » ne trouve nécessairement pas d’échos dans la communauté internationale[10]. Selon la logique « la possession suit le droit » mentionnée auparavant, si la Chine devenait un pêcheur fréquent dans les hautes mers en Arctique, elle pourrait avoir acquis des droits sur les ressources marines grâce à cette pratique. Ce point est objet de débats et trouve un certain écho dans le monde académique chinois, au point que certains chercheurs chinois encouragent le développement de la pêche hauturière en Arctique, parce que celle-ci suscite pour le moment moins de controverses internationales que l’exploitation des minéraux dans la région (Zhang, 2018).

2.2. Les stratégies de la Chine et ses défis

L’expansion de la pêche hauturière chinoise dans les régions arctiques se révèle en réalité compliquée. Dans le Livre blanc des politiques de l’Arctique de la Chine, la Chine a évoqué la CNUDM et le Traité concernant le Spitzberg (1920) pour défendre ses droits en Arctique. Ainsi, parmi les quatre zones de haute mer en Arctique, le donut hole, dont le stock est régi par la Convention de la mer de Béring, est le plus proche de la Chine géographiquement. Dans les années 1990, la Chine a signé la Convention de la mer de Béring, mais cela ne lui donne pas d’accès aux stocks dans le donut hole, car la quantité de colin ne s’est jamais rétablie comme avant la chute des stocks. Jusqu’en 2015, le taux de reproduction de colin a atteint 11% de la quantité requise par la Convention de mer de Béring pour envisager l’ouverture de la zone à une pêche intense. Par conséquent, les États membres ont décidé de suspendre les prochaines rencontres en attendant la régénération du stock et depuis aucun quota de pêche n’a été distribué parmi les membres (The 20th Annual Conference of the Parties to the Convention on the Conservation and Management of Pollock Resources in the Central Bering Sea, 2015)[11].

Dans les zones de haute mer qui sont gouvernées par la CPANE et par l’OPANO, il n’y a plus de poissons à partager. En 2003, les États membres de la CPANE ont annoncé une directive suspendant la distribution des stocks avec les prochains nouveaux membres (North-East Atlantic Fisheries Commission, n.d.). L’OPANO connaît aussi la même situation, alors qu’une résolution en 1999 a indiqué que la majorité des stocks gouvernés par l’OPANO est partagée par les membres existants et que la pêche pour les nouveaux membres doit être très limitée (OPANO, n.d.).

La Chine a signé le Traité concernant le Spitzberg en 1925 (Traité du Svalbard de 1920). En théorie, la Chine jouit du droit d’accès aux ressources halieutiques de l’archipel (Brady, 2017; Lu, 2016; Polar Research Institute of China, n.d.). Cependant, le gouvernement norvégien maintient une attitude ferme concernant sa souveraineté sur l’archipel (Norway Ministry of Foreign Affairs, 2006). Les quotas de pêche de chaque espèce commerciale dans la zone de protection halieutique de l’archipel du Svalbard sont basés sur les données du Norwegian Institute for Marine Research, sur les conseils de la CPANE, et aussi sur les registres historiques (Molenaar, 2012). Or, comme la Chine n’a jamais pêché dans la région, et qu’elle n’est pas membre de la CPANE, il y a peu de chance qu’elle puisse obtenir des quotas de pêche dans la zone de pêche du Svalbard. (“The Svalbard Treaty,” 1920)

La Chine a commencé de développer son secteur hauturier plus tard que les autres puissances hauturières (Bonfil et al., 1998). Cela la met dans une position très désavantageuse dans la compétition mondiale. Dans cette situation, la Chine peut seulement s’efforcer de négocier des droits de pêche dans les zones de ZEE des pays arctiques. Cependant, pêcher dans les ZEE des pays arctiques demeure difficile. Premièrement, le secteur de la pêche de ces pays est souvent plus mature que celui de la Chine; ils n’ont pas besoin d’aide au développement de la Chine. De plus, puisque les poissons sont une source importante de protéine animale pour l’alimentation des peuples locaux et une ressource naturelle exportable déjà valorisée par les producteurs locaux, les pays arctiques sont souvent réticents à partager cette ressource. Par ailleurs, le Canada, les États-Unis et la Norvège ont des politiques qui visent à limiter la participation des investisseurs étrangers dans leur secteur de pêche[12]. Seule la Russie a une entente de pêche avec la Chine. Cette entente existe depuis l’époque de l’Union soviétique. Elle permet aux flottes chinoises de pêcher dans la ZEE russe dans la mer de Béring (Bureau de presse du Ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales, 2020; Sobolevskaya et al., 2015). La recherche menée pour cet essai ne permet pas de trouver les informations concernant le quota accordé par la Russie à la Chine annuellement, mais il est généralement admis que l’entente n’a pas été modifiée depuis des années (Wang, 2006). Alors, pour la Chine, il reste seulement le centre de l’océan Arctique comme option pour avoir accès aux ressources halieutiques commerciales en hautes mers arctiques, mais cette région est encore largement couverte par la banquise malgré les changements climatiques.

Conclusion

Pour conclure, les ressources halieutiques en Arctique sont des ressources naturelles importantes pour les États riverains, et ces pays pourraient se montrer réticents à partager cette ressource avec des États tiers. En même temps, la Chine s’intéresse beaucoup à cette ressource à cause de sa demande énorme et de son souhaite de pouvoir participer à la gouvernance globale. Sous l’encadrement juridique actuel, l’une des options à considérer demeure bel et bien l’obtention de quotas de pêche dans le centre de l’océan Arctique, bien que celui-ci ne soit pas accessible à court et moyen terme. De plus, pour le moment, la pêche commerciale au centre de l’océan Arctique est suspendue par l’Accord pour la prévention de la pêche, et la Chine est une des signataires de l’Accord. Alors, comment la Chine se prépare-t-elle pour participer aux négociations de la formation d’une ORGP lorsque la pêche commerciale sera permise ? Ce sujet sera discuté dans un prochain article.

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[1]  Article 3 de la CNUDM

[2] Article 7 de la CNUDM

[3] Articles 61, 62 et 63 de la CNUDM

[4] Article 86 de la CNUDM

[5] Article 118 de la CNUDM

[6] Article 8(4) de l’Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons.

[7] Les deux autres objectifs réfèrent au renforcement du secteur et à la stabilisation des prises en haute mer.

[8] L’exportation des poissons et des fruits de mers des pays arctiques vers la Chine a augmenté de 373 millions USD en 1998 à 5311 millions USD en 2018, soit une augmentations de 1324% (UN Comtrade Database, n.d.).

[9] La « croissance nulle » est une politique de la Chine qui vise à lutter contre la surexploitation dans ses eaux côtières par ne pas chercher la croissance des prises marines internes mais encourager le développement de l’aquaculture (Cao et al., 2017).

[10] Dans son discours du 6 mai 2019, le Secrétaire d’État des États-Unis, Mike Pompeo a dit : « There are only Arctic States and Non-Arctic States. No third category exists and claiming otherwise entitles China to exactly nothing. » (Pompeo et al., 2019).

[11] Le lien du rapport n’est plus d’ouvert au public. Veuillez contacter le National Oceanic and Atmospheric Administration directement. L’auteur a sauvegardé une copie en 2020.

[12] Par exemple, le gouvernement canadien ne permet pas aux entreprises entièrement possédées par des étrangers d’obtenir un permis de pêche (Pêches et Océans Canada, 1996); l’American Fishery Act ne tolère pas non plus que 25% de financement d’un navire vienne des pays étrangers (U.S. Department of Transportation, 2020); l’Islande et la Norvège gardent le contrôle sur leur flotte nationale dans la gestion et la possession d’entreprises de pêche (OECD, n.d.)

Guerre en Ukraine. Quelles causes ? Quelles conséquences pour les relations russo-chinoises ?

RG v8n1, 2022

Frédéric Lasserre et Olga Alexeeva

Frédéric Lasserre est directeur du Conseil québécois d’Études géopolitiques et professeur au département de Géographie de l’Université Laval.  Frederic.lasserre@ggr.ulaval.ca

Olga Alexeeva est professeure au département d’Histoire de l’UQAM et chercheure au CQEG. Alexeeva.olga@uqam.ca

Résumé : le conflit qui embrase l’Ukraine depuis le 21 février 2022, date de l’annonce de l’entrée des troupes russes dans le Donbass, trouve ses origines dans la recomposition politique internes à l’Ukraine, mais aussi dans les représentations que nourrit la Russie et son président Vladimir Poutine à son endroit. Quelles sont ces représentations ?  La Chine pourrait-elle jouer un rôle dans l’évolution de ce conflit ?

Mots-clés : Ukraine, Russie, guerre, Donbass, représentations, Chine.

Summary : the conflict that has set Ukraine ablaze since February 21, 2022 has its origins in the internal political recomposition of Ukraine, but also in the representations that Russia and its President Vladimir Putin nurture about the former Soviet republic. What are these representations? Could China play a role in the evolution of this conflict?

Keywords : Ukraine, Russia, war, Donbass, représentations, China.

Le 21 février 2002, le président russe Vladimir Poutine a officiellement reconnu l’indépendance des deux républiques sécessionnistes de Lougansk et de Donetsk, et a ordonné aux troupes russes de se déployer dans ces territoires pour en assurer la sécurité, ce qui constituait déjà en soi un acte de guerre contre l’Ukraine. Mais l’attaque de l’Ukraine sur plusieurs fronts, annoncée le 23 février, souligne que là n’était sans doute pas le seul objectif du président russe. Quelles sont les raisons de cette invasion? Et quelles répercussions principales peut-on entrevoir à la suite du déclenchement de ce conflit majeur, le premier entre États en Europe depuis 1945, ou depuis les guerres yougoslaves (1991-1995, 1999) ? La Russie semble s’appuyer sur le support tacite de la Chine de sa politique expansionniste en Ukraine, le support censé de lui aider à faire face aux sanctions occidentales. Quelle fut la réaction initiale de Pékin à l’invasion russe de l’Ukraine ? Comment cette réaction a évalué au fil de jours ? Quelles seraient les conséquences de cette crise pour la stabilité en Asie ?

  1. Un conflit déjà ancien en Ukraine

La cristallisation du conflit en Ukraine n’est pas un phénomène récent. À la sécession de la Crimée en février 2014, soutenue par des troupes masquées et sans insignes, mais fortement armées dont on a fortement soupçonné l’appartenance à l’armée russe (Norberg, 2014) succédait l’annexion par la Russie en mars 2014 (Biersack and O’Lear, 2014; Grant, 2015). Quelques mois plus tard, deux zones du Donbass, région de l’Est de l’Ukraine, ont tenté de reproduire le même scénario avec la sécession des deux républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. Cette sécession a là encore été soutenue par la Russie, financièrement, logistiquement en armes et possiblement par des conseillers voire des soldats sans insigne (Barabanov, 2015; Campana, 2016). Elle a aussi et notamment été marquée par deux référendums tenus dans les zones contrôlées par les rebelles le 11 mai 2014, lesquels ont servi de caution consultative aux déclarations d’indépendance. Après plusieurs mois d’affrontements et la prise de Debaltsevo par les rebelles, l’accord de Minsk II du 12 février 2015 a permis un cessez-le-feu, précaire et souvent émaillé de combats sporadiques marqués par des duels d’artiellerie tout au long des années suivantes (Henrotin, 2020). L’Ukraine était très réticente à signer cet accord, notamment parce qu’il impliquait de reconnaître une légitimité et un statut spécial aux séparatistes, et donc de légitimer un éventuel nouveau référendum d’autodétermination. La réalité du rapport de forces sur le terrain a néanmoins forcé Kiev[1] à se résigner à cet accord imparfait, qui octroyait de facto un levier de pression important de Moscou sur l’Ukraine (Boulègue, 2018).

Figure 1. Les républiques sécessionnistes du Donbass

Source : Le Parisien, 22 février 2022, https://tinyurl.com/Donbass-secessionnistes

2. Représentations russes : de la sécurité à la défense des russophones hors Russie

Les raisons évoquées par la Russie pour justifier ou légitimer l’invasion de l’Ukraine avant l’attaque du 23 février sont de trois ordres. On y retrouve le déni de légitimité à l’Ukraine ; le souci de la défense des russophones du Donbass ; la crainte de voir l’Ukraine, pays frontalier de la Russie, devenir membre de l’OTAN et de l’Union européenne.

2.1. La défense des russophones hors de Russie

Cet argument a souvent été invoqué par Moscou pour justifier les pressions que la Russie a pu exercer sur ses voisins. On peut penser à l’Estonie et à la Lettonie (Pundziūtė-Gallois, 2015) jusqu’en 2014. Dans sa justification de son annexion de la Crimée, le président Poutine évoquait ainsi la défense des minorités russes face au désir d’assimilation prêté aux autorités ukrainiennes (Bebier, 2015). Si le désir de développement de la langue ukrainienne dans la sphère publique était bien réel (Fournier, 2002), il n’en demeure pas moins que ce débat linguistique interne à l’Ukraine semble avoir été manipulé par Moscou et par les séparatistes du Donbass. En effet, une part notable de la population russophone d’Ukraine ne souscrivait pas à l’alarmisme des discours sur l’oppression culturelle dont aurait été l’objet la minorité russophone d’Ukraine, et est demeurée fidèle au gouvernement de Kiev (Laruelle, 2016; Pop-Eleches et Robertson, 2018; Boisvert, 2022). Dans le déroulement de la guerre de 2022, si le 21 février le président Poutine ordonne effectivement aux troupes russes d’entrer dans le Donbass pour y protéger les républiques de Donetsk et de Lougansk, s’il reconnait de plus la revendication de ces républiques sur l’ensemble du Donbass alors qu’elles n’en contrôlent que le tiers (Moscow Times, 2022), le fait que 2 jours plus tard l’offensive majeure russe porte sur la région de Kiev laisse entendre que l’objectif prioritaire de Moscou n’était pas la défense des russophones. De plus, cet argument n’explique pas l’urgence : si les accords de Minsk demeuraient très imparfaits et semblaient offrir peu d’issue, l’existence des républiques sécessionnistes n’était pas menacée, Kiev, malgré le renforcement récent de son armée, n’ayant guère les moyens militaires de reconquérir ces territoires bien soutenus militairement et politiquement par Moscou.

2.2. La menace de l’OTAN

À la suite du sommet OTAN-Russie de 2008, Vladimir Poutine, alors Premier ministre, aurait déclaré que si l’Ukraine rejoignait l’OTAN, son pays pourrait envisager l’annexion de l’Ukraine orientale et de la Crimée (Українська Правда, 2008). À tout le moins, il aurait vivement protesté auprès du président américain George Bush lorsque fut évoquée la possibilité d’une adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie (Harding et al, 2008), soulignant que l’Ukraine n’avait pas de légitimité politique (Baer, 2018). La décision des Occidentaux d’admettre les pays baltes au sein de l’OTAN, puis d’envisager l’adhésion d’autres ex-républiques soviétiques, dont l’Ukraine, a fortement irrité le gouvernement russe, accélérant une désillusion de la part de Vladimir Poutine. Pourtant plusieurs analystes estiment que celui-ci envisageait, au début de ses premières présidences (2000-2004, 2004-2008), une collaboration réelle avec les Occidentaux (Shlapentokh, 2021), pour ensuite être déçu face à l’attitude qu’il percevait volontiers comme arrogante et hégémonique de la part de Washington, évolution perceptible dès son discours de Munich en 2007 (Poutine, 2007; Zecchini, 2007).

Le discours du président Poutine a beaucoup mis l’accent sur l’expansion de l’OTAN vers la Russie, intégrant tout d’abord plusieurs pays d’Europe de l’Est, puis d’anciennes républiques soviétiques avec les trois pays baltes en 2004. « L’attitude de la Russie d’aujourd’hui rappelle celle de la France d’il y a deux siècles : contre qui l’OTAN est-elle alliée ? Pour Moscou, la seule réponse possible à cette question est : la Russie. Comme l’a fait remarquer un témoin devant un comité parlementaire en Grande-Bretagne, aux yeux des Russes, ‘l’idée que l’OTAN ne soit pas anti-russe est saugrenue.’ » (UK Parliament, 2007). Percevant l’OTAN comme une alliance antirusse, Poutine rappelle aussi aux Occidentaux que ceux-ci avaient promis, lors des derniers instants de l’URSS, que l’alliance atlantique ne serait pas étendue vers l’Est (Sarotte, 2010, 2021), nourrissant le sentiment de trahison (Mearsheimer, 2014).

Mais au-delà de l’amertume de voir l’OTAN s’étendre vers l’Est et admettre d’anciens pays du pacte de Varsovie ou d’anciennes républiques soviétiques devenues indépendantes, la possibilité d’une adhésion de l’Ukraine était-elle une menace sérieuse ? Était-elle envisagée à court terme par l’OTAN ?  En réalité, même si le président ukrainien Porochenko avait effectivement demandé l’adhésion de son pays au sein de l’Alliance en 2014, décision confirmée par l’abandon du statut de neutralité en décembre 2014 suite à l’annexion de la Crimée et à la guerre dans le Donbass (Interfax, 2014), cette adhésion était peu probable et guère envisagée par les gouvernements occidentaux, car ne suscitant pas de consensus— surtout dans un contexte de vives tensions avec Moscou (Wong and Jakes, 2022; South China Morning Post, 2022; Pommiers, 2022). De plus — gesticulation ou reflet des représentations réelles — les dirigeants russes ont à plusieurs reprises qualifié l’OTAN de « tigre de papier » (Spiegel, 2008; Pommiers, 2022). Quoi qu’il en soit, s’il est certain que Moscou perçoit l’OTAN et les États-Unis comme leur principal rival, l’Ukraine ne constituait pas une menace à court ou moyen terme, son adhésion au sein de l’Alliance n’étant plus à l’ordre du jour.

2.3. Le déni de légitimité de l’Ukraine

Le président Poutine et d’autres responsables russes ont longtemps développé l’idée selon laquelle l’Ukraine n’avait pas d’existence propre comme nation, que l’Ukraine et la Russie (tout comme la Biélorussie) formaient en réalité un seul et même peuple, et que l’existence de l’État ukrainien n’était donc due qu’aux conséquences de la chute de l’URSS (Kuzio, 2006, 2019; Baer, 2018; Pawliw, 2018). Ils reprenaient en ce sens des représentations historiques anciennes proches de l’eurasisme, la doctrine politique soulignant la destinée ni européenne ni asiatique, mais spécifique de la nation russe (Shlapentokh, 2021). Les arguments de la défense de la minorité russe du Donbass ou de la menace de l’OTAN semblant peu crédibles pour expliquer le déclenchement de la guerre, faut-il voir dans l’offensive russe la marque d’un désir de revanche sur l’histoire, de réintégration de ce qui n’aurait jamais dû être séparé de la Russie ? Avec en sus, une possible peur d’ordre idéologique, la crainte que le temps passant, l’Ukraine, si proche de la Russie aux yeux du président russe, ne devienne le symbole de ce qu’aurait pu être une Russie démocratique (Iakimenko et Pachkov, 2014; Wilson, 2014; Frachon, 2022).

Si cette représentation du caractère illégitime de l’existence de l’Ukraine a bien contribué au déclenchement de la guerre, on peut cependant se demander pourquoi maintenant, alors que cette représentation n’est pas nouvelle, y compris dans la pensée du président russe. Vladimir Poutine espérait-il susciter l’adhésion de l’opinion publique, comme en 2014 à la suite de l’annexion de la Crimée (Balzer, 2015), alors que la crise économique et la gestion de la Covid-19 avaient écorné sa popularité ? (Dobrokhotov, 2020; Semenov, 2021) Si tant est que le président s’inquiète réellement de l’opinion publique russe, il semble que le pari était gagnable, alors que l’image du gouvernement russe avait bénéficié de la fermeté dont faisait preuve Moscou face à l’Ukraine avant le déclenchement du conflit (Burakovsky, 2022). Il reste à voir si ce regain sera pérenne. Cette question se trouve au cœur des analyses de plusieurs experts, y compris des analystes russes opposants au régime. Certains d’entre eux affirment que la guerre en Ukraine figurait dans les plans de Poutine même avant 2014 : initialement prévue pour le printemps 2020, l’invasion aurait été ensuite décalée à cause de l’épidémie de la Covid-19 (Solovei, 2022). D’autres soulignent un manque de compréhension du contexte international de la part de Poutine, qui aurait envisagé de gagner la guerre rapidement en mettant l’UE et les États-Unis devant le fait accompli, comme ce fut le cas lors de l’annexion de la Crimée en 2014, et qui ne s’attendait pas à la réaction aussi ferme de la part du Global West (Meduza, 2022). Finalement, il y a aussi ceux qui voient dans cette guerre un soubresaut final de l’Empire russe—soubresaut qui ne ferait que précipiter sa chute (Pastukhov, 2022).

3. La position de la Chine : refus de condamner, refus de soutenir

Le déclenchement de cette guerre a suscité nombre d’interrogations quant à la position qu’adopterait la Chine, partenaire économique majeur de la Russie, mais avec qui aucune alliance formelle n’a encore été conclue. Depuis le début de la guerre, les autorités chinoises semblent se réfugier derrière le mutisme de ses médias officiels, qui ne diffusent que de brefs reportages sur la situation en Ukraine à la fin des bulletins d’information (White et al., 2022), et la répétition de formules diplomatiques habituelles qui mettent en avant les principes de la non-ingérence et du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États. Dans les jours qui suivent le début de « l’opération spéciale » russe, les communiqués officiels chinois continuaient à être prudents, mais l’attitude de Pékin paraît de plus en plus en décalage par rapport aux réactions du reste du monde. L’invasion russe de l’Ukraine met à l’épreuve la politique d’affirmation de la Chine sur la scène internationale, tout en compromettant les efforts de Pékin à construire un partenariat stratégique avec Moscou.

3.1. Protéger les intérêts chinois et minimiser l’impact de la crise en Ukraine sur l’économie chinoise

Bien que depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping la Chine ait développé un véritable partenariat stratégique avec la Russie, Pékin a toujours gardé une certaine distance vis-à-vis des ambitions territoriales de Poutine en Ukraine de l’Est. La Chine a d’ailleurs activement promu les relations bilatérales avec Kiev, en signant plusieurs accords d’intention visant à réaliser différents projets d’infrastructure en Ukraine. Par exemple, China Road and Bridge s’est engagé à investir 400 millions de dollars dans la reconstruction du pont Shuliavsky à Kiev, alors que China Harbour Engineering a obtenu un contrat d’un milliard de dollars pour le dragage du port de Youjne (Katsilo et al., 2017). En 2020, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Ukraine : le volume d’échanges a alors battu tous les records en atteignant 15,4 milliards de dollars américains. En parallèle, les compagnies chinoises ont démontré un intérêt particulier pour le secteur agricole, en investissant dans la production de la viande et des céréales (InVenture, 2021).

Ainsi, le rapprochement stratégique avec Moscou ne signifie pas nécessairement que Pékin va exprimer un support automatique et sans réserve aux activités russes en Ukraine. Les contorsions diplomatiques auxquelles les porte-parole du gouvernement chinois se livrent depuis une semaine semblent le confirmer. Le 24 février, la porte-parole du ministre des Affaires étrangères chinois, Hua Chunying, a refusé de qualifier les actions russes en Ukraine d’invasion en disant que « there is a complex historical background and context on this [Ukraine] issue. The current situation is the result of the interplay of various factors » (Ministry of Foreign Affairs of the PRC, 2022a). Elle a tenté ensuite de détourner l’attention de la conférence de presse vers les États-Unis en spécifiant qu’ils n’ont pas de légitimité à donner des leçons quant au respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale d’États alors qu’eux même ont envahi de nombreux pays au prétexte de « democracy or human rights or simply a test tube of laundry powder or even fake news » et que « China has no interest in the friend-or-foe dichotomous Cold War thinking » (Ministry of Foreign Affairs of the PRC, 2022a).

Ce refus de Pékin de condamner l’invasion a été interprété par la plupart des gouvernements étrangers et médias internationaux comme un signe de support pour les actions russes en Ukraine, voire comme une façon d’assurer à Poutine que la Chine pourrait l’aider à faire face aux sanctions imposées par les pays occidentaux (Feigenbaum, 2022). En effet, avant que l’accès aux médias russes ne soit coupé aux internautes avec les adresses IP étrangères, on pouvait y trouver des articles détaillant comment la Chine pourrait exploiter les sanctions pour combler ses lacunes technologiques: le système de transfert interbancaire SWIFT pourrait être remplacé par son équivalent chinois, Cross-Border Interbank Payment System (CIPS), de même pour les semi-conducteurs et composants technologiques américains. Mais toutes les entreprises qui aident la Russie à contourner ces interdits seraient frappées à leur tour de lourdes amendes et sanctions, un scénario que les grandes compagnies chinoises ne peuvent pas ignorer étant donné leur dépendance au marché globalisé. Ainsi, selon les médias ukrainiens, les géants de la tech chinois Lenovo et TikTok auraient déjà pris la décision de quitter le marché russe (Derkatchenko, 2022), bien que cette information n’ait pas été officiellement confirmée par les compagnies en question. Ces considérations semblent pousser la Chine à modifier sa communication, désormais focalisée sur les efforts chinois à négocier un cessez-le-feu et à promouvoir la désescalade du conflit (Ministry of Foreign Affairs of the PRC, 2022b).

3.2. La couverture médiatique de la guerre en Chine

Les rapports des médias chinois sur ce qui se passe en Ukraine reflètent la position officielle de Pékin et évitent d’utiliser les termes « guerre » ou « invasion » dans leur description des événements, leur préférant l’expression ambiguë de « situation » (qushi 局势). Quant aux médias sociaux, la situation y est plus intéressante et dans un sens, plus révélatrice. Un nouvel hashtag (wuxin gongzuo 乌心工作) est apparu dès le 24 février pour désigner l’inquiétude éprouvée par les internautes chinois au sujet de la situation en Ukraine. Il s’agit d’un jeu de mots (wuxin gongzuo 无心工作 ou « ne pas être d’humeur à travailler ») signifiant que la personne est tellement préoccupée par ce qui se passe en Ukraine qu’elle ne parvient pas à se focaliser sur le travail en cours. Beaucoup d’internautes chinois expriment leur souhait que la guerre se termine vite et que la population civile soit épargnée, même si d’autres proclament leur appui en faveur des militaires russes, estimant que la guerre est le résultat de la politique pro-américaine de Kiev (Koetse, 2022a). Toutefois, la plupart des messages sur Weibo concerne le sort des citoyens chinois — étudiants et entrepreneurs —, coincés en Ukraine. Les médias officiels ont d’ailleurs publié des vidéos et articles consacrés à la croissance du sentiment antichinois à Kiev à la suite de la « diffusion par les médias ukrainiens de fake news sur le support de l’invasion russe par Pékin » (Koetse, 2022b). Ces publications ont suscité d’intenses débats sur Weibo qui n’ont pas tardé à prendre une dimension nationaliste. L’abstention de la Chine lors du vote au Conseil de la sécurité de l’ONU sur la résolution condamnant l’agression russe contre l’Ukraine a ainsi été interprétée non pas comme un signe de la complicité tacite, mais comme un penchant naturel de la Chine vers la neutralité et la résolution de conflits par les moyens de négociations.

L’abondance de réactions en ligne contraste fort avec la couverture médiatique officielle, qui continue à être relativement limitée. La page sur Weibo dédiée à la guerre, qui publie de nombreuses nouvelles sur la situation en Ukraine, a été vue le 24 février par presque 2,7 milliards d’internautes chinois, et bien que depuis le nombre de visites ait baissé, la page a enregistré malgré tout presque 500 millions de visites le 3 mars (Weibo, 2022). La préoccupation des Chinois envers le conflit en Ukraine n’est pas surprenante, en revanche, le fait que les organes de la censure aient autorisé toutes ces discussions à fleurir et les opinions divergentes (y compris vis-à-vis de la version officielle des événements) à s’exprimer est tout à fait singulier. La Chine semble vouloir se distancier de Moscou, y compris sur le plan médiatique, pour ne pas se laisser entrainer dans la guerre en Ukraine.

Conclusion

L’invasion de l’Ukraine déclenchée par la Russie le 24 février semble avoir surpris jusqu’au gouvernement ukrainien lui-même, malgré les avertissements répétés de Washington. Le président Poutine a justifié le recours aux armes par la défense de la minorité russophone du Donbass et les craintes d’une adhésion à l’OTAN souhaitée par l’Ukraine. Dans les deux cas, il semble qu’il ne s’agisse que de prétextes puisque les républiques sécessionnistes du Donbass n’étaient guère menacées, que l’invasion russe semble orientée vers la chute du gouvernement ukrainien, et que l’admission de l’Ukraine au sein de l’OTAN n’était guère envisagée par la plupart des membres actuels de l’alliance.

Au-delà des motivations de la Russie, la mobilisation des Occidentaux et du Japon se traduit par de lourdes sanctions économiques—dont la durée demeure à évaluer—et un isolement politique majeur de Moscou. Si ces sanctions et cet isolement devaient perdurer, ils poseraient la question du soutien de la Chine envers Moscou : Pékin soutiendrait-il a Russie, sachant qu’à court terme la Chine n’affiche qu’un appui très réservé ? La Chine ne souhaite pas faire les frais de l’aventurisme militaire de la Russie, sans que son soutien économique envers la Russie ne soit remis en cause. Comme le souligne Valérie Niquet, « la Chine aime la Russie, mais une Russie affaiblie, en situation de demandeur » (Niquet, 2022), situation que viendrait renforcer l’isolement politique dans laquelle la Russie s’est placée.

Références

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[1] Nous avons retenu l’orthographe russe parce qu’elle est plus largement employée chez les Occidentaux. Les Ukrainiens écrivent Kyiv.