Paco Milhiet (2022). Géopolitique de l’Indo-Pacifique. Enjeux internationaux, perspectives françaises. Paris : Le Cavalier Bleu.

RG v9n1, 2023.

L’auteur le rappelle : derrière chaque dénomination géographique se cache une intention politique. L’Indo-Pacifique ne déroge pas à la règle… Nouveau leitmotiv des relations internationales, cette construction stratégique vise sans doute à contenir la montée en puissance de la Chine et souligne la rivalité sino-américaine. Mais elle se traduit aussi par des enjeux régionaux qui ne sont pas toujours en ligne avec la stratégie de certaines métropoles, notamment la France, acteur important grâce à ses collectivités territoriales et possessions dans la région. Les problématiques de l’Indo-Pacifique peuvent donc s’appréhender à plusieurs échelles, internationale, nationale et locale. Ce sont ces représentations multiscalaires, conduisant à des intérêts géo­politiques parfois concurrents, que Paco Milhiet analyse dans cet ouvrage.

Longtemps perçue comme un élément exogène et marqueur d’un passé colonial, la France est désormais perçue par plusieurs États du Pacifique comme de l’Asie comme un élément stabilisateur de la région indo-pacifique. Pour la France, qui a officialisé son ralliement à une lecture régionale selon le prisme de l’indo-pacifique en 2018, l’enjeu est de taille : 93 % de sa Zone économique exclusive (ZEE) – la deuxième du monde avec 11 millions de km2 – se situe dans la région, et sur les 70 pays riverains, 16 ont une frontière maritime avec la France. Sans surprise, dans cet ouvrage avant tout destiné au lectorat français, l’auteur consacre les trois quarts de son ouvrage aux attributs de la puissance française en Indo-Pacifique. La problématique de l’ouvrage, implicite, semble en effet de comprendre quels sont les enjeux de cette nouvelle organisation des relations régionales pour la France.

Le concept d’Indo-Pacifique, rappelle l’auteur, a été lancé en Inde par l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe en 2007. Premier État à proposer une lecture géopolitique dépassant le cadre jusque là admis de l’Asie-Pacifique, le Japon a par la suite inspiré les États-Unis, l’Australie, l’Inde, puis plus récemment la France notamment, dans un changement de prisme d’analyse des relations régionales, pour voir finalement s’imposer le concept d’Indo-Pacifique. Ce concept procède clairement, analyse l’auteur, de représentations géopolitiques et non pas d’une réalité humaine ou économique ; fortement connoté par des objectifs de contrôle de l’expansion politique de la Chine, il est récusé par Pékin justement, mais aussi par la Russie, et suscite un intérêt très variable parmi les États de l’Asie du Sud-est malgré l’intérêt de l’Indonésie, du Vietnam et l’adoption du concept par l’ASEAN.

L’auteur recadre utilement la question de l’émergence du concept de l’Indo-Pacifique avec celui des Nouvelles routes de la soie, apparu en 2013, et examine le nouvel équilibre des forces pour l’Indo-Pacifique français. Si l’île de La Réunion est en phase de devenir un point d’appui stratégique au cœur de l’océan Indien, à travers notamment le renforcement de la relation franco-indienne, les relations avec la Chine sont moins harmonieuses. Selon l’auteur, Pékin lorgnerait sur la Polynésie française, qu’elle a placée le long d’un corridor maritime des Routes de la soie, le « passage économique bleu » Chine – Océanie – Pacifique Sud, et où elle investit massivement dans l’hôtellerie. Il reste à voir en quoi des investissements économiques induisent nécessairement une vulnérabilité. S’agissant de la Nouvelle-Calédonie, dont la Chine est le premier partenaire commercial (elle représente 25 % des échanges de l’île, contre 14,5 % pour la France métropolitaine), Pékin n’a jamais dissimulé son intérêt pour le nickel produit dans les mines du territoire. La dynamique politique ici se complique car si Paris a pu adopter une lecture macrorégionale des enjeux, intégrant ses collectivités dans le cadre de ses relations avec la Chine et avec les partenaires de la France dans la région, lesdites collectivités, souvent dotées de compétences en matière de relations régionales, ne voient pas nécessairement les relations avec la Chine de la même façon.

Le lecteur étranger pourra découvrir les atouts et faiblesses de la stratégie française dans l’Indo-Pacifique, mais il est vrai que l’ouvrage consacre de très nombreuses pages à inventorier ces forces et faiblesses. On pourra ne pas être d’accord avec certains points de terminologie, par exemple lorsque l’auteur expose que « la Chine pilote habilement ses conflits frontaliers » (p.26), alors que tous sont réglés sauf avec l’Inde et le Bhoutan – même si, effectivement, le contentieux frontalier avec l’Inde est complexe et constitue une pierre d’achoppement majeure dans les relations sino-indiennes, et un facteur de tension significatif entre les deux puissances nucléaires depuis la guerre de 1962. En mer de Chine, il s’agit plutôt de conflits territoriaux, portant sur les enjeux de souveraineté sur des ilots contestés, et sur l’interprétation des espaces maritimes revendiqués.

Au final, un ouvrage bien écrit et plaisant, qui expose clairement les enjeux stratégiques pour la France dans le cadre régional de l’Asie bordée des océans Indien et Pacifique, désormais structuré par ce concept d’indo-pacifique.

Frédéric Lasserre

Directeur du CQEG

Titulaire de la Chaire en Études Indo-pacifiques

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