Les politiques indo-pacifiques du Canada et du Québec : réflexions croisées

Regards géopolitiques vol.9, n.2, 2023

Frédéric Lasserre, Directeur du CQEG

Résumé : En novembre 2022, le Canada publiait sa Stratégie pour l’Indo-Pacifique. Cette stratégie suivait de quelques mois celle du Québec, publiée en en décembre 2021. Ces documents d’orientation politique suivent plusieurs documents similaires publiés par le Japon, l’Australie, les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni, dans un contexte international de changement des paradigmes réflexifs pour aborder les relations régionales et internationales en Asie. Quels sont les principaux éléments mis de l’avant dans ces stratégies ?  Proposent-elles des lectures et des approches convergentes envers la région indo-pacifique ?

Mots-clés : Indo-Pacifique, stratégie, Canada, Québec, Chine, Japon, Inde.

Summary : In November 2022, Canada published its Indo-Pacific Strategy. This strategy followed by a few months a similar document from Quebec, published in December 2021. These policy documents follow several similar documents published by Japan, Australia, the United States, France or the United Kingdom, in an international context of changing reflexive paradigms for addressing regional and international relations in Asia. What are the main elements put forward in these strategies?  Do they propose convergent readings and approaches for the Indo-Pacific region?

Keywords : Indo-Pacific, strategy, Canada, Quebec, China, Japan, India

En novembre 2022, le Canada publiait sa Stratégie pour l’Indo-Pacifique (Gouvernement du Canada, 2022). Cette stratégie suivait de quelques mois celle du Québec, publiée en en décembre 2021 (Gouvernement du Québec, 2021). Ces documents d’orientation politique suivent plusieurs documents similaires publiés par le Japon, l’Australie, les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni, pour n’en citer que quelques-uns, dans un contexte international de changement des paradigmes réflexifs pour aborder les relations régionales et internationales en Asie (Nagao, 2019; Berkofsky et Miracola, 2019). Lancé en 2007 par le premier ministre japonais Shinzo Abe, le concept d’Indo-Pacfique, pendant longtemps peu relayé, connait depuis quelques années un engouement marqué. Il ne s’agira pas ici de considérer les raisons de cet intérêt – ou de cet effet de mode – mais plutôt de s’interroger sur les caractéristiques des stratégies indo-pacifiques du Canada et du Québec. Quelles en sont les principales idées, alors que se singularisent deux grandes orientations dans la plupart des stratégies indo-pacifiques publiées à ce jour : la plupart accordent une place très importante à la Chine, dont l’ascension économique et politique bouscule les intérêts de nombreux États, voire les inquiète dans ce qu’Isabelle St-Mézard qualifie d’anxiété géopolitique (Saint-Mézard, 2023) ; en réaction, toutes oscillent entre des positions visant à contrer la Chine et son ascension, ou au contraire à maintenir un espace régional inclusif afin de ménager le dialogue avec Beijing (Martin 2019; Heiduk et Wacker, 2020; Goin, 2021).

1. La notion de paradiplomatie

Cette comparaison des stratégies indo-pacifiques du Canada et du Québec pourrait prêter le flanc à l’argument que le Québec n’est pas un État souverain, et que donc il ne peut ni définir de stratégie diplomatique, ni être pertinent dans une analyse de stratégies définies par des États indépendants. Formellement, cela est exact, mais très réducteur. Un champ important des sciences politiques et des relations internationales étudie depuis plusieurs années ce que l’on appelle la paradiplomatie, soit l’action internationale d’entités politiques de rang 2, à savoir des États fédérés ou des administrations qui se sont dotés d’outils de relations internationales. On oublie ainsi qu’au sein de la très jacobine et centralisatrice République française, les collectivités d’outre-mer du Pacifique, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie, ont constitutionnellement la latitude de développer des relations autonomes avec des gouvernements étrangers tant que cela n’interfère pas avec la défense ou les douanes.

Le Canada est un État fédéral, dans lequel les administrations de rang 2 (les provinces) sont juridiquement des États. Dans le cadre de la Révolution tranquille, mouvement socio-politique majeur qui a bouleversé la société québécoise des années 1960, la volonté d’affirmation de l’autonomie du Québec s’est notamment traduite par un souci d’affirmation à l’étranger également, même si les affaires étrangères sont de compétence fédérale. Dès 1961, le Québec inaugure à Paris une Délégation générale, première d’une série de plusieurs qui structure aujourd’hui le réseau des représentations politiques du Québec à l’étranger. Depuis 1965, la doctrine Gérin-Lajoie est le fondement de la politique internationale du Québec ; elle affirme que la souveraineté d’une province canadienne dans ses champs de compétence devrait s’appliquer également dans ses relations internationales. Tous les partis politiques au Québec, souverainistes comme fédéralistes, ont poursuivi cette politique, que le gouvernement canadien tolère.

Panayotis Soldatos a défini la paradiplomatie comme « la poursuite directe, à des degrés variables, d’activités internationales de la part d’un État fédéré » (Soldatos, 1990). Le concept est largement répandu aujourd’hui (Paquin, 2004) et appliqué à des États quasi-fédéraux également. Ce concept demeure à géométrie variable : tous les États fédérés ne mènent pas forcément une action internationale/politique étrangère. On observe également une diversité de l’engagement de l’État dans sa paradiplomatie, entre Québec, Écosse, Flandre, Catalogne, Groenland… Le Québec n’est pas souverain et ne définit donc pas de politique étrangère pleine et entière – donc son action ne couvre pas tous les domaines : c’est à garder à l’esprit dans la comparaison des cadres politiques du Québec et du Canada.

2. La politique indo-pacifique du Canada

La stratégie canadienne définit l’Indo-Pacifique comme l’Asie orientale, l’Asie du Sud-est, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les 14 pays insulaires du Pacifique, le sous-continent indien et les Maldives. Les Seychelles, l’Asie centrale, la Russie d’Asie, le Moyen-Orient en sont ainsi exclus. La pertinence de ce régionyme nouveau d’Indo-Pacifique n’est pas justifiée ; le document explique cependant que la région ainsi définie représente une part importante de l’économie mondiale, la moitié en 2040. C’est une région qui connait globalement une grande vitalité démographique mais aussi économique. C’est une région qui suscite des « défis stratégiques » majeurs, essentiellement du fait de l’ascension de la Chine; une région qui implique le Canada de par sa façade Pacifique, et qu’il importe d’engager dans la voie du développement durable « si nous voulons relever les grands défis mondiaux », dont « la lutte contre les changements climatiques » et le développement durable (p.3).

La politique vise donc à approfondir les partenariats régionaux, pour promouvoir la paix, le développement durable, les échanges commerciaux et les investissements. Le Canada « entretient des relations étroites avec ses partenaires et amis », mais « il y a aussi des pays dans la région avec lesquels le Canada est fondamentalement en désaccord; le Canada doit être lucide quant aux menaces et aux risques que ces pays représentent ». Certes, il faut « maintenir le dialogue » (p.6), « il est nécessaire de coopérer » (p.8), mais la stratégie énonce clairement que certains pays constituent des menaces. La Chine est clairement visée : elle est une « puissance mondiale de plus en plus perturbatrice », qui peut faire preuve d’« arrogance » et déployer une « diplomatie coercitive » (p.7). On est loin des discours lénifiants des cadres généraux de politique du Canada qui prévalaient dans le passé, dans lesquels la confiance en l’attrait du modèle occidental et la perception de la maitrise des enjeux de sécurité ne conduisaient pas le Canada comme les États-Unis ou l’Australie ou le Japon, à nourrir cette anxiété géopolitique qui les conduit maintenant à incriminer directement le gouvernement chinois. Entendons-nous : il ne s’agit pas ici de défendre la Chine, mais simplement de souligner le changement de ton à Ottawa, changement très officiellement consacré dans la Stratégie régionale en 2021.  L’objectif est clairement de soutenir une approche « fondée sur des règles » (p.9) et de repousser toute action unilatérale, implicitement de la Chine, envers Taiwan ou dans les mers de Chine du Sud et de l’Est.

Trois pages sont ainsi consacrées à la Chine, puis une page sur l’Inde, deux pages pour le Pacifique Nord (Japon et Corée), une page (2 avec des figures) pour l’ANASE (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, ASEAN en anglais) avec des axes politiques très généraux. La Chine est mentionnée 53 fois dans le document, l’Inde 22 fois, la Corée 27 fois, le Japon 18, l’ANASE 22 fois : le document s’efforce de parvenir à un certain équilibre, mais, reflet de l’énoncé de politique générale dans lequel la réaction face au rôle perturbateur de la Chine est clairement soulignée, la place accordée à la Chine est dominante – plus de deux fois plus que le 2e pays mentionné le plus souvent, la Corée.

Le document articule par la suite les 5 axes prioritaires : Promouvoir la paix, la résilience et la sécurité ; accroitre les échanges commerciaux et les investissements, et renforcer la résilience des chaines d’approvisionnement; investir dans les gens et tisser des liens entre eux ; bâtir un avenir durable et vert ; demeurer un partenaire actif et engagé.

La tonalité du premier axe montre qu’ici encore, le raisonnement implicite vise la Chine : seule la modernisation de l’armée chinoise est mentionnée parmi tous les pays de la région, comme menace implicite. La tonalité très défensive se poursuit avec un paragraphe sur l’Arctique : « le Canada est conscient que les puissances de l’Indo-Pacifique considèrent l’Arctique comme une région offrant des débouchés », constat qui semble signifier que cet intérêt est lourd de menaces puisque la phrase suivante explique que « Le Canada est déterminé à maintenir la paix et la stabilité dans la région » (p.16). Si ce premier axe est développé sur trois pages, comme la seconde section sur l’économie. Les axes suivants s’appuient sur des passages plus courts, mais articulent des objectifs de politique générale (développement durable( parfois originaux (investir dans les gens et les liens entre populations. Le document présente pour chaque axe les façons d’atteindre les objectifs retenus : ces aspects pratiques représentent 9 pages et demie (35%) sur les 27 du document.

3. La Stratégie territoriale pour l’Indo-Pacifique du Québec

Pas plus que la Stratégie canadienne, la Stratégie québécoise ne cherche vraiment à justifier le terme d’indo-pacifique. Le document mentionne un objectif de relance économique dans un contexte de fin de pandémie de covid-19, soulignant d’emblée une lecture de la région nommée Indo-Pacifique en des termes résolument économiques. La région constitue un « nouveau centre de gravité de l’économie mondiale » (p.3); on le disait déjà de l’Asie-Pacifique en 1997 lors de la première mission commerciale Québec Chine et, de manière générale, dans les années 1990 avec le succès du concept d’Asie-Pacifique. Constater le poids économique dominant d’une région rassemblant 35% des terres et 65% de la population n’a rien de novateur. En revanche, au-delà du cliché du poids économique majeur de l’Indo-Pacifique, le document souligne deux points : cette région est marquée par un fort dynamisme économique – comme pour la stratégie canadienne – mais elle est aussi traversée de rivalités. Rivalité entre la Chine et les États-Unis, présentée comme un paramètre et non comme une prémisse politique engageant la vigilance du Québec, mais une rivalité qui a des impacts sur les partenaires de ces deux pôles économiques. Rivalité également entre Inde et Chine, deux géants démographiques, politiques et économiques. On observe donc un monde en recomposition, avec des risques, mais aussi des occasions. Le document relève que certains lisent la région sous un prisme sécuritaire (QUAD, AUKUS) ; qu’on y observe le déploiement des nouvelles routes de la soie et de contre-projets indiens ou japonais, et que ces rivalités se traduisent aussi à travers de nombreux accords commerciaux à géométrie variable.

La Stratégie se place résolument dans le domaine du commercial. Le premier axe stratégique concerne le commerce international et les investissements. Le second cherche à renforcer la recherche, l’innovation et la formation, non seulement pour maintenir la compétitivité des entreprises québécoises, mais aussi pour favoriser la collaboration avec des laboratoires asiatiques et pour développer le marché de la formation offerte au Québec aux chercheurs et étudiants asiatiques – « Développer une intelligence d’affaires en éducation et enseignement supérieur » (p.18).

Le 3e axe porte sur l’économie verte et le développement durable. Il s’agit de renforcer l’engagement du Québec en matière de développement durable, tout comme dans la stratégie canadienne. Il s’agit donc d’un engagement politique certes, mais aussi économique : des efforts seront ainsi déployés pour promouvoir « l’offre et le savoir-faire du Québec en matière de développement durable et de tourisme responsable » (p.19) ; un engagement politico-social également : on souhaite « favoriser le partage d’expertise sur la dimension sociale du développement durable » (p.19). Le concept de valeur intervient ici : liberté, démocratie, justice, durabilité, mais sans qu’aucun État ne soit stigmatisé. Le document reconnait du même souffle le potentiel de coopération dans ce domaine : plusieurs sociétés de la région ont développé des expertises potentiellement bénéfiques pour le Québec, Australie, Nouvelle-Zélande, Chine, Corée, Japon… dans une optique de partage (pas seulement de vente) et de coopération.

Le 4e axe porte sur la main-d’œuvre ; le 5e sur la culture, et un 6e axe transversal porte sur la jeunesse, atout commun aux sociétés de la région dont il faut renforcer la curiosité, la formation, les contacts pour forger des liens trans-océaniques.

À travers l’analyse de cette stratégie, on relève :

  • L’expression de principes politiques certes, mais formulés de façon modérée – droits de la personne ; développement durable – une demi-page
  • La présence d’objectifs politiques – développer l’influence du Québec et le développement durable – pour soutenir les valeurs certes, mais surtout pour favoriser la coopération et les objectifs socio-économiques.
  • Une approche résolument pragmatique – de nombreuses pistes d’action sont exposées. Sur 19 pages de texte, un total d’environ 9 pages (47%) présentent les actions à mener.
  • Une approche intégrée : le document expose les liens qui associent les différents axes de la stratégie, le développement durable, la formation de la main-d’œuvre, la recherche, la culture permettant certes d’envisager des développements économiques, mais aussi de renforcer le pouvoir d’influence du Québec, dont le rôle crucial en Asie est rappelé dans le document, dont on espère indirectement pouvoir récolter les fruits économiques à terme. Les axes de cette stratégie ne sont pas disjoints, mais bien au contraire proposent un plan d’action pensé comme cohérent et articulant l’ensemble des actions proposées.
  • Aucun État n’est directement incriminé dans cette stratégie, au-delà du constat très factuel de la rivalité sino-américaine. L’approche politique demeure modérée, non militante : le concept de valeurs est mentionné 2 fois ; mais celui de coopération 12 fois. Ce discours parait similaire à celui du Canada, mais la stratégie québécoise ne propose pas d’action spécifique visant à répondre à une quelconque menace chinoise.
  • On y découvre une approche géographique équilibrée : certes la Chine fait l’objet de 30 mentions ; mais le Japon 25 ; la Corée du Sud 24 ; l’Inde 22 ; l’Australie 14 ; le Vietnam 11 ; l’Indonésie et l’Asie du Sud-Est, 6 chacun.

4. Deux stratégies convergentes ?

Toute comparaison des deux stratégies canadienne et québécoise doit rappeler un paramètre de taille : le Québec n’étant pas un État souverain, il ne peut développer d’éléments forts de politique étrangère, a fortiori en matière de défense ou d’accords commerciaux. De fait, il ne peut développer de lien avec l’institution qu’est l’ASEAN, ni tenir de discours à fort contenu diplomatique ou de sécurité. Cela explique en partie l’absence de place importante consacrée aux enjeux politiques en Asie – en partie seulement, on y reviendra.

Des convergences se dessinent : les deux stratégies font la part belle aux enjeux économiques (commerce, investissements) ; aux questions de développement durable ; à la main-d’œuvre, à l’immigration, à la formation et à la jeunesse, des aspects qu’on retrouve peu souvent dans les stratégies indo-pacifiques.

Mais des différences importantes se dessinent. Sur la forme tout d’abord : la stratégie québécoise a réussi à proposer une série d’orientations et d’actions qui présentent un fort degré d’intégration et de synergie, ce qu’on observe nettement moins du côté de la stratégie fédérale canadienne.

Sur le fond ensuite : certes le Québec n’a pas à se prononcer sur une posture politique à l’endroit de la Chine ; mais il aurait néanmoins pu développer un propos plus incisif sur la question des valeurs et de la trajectoire politique de celle-ci, ce qu’il a choisi de ne pas faire. Le portrait politique de la dynamique politique dans la région est lucide – on observe l’émergence de vives tensions – mais ce constat demeure factuel et ne suscite pas de critique même si l’attachement aux valeurs démocratiques est formulé. La stratégie québécoise se veut un document résolument pragmatique pour permettre le développement de la coopération en Indo-Pacifique. À l’inverse, la stratégie canadienne, en rupture avec les discours relativement idéalistes sur l’Asie que développaient les administrations libérales précédentes, souligne l’importance d’une certaine résilience face à l’émergence d’une Chine perçue comme une menace potentielle. La main demeure tendue ,mais le discours n’en demeure pas moins incriminant, polémique voire vindicatif pour un document de politique régionale. Fin de l’innocence et de la croyance candide dans la vertu de l’ouverture économique envers la Chine, qui conduirait nécessairement celle-ci à réformer son régime politique ? Car telle était pendant longtemps la croyance inébranlable des Occidentaux, et des gouvernements libéraux de Jean Chrétien (1993-2203) à Paul Martin (2003-2006) (The Economist, 2018; Sampson, 2020). Ou angoisse géopolitique ?  Sans doute un peu des deux. Il reste à savoir si la politique menée sur la base de cette stratégie pourra demeurer proactive et non réactive, et favoriser la coopération et l’engagement du Canada envers non seulement ses partenaires, Japon, Corée, Australie et Inde principalement, mais également à l’endroit de la Chine (Paikin, 2023).

Frédéric Lasserre

Références

Berkofsky, A. et S. Miracola (2019). Geopolitics by Other Means : the indo-pacific reality. Milan : ISPI, https://www.ispionline.it/en/publication/geopolitics-other-means-indo-pacific-reality-22122

Goin, V. (2021). L’espace indopacifique, un concept géopolitique à géométrie variable face aux rivalités de puissance. Géoconfluences, 4 oct., http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/oceans-et-mondialisation/articles-scientifiques/espace-indopacifique-geopolitique

Gouvernement du Canada (2022). La Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique. Ottawa, https://www.international.gc.ca/transparency-transparence/indo-pacific-indo-pacifique/index.aspx?lang=fra

Gouvernement du Québec (2021). Cap sur la relance : des ambitions pour le Québec. Stratégie territoriale pour l’Indo-Pacifique. Québec,  https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/relations-internationales/publications-adm/politiques/STR-Strategie-IndoPacifique-Long-FR-1dec21-MRIF.pdf

Heiduk, F. et Wacker, G. (2020). From Asia-Pacific to Indo-Pacific. Significance, Implementation and Challenges. SWP Research Paper 9, Berlin, juillet, https://www.swp-berlin.org/publications/products/research_papers/2020RP09_IndoPacific.pdf

Martin, B. (2019). Cartographier les discours sur l’Indo Pacifique. Carnets de Recherche, Sciences-Po, 18 déc., https://www.sciencespo.fr/cartographie/recherche/cartographier-les-discours-sur-lindo-pacifique/

Nagao, S. (2019). Strategies for the Indo-Pacific: Perceptions of the U.S. and Like-Minded Countries. Washington, DC : Hudson Institute, décembre, https://www.hudson.org/national-security-defense/strategies-for-the-indo-pacific-perceptions-of-the-u-s-and-like-minded-countries

Paikin, Z. (2023). La “doctrine Freeland” et la stratégie Indo-Pacifique du Canada : entre isolement et confusion, Note politique 26, Réseau d’analyse stratégique, 2 janvier, https://ras-nsa.ca/fr/la-doctrine-freeland-et-la-strategie-indo-pacifique-du-canada/

Paquin, S. (2004). Paradiplomatie et relations internationales, Bruxelles: Peter-Lang.

Saint-Mézard, I. (2022). Géopolitique de l’Indo-Pacifique. Paris : PUF.

Sampson, X. (2020). Quelle marge de manoeuvre a l’Occident face à la Chine?. La Presse, 7 juillet, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1717514/chine-commerce-expansion-economie-politique-puissance

The Economist (2018). How the West got China wrong. The Economist, 1er mars, https://www.economist.com/leaders/2018/03/01/how-the-west-got-china-wrong

Les nouvelles routes de la soie… vues de Chine

Regards géopolitiques, v8 n3, 2022

Alexandre Schiele

Alexandre Schiele est chercheur affilié au Centre Louis Frieberg pour les études est-asiatiques de l’Université de Jérusalem, et chercheur associé au Conseil québécois d’études géopolitiques de l’Université Laval.

Résumé : Les nouvelles routes de la soie sont l’une des initiatives phares de la présidence de Xi Jinping. À partir de l’analyse de ses discours, cet article montre que, loin d’être limitées à la seule dimension économique, elles sont en fait le fer de lance d’une double volonté de réorganisation du système international à l’avantage de la Chine, et de transition de son modèle de croissance pour échapper au piège du revenu intermédiaire.

Mots clé : Chine, nouvelles routes de la soie, relations internationales, réforme du système international, transition économique.

Abstract : The new silk roads are one of the flagship initiatives of Xi Jinping’s presidency. From an analysis of his speeches, this article shows that, far from being solely limited to economic ends, they jointly pursue the reorganization of the international system to the benefit of China, and the transition of its growth model to escape the middle-income trap.

Keywords: China, new silk roads, international relations, reform of the international system, economic transition.

Introduction

En janvier 2017, au Forum économique mondial de Davos (Suisse), le Président Xi Jinping, prenant le contrepied du discours protectionniste de l’administration Trump nouvellement investie, se fit le chantre du libre-échange et de la coopération internationale. Tels étaient en somme ses vœux pour le Nouvel An chinois (Xi, 2017a). Cinq années plus tard, près de 350 millions de Chinois sont astreints à diverses formes de confinement régulièrement renforcées : l’activité industrielle tourne au ralenti ; les ports, les porte-conteneurs et les chaînes logistiques sont paralysés ; les délais de livraison internationaux s’allongent ; et tous les observateurs appréhendent une réduction de l’offre sur les marchés internationaux accélérant une inflation déjà galopante (Hale et al., 2022). Et d’aucuns pensent que cette conjoncture risque de contrarier l’initiative dite des « Nouvelles routes de la soie », lancée il y a de cela moins d’une décennie, une initiative bousculée par la pandémie de Covid 19, par les accusations récurrentes qu’elle prend au piège de la dette les nations partenaires (Wade 2020), et finalement par l’isolement international de la Russie – pièce maitresse du pont avec l’Europe – en réaction à son invasion de l’Ukraine.

Mais en quoi cette initiative, proposée par Xi Jinping dans deux discours pour la première fois en 2013, d’abord à Astana au Kazakhstan le 7 septembre (Xi, 2013a) puis à Jakarta en Indonésie le 3 octobre (Xi, 2013b), consiste-t-elle ? C’est-à-dire quels sont les objectifs poursuivis par la Chine ? Comme l’analyse des discours de Xi Jinping le montre : elles servent, premièrement, une pluralité d’objectifs sur le long terme dont l’économie n’est qu’une préoccupation parmi d’autres ; deuxièmement, elles visent à réorganiser les règles de gouvernance du système international non seulement à l’avantage de la Chine, mais à les faire graviter autour d’elle ; par contre, troisièmement, elles participent aussi d’un impératif de transition économique vers un nouveau modèle de croissance pour échapper au « piège du revenu intermédiaire », laquelle ne peut réussir qu’en associant d’autres pays.

  1. Les nouvelle routes de la soie… vues de l’extérieur

Or, trop souvent les nouvelles routes de la soie ne sont abordées que du point de vue de ses impacts hors de Chine, et principalement sous l’angle économique. Ainsi, dans une fiche synthèse, mise à jour en janvier 2020, le Council on Foreign Relations décrit « les nouvelles de la soie » comme étant, d’une part, « un vaste réseau de chemins de fer, de pipelines énergétiques, d’autoroutes, de passages frontaliers simplifiés vers l’ouest – à travers les montagneuses ex-républiques soviétiques – et vers le sud, vers le Pakistan, l’Inde et le reste de l’Asie du Sud-est », ainsi que, d’autre part, d’installations portuaires « sur le pourtour de l’Océan indien, de l’Asie du Sud-est jusqu’en Afrique de l’Est et certaines parties de l’Europe » (Chatzky et McBride, 2020). En somme, un ensemble de projets de services, de transport, d’investissements (le plus souvent sous forme de prêts par les banques d’État chinoises) et de projets d’infrastructures destinés à faciliter tant le commerce international que l’intégration économique des pays limitrophes participants à ces projets.

            Les nouvelles routes de la soie sont l’une des politiques phares de la présidence de Xi Jinping, au point d’avoir été inscrites dans la Constitution du Parti lors de la révision de 2017 (State Council of the People’s Republic of China, 2017). Et pourtant, les détails de cette initiative demeurent pour le moins vagues : repose-t-elle sur un plan d’ensemble ou s’agit-il d’un agrégat de réalisations ponctuelles dont certaines seraient plus coordonnées entre elles que d’autres. Les observateurs étrangers s’arrêtent souvent aux réalisations matérielles, d’où l’attention particulière qu’ils portent aux infrastructures et aux données chiffrées. Ainsi, sont fréquemment mentionnés le Corridor économique Chine-Pakistan (Sacks, 2021) et le Nouveau Pont terrestre eurasiatique (Babones, 2017).

Or, l’un comme l’autre a été initié avant le lancement des nouvelles routes de la soie : le Corridor est formellement annoncé en mai 2013 (State Council of the People’s Republic of China, 2013) mais a véritablement démarré au début des années 2000 (Dawn, 2008) ; tandis que le premier train de marchandises chinois à destination de l’Europe, concrétisant le Pont terrestre, est arrivé à Hambourg en 2008, opéré conjointement par la DB Cargo Eurasia et la Shanghai Orient Silkroad Intermodal Co. Ltd. (Railway Gazette International 2008). L’initiative s’inscrit donc dans le prolongement de la présidence de Hu Jintao (2002-2013), et dans la foulée de l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce en décembre 2001. Selon nous, on ne peut faire l’impasse sur cet arrière-plan lorsque qu’il est question d’analyser les visées officielles sous-jacentes, lesquelles, dans le contexte politique chinois, ne peuvent être réduites à la dimension économique, souvent la seule retenue par les observateurs étrangers, à l’instar du Council on Foreign Relations. Qui plus est, certains critiques ne voient dans ces projets que la manifestation d’ambitions géopolitiques occultées par la Chine.

Comme l’analyse qui suit va le montrer, les déclarations publiques de Xi Jinping sur les nouvelles routes de la soie expriment moins une vision personnelle que la position du Parti-État, laquelle, débordant la seule dimension économique, promeut ouvertement une reconfiguration des règles du jeu politique international.

Certes, parce que les discours politiques visent à persuader, occulter, rallier, ou à l’extrême n’être qu’un exercice de propagande, leur portée est limitée. Cela est vrai tant dans les démocraties que dans les dictatures. Or, en Chine, depuis Deng Xiaoping, les discours politiques, particulièrement ceux destinés à un auditoire intérieur, et plus encore aux cadres du régime, se démarquent par leur aspect programmatique (Schiele, 2018, p. 10-11). Ainsi, ils cadrent et hiérarchisent tant les priorités du moment, que les éléments de langage à adopter. C’est pourquoi il est important de sérier les discours de Xi Jinping selon les auditoires auxquels ils sont destinés : à l’évidence, un discours prononcé au Bureau politique, au Comité central ou lors d’une réunion d’un groupe dirigeant restreint revêt une importance tout autre que celle d’un discours livré devant un parterre d’étudiants lors d’un déplacement à l’étranger. Cela étant, le mode répétitif des discours officiels chinois, quel que soit le public auxquels ils sont destinés, gomme les inflexions que l’on voudrait anticiper au premier abord.

2. Deux initiatives distinctes et complémentaires, mais une visée globale

L’initiative des nouvelles routes de la soie a été officiellement lancée dès après l’investiture de Xi Jinping comme Président de la République populaire de Chine, quatre mois après sa nomination au poste de Secrétaire général du Parti communiste chinois.[1] La première mention des nouvelles routes de la soie ou, plus exactement, de la « ceinture économique de la route de la soie », a eu lieu dans un discours prononcé à l’Université Nazarbayez à Astana au Kazakhstan (Xi, 2013a). La seconde mention, lorsqu’il est alors question de « la route de la soie maritime du 21e siècle », a été faite le 3 octobre devant le Conseil représentatif du peuple, la chambre basse du parlement indonésien (Xi, 2013b).

La différence d’auditoires se révèle tant dans le ton que dans le propos. À Astana, Xi Jinping relate une version schématisée de l’histoire de la route de la soie et des relations de bon voisinage qui uniraient la Chine à l’Asie centrale, avec un appel à les resserrer sur les plans économique, politique et sécuritaire. À Jakarta, plus spécifique, il lie son intention de raffermir les liens entre la Chine et l’Association des nations du Sud-est asiatiques (ANASE) à des objectifs plus précis allant de l’augmentation du volume des échanges commerciaux à la tenue de réunions plus régulières entre les ministres de la défense. À ce stade, ces discours en restent aux souhaits. Et lors de la parution du premier volume des œuvres de Xi Jinping l’année suivante (2014) – qui balise l’horizon idéologique des thématiques développées et leurs domaines d’applications concrètes – les nouvelles routes de la soie n’en constituent pas un thème central.[2]

Notons cependant que dans aucun des deux discours Xi Jinping ne s’adresse spécifiquement au pays hôte, mais à des groupes de pays plus ou moins intégrés : l’Asie centrale (associé à l’Organisation de coopération de Shanghai) et l’ANASE. Il a la même visée dans son discours de Dar es Salam en Tanzanie le 25 mars de la même année lorsqu’il s’adresse alors à l’Afrique (Xi Jinping 2013c) ; dans celui devant le Sénat mexicain le 5 juin en englobant l’Amérique latine et les Caraïbes (Xi Jinping 2013d) ; le 1er avril 2014 à Bruxelles, en assimilant Europe et Union Européenne de manière interchangeable (Xi, 2014a) ; et le 5 juin 2014, à l’occasion de la sixième Conférence ministérielle du Forum de coopération entre la Chine et les pays arabes, où il parle au monde arabe dans sa totalité (Xi, 2014b). Si le lecteur peut s’interroger sur le lien avec les nouvelles routes de la soie, rappelons que dans son discours du 1er avril 2014, il appelait symboliquement à la construction d’un pont terrestre eurasiatique ; et dans celui du 5 juin 2014, à renforcer la coopération sino-arabe en « promouvant l’esprit de la route de la soie ».

Mais, il serait erroné de croire que la Chine ne projette les nouvelles routes de la soie que dans des espaces géographiques bien circonscrits. Ainsi, dans son discours du 14 mai 2017 à l’occasion de l’ouverture du Forum de coopération internationale pour les nouvelles routes de la soie, Xi Jinping souligne que près d’une centaine de pays de tous les continents ont manifesté leur intérêt pour un tel projet, ce qui à ses yeux est déjà une victoire (Xi, 2017b). Et il pointe certaines réalisations en cours : telles les connexions ferroviaires Chine-Laos et Jakarta-Bandung, mais aussi Addis Abeba-Djibouti et Hongrie-Serbie. Bien sûr, elles ont pour objectif d’accroître les échanges, et impliquent un vaste programme de développement des infrastructures à cette fin. Mais, comme Xi Jinping l’affirme lui-même à cette occasion elles ne s’y limitent pas, car elles n’ont pas qu’une vocation purement économique.

3. Coopération régionale et harmonisation des politiques

L’observateur étranger pourrait penser que plus les pays souscrivent aux finalités économiques initiales plus la Chine élargit ses objectifs. Et pourtant, cette visée multiple était affirmée dès les discours d’Astana et de Jakarta où Xi Jinping appelait à un renforcement des liens culturels, éducatifs, touristiques, médicaux, mais aussi entre « les jeunes, les cellules de réflexion [think tank], les parlements, les organisations non-gouvernementales et les organisations civiles » (Xi, 2013b, p. 322) afin d’approfondir la compréhension mutuelle pour renforcer l’amitié entre les nations.

Cela dit, tant à Astana qu’à Jakarta, la Chine poursuit deux buts complémentaires : un approfondissement des liens économiques et une collaboration en matière de sécurité (Xi, 2013a et 2013b). Par contre, parce que l’ANASE (1967) se fonde d’abord sur les liens économiques en Asie du Sud-est, et que l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS, 2001) repose principalement sur les enjeux sécuritaires en Asie centrale, la Chine se devait de convaincre les pays de ces deux régions d’élargir leur collaboration à de nouveaux domaines malgré leurs probables réticences (Albert, 2015 ; Council on Foreign Relations, 2022), évoquées de manière indirecte par Xi Jinping.

Ainsi, les discours d’Astana et de Jakarta visent à présenter les nouvelles routes de la soie comme le prolongement naturel des collaborations déjà établies, mais en pointant que leur renforcement dans les domaines existants ne suffira pas pour atteindre les objectifs poursuivis par ce même renforcement. Car, dans un cas comme dans l’autre, comme Xi Jinping l’explique le 21 mai 2014 lors du Quatrième sommet de la Conférence sur les interactions et les mesures de construction de la confiance en Asie : « Une sécurité durable [sustainable] implique de mettre l’accent à la fois sur le développement et la sécurité, afin que la sécurité devienne durable [durable] » (p.393), et réciproquement en ce qui concerne le développement durable. Cela synthétise la vision chinoise.

Dans le même discours d’Astana, il affirme :

Nous [la Chine et les pays centrasiatiques] avons fixé nos objectifs de développement à moyen et long terme sur la base de nos conditions nationales. Nos objectifs stratégiques sont les mêmes – garantir un développement économique stable et durable, édifier une nation prospère et forte et réaliser une régénération nationale. C’est pourquoi nous devons approfondir notre collaboration dans tous les domaines, profiter de nos bonnes relations politiques, de notre proximité géographique et de notre complémentarité économique afin de stimuler une croissance durable, et former une communauté d’intérêts partagés et d’avantages mutuels.” (p. 317)

Et lors de la conférence de presse organisée dans le cadre du Forum de coopération internationale pour les nouvelles routes de soie, Xi Jinping annonce que cette communauté est en voie de réalisation, la Chine ayant « signé plusieurs accords de collaboration » au cours du Forum, et « 68 pays et organisations internationales » ayant déjà conclu de tels accords avec la Chine depuis le lancement de l’initiative (Xi, 2017b. p. 133).

En clôture du Forum, l’agence de presse Xinhua (Chine nouvelle) a publié la liste des 76 accords signés depuis 2013 (Xinhua, 2017). La plupart ne semblent être que des protocoles d’entente (memorandum of understanding), autrement dit des déclarations d’intention, alors que d’autres s’éloignent de la raison d’être de la conférence : ainsi l’accord avec la Thaïlande concerne l’usage pacifique de l’énergie nucléaire, et le protocole avec le Cambodge porte sur la construction d’une station d’observation océanique gérée conjointement (Joint Ocean Observation Station).

L’erreur consisterait à ne considérer que les accords conclus. Dès les discours d’Astana et de Jakarta, Xi Jinping présente sa vision pour une coopération régionale renforcée et les accords formels y jouent certes un rôle important, mais plus secondaire que l’on ne pourrait le croire. Ainsi non seulement appelle-t-il à renforcer la coopération avec la Russie et les États centrasiatiques, mais aussi à renforcer la « coordination » avec ceux-ci. Spécifiquement, il appelle à « renforcer les consultations sur les politiques [policy consultation] » (p. 318). En pratique, il invite :

[l]es pays [à] s’engager dans des discussions complètes autour des stratégies et politiques de développement, adopter des plans et des mesures pour faire avancer la coopération régionale au moyen de consultations mues par le souci de trouver un terrain d’entente en écartant les points d’achoppement “ (p. 318)[.]

Concrètement, cela se traduit par la multiplication des rencontres entre les responsables nationaux chargés de questions spécifiques, et préférablement par leur institutionnalisation souple sous la forme de plateformes et de mécanismes permanents de consultation et de dialogue. Par contre, c’est dans son discours de Jakarta, devant la chambre basse du parlement, que Xi Jinping précise l’objectif poursuivi par ces consultations :

“[l]a Chine est prête à étendre sa collaboration pratique dans tous les domaines avec les pays de l’ANASE afin de répondre aux besoins de chacun et de compléter les forces de chacun » (p. 321).

Il avait déjà exprimé la même idée six mois plus tôt, le 7 avril, lors du Forum Bao pour la Conférence annuelle de l’Asie :

[t]ous les pays sont liés et partagent des intérêts convergents. Ils doivent mettre en commun et partager leurs forces. Lorsqu’il poursuit ses propres intérêts, un pays doit respecter les préoccupations légitimes des autres. En poursuivant son propre développement, un pays doit promouvoir le développement de tous “ (Xi, 2013e, p. 363).

En pratique, comme il l’affirme dans son discours du 27 mars 2013 lors d’une rencontre des BRICS[3], cela se traduit, d’une part, par une coordination des politiques au niveau macro d’une part (Xi, 2013f), mais aussi, d’autre part, comme il le spécifie le 5 juin 2014 devant les représentants des pays arabes, par des objectifs, des stratégies et des politiques communs aux niveaux méso et micro, ainsi que par le « partage des ressources des deux côtés » (p. 351), dans le cadre de projets spécifiques (Xi, 2014b). Qui plus est, le 10 juin 2018, lors de la rencontre des chefs d’État de l’OCS, il est plus assertif : la complémentarité des pays implique celle de leurs « stratégies de développement. » (Xi, 2018a, p. 513).

4. La Chine, puissance ouvertement révisionniste

Ce faisant, la Chine cherche à façonner son extérieur proche et lointain afin de rééquilibrer le système régional à son avantage, et par le fait même influencer indirectement le système international. Et elle ne s’en cache pas. Ainsi, dans son discours du 7 avril 2013, après avoir chanté les louanges d’une Asie devenue à la fois « l’une des plus dynamiques et des plus prometteuses régions du monde », Xi Jinping insiste : l’Asie « doit transformer et améliorer son modèle de développement afin de rester en phase avec la dynamique du moment » (p. 361).

Concrètement, cela signifie que si « la Chine ne peut se développer en étant coupée du reste de l’Asie et du monde [,] le reste de l’Asie et du monde ne peut connaître la prospérité et la stabilité sans la Chine. » (p. 564) Et pour ceux qui n’auraient pas compris, il précise : « plus la Chine croît rapidement, plus elle créera d’opportunités de développement pour le reste de l’Asie et du monde. » (p. 366) En d’autres mots, la Chine s’affirme comme le moteur du développement mondial et le principal acteur de la paix mondiale – comme étant le pays le plus en phase avec la « dynamique du moment » (Publisher’s note in Xi, 2014, n. p.) – et invite fortement les pays qui veulent continuer à bénéficier de cette conjoncture à s’aligner sur elle, à adapter leurs politiques, leurs stratégies et leurs objectifs en fonction des siens.

Soulignons aussi la conception particulière du multilatéralisme épousée par la Chine. Tout d’abord, comme la liste mentionnée plus haut des 76 accords le montre, elle ne reconnaît comme projets s’inscrivant dans l’initiative des nouvelles routes de la soie que ceux dans lesquels elle s’est elle-même impliquée. En d’autres termes, la Chine cherche à nouer un nombre toujours plus important de relations bilatérales plus profondes, lesquelles formeraient les rayons d’une roue dont elle occuperait le centre. Par contre, fidèle à la ligne édictée depuis Deng Xiaoping, elle se refuse catégoriquement à transformer ses relations en des alliances formelles. Cela étant dit, par ses relations bilatérales, elle ne cherche pas uniquement à lier les États, mais aussi les entités publiques et privées infranationales, transnationales et supranationales.

Ce dernier niveau est particulièrement significatif, car, comme nous l’avons montré plus haut, la Chine s’adresse moins à des pays qu’à des groupes de pays. Et Xi Jinping répète inlassablement que le moment unipolaire, dominé par les États-Unis, s’estompe progressivement, le monde revenant à un équilibre multipolaire, une transition que la Chine cherche à accélérer. Or, fait intéressant, Xi Jinping ne parle pas d’un ordre multipolaire interétatique, mais inter-civilisationnel. Il va sans dire que nulle civilisation a atteint un degré d’organisation politique équivalent à celui d’un État-Nation… à l’exception, dans les discours de Xi Jinping, de la Chine.

Quel que soit le sens à donner à cette prise de position, il ne fait aucun doute que la Chine perçoit le système international dans sa forme existante comme lui étant non seulement défavorable mais aussi injuste. D’où les appels incessants de Xi Jinping à réformer les règles de gouvernance du système international afin qu’elles reflètent mieux sa réalité actuelle.[4] Et la crise financière de 2008 ainsi que la crise de liquidité et d’insécurité qui s’ensuivirent au cours des années 2010 ont été la brèche par laquelle la Chine a pu non seulement proposer une solution alternative à l’ordre existant, mais aussi tenter de la mettre en pratique. Et Xi Jinping l’affirme ouvertement dans ces mêmes discours.

Arrivé à ce stade, le lecteur pourrait être irrité par un corpus de discours qui semble limité aux deux premières années du mandat de Xi Jinping. Mais l’explication réside dans le fonctionnement même du régime du Parti-État. Le même congrès qui a élu Xi Jinping Secrétaire général pour les cinq années suivantes en 2012, a aussi fixé les grandes lignes politiques intérieures et extérieures pour ces cinq mêmes années. Et dès ses premières apparitions publiques, Xi Jinping donne le ton. Ainsi, lors d’un séminaire du Parti-État sur le « travail de diplomatie de voisinage » le 24 octobre 2013 (Xi, 2013k), soit un peu moins de trois semaines après le discours de Jakarta, il affirme :

“[n]ous devons créer et consolider des relations amicales et approfondir les coopérations mutuellement bénéfiques avec les pays voisins, préserver et faire le meilleur emploi des opportunités stratégiques dont nous profitons, et préserver la souveraineté étatique, la sécurité nationale, et les intérêts de développement de la Chine. […] La politique de base de diplomatie de voisinage consiste à les traiter comme amis et partenaires, leur donner un sentiment de confiance et de soutenir leur développement. […] En retour, nous espérons que les pays voisins seront plus disposés envers nous, et nous espérons que la Chine développera des affinités plus fortes avec eux, et que notre attrait et notre influence iront croissants” (p. 326-327).

Les nouvelles routes de la soie participent de cet objectif. Jusque-là, rien que de très normal. Cependant, cet extrait est précédé par la déclaration suivante : « [l]a diplomatie de la Chine est guidée par, et doit servir, les Deux objectifs centenaires [Two Centenary Goals] et notre régénération nationale » (p. 326).

Les Deux objectifs centenaires ont été formulés dès l’accession au pouvoir de Xi Jinping, et mentionnés pour la première fois dans lors d’un discours prononcé le 29 novembre 2012 :

[j]e crois fermement que l’objectif de construire une société modérément prospère dans tous les domaines peut être atteint d’ici 2021, lorsque le PCC célébrera son centenaire ; l’objectif de transformer la Chine en un pays socialiste moderne, prospère, fort, démocratique, culturellement avancé et harmonieux peut, quant à lui, être atteint d’ici 2049, lorsque la RPC marquera son centenaire ; et le rêve de la régénération de la nation chinoise sera réalisé” (Xi 2012, p. 38).

Voilà donc en quoi consiste le Rêve chinois, sans conteste le projet phare de sa présidence, et grâce auquel il cherche à se distinguer radicalement de son prédécesseur Hu Jintao. Mais, qu’entendre réellement par ce projet plus collectif – nationaliste même – qu’individuel, alors que la Chine est déjà la deuxième puissance économique mondiale et qu’elle en est consciente ? Officiellement : effacer l’humiliation des Guerres de l’Opium (1839-1842 ; 1856-1860) (Xi 2012 ;  2014c) lesquelles non seulement ont contribué au déclin de la Chine, mais lui ont ravi son statut de puissance dominante, de modèle à émuler, et de centre du monde asiatique, ainsi que, plus impardonnable encore, son sentiment d’avoir été le centre du monde (Kang 2010).

5. Réponses à des préoccupations plus immédiates

Dans les discours destinés aux hauts cadres du Parti-État, l’initiative des nouvelles routes de la soie a une visée plus pragmatique et, pourrait-on dire, immédiate. Le rapport faisant le bilan des cinq années précédentes, présenté le 18 octobre 2017 au 19e Congrès du Parti – lequel a reconduit Xi Jinping dans ses fonctions – vante l’avancement de cette initiative. Mais, étonnamment, il n’en est question que parmi d’autres réalisations : « [l]e développement régional est devenu plus équilibré ; l’initiative des nouvelles routes de la soie, le développement coordonné de la région Beijing-Tianjin-Hebei et le développement de la Ceinture économique du Yangzi ont tous connu des avancées significatives. » (Xi Jinping 2017c, p. 4)

Depuis, ces projets ont toujours été associés dans les discours, et celui de la « Grande baie de Guangdong-Hong Kong-Macao » a été ajouté à cette liste (Xi, 2018b, p. 244). Or, ces trois projets d’intégration régionale ont une portée autrement plus nationale que celle à laquelle l’on s’attendrait dans le cas des nouvelles routes de la soie. Lors de la troisième session du groupe d’étude du Bureau politique, le 30 janvier 2018, Xi Jinping affirme sans ambages que ces trois projets participent non seulement d’une volonté de modernisation de l’économie, mais d’une volonté d’ « accélération » de cette modernisation. Par modernisation, il entend : « [l’élargissement] de la réforme structurelle axée sur l’offre, [le développement] d’une industrie manufacturière avancée, et [l’intégration complète] de l’économie réelle avec les technologies d’Internet, du big data et de l’intelligence artificielle. » (p. 283)

Concrètement, le Parti-État veut user de ses pouvoirs d’intervention pour assurer la transition rapide d’une économie dominée par des entreprises reposant sur une main-d’œuvre abondante, mais produisant des biens et des services à faible valeur ajoutée, vers une économie dominée par des entreprises de haute technologie créant des biens et des services à haute valeur ajoutée d’ici 2025. Tel était l’objectif du treizième plan quinquennal (2016-2020), adopté en 2015, et celui du quatorzième plan quinquennal (2021-2025), alors à l’état d’ébauche. Bien que proclamant le succès de la construction d’une société modérément prospère, la pandémie de Covid 19 a conduit le Parti-État à réviser ses objectifs, le quatorzième plan quinquennal dans sa version adoptée en 2020 repoussant dans les faits sa construction à 2035 (Wong, 2020).

L’enjeu demeure néanmoins entier : si c’est en devenant l’atelier du monde que la Chine s’est hissée au rang de la seconde puissance économique mondiale, elle demeure, d’une part, dépendante de l’étranger pour les technologies de pointe alors que les économies exportatrices se montrent de plus en plus méfiantes quant à l’utilisation qu’elle peut en faire (McBride et Chatzky, 2019), et, d’autre part, depuis le tournant des années 2010 sa croissance, alors à deux chiffres, a ralenti et ainsi accru les risques de tomber dans le ‘piège du revenu intermédiaire’, dont seule une quinzaine pays est parvenue à s’extraire.[5] (Gill et Kharas, 2015) Aussi, tout ralentissement de l’amélioration des conditions de vie pourrait potentiellement se muer en une contestation du régime.

Nous comprenons alors mieux l’insistance de Xi Jinping lors de son intervention du 24 octobre 2013 à l’occasion du séminaire du Parti-État sur le « travail de diplomatie de voisinage » :

“[n]ous devons travailler avec nos voisins pour accélérer la connexion des infrastructures entre la Chine et les pays et nos pays voisins, et établir une Ceinture économique de la route de la soie et une route de la soie maritime répondant aux demandes du 21e siècle. Nous devons accélérer le rythme de la mise en œuvre de la stratégie de zones de libre-échange avec nos voisins, étendre la coopération en matière de commerce et d’investissement, et créer un nouveau modèle d’intégration économique régional” (Xi, 2013k, p. 327).

Conclusion : les Nouvelles routes de la soie : des objectifs pluriels sur le long terme

            L’initiative des Nouvelles routes de la soie, telle que le Parti-État chinois la conçoit, poursuit des d’objectifs concomitants qui vont bien au-delà de la dimension économique, tandis que l’expression, délibérément choisie, les masque en réifiant l’imaginaire des routes historiques de la soie : des caravanes de chameaux traversant les déserts d’oasis en oasis et transportant une myriade de produits rares et exotiques. En fait, ces objectifs sont de trois ordres étroitement imbriqués : un objectif géopolitique, un objectif symbolique et un objectif pragmatique. Ils ont en commun de se projeter dans le long terme.

            Premièrement : sur le plan géopolitique, la Chine cherche à nouer de nouvelles formes de relations bilatérales fondées sur la consultation pour favoriser une plus grande intégration et une harmonisation des politiques dans plusieurs domaines, dont les deux principaux sont le développement économique et la sécurité – deux domaines complémentaires pour la Chine. L’objectif est autant de proposer que d’actualiser un contre-modèle à l’hégémonie américaine, dont la Chine anticipe le déclin tout en cherchant à l’accélérer. Or, elle se présente comme le moteur économique et le garant de la paix, non seulement en Asie, mais à l’échelle mondiale : elle enjoint donc les pays à moduler leurs plans de développement en fonction des siens tout autant que leurs politiques, en un mot à l’émuler.

            Deuxièmement : elle cherche à mailler les États tout autant que les entités publiques et privées, infranationales comme supranationales. Car la multipolarité qu’elle appelle de ses vœux n’est pas internationale, mais inter-civilisationnelle. Et elle ne se perçoit pas comme une nation comme les autres, mais comme une civilisation politiquement organisée, et cherche en conséquence à infléchir les règles du jeu politique international pour qu’il reflète mieux la perception qu’elle projette d’elle-même. C’est pourquoi, sur le plan symbolique, les nouvelles routes de la soie servent le Rêve chinois, celui de la grande régénération de la nation chinoise laquelle effacera l’humiliation des Guerres de l’Opium en recentrant l’Asie, si ce n’est le monde, sur la Chine.

            Troisièmement : pragmatique, la Chine réalise qu’elle arrive aux limites de son modèle de croissance, fondé sur un développement industriel, mobilisant une main-d’œuvre abondante, qui produit biens et services en grand nombre, mais à faible valeur ajoutée. Elle se sait dépendante des importations de technologie de pointe pour poursuivre son développement, alors que les pays exportateurs se montrent de plus en plus méfiants et réticents à son égard. Et en parallèle, parce qu’elle voit aussi son taux de croissance chuter, elle redoute d’être prise au ‘piège du revenu intermédiaire’.

Ainsi, les nouvelles routes de la soie ne représentent qu’une composante d’un plan stratégique qui cherche à associer des pays étrangers à sa volonté de transition économique assortie d’une tentative de rééquilibrage géopolitique à son avantage.

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Xi Jinping (2017a). Shoulder the Responsibilities of Our time and Promote Global Growth Together. Xi Jinping (2017). The Governance of China. Vol. 2. Beijing, Foreign Language Press. p. 519-532.

Xi Jinping (2017b). Working Together to Build the Silk Road Economic Belt and the 21st Century Maritime Silk Road. Xi Jinping (2017). Important Speeches at the Belt and Road Forum for International Cooperation. Beijing, China International Publishing Group and Foreign Language Press. p. 73-91.

Xi Jinping (2017c). Secure a Decisive Victory in Building a Moderately Prosperous Society in All Respects and Strive for the Great Success of Socialism with Chinese Characteristics for a New Era: Report to the 19th National Congress of the Communist Party of China. Communist Party of China (2018), Documents of the 19th National Congress of the Communist Party of China. Beijing, Foreign Language Press. p. 1-87.

Xi Jinping (2018a). Accelerate Economic Modernization. Xi Jinping (2020). The Governance of China. Vol. 3. Beijing, Foreign Language Press. p. 281-284.

Xi Jinping (2018b). For a Global Economy – Open, Innovative and Inclusive. Xi Jinping (2020). The Governance of China. Vol. 3. Beijing, Foreign Language Press. p. 235-244.

Xinhua (2017). List of Deliverables of the Belt and Road Forum for International Cooperation. In Xi Jinping (2017). Important Speeches at the Belt and Road Forum for International Cooperation. Beijing, China International Publishing Group and Foreign Language Press. p. 152-171.

Anonyme (2014). Publisher’s note. Xi Jinping (2014). The Governance of China. Vol. 1. Beijing, Foreign Language Press, s. p.


[1] Bien que la fonction de président soit symbolique, c’est la seule qui soit reconnue par les gouvernements étrangers pour désigner l’interlocuteur officiel de la Chine.

[2] Elles ne le deviendront qu’à partir du second volume (2017).

[3] Forum de cinq grandes économies émergentes : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.

[4] Pour la seule année 2013 : les 23 mars (Xi, 2013g) ; 25 mars (Xi, 2013c) ; 27 mars (Xi, 2013f) ; 7 avril (Xi, 2013e) ; 7 juin (Xi, 2013h) ; 5 septembre (Xi, 2013i) ; 3 octobre (Xi, 2013b) ; et 7 octobre (Xi, 2013j).

[5] Dont la Corée du Sud, Hong Kong, le Japon, Singapour et Taiwan.

La France dans le monde

RG v7 n2, 2021

Charillon, F. (dir.) (2021), La France dans le monde

Paris, CNRS Editions.

« La France dans le monde », voilà un sujet immense et qui mérite une approche tant approfondie que pluridisciplinaire. Couvrir un domaine aussi vaste est une grande ambition : on peut d’emblée questionner la possibilité de la réaliser par un ouvrage de 220 pages seulement.

Le livre s’articule en trois grandes sections : la première couvre les déterminants fondamentaux du sujet d’un point de vue intérieur, la seconde les enjeux de relations internationales auxquels la France d’aujourd’hui est confrontée et la troisième traite des instruments et la stratégie utilisés par la France dans ses actions de politique étrangère.

L’introduction présente les différents aspects de l’ouvrage mais fait l’économie des éléments de méthodologie que l’on est en droit d’attendre pour un sujet aussi vaste. En lisant le livre, on constate que le traitement du sujet qui y est proposé repose sur les outils classiques de l’analyse des relations internationales et se focalise avant tout sur les affaires courantes, les aspects historiques étant plus utilisés en renfort du raisonnement que comme objet d’étude. La perspective de l’ouvrage est avant tout hexagonale et les outils étatiques, politiques et militaires, ainsi que les grands enjeux économiques sont traités en priorité. La notion d’espace et de ses représentations n’est considérée que de manière très abstraite ; aucune carte ne vient étayer le propos. Un tel éclairage de ce vaste sujet serait en soi parfaitement légitime, mais on regrettera quand-même que le livre fasse une impasse quasi-totale sur l’Europe (espace et institutions) dans la relation de la France avec le monde.

Dans la première partie, le chapitre traitant des déterminants politiques résume assez brièvement les mécanismes français de formulation de la politique étrangère (l’architecture administrative spécifique traitant des affaires européennes n’est hélas pas mentionnée) et illustre son propos par une étude cas historique des relations franco-russes. Ensuite vient une étude sur la sociologie de l’opinion française qui porte essentiellement sur les réactions face aux questions de terrorisme et d’intervention militaire extérieure, sans en expliquer l’impact spécifique sur la politique étrangère. Enfin, on trouve une synthèse brillante et bien menée sur l’évolution contemporaine de la place de l’économie française dans le monde, qui se lit avec plaisir.

La deuxième partie de l’ouvrage, intitulée les « défis » internationaux de la France, couvre plusieurs grands domaines géographiques et thématiques de politique étrangère. Parmi les éléments les plus réussis, on peut citer un chapitre sur position de la France dans la région Asie-Pacifique qui démontre de façon claire et argumentée l’existence d’une bascule récente de la France vers la région, qui fait pièce à la bascule américaine équivalente. De même, le chapitre sur le fait religieux en politique étrangère est intéressant et un bon exemple d’approche transversale qui aurait pu être adopté sur d’autres sujets. En revanche, le chapitre sur la France face aux nouvelles priorités américaines et britanniques souffre du manque de la lisibilité de la politique américaine depuis 2016 et de la politique britannique post-Brexit, qui rendent toute analyse du sujet très incertaine : seul le temps offrira des clés de déchiffrage. Le chapitre sur les relations africaines de la France couvre les évolutions récentes du dossier mais s’attarde peu sur la problématique du monde francophone. Un chapitre sur la relation franco-allemande complète cette partie. Elle y est décrite, peut-être un peu hardiment, comme le moteur en panne de l’Europe. C’est sans doute le cas pour certains des exemples utilisés (comme la question des logiques d’intervention militaire extérieure), mais le sujet est en réalité beaucoup plus large. A titre d’exemple, la création en 2020 d’une dette commune européenne, véritable révolution impensable il y a encore quelques années, témoigne d’un binôme franco-allemand non seulement fonctionnel mais aussi politiquement efficace puisqu’il a été capable de convaincre les états européens dits « frugaux » de faire évoluer leur position.

Une grande absente de l’ouvrage : l’Union Européenne et la manière dont la France, à travers les institutions européennes, existe dans le monde. Le fait que les institutions européennes se soient construites pendant un demi-siècle sur le modèle des institutions françaises, avant que ce modèle ne s’érode sous l’influence des Britanniques et de l’Europe de l’Est, la perte d’influence de la langue française à Bruxelles, la diminution du nombre de français aux postes clés de l’UE, tout cela ne se réduit pas au couple franco-allemand et aurait mérité un chapitre à part entière.

Trois chapitres constituent la dernière partie de l’ouvrage sur « instruments et stratégie » de la France. La réflexion sur l’outil diplomatique de la France est pertinente mais pourrait aborder plus les questions consulaires, essentielles en ces temps de mondialisation et de migrations : 2,5 millions de français vivent à l’étranger. L’état des lieux des interventions militaires de la France à l’étranger est intéressant et complet. Une analyse de la notion de « grande stratégie » à la française, complète l’ouvrage.

Un chapitre dédié au « soft power » de la France aurait été souhaitable : l’aide publique au développement (APD), le réseau des lycées français, les instituts scientifiques à l’étranger, la francophonie méritaient plus de substance et de détail. L’absence d’un tel chapitre affaiblit cette troisième partie (à peine 40 pages) et déséquilibre l’ensemble du livre.

On s’étonnera aussi de ne pas trouver dans l’ouvrage, parmi le sujets transversaux, la moindre mention de la crise climatique, problème clé du XXIème siècle, sur lequel la France s’est d’emblée positionnée en pointe avec une diplomatie climatique active (COP 21 et accord de Paris) parfois moins suivie d’effets industriels (retards de la France dans les filières d’énergie renouvelable).

En conclusion, « La France dans le monde » est une série de courts essais, dont certains sont fort intéressants (l’économie française dans la mondialisation, la bascule Asie-Pacifique ou le fait religieux dans la politique étrangère) mais qui devrait être complété et approfondi pour devenir un véritable ouvrage de référence.

Jérôme Le Roy