Kurkdjian, Sophie (2021). Géopolitique de la mode: Vers de nouveaux modèles? Paris : Le Cavalier bleu, Coll. Géopolitique.

RG v8 n2, 2022


Kurkdjian, Sophie (2021). Géopolitique de la mode: Vers de nouveaux modèles? Paris : Le Cavalier bleu, Coll. Géopolitique.

Dans son livre publié aux éditions Le Cavalier bleu, en 2021, la docteure en histoire Sophie Kurkdjian propose d’analyser le caractère géopolitique s’opérant dans l’industrie de la mode. L’auteure soutient que la mode est un objet géopolitique par son développement et son fonctionnement qui sont inextricablement liés à des paramètres politiques et géographiques. S’imposant comme un outil de soft power à l’international, l’industrie de la mode génère d’ailleurs des milliards de dollars, ce qui peut se traduire en rivalités de pouvoir entre les territoires.

Dans le livre divisé en quatre parties principales, le premier chapitre se penche sur les principaux lieux historiques de la mode, à savoir la France décrite comme la capitale de la mode depuis le XVIIIe siècle, avec les couturiers à la Chanel, Balmain ou Dior, l’Angleterre et son approche anticonformiste se présentant comme un concurrent à Paris dans les années 1960, l’Italie et ses grandes marques de luxe telles que Prada et Gucci, puis les États-Unis, développant le prêt-à-porter, au début du XXe siècle. Après avoir exposé ces grandes forces dans l’industrie, Kurkdjian analyse le concept du soft power de la mode française, qui devient un outil d’influence à l’international.

Dans une deuxième partie, l’influence des médias, des fashion weeks, des écoles et des musées est discutée, puisque ceux-ci permettent d’assurer ou de façonner la renommée des capitales de la mode. En ce qui a trait aux médias, l’auteure distingue deux écoles de pensées : une première, plus traditionnelle, misant sur des communications plus maîtrisées et limitées, comme à Paris et Milan, et une deuxième Anglo-saxonne, caractérisée par des communications de masse, observée à Londres et aux États-Unis. La montée du numérique est aussi abordée, particulièrement avec l’émergence des influenceurs, qui se démarque par leur accessibilité vis-à-vis le grand public. Les fashion weeks, qui réunissent des centaines de créateurs et de journalistes de nationalités multiples témoignent aussi du caractère global de la mode, tout comme les écoles, ayant parfois formé des créateurs de renoms. La mode comme objet d’appui ou de contestation politique est brièvement présentée, tout comme les choix vestimentaires des Premières dames.

Kurkdjian met ensuite en relief trois nouveaux enjeux relatifs à la géopolitique de la mode, d’abord la remise en cause de l’ordre établi, puisqu’une certaine décentralisation s’observe de plus en plus. Alors que la France et l’Italie sont historiquement les centres de la mode qualifiée de haute couture, l’auteure révèle une géographie renouvelée de l’industrie, avec de nouveaux pôles de production et de consommation du côté du continent asiatique. Bref, une plus grande diversité dans les marchés et la clientèle. Enfin, il y a le renouvèlement très rapide des collections à bas prix, la fast fashion, secouant les structures commerciales et économiques plus traditionnelles de l’industrie, qui se reflètent tant dans les marques abordables que dans les maisons de luxe.

Dans la dernière partie de son ouvrage, l’auteure s’interroge sur les enjeux actuels soulevés par cette géopolitique changeante dans l’industrie de la mode, tant par son impact social dans certaines usines de sous-traitance en Inde ou au Bangladesh ou l’empreinte environnementale associée à la fast fashion. Ce serait effectivement plus de 8 % des émissions de gaz à effet de serre mondial qui émaneraient de la production de vêtements et de chaussures. La nécessité d’être plus consciencieux écologiquement et socialement se reflète de plus en plus dans les marques de luxe, qui reviennent tranquillement vers la production locale et explorent de nouvelles technologies dans leur production et leur commercialisation.

Sophie Kurkdjian conclut habilement sa réflexion en mettant en lumière la nécessité de repenser au système d’organisation, par exemple en se recentrant sur la production locale, la valorisation du savoir-faire local et la formation, particulièrement dans un contexte mondial marqué par la crise sanitaire de 2020. Par son exposé condensé, mais rigoureux, la docteure en histoire offre une nouvelle perspective au champ d’études de la géopolitique, où les liens entre mode et rivalité de pouvoir ne peuvent pas être tout à fait évidents et peuvent revêtir une connotation superficielle et frivole.

Alexandra Cyr

Université Laval

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