Les entrepreneuriats médiatique et privé russes en République Centrafricaine : des dynamiques d’implémentation locale du Kremlin en Afrique centrale

François Xavier Noah Edzimbi

Ph.D en Science Politique

CEO du Cabinet LUCEM GLOBAL CONSULTING S.A.R.L,

Chercheur Associé au Centre Africain de Recherche pour la Paix et le Développement Durable (CARPADD), Ottawa, Canada

et au Centre Africain d’Études Stratégiques pour la Promotion de la Paix et du Développement (CAPED), Yaoundé, Cameroun

xnoah@gmail.com

Regards géopolitiques, 7(4)

Résumé :

Dans une rivalité existante entre puissances occidentales et émergentes pour l’accès et la gestion des ressources stratégiques en Afrique, la rapide installation de la Russie en République Centrafricaine inquiète la France dans une Afrique centrale considérée jusque-là, par elle, comme sasphère d’influence. En mobilisant respectivement le réalisme classique au sens large et l’approche géopolitique, l’étude présente les différentes entreprises usitées par Moscou pour occuper la Centrafrique.

Mots clés : mise en œuvre, Russie, Centrafrique, intérêts français, Afrique centrale

Summary :

With a competition between occidental and emergent powers for access and management of Africa’s strategic resources, the fast Russian implementation in Central African Republic is going to disturb France’s interests in Central Africa which are, hitherto for this country, his influence’s space. By mobilizing the classic realism and the geopolitical approach, this study presents different strategies using by Moscow to promote its power opportunities in Central African Republic.

Keywords : implementation, Russia, Central African Republic, French interests, central Africa

Introduction

Le choc mondial du coronavirus rappelle l’emprise des puissances sur les organisations internationales, mondiales et régionales. L’Organisation des nations unies (ONU) subit en effet, la capacité de blocage de ses patrons dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques internationales (Defarges, 2021). Cette situation révèle des faiblesses du multilatéralisme et les limites du libéralisme, spécifiquement les faiblesses de l’approche institutionnelle pour laquelle l’individu est au cœur de la sécurité, notamment sa sécurité physique et sa propriété privée.

Partant de cette configuration, les puissances émergentes, comme les grandes puissances hier, acceptent difficilement d’être soumises à une décision du Conseil de sécurité (CS) aujourd’hui, contraire à leurs intérêts fondamentaux, dont elles veulent rester seules juges (De La Sablière, 2021). Ce contexte rappelle l’importance des rapports de puissance pour comprendre la politique internationale et l’impossibilité de réconcilier les intérêts divergents des États (David et Schmitt, 2020) dans une approche réaliste. Les ressources naturelles africaines, jusque-là gérées comme des réserves stratégiques des anciennes puissances coloniales, sont désormais au cœur d’une concurrence entre les puissances traditionnelles et les nations émergentes dont les besoins en matières premières stratégiques paraissent illimités. Aussi, les stratégies des chefs d’État Vladimir Poutine pour la puissance russe, de Recep Tayyip Erdogan pour la puissance turque et de Xi Jinping pour la puissance chinoise se font jour et sont transformées en calculs et manœuvres géostratégiques ainsi qu’en politiques économiques agressives (Burgorgue-Larsen, 2021) sur le continent. Pour la France, l’irruption des puissances économiques et militaires émergentes telles que la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil sur la scène africaine et l’intérêt croissant des États-Unis et du Japon pour le continent, ont perturbé son monopole en Afrique francophone (Tchokonté, 2019).

L’effondrement de l’Union des Républiques Socialistes et Soviétiques (URSS) a conduit les Russes à s’interroger sur leur identité, la nature de leur État et la place qu’occupe leur nation sur la scène internationale. Pour la Russie, les relations internationales post-guerre froide sont structurées par la concurrence et l’aspiration de plusieurs États à renforcer leur influence sur la politique internationale (Bonvillain, 2006). Ainsi, l’ambition de Moscou est de permettre à ses autorités de prendre part et d’avoir une forte influence dans la résolution des grands problèmes internationaux, le règlement des conflits militaires, la réalisation de la stabilité stratégique et de la suprématie du droit international dans les relations internationales (Facon, 2016) d’une part. D’autre part, la Russie veut avoir voix au chapitre en Afrique et accès à ses différentes ressources dans son objectif de repositionnement stratégique sur la scène internationale en tant que puissance mondiale. Dans cette dernière optique, la diplomatie proactive russe du président Vladimir Poutine, principal artisan d’une reprise progressive de rapports coopératifs entre Moscou et l’Afrique, est de plus en plus perceptible (Lobez, 2019). À cet effet, la rapide prise de position russe en Centrafrique, à travers une politique étrangère qui promeut différentes stratégies comme l’utilisation des médias (1) et du secteur privé (2), est appréciable.

  1. L’usage de l’outil médiatique : nouvelle stratégie d’influence de Moscou en République Centrafricaine.

Du 22 au 25 octobre 2019, près de 50 chefs d’États africains se sont rendus à Sotchi pour assister au sommet Russie-Afrique, premier évènement dédié au continent africain d’une telle ampleur organisé par la Russie. Selon le Premier ministre Dimitri Medvedev, ce sommet marque « le début d’une nouvelle ère de coopération russo-africaine » (1). Ces propos renforcent l’idée d’une projection de la puissance russe en Afrique. En effet, à la fin de sa tournée en Égypte, au Nigéria, en Angola et en Namibie en 2009, ce dernier affirmait sur son blog que « désormais, notre devoir est de rattraper tout ce qui a été perdu » (2). L’Afrique centrale est aujourd’hui un lieu d’observation privilégié de dynamiques médiatiques. Cette région du monde abrite le plus grand nombre de conflits dits majeurs, c’est-à-dire qui coûtent la vie à plus de 1000 personnes par an (Sipri Yearbook, 2021).  L’information, sa diffusion, sa rétention, sa manipulation, ont constitué des armes puissantes dans les périodes de conflit. Avec l’échec de l’intervention américaine en Somalie au début des années 1990 et le génocide au Rwanda en 1994, l’actualité africaine, c’est-à-dire ici la représentation de la réalité qu’en donnent les grands médias occidentaux, a cheminé entre la compassion, le cynisme et le désespoir (Marthoz, 2005). Et, depuis lors, la plupart des médias occidentaux reflètent et suivent traditionnellement, dans leur ligne éditoriale, les priorités et décisions tant géopolitiques que géoéconomiques prises par leur pouvoir exécutif (Ungar et Gergen, 1991). L’apparition de médias de masse a décuplé ce potentiel en rendant possible de vastes opérations de propagande et d’embrigadement des esprits (Chaliand, 1992).

Parallèlement, elle a permis de renforcer les mécanismes démocratiques en éveillant les consciences citoyennes, en développant les capacités de pression de la population sur ses dirigeants, en permettant le contrôle critique de la gestion de la chose publique et en facilitant la circulation internationale de l’information (ibid.). L’Afrique centrale est également le siège d’une effervescence des médias inédite dans son histoire, ayant vu apparaître, ces quinze dernières années, des milliers de nouveaux journaux et des centaines de stations de radio dans des États jusque-là marqués par le monopole étatique sur le secteur (Frère, 2005). Elle constitue un réservoir d’expériences pour tous ceux qui s’intéressent au rôle des médias dans les situations de conflit ou de crise et un champ d’action central, voire un laboratoire, pour les organisations régionales et internationales. Mais aussi pour les institutions publiques, les organisations non-gouvernementales ou les acteurs des sociétés civiles locales. Ces derniers tentent de trouver, de forger, de mettre en œuvre et d’enraciner des solutions durables afin que les populations puissent évoluer dans un contexte de paix et relever le défi du développement, mais aussi concevoir des solutions auxquelles les médias peuvent contribuer de façon tout à fait significative (ibid.).

Dans une époque de globalisation où les médias sociaux ont révolutionné les moyens de communication entre les communautés, la capacité à influencer le récit d’un conflit est ainsi fondamentale. Aussi les États comme les groupes non-étatiques investissent-ils d’importantes ressources dans le récit qu’ils entendent faire passer et les moyens de le diffuser, débouchant sur un retour d’actions qui relèvent des guerres de manipulations de l’information (David et Schmitt, op. cit.) comme le présente le discours russe dans le tableau qui suit :

Tableau 1 : Le discours stratégique russe

Source : C.-P., David et O., Schmitt, La guerre et la paix. Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie, 4e édition, Paris, Presses de Science Po, 2020, p. 215.

Le contrôle des opinions publiques par la propagande, traduit par la subversion, l’amplification sur les médias sociaux et les manipulations de l’information, est un enjeu fondamental des conflits au XXIè siècle pour la Russie (David et Schmitt, op. cit.). Moscou a pour objectif, par le biais desdits médias, de restaurer une égalité stratégique et géopolitique avec Washington, et sortir du déclassement stratégique (Dumas, 2021) émis à son égard par l’ancien président américain Barack Obama dans la conduite des affaires et les prises de décisions internationales (Badie et Foucher, 2017). C’est dans cet objectif que le 18 juillet 2019, les enfants en République Centrafricaine (RCA) ont découvert un dessin animé dans lequel un lion attaqué par une multitude de hyènes fait appel à son ami l’ours, qui à son tour accourt depuis le Grand Nord pour l’aider à se défendre et à faire régner l’ordre en Afrique (Tchoubar, 2019). Dédié à la coopération entre la RCA et la Russie, ce dessin animé en français a été produit par Lobaye Invest, une société russe ayant obtenu des contrats d’exploration minière en RCA. Cet exemple illustre un élément nouveau dans la stratégie russe en Afrique subsaharienne : l’accompagnement des avancées diplomatiques par des campagnes d’influence dans les médias et sur les réseaux sociaux visant à légitimer et à promouvoir la présence russe dans le pays. La Russie admet ouvertement que les médias qu’elle contrôle comme Russia Today (RT) et Sputnik sont des instruments au service de son ambition de manipuler les audiences étrangères (Galeotti, 2019). Ainsi, « c’est le gouvernement qui dégage la piste à suivre par les médias. Bien qu’elle prétende être libre, la presse suit presque toujours la piste dégagée par son gouvernement » (Seaga Shaw, 2002). L’objectif étant de faire admettre et de promouvoir un récit ainsi qu’une vision du monde spécifiques, afin qu’en cas de conflit, les audiences soient par avance convaincues du bien-fondé de la position russe et contraignent donc les actions de leurs gouvernements (Fridman, 2018). Cette influence médiatique est d’une importance géopolitique certaine pour Moscou, dans la mesure où elle permet de « gagner les cœurs et les esprits » (Alleno, 2020) et d’inculquer des manières de faire, de penser, de réfléchir, de sentir, d’orienter aux Centrafricains pour un profit efficient, symbolique et matériel dans un contexte international mutant.

Le Kremlin propose de ce fait aux gouvernements africains un soutien informationnel pour assurer la pérennité de leur régime. Exportant un modèle d’influence médiatique ayant déjà fait ses preuves en Russie, Moscou n’hésite pas à recycler certains thèmes de prédilection tels que l’attachement aux valeurs traditionnelles et la représentation de l’Occident comme décadent (Tchoubar, op. cit.). À travers ce procédé, la Russie cherche à se démarquer des puissances occidentales et joue sur les sentiments anticolonialistes de la population : ainsi, en RCA et à Madagascar, la Russie déroule une campagne d’information négative contre la France (Forestier, 2018). Pour diffuser ces informations, la Russie s’appuie notamment sur des médias et journalistes locaux : en RCA, des journalistes ont dénoncé l’emprise de la Russie sur la ligne éditoriale de certains médias (Moloma, 2019). Les campagnes sur internet et les réseaux sociaux seraient, selon des documents obtenus et diffusés par le Dossier Centre de Mikhaïl Khodorkovski, orchestrées par l’Internet Research Agency liée à l’homme d’affaires russe Evgueni Prigozhin. Il dirigerait une « usine à trolls » à Saint-Pétersbourg à l’origine de campagnes d’influence à travers le monde via des faux profils sur les réseaux sociaux et des bots (Harding et Burke, 2019). Ainsi, un discours spécifique stratégique est développé par Moscou et diffusé de différentes manières : soit officiellement dans les cercles diplomatiques, soit officieusement (et parfois illégalement) par des actions de propagande, de subversion ou de désinformation. En complément à ce discours, le Kremlin reçoit le soutien d’entreprises privées russes dans son objectif d’aménagement en Centrafrique.

2. Le secteur privé : un outil au service de la diplomatie militaire et minière du Kremlin en RCA.

Le corollaire de la globalisation de la guerre est sa privatisation, avec l’émergence de fournisseurs de sécurité exclusivement privés ou transnationaux. Le monopole de la violence par l’État (internalisé depuis le XIXe siècle) est donc remis en question (Thomson, 1996) et érodé, à la fois par le haut selon des processus transnationaux et par le bas par des seigneurs de guerre, groupes paramilitaires ou rebelles. Dans les pays occidentaux, les États ont eux-mêmes contribué à la privatisation de la guerre par l’externalisation de nombreux services (Krieg, 2016). Les entreprises de sécurité se différenciant de groupes mercenaires ad hoc qui opéraient en Afrique pendant les années 1960 et 1970 par leur permanence, leur organisation hiérarchique et légale, et la volonté de générer du revenu pour l’entreprise (et les actionnaires) et non plus seulement pour la gloire ou le profit privé (Singer, 2003). Avant 2018, la Russie n’était pas présente en RCA. C’est en octobre 2017 que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a reçu le président centrafricain, Archange Touadéra, à Sotchi. Deux mois plus tard, la Russie obtenait de l’ONU une exception à l’embargo prohibant l’exportation d’armes en Centrafrique. À partir de ce moment, le rythme des échanges diplomatiques s’est accéléré : le président Vladimir Poutine a rencontré son homologue centrafricain Archange Touadéra à Saint-Pétersbourg le 23 mai 2018, et Mikhaïl Bogdanov, vice-ministre des Affaires étrangères russes, a effectué une visite en RCA le 16 mars 2019 (Tchoubar, op. cit.). De ces rencontres, plusieurs accords de coopération militaire sont signés et prévoient le déploiement de conseillers militaires russes en Centrafrique. En parallèle du rapprochement au niveau étatique, de nouveaux acteurs privés russes sont devenus force d’initiative pour le Kremlin. Il est symbolique en effet de constater que depuis la révolution dans les affaires militaires (Revolution in Military Affairs, RMA) à la fin de la bipolarité, qui privilégie entre autres la supériorité de l’information, a été mise en œuvre dans les puissances mondiales un dispositif d’intelligence économique et stratégique (IES). Ce dernier est basé sur la centralisation de l’information, du renseignement et de l’action publique de soutien (Conesa, 2003). La nouvelle mission de l’État devient alors l’aide aux entreprises sur les marchés importants à dimension stratégique et, d’une façon générale, à toutes les entreprises, qu’elles soient exportatrices ou simplement en concurrence avec des firmes étrangères (ibid.).

Dès lors, dans la nouvelle stratégie de Moscou, les entreprises privées occupent une place prépondérante : en plus du rôle joué par la société Wagner (société dont les domaines d’expertise sont la sécurité et le militaire, tout en ayant souvent recours au mercenariat) et l’Internet Research Agency (compagnie informatique russe dont l’objectif est de défendre et préserver les intérêts politiques et économiques russes dans le monde), des entreprises minières russes obtiennent des contrats d’exploitation en RCA, à Madagascar et au Soudan. Des sociétés telles que Ferrum Mining ou Lobaye Invest, ont pour la plupart été créées récemment et ont peu d’expérience dans l’extraction de ressources naturelles. Néanmoins, elles semblent avoir réussi dans certains pays à obtenir des contrats au détriment d’entreprises russes établies sur le continent de longue date, comme Alrosa, Nornickel, Renova, Rusal ou Norgold. Enfin, Evgueni Prigozhin aurait personnellement participé aux négociations de paix avec des groupes rebelles en RCA (3). En avril 2018, le chef d’État Archange Touadéra recrute un nouveau conseiller personnel en matière de sécurité : le Russe Valery Zacharov, ancien de la police et des douanes, ayant plusieurs fois travaillé en collaboration avec les structures d’Evgueni Prigozhin. En juillet 2018, des conseillers militaires russes de l’entreprise Wagner commencent à arriver à Bangui (Tchoubar, op. cit.), pour former les soldats centrafricains mais aussi pour sécuriser les activités de Lobaye Invest. Actuellement, 175 instructeurs militaires russes seraient en RCA (ibid.). Pour la plupart, il ne s’agit par de membres de l’armée régulière, mais d’employés de la société militaire privée Wagner, déployée en Ukraine et en Syrie. Ses employés sont officiellement chargés de former l’armée nationale, mais peuvent également assurer la protection d’hommes d’État, comme c’est le cas en RCA, où ils ont intégré la garde personnelle du président Archange Touadéra. Par ailleurs, Wagner protège les sites des entreprises russes sur le continent. Ses hommes seraient présents en République Centrafricaine, au Soudan, au Rwanda et à Madagascar, et pourraient prochainement faire leur apparition en République du Congo, avec qui la Russie a signé un accord en juin 2019 prévoyant le déploiement de conseillers militaires (ibid.).

À la même période, des contrats d’exploitation minière commencent à être attribués aux entreprises privées russes. C’est le cas de l’entreprise minière Lobaye Invest, liée, selon la presse, à Evgueni Prigozhin, qui obtient sept permis d’exploration ou d’exploitation de l’or et du diamant en RCA (4). Selon Africa Intelligence, la Russie a obtenu l’autorisation d’exploiter les mines d’or de Ndassima en échange de la pacification de la région (5). Moscou a effectivement participé à la signature des accords de paix de Khartoum en février 2019, non sans court-circuiter les négociations de paix menées par l’Union Africaine (Forestier, op. cit.). Avoir recours à une société militaire privée permet au gouvernement russe de se distancier des actions de cette dernière, tout en mettant en œuvre ses projets de puissance en Afrique. En effet, les médias et les organisations internationales ont à plusieurs reprises alerté sur le rôle controversé joué par les sociétés militaires privées russes : au Soudan, elles auraient participé à la répression violente des manifestations contre le gouvernement ; en Centrafrique, elles ont été accusées d’avoir été impliquées dans des cas de torture (Searcey, 2019). Le 31 juillet 2018, le décès tragique des trois journalistes russes Alexandre Rastorgouïev, Orkhan Djemal et Kiril Radtchenko, tués en RCA alors qu’ils enquêtaient sur l’entreprise militaire privée russe Wagner pour le centre d’investigation TsUR (Investigation ControlCenter) financé par Mikhaïl Khodorkovski, a attiré l’attention des médias sur la présence de la Russie dans le pays.

Les avancées sécuritaires et économiques de la Russie en RCA ont bénéficié d’un accompagnement médiatique favorable et assuré, grâce au financement de la chaîne de radio Lengo Songo et de plusieurs médias véhiculant des messages anticolonialistes et anti-français. Enfin, peu à peu, des entreprises russes historiquement présentes en Afrique ont également obtenu quelques opportunités de développement : le président Archange Touadéra a affirmé en avril 2019 que le gouvernement avait approché l’entreprise d’exploitation de diamants Alrosa pour lui proposer d’opérer en RCA. Rosatom aurait, pour sa part, déjà négocié l’exploration d’uranium dans la zone de Bakouma, où Areva avait opéré dans le passé avant d’abandonner le projet pour des raisons sécuritaires en septembre 2012 (Kalika, 2019). Ainsi, par ces différentes stratégies, Moscou s’efforce de réduire l’empreinte visible d’une rivalité avec d’autres puissances mondiales et émergentes en Afrique centrale.

Conclusion

Il appert, au vu de la précédente investigation, que depuis la fin de la guerre froide, les ressources naturelles africaines, jusque-là gérées comme des réserves stratégiques des anciennes puissances coloniales, sont désormais au cœur d’une concurrence entre les puissances traditionnelles et les nations émergentes dont les besoins en matières premières stratégiques paraissent illimités. Voulant avoir voix au chapitre Afrique, le Kremlin, dans une reconfiguration du jeu de puissance en Afrique centrale, use des médias et du secteur privé. Ces différentes manœuvres, exécutées en RCA, lui permettent de disposer de nouveaux partenaires qui rééchelonnent ses intérêts de puissance dans un espace international post guerre froide. En réponse à ces stratégies, pour éviter un déclassement stratégique dans un contexte marqué par la pandémie de Covid-19 qui accélère une période de transition, et dans laquelle se dessine un nouveau système international caractérisé par l’existence de plusieurs pôles de puissance, la France réadapte ses stratégies de puissance. Pour exemple, à la suite de la mort du président Idriss Déby Itno, le soutien français au Conseil Militaire de Transition (CMT), à la tête duquel trône le fils du défunt président de la République du Tchad voisin de la Centrafrique, exprime la détermination de la France à préserver ses intérêts dans ce pays hautement stratégique (Noah Edzimbi, 2021).

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Notes

  1. Discours de Dmitri Medvedev (2019) lors de la conférence d’Afreximbank à Moscou. www.government.ru, c. le 12 mai 2021.
  2. Dmitri Medvedev (2009), « Itogi poezdki po stranam Afriki (Egipet, Nigeria, Namibia, Angola) » [Bilan de la visite des pays d’Afrique (Égypte, Nigeria, Namibie, Angola)]. http://blog.da-medvedev.ru, c. le 12 mai 2021.
  3.  Searcey, Dionne (2019). Gems, Warlors and Mercenaries : Russia’s Playbook in Central African Republic. The New York Times.
  4. Selon des documents publiés par le ministère des Finances et du Budget de la République Centrafricaine, Lobaye Invest a obtenu : quatre permis d’exploitation pour l’or et diamant à Bangassou, Ouadda, Bria et Sam Ouandja, pour 3 ans le 4 avril 2018 ; un permis de recherche d’or à Yawa le 2 juin 2018 ; un permis d’exploitation pour l’or et le diamant à Yawa-Boda le 12 juin 2018 ; et une autorisation de reconnaissance minière dans la région de PAMA le 25 juillet 2018.
  5. Moscou met le cap sur l’or et les diamants (2019). Africa intelligence. www.google.fr, c. le 12 mai 2021.

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