Les instruments de l’Union africaine au prisme de l’implication de la jeunesse et des autorités traditionnelles à la reconstruction post conflit en Centrafrique et au Mali

RG v9n1, 2023

Nze Bekale Ladislas

nzebekale@yahoo.fr

Diplômé de l’ENA, Docteur en Histoire Militaire et Etudes de défense, Chef d’Unité à la Commission de l’Union africaine, membre du Réseau Consultatif des Nations Unies pour la Réforme du Secteur de la Sécurité. Enseignant vacataire au département d’histoire (Université Omar Bongo-Gabon), Chercheur au Centre d’Analyse et de Prospective sur les Afriques UQAM (Canada) et Chercheur associe au GRESHS (Ecole Normale Supérieure-Gabon).

Résumé

L’Union Africaine, comme institution chargée de la gouvernance de la sécurité collective du continent, développe une importante activité de reconstruction et de développement post conflit. Elle prône une popularisation de cette politique, à travers une approche participative ouvertes aux populations. Ses instruments énoncent les idées fondamentales relatives à cette implication. Ainsi, Cet article tente de confirmer la corrélation entre la doctrine de l’institution africaine et l’appropriation de ce processus par des catégories spécifiques de la population au Mali et en Centrafrique, notamment les détenteurs de l’autorité traditionnelle et la jeunesse.

Mots clés : Union Africaine, Post conflit, Popularisation, Mali, Centrafrique.

Abstract

The African Union as an institution in charge of the governance of the collective security of the continent, develops an important post-conflict reconstruction and development activity. It advocates popularizing this policy, through a participatory approach. Its instruments set out the fundamental ideas relating to this involvement. This article attempts to confirm the correlation between the doctrine of the African institution and the appropriation of this process by specific categories of the population in Mali and the Central African Republic, in particular the holders of the traditional authority and youth.

Keywords: African Union, Post conflict, Popularization, Mali, Central Africa Republic.

Introduction

La consolidation de la paix peut contribuer à prévenir l’éclatement de violents conflits, préparer la voie aux processus de rétablissement de la paix et les soutenir, aider à la reconstruction des sociétés après les conflits. En d’autres termes, la consolidation de la paix est utile avant qu’un conflit ne se déclare, pendant et après le conflit (Hilde, 2004). Il va sans dire que cette dimension du renforcement de la paix nécessite une vision et des actions opérationnelles. De ce fait, « la notion de post-conflit est devenue une grille de lecture et d’action internationale commune. Défini par les Nations unies, le concept de post-conflit désigne un modèle idéal de transition après une guerre, au sein duquel institutions internationales, Etat et acteurs civils, privés et associatifs œuvreraient ensemble pour surmonter les tensions et reconstruire une paix durable » (Cattaruzza, Dorier, 2015). La reconstruction post conflit est donc définissable comme une politique, non exclusive,  ouverte à une diversité d’intervenants. « La nécessite d’une reconstruction de l’Etat dans une période post-conflit s’intègre dans le cadre plus large de l’ambition de consolidation de la paix après les conflits armés. A ce titre, elle contribue comme toutes les activités de consolidation de la paix à créer un cadre propice à une paix durable, et à éviter ainsi une résurgence des hostilités » (Amvane, 2013). En dehors des programmes de démobilisation et de réintégration, elle met l’accent sur la reconstruction axée sur les communautés de base (BAD, 2001). Ceci pour étayer une certaine logique de démocratisation de la reconstruction post conflit par l’ouverture de cette politique aux populations, c’est-à-dire qu’elles sont à la fois réceptrices de l’ingénierie de la reconstruction et contributrices à la conduite de l’action y relative. D’une part « la popularisation est perçue comme l’auto saisissement par le peuple d’une réalité. D’autre part, elle est une action volontariste menée par certains acteurs faisant du peuple une cible » (Batchom, 2016) de l’action publique. Une paix viable et durable dépend non seulement de l’engagement des leaders politiques mais aussi de l’acceptation de la paix au sein de la population. La consolidation de la paix requiert la réconciliation et la promotion d’un règlement pacifique des conflits a tous les niveaux de la société : dans la hiérarchie militaire, politique, religieuse et dans celle des entreprises, dans la couche médiane de la société et à la base (Hilde, 2004). Pour consentir à cette idée d’une consolidation participative de la paix, l’Union Africaine suggère une appropriation nationale et locale de la reconstruction post conflit. Pour l’institution, « ce principe est critique pour s’assurer que les activités de la [Reconstruction et le Développement Post Conflit] RDPC, correspondent aux besoins et aspirations locales, encouragent une compréhension commune d’une vision partagée, optimisent et maximisent le soutien à la RDPC à travers le réengagement de la population envers sa gouvernance et garantissent la durabilité des efforts de relance » (Union Africaine, 2006). Cette dilation de l’action publique, de l’international aux populations, souscrit à l’idée selon laquelle « le réalisme qui conférait à l’Etat un rôle décisif dans les relations internationales, est inadéquat pour éclairer notre temps » (de Sernaclens, 2006). D’ailleurs les institutions étatiques « n’ont plus les capacités de promouvoir une identité collective nationale surplombant la multiplicité des réseaux de solidarité constituant leur société civile et la diversité des allégeances individuelles » (de Sernaclens, 2014). Les successeurs lointains de Kant et Tocqueville aux Etats unis ne considèrent pas les Etats (qu’ils ne voient pas unitaires) comme les seuls acteurs de la scène internationale : ils la partagent avec la société civile et des entités transnationales (Boene, 2018). L’action individuelle et l’action sociale s’inscrivent et s’analysent désormais à des niveaux multiples : elles s’élaborent en référence à un espace national de moins en moins prioritaire, alors que le local, le régional supranational et, de plus en plus, le transrégional acquièrent une importance sans cesse réévaluée (Badie, 2018). Cette reconfiguration de l’espace publique consolide « la montée en puissance des acteurs non étatiques, encore appelés « acteurs transnationaux ou acteurs globaux, [et] constitue la seconde révolution. Cette catégorie est hétéroclite et memo contradictoire, faite d’acteurs organisés à vocation solidariste, comme les ONG, à vocation de prosélytisme, comme les acteurs religieux, cherchant à jouer de leur influence, comme les médias, ou tout simplement individuels et agrégés, comme chaque être humain accomplissant un acte international » (Badie, 2016).

La pensée sécuritaire rénovée de l’UA soutient donc « des approches de consolidation de la paix plus inclusives et participatives, qui tiennent compte des besoins des femmes et des jeunes, ainsi qu’à promouvoir les possibilités et le potentiel des sociétés en tant qu’agents de changement positif, afin de renforcer la cohésion sociale et d’assurer une croissance et un développement durables » (Union Africaine, 2022a). Parce que la RDPC est d’abord et avant tout un processus plus politique que technique, l’UA offre un leadership et un contrôle stratégique des termes d’engagement de l’ensemble des acteurs impliqués dans les efforts de RDPC sur le continent (Union Africaine,2006). Pour l’institution « un lien organique entre le gestionnaire de la RDPC et la population en général est impératif » (Ibid.). Les organisations communautaires et autres organisations de la société civile, notamment féminines, [la jeunesse ; les autorités traditionnelles et religieuses sont invitées] à participer activement aux efforts visant à promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique (Ibid., p. 27). Les politiques publiques internationales ne sont pas exclues de cette volonté d’ouvrir la participation citoyenne au contrôle de la réalisation de ces politiques à toutes les échelles de l’action publique (Nze Bekale, 2022). Les politiques publiques internationales définissent « l’ensemble des programmes d’action revendiqués par des autorités publiques ayant pour objet de produire des effets dépassant le cadre d’un territoire stato-national » (Petiteville, Smith, 2006 : 357). Ces postulats sont observables dans la vision de l’UA, qui fait de la société civile au sens large un acteur de la reconstruction post conflit aux côtés des acteurs institutionnels. Cette redondance pédagogique prouve que « la sécurité, traditionnellement monopolisée par l’Etat, cesse d’être un sujet tabou. Le choix de cette démarche citoyenne semble indiquer un changement dans la fabrique des politiques de sécurité, au regard de la place centrale de la société civile dans ce processus. Concept dont l’usage est très controverse en Afrique, la société civile est ici perçue dans sa conception large c’est-à-dire englobant l’ensemble des acteurs organisés existant en dehors de la sphère étatique (Auer, 1999 ; Lavigne Delville, 2015 ; Gibbon, 1998 ; Otayek, 2009)[1].  Un ensemble de réformes mises en œuvre principalement depuis les années 2000 a accéléré l’ancrage de la participation citoyenne. C’est enfin le paradigme de la Réforme du Secteur de la Sécurité dans le contexte de la lutte contre le terrorisme (Saidou, 2019). Le corpus doctrinal de la participation populaire à la lutte contre le terrorisme en Afrique débute avec la définition de la participation politique qui constitue (Nze Bekale, 2022b) un « ensemble des pratiques (voter, manifester, militer, participer à des réunions) et des manifestations d’intérêt (s’informer sur la politique, parler de politique) des gouvernés à l’égard des affaires publiques touchant la commune, la région, l’Etat et même l’humanité entière » (Nay, 2008). D’autres sont des « formes de participation protestataire [ou de réplique contre une menace] » (Ibid.). La reconstruction post conflit, aux dires du cadre de reconstruction post conflit de l’UA mais pas exclusivement, favorise ces différentes manifestations de la participation populaire.

En travaillant sur une thématique de science politique, notamment les relations internationales, le constructivisme comme cadre théorique parait adapté à cette contribution. Tout comme sa vision « des relations internationales et de la politique étrangère se concentre sur les structures normatives internationales et de leurs effets et l’interaction entre les structures internationales et les agents locaux du changement » (Lauterbach, 2011). Pour les constructivistes, « les règles et les normes jouent un rôle essentiel pour guider le comportement des acteurs internationaux et structurer la vie internationale en général » (Lynch, Klotz, 1999). Une approche se plaçant au niveau du système ne repose pas sur la seule interaction des Etats pour expliquer la (re)formation des intérêts. La plupart des constructivistes insistent sur l’importance des institutions internationales, des structures sociales mondiales, comme composantes du système international (Ibid., p.57). Cette approche élargit donc le débat sur la nature des différents agents à l’œuvre sur la scène internationale (Ibid., p.58). En incluant explicitement les communautés épistémiques, les catégories sexuées, les mouvements sociaux, les réseaux d’ONG ou de mouvements thématiques dans la rubrique agent (Ibid.). Il s’agit de considérer « pour principal objet les croyances, cultures, discours, cadres cognitifs, habitus, identités, idéologies, normes, représentations, symboles et visions du monde (termes ici rassembles sous la notion de conceptions collectives ou partagées) et étudie leurs incidences sur les interventions de paix (Autesserre, 2011). Ce remodelage de la scène internationale, s’accommode avec la gouvernance comme régulatrice et normative des interactions entre les différents agents constitutifs de cet espace. Selon l’institution africaine, « la gouvernance politique implique la répartition et l’exercice du pouvoir du niveau national aux niveaux locaux. Elle englobe la promotion de la bonne gouvernance démocratique et ses valeurs centrales, tel que requis dans le préambule de l’Acte Constitutif » (Union Africaine, 2006). Les éléments centraux de la bonne gouvernance politique, comprennent la participation politique, dans les situations post conflits, nécessitent la promotion d’une politique inclusive (Ibid.). Des systèmes de gouvernance cohésifs et réceptifs allant du niveau national aux niveaux populaires. Ainsi, le rôle et la participation des femmes [les jeunes et la société civile], y compris leur accès au pouvoir et à la prise de décision, nécessitent d’être particulièrement soulignés et encouragés (Ibid.). Dans ce contexte, il est convenable de souligner, d’un point de vue pratique que « les activités de l’UA visent à coordonner et harmoniser les efforts en vue de relever les défis politiques auxquels le pays [en situation post conflit] est confronté, afin d’assurer la stabilité à long terme, le développement et la prospérité du pays » (Union Africaine, 2017). Sous-entendu une action inclusive nécessitant l’avis des populations. Par exemple « dans le cadre des projets à impact rapide en Somalie, l’UA a alors soutenu les principaux projets consistant à l’appui à l’administration locale à Afgoye, dans le District de Shabbelle inférieur, la rénovation et l’achat de matériels de bureau au profit du poste de police de Caterpillar » (Ibid.). Des initiatives réalisées en consultation, si non avec la participation des populations, une situation favorable à l’adaptabilité de la politique de RDPC de l’UA dont le Conseil de paix et sécurité (CPS) demande « d’examiner d’urgence le projet de politique révisée en matière de RDPC, en tenant compte des contributions de tous les États Membres » (Union Africaine, 2022b). Un exercice qui permettrait d’intégrer les aspirations des populations en tant que partie prenante de la reconstruction post conflit. Dans le même ordre d’idées, le CPS invite la Commission de l’UA, le Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs « (MAEP) et les partenaires concernés à convoquer une conférence sur la gouvernance locale, la paix, la sécurité et le développement » (Union Africaine, 2022c) probablement courant 2023.

A propos de la méthodologie, « la multiplication des régimes internationaux et l’institutionnalisation des relations internationales dont ils sont porteurs constituent des facteurs particulièrement propices à des approches de sociologie de l’action publique » (Petiteville et Smith, 2006, p.359). Ces méthodes et la sociologie des relations internationales facilitent l’analyse et la compréhension des « groupes sociaux divers dans la construction et la mise en œuvre des formes pratiques comme symboliques de l’activité politique, et d’autre part sur les représentations collectives des agents qui font exister ces différents groupes » (Saurugger, 2008). Elles sont donc mobilisées pour la réalisation de cette étude tout comme le droit international. La problématique centrale de cet article interroge l’alignement, de la participation de la jeunesse et des autorités traditionnelles à la reconstruction post conflit au Mali et en Centrafrique sur les instruments de l’Union Africaine. L’objectif de cet article est donc d’établir l’opérationnalisation des dimensions théoriques de la politique de reconstruction post conflit de l’UA, notamment celles relatives à la contribution des populations, par la jeunesse et les autorités traditionnelles au Mali et en Centrafrique. De ce fait, l’hypothèse suivante est émise : il est possible d’établir une corrélation entre la théorie de l’UA et le rôle de la jeunesse et des autorités traditionnelles dans la reconstruction post conflit. Etant un processus endogène exigeant une approche holistique, elle est difficilement concevable sans une véritable participation des jeunes (1) et des autorités traditionnelles (2).

1. La fondamentale ouverture de la reconstruction post conflit à la jeunesse au Mali et en Centrafrique

La participation politique est restée identifiée au seul taux de participation annoncé lors des soirées électorales. De nouvelles formes sont apparues ou simplement revendiquées qui ont pour nom démocratie participative, débat public, démarches citoyennes et visent à assurer une meilleure présence des citoyens dans les circuits de la décision publique (Duran et Truong, 2013). De cette possible participation aux politiques, la reconstruction post conflit se présente comme étant accessible, si on se réfère à l’invitation des textes de l’UA (1) aux Etats membres plaidant pour une participation de la jeunesse à la consolidation de la paix. Cette implication est rendue effective par le Mali et la Centrafrique (2) à travers une variété d’initiatives.

1.1. L’Union Africaine et la participation de la jeunesse à la reconstruction post conflit

    Les jeunes représentent une forte proportion des personnes qui subissent les effets des conflits armés, y compris comme refugies et déplacés, et que le fait qu’ils soient privés d’accès à l’éducation et de perspectives économiques est fortement préjudiciable à l’instauration durable de la paix et à la réconciliation (ONU, 2015). La plupart des jeunes Africains n’ont pas choisi la voie de la violence. Beaucoup ont mené des manifestations dont un nombre record a été observé à travers l’Afrique ces dernières années. Cela soulève la question de savoir comment les jeunes peuvent s’engager de manière significative et constructive dans leur pays, en poussant à des reformes et à une sécurité améliorée (Biar Ajak, 2021). Comme, les politiques publiques sont du même coup de plus en plus liées à des procédures de consultation et de participation susceptibles d’assurer une emprise spécifique des assujettis et des citoyens sur l’action publique en même temps qu’elles sont sources d’information pour les pouvoirs publics (Duran et Truong, 2013). L’avis et l’expertise, de la jeunesse en tant qu’acteur sociopolitique, sont inévitables dans l’élaboration et la réalisation de l’action publique. C’est pourquoi les jeunes « devraient prendre une part active à l’instauration d’une paix durable et œuvrer à la justice et à la réconciliation, et que l’importance démographique de la jeunesse actuelle est un atout qui peut contribuer à instaurer durablement la paix et la prospérité économique, si tant est que des politiques inclusives soient en place » (ONU, 2015). En effet, « la jeunesse africaine est impliquée dans une variété d’activités visant à résoudre les conflits et à renforcer la cohésion sociale. Ces efforts ont exploité le talent et la créativité de la jeunesse africaine, et les ont canalisés afin de reconstruire les liens sociaux, d’encourager le dialogue et de faciliter l’apaisement et la réconciliation » (Biar Ajak, 2021). Les Etats Membres [particulièrement ceux de l’UA] doivent envisager de formaliser une approche du développement inclusif commune aux différents organismes des Nations Unies essentielle pour prévenir tout conflit et asseoir durablement la stabilité et la paix, et soulignant à cet regard combien il importe d’identifier et de s’attaquer à l’exclusion politique, économique sociale, culturelle et religieuse et à l’intolérance, ainsi qu’à l’extrémisme violent, qui peuvent faire le lit du terrorisme comme autant de facteurs de conflit (ONU, 2015). Le rôle et l’implication, de la jeunesse africaine à la paix et la sécurité, sont établis notamment les possibilités offertes à cette jeunesse pour ses actions dans la construction et la consolidation de la paix au niveau continental, régional, national et de la micro-gouvernance. « Aux niveaux, continental, des Communautés économiques régionales (CER) et des Etats, des mécanismes exclusivement dédiés à la jeunesse africaine ont été institués pour permettre une interaction constructive entre les organes de l’UA et de la jeunesse. En revanche, on observe une contradiction entre le rôle des Etats membres et la responsabilisation de la jeunesse sur ces questions, ainsi apparaissent une série d’actions spontanée de la jeunesse dans différents contextes lorsque la paix et la sécurité sont compromises » (Nze Bekale, 2022c). En ce qui concerne les initiatives et les activités de reconstruction post conflit la jeunesse est plus qu’interpellée sur ce terrain. Pour ce faire, il est loisible d’examiner successivement la rhétorique institutionnelle et les conditions de construction d’un espace participatif de la jeunesse à la consolidation de la paix en Afrique. « Il importe de concevoir des politiques pour la jeunesse qui viennent renforcer les activités de consolidation de la paix et notamment favoriser le développement économique et social, appuyer les projets de développement de l’économie locale et offrir aux jeunes des perspectives d’emploi et de formation technique, en stimulant l’éducation, l’esprit d’entreprise et l’engagement politique constructif de la jeunesse » (ONU, 2015).La jeunesse africaine est particulièrement critique envers les institutions régionales et continentales, elle estime qu’elles sont insuffisamment à l’écoute des populations et particulièrement de la jeunesse. Face à ce qui surgit comme un dialogue de sourd, il faut établir les moyens d’interaction entre l’UA et la jeunesse en matière de paix et sécurité (Nze Bekale, 2022c). Pour l’Agenda 2063 de l’UA, « les mécanismes nationaux et autres mécanismes de règlement pacifique de conflits seront fonctionnels et une culture de paix sera prodiguée aux jeunes Africains par le biais de l’intégration d’une éducation de paix dans tous les programmes scolaires. L’Afrique disposera de mécanismes bien construits pour le règlement des conflits, la désescalade des conflits et la réduction de la menace ». Les jeunes seront les pionniers de nouvelles entreprises de savoir et apporteront une contribution significative à l’économie. D’ici 2063 toutes les formes d’inégalité, d’exploitation, de marginalisation et de discrimination systématiques des jeunes seront éliminées et les questions concernant les jeunes seront intégrées dans tous les programmes de développement (Union Africaine, 2015). Ainsi l’UA reconnait, le rôle important que la jeunesse africaine joue aux niveaux national, régional et continental, en contribuant à la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité, ainsi qu’au développement en Afrique, dans le cadre de la mise en œuvre de la Feuille de route principale de l’UA sur les Mesures Pratiques pour Faire taire les armes en Afrique d’ici 2020, et de l’Aspiration numéro 4 de l’Agenda 2063 (Union Africaine 2020a). Le communiqué 899 du CPS incite donc « les Etats Membres sortant de conflits de redoubler d’efforts et de s’attaquer de manière globale aux causes profondes des conflits en reconstruisant, notamment, des sociétés inclusives, en renforçant les capacités des institutions publiques ». Tout autant que ces dernières sont sollicitées pour l’implication « des jeunes dans la conception et la mise en œuvre réussie des processus de réconciliation et de cohésion nationales, en vue de renforcer l’inclusion et la participation de toutes les composantes de la communauté nationale, y compris à travers un processus continu de décentralisation ». Ils sont donc invités à continuer d’intégrer et de faciliter la participation des jeunes à toutes les étapes des processus de paix et au développement national, entre autres, en relevant tous les défis qui empêchent une participation effective et significative des jeunes à la gestion des affaires de leurs pays, tant dans les zones rurales que dans les zones urbaines, comme étant déterminant pour Faire taire les armes en Afrique (Union Africaine, 2020b.).  

    L’Union Africaine considère la participation comme un processus politique crédible pouvant favoriser la construction d’une intégration dirigée par des citoyens africains parmi lesquels les jeunes du continent (Nze Bekale, 2022a, p.246). Pour ces raisons, il faudra promouvoir la formation des jeunes pour soutenir les activités de reconstruction et de stabilisation des zones touchées par la guerre, en veillant à ce que les besoins spécifiques des jeunes femmes et hommes soient satisfaits, et les capacités des jeunes à agir en tant qu’agents de secours et de relèvement dans les situations de conflits et post-conflits soient renforcées et consolidées (Union Africaine, 2020a p.15). Des institutions responsables, inclusives et réactives contribuent à la prévention des conflits et aident à identifier les priorités nationales pour la construction et le maintien de la paix, y compris la mise en œuvre de stratégies pertinentes. La consolidation de la paix est mieux soutenue lorsque le grand public profite de ses dividendes, qui comprennent une coexistence pacifique et sure (Union Africaine, 2020c p.11). Le tryptique jeunesse, paix et sécurité relève d’une question transversale qui recoupe les programmes de protection sociale, de consolidation de la paix et d’autonomisation. Dans toutes les situations de conflit en Afrique, les jeunes ont été et sont au centre de l’instabilité, à la fois comme victimes, acteurs et, de plus en plus, comme moteurs potentiels du changement. Les organisations et réseaux locaux dirigés par des jeunes ont une compréhension nuancée du contexte local et savent comment naviguer dans les environnements dans lesquels ils opèrent. (Ibid., p.15).

    1.2. L’effectivité de la participation de la jeunesse à la reconstruction post conflit

    Le CPS a signifié l’impérieuse nécessité de faire « des efforts collectifs, ainsi que des approches inclusives de RDPC, qui facilitent la participation active des femmes et des jeunes » (Union Africaine, 2021), sous le contrôle des autorités nationales et des partenaires internationaux. Cette dynamique peut être lue comme un outil de cadrage en douceur de l’échelon local, permettant de canaliser certaines personnalités et tendances centrifuges en leur donnant une représentation à cet échelon mineur de la vie politique (Dorier et Mazurek, 2015). Le Mali a ainsi institué un programme spécifiquement dédié à la jeunesse pour sa contribution à la reconstruction post conflit. En soulignant l’essentialité d’instituer des mécanismes, cadres appropriés pour la promotion de la culture de la paix, de la tolérance, avec une implication inconditionnelle de la jeunesse (Nze Bekale, 2022c, p. 6).

    L’accord de paix exprime clairement « la reconnaissance, la promotion de la diversité culturelle, linguistique et la valorisation de la contribution de toutes les composantes du peuple malien, particulièrement celle des jeunes, à l’œuvre de construction nationale »[2]. Le programme de gouvernance locale redevable (PGLR) post conflit a été conçu à partir d’une analyse des causes des conflits et des conséquences qu’ils pourraient engendrer. Par son caractère social sensible et souvent violent, la gestion des conflits liés au foncier est le domaine par excellence de l’administration et des vieux sages des communautés villageoises. Toutefois sous l’influence des jeunes leaders, des jeunes ont pu occuper des postes au sein des commissions chargées de la gestion des conflits. Evidemment, avec l’extension du PGLR, le nombre de conflits recensés a augmenté aussi. De 2018 en 2019, le nombre de conflits réfères aux commissions a presque doublé dont la moitié est gérée (46%) et résolue à la satisfaction des parties en conflit (Wennik, Keita, Fomba, 2020). Cette initiative montre l’importance du rôle de la société civile [avec une jeunesse particulièrement active], comme acteur du tissu social, mais aussi comme interlocuteur pertinent et particulièrement représentatif des besoins et préoccupations des populations (Giarmana, 2009). La majeure partie de population malienne est composée des jeunes hommes et femmes qui aspirent participer à la prise de décision politique au niveau local. Une certaine autonomie financière et économique donne plus de garantie que les jeunes prendront leur part de responsabilité dans le processus démocratique à la base (Wennik, Keita, Fomba, 2020). Il est impérieux que la jeunesse soit impliquée au contrôle [de la reconstruction post conflit] et que les institutions politiques et administratives considèrent ses aspirations (Nze Bekale, 2022c). Le mouvement des jeunes n’a plus été un objectif en soi mais est devenu un moyen (résultat) pour contribuer à l’objectif spécifique, améliorer la gestion des affaires publiques locales qui, à son tour, concoure à l’objectif global, contribuer au développement des services sociaux de base. L’amélioration de la gestion des affaires publiques s’est étendue à la redevabilité des organismes de gestion des services publics et leur gouvernance en général (Wennik, Keita, Fomba,2020). Dans le cadre des actions de reconstruction post conflit, « les jeunes ont effectué le diagnostic suivant les principaux thèmes du PGLR en faisant un état de lieux de leurs communes et en identifiant les activités pouvant être menées sous les thèmes. Les rapports de diagnostic ont été restitués aux acteurs locaux clés et adaptés par la suite (Ibid. p . 19).

    La réalisation de cette prospection constitue un moyen de consolidation de la connaissance et de la compréhension de la réalité sur les contributions multiples et multiformes de la jeunesse à la paix et à la sécurité en Afrique (Nze Bekale, 2022c). Les jeunes ont élaboré des plans d’action, inspirés des résultats du diagnostic institutionnel local, qui ont été adaptés et validés par les acteurs locaux clés au Mali (Wennik, Keita, Fomba, 2020). Les preuves ont montré que certaines des initiatives du RDPC les plus innovantes sont celles qui tirent leurs priorités clés d’interactions adéquates avec la communauté cible d’une manière organique et ascendante plutôt que conçue, imposée et mise en œuvre de l’extérieur. Quelle que soit la situation dans laquelle ils se trouvent, les groupes de jeunes dans les sociétés sortant d’un conflit reconnaissent la nécessite de s’impliquer activement (Union Africaine, 2020b p109). Sur le plan de l’organisation, le PGLR se caractérise par un dispositif d’intervention ascendant avec une base locale formée par les jeunes leaders qui constituent une avant-garde dans la mobilisation pour [ une reconstruction post conflit résiliente des institutions et de] la gouvernance redevable. Ils sont accompagnés et appuyés dans la mise en œuvre de leurs plans d’action par un réseau de conseillers qui sont bien ancrés dans le milieu (Wennik, Keita, Fomba, 2020). Toutes ces activités de refondation post conflit de l’Etat, de par leur caractère inclusif, ont enregistré une participation massive et efficiente des jeunes (Union Africaine, 2020b). L’UA considère la jeunesse comme un acteur indispensable de la construction d’une Afrique prospère et en paix au regard de sa participation potentielle aux différentes initiatives de paix à travers l’Afrique (Nze Bekale, 2022a,p. 247). Un groupe de jeunes engagés dans la reconstruction post conflit a élaboré un « document de stratégie appelant les jeunes à être conscients de leur rôle dans l’établissement et la consolidation de la paix et insiste sur le fait que le développement et l’amélioration des conditions de vie pourront être réalisés à travers un investissement soutenu dans la paix et la sécurité. Enfin, le groupe reconnait qu’il existe des variations dans les perceptions des jeunes quant à leur rôle dans la société au sein de leur pays et dans la région du Sahel » (Wennik, Keita et Fomba, 2020). S’appuyant sur les instruments de l’UA et les cadres politiques nationaux, ainsi que l’accord de paix d’Alger, la jeunesse malienne démontre pleinement son engagement aux processus multiples de reconstruction post conflit, on peut éventuellement présumer que cette logique se poursuive en Centrafrique.

    Les principes de subsidiarité et de complémentarité entre les différents acteurs de l’UA sont la preuve d’une continuité, du niveau continental, du moins l’impulsion d’une vision sur jeunesse, paix et sécurité par le CPS, à la CER dont les pouvoirs sont aussi la transposition des politiques africaines à son niveau. Précisément la mise en œuvre d’un cadre politique et institutionnel adéquat à la participation de la jeunesse à la paix et à la sécurité (Nze Bekale, 2022c, p. 7). Conscient du fait que « la population de la RCA est très jeune (60% de la population est âgée de moins de 24 ans) et les jeunes sont disproportionnellement touchés par le sous-développement et les impacts néfastes des crises. Ils sont souvent empêchés de participer pleinement aux processus politiques, et leur accès aux opportunités socio-économiques est restreint. Leur marginalisation fragilise la stabilité et la paix, car elle fait d’eux une proie facile pour les milices souhaitant les recruter » (Banque mondiale, 2016). Les autorités sont déterminées à « accompagner les efforts, aux niveaux national et local, pour faire participer davantage les jeunes, les organisations confessionnelles et, dans la mesure du possible, les personnes déplacées et le refugiés au processus de paix, notamment à l’Accord de paix de Khartoum » (ONU, 2015). Il convient donc de reconnaitre les impacts en termes de genre de la crise sur les jeunes, et d’identifier les besoins, rôles et potentiels spécifiques et souvent divergents de la jeunesse dans le processus de consolidation de la paix, de relèvement de l’économie et de construction d’une société plus juste, équitable et solidaire. La réponse aux besoins et rôles spécifiques des jeunes hommes et des jeunes femmes leur permettra de jouer leur rôle d’agent de changement positif (Banque mondiale, 2016). La participation des jeunes, est particulièrement importante au niveau préfectoral [et au-delà], où son implication sera nécessaire pour faire le suivi de la mise en œuvre des dispositions de l’accord. Ils assureront la mise en œuvre rapide des dispositions de l’Accord et aideront à résoudre tout différend entre l’Etat el les groupes armes de manière pacifique, à travers le dialogue (ONU, 2015). Dans le domaine de la RDPC, l’une des initiatives les plus concrètes des jeunes est la Plateforme interconfessionnelle de la jeunesse centrafricaine (PIJCA) visant à prévenir et gérer les conflits sectaires en Centrafrique. Son objectif principal est de favoriser le dialogue en vue de mettre fin à la violence, de promouvoir la paix et de reconstruire leurs communautés respectives. Le groupe a joué un rôle de premier plan pendant le pic de violence à Bangui, en organisant plusieurs activités pour atteindre et persuader les groupes belligérants de travailler sur une médiation pacifique (Union Africaine, 2020b). La Centrafrique et d’autres pays africains confrontés aux problèmes sécuritaires « ont aujourd’hui recours aux citoyens [y compris la jeunesse] et à la société civile pour combattre l’extrémisme. Par conséquent, la doctrine soutenant la lutte contre le terrorisme, consacre une participation active des populations » (Nze Bekale, 2019) aux actions sécuritaires. Cette participation s’entend naturellement des actions relatives à la reconstruction post conflit.  En Centrafrique en raison de son identité multiconfessionnelle et de son expérience croissante dans le soutien au retour à la paix et à la réconciliation à travers ses projets pour les jeunes ex-combattants ainsi que les femmes à Bangui et dans d’autres villes comme Boeing, Boda, Berberati et Carnot, [un groupe de jeunes impliqué dans la consolidation de la paix] a acquis une réputation publique en tant que groupe de jeunes crédible et influent à l’avant-garde de la contribution positive à la paix et à la sécurité en RCA (Union Africaine, 2020b, p.29).

    La libéralisation de l’action et de l’espace politique, la gouvernance et la participation sont des préceptes permettant d’agir inclusivement, pour une meilleure gestion des affaires à tous les niveaux de la vie publique (Nze Bekale, 2022b, p. 333). Alors que les Etats membres se sont engagés à réaliser les obligations, en la matière, émanant de l’UA, sur le terrain de la paix, la jeunesse est d’une visibilité déconcertante à l’opposé de la tiédeur de l’action des Etats membres (Nze Bekale, 2022c, p. 12). Les initiatives concrètes et visibles de désarmement et de démobilisation (DDR), de Réforme du secteur de la sécurité (RSS) sont limitées. Un groupe de jeunes en RCA a démontré l’importance d’accorder une plus grande attention aux questions de DDR/RSS, en particulier en ce qui concerne la réhabilitation et la réintégration des anciens combattants ou délinquants dans la société (Union Africaine, 2020c, p. 28). En outre, le PIJCA a fourni un soutien matériel et financier à d’anciens jeunes vi combattants pour leur permettre de gagner leur vie comme la pêche et l’agriculture, en particulier à Kulamandja. Cette évolution a considérablement contribué à réduire la vulnérabilité économique des jeunes ex-combattants et les a rendus moins disposés à retourner dans les tranchées (Ibid.) Il a également encouragé et facilité une aide humanitaire sure, notamment celle d’ONG nationales et internationales ainsi que du personnel de la Mission des Nations Unies en République centrafricaine, MINUSCA, dans le 4eme arrondissement de Bangui. Notamment, ce quartier était à une époque l’épicentre de violentes batailles dans le pays (Ibid.).

    2. Les autorités traditionnelles et religieuses : Des acteurs importants à la reconstruction post conflit

    Les acteurs internationaux jouent depuis près de quinze ans un rôle supplétif dans le traitement social de la reconstruction. Ils agissent à travers des programmes autonomes, ou par financement de projets ministériels, suivant la grille d’action standard : Désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) (Dorier et Mazurek, 2015). La participation des populations contribue à la vulgarisation et à l’inclusivité de ces actions post conflit, ainsi « la démocratie participative [facilitant une participation populaire aux politiques] est toujours partie prenante de dispositifs institutionnels, il est alors pertinent d’en évaluer la portée, tout particulièrement sur les participants eux-mêmes » (Ibid., p. 6). La reconstruction post conflit en, tant que processus inclusif, peut en administrer les preuves sur la participation des autorités traditionnelles et religieuses (1). En effet, l’Union Africaine en fait des acteurs essentiels tout comme les Etats rendent leur participation effective (2).

    2.1. L’Union Africaine et l’implication des autorités traditionnelles et religieuses à la reconstruction post conflit.

    La gouvernance est assurée par « un ensemble complexe de relations politiques entre de nombreux acteurs différents-officiels et non-officiels-nationaux et locaux -qui interagissent de différentes façons ». Ces acteurs peuvent comprendre, par exemple, un assortiment de municipalités, de chefferies traditionnelles, de regroupements associatifs et d’institutions religieuses (Mohamed et Mechoulan, 2918). Les organisations de la société civile [particulièrement les autorités traditionnelles et religieuses] jouent un rôle de régulateur social, en remplaçant l’État dans les fonctions régaliennes qu’il ne peut assumer (Giarmana, 2009) encore plus dans la reconstruction post conflit. La gouvernance locale peut servir de laboratoire à des manières innovantes d’élaborer les politiques (Ibid., p. 3), particulièrement dans la mise en œuvre des politiques de reconstruction post conflits inclusives et participatives. La gouvernance locale dispose d’un avantage particulier sur ce terrain, en ce sens qu’elle regorge les connaissances relatives aux dynamiques et subtilités locales indispensables à la consolidation de la paix. Comme composantes de l’organisation et du fonctionnement de certaines dimensions de la gouvernance locale, « la symbiose, entre mécanismes traditionnels et démocratie participative par le biais des différents conseils mis en place dans les villages et quartiers [mais pas uniquement], constitue un facteur de maintien et de consolidation de la paix tout en contribuant à la culture de la paix à la base » (Nze Bekale, 2021a). Les populations d’Afrique ont fait des mécanismes traditionnels, qui ont servi autrefois à la sécurité des villages ou des lieux d’habitation contre le banditisme, des moyens de lutte contre la progression (Nze Bekale, 2021b) de l’insécurité à l’époque contemporaine tout comme des moyens de prévention des conflits et de consolidation de la paix. « Afin de maintenir un environnement pacifique et de promouvoir la paix d’une part, [l’on doit] permettre aux acteurs communautaires et traditionnelles d’y participer pleinement par des initiatives de cohésion et de dialogue social dans une perspective de consolidation de la paix d’autre part. Pour atteindre ces aspirations, la société africaine s’appuie sur les détenteurs du pouvoir et de l’héritage traditionnels symbolisés par des connaissances particulières utilisables pour préserver la paix et la résolution des conflits. Le pouvoir et le rôle des autorités traditionnelles sont indispensables dans la gouvernance de la paix en Afrique notamment dans la posture d’une localisation de la culture et de la paix » (Nze Bekale, 2021a, p. 7).

    Les autorités traditionnelles et religieuses sont d’importants interlocuteurs de la popularisation des politiques publiques et subséquemment de la vulgarisation (Nze Bekale, 2022a, p. 240) de la reconstruction post conflit. « Le poids des chefs traditionnels en tant qu’autorités morales, tant aux yeux des populations que des gouvernants au sommet de l’Etat, leur permet de régler des différends qui, normalement, sont du ressort des institutions étatiques » (Ibid.). Elles sont généralement des intermédiaires entre les populations et les autorités tout en jouant le rôle d’éducateurs et de promoteurs de la culture de la paix dans les villages et quartiers. La Charte africaine de la décentralisation reconnait la position des traditions, des détenteurs de l’autorité et des savoirs traditionnels dans les sociétés africaines étant donné que l’instrument juridique envisage de façon tacite la responsabilité des autorités traditionnelles dans la gestion des conflits et la promotion de la paix (Ibid., p. 6). Les actions de promotion et de consolidation de la paix en Afrique sont indissociables des autorités et savoirs traditionnels, en ce sens que la paix et la pacification des sociétés sont inséparables de l’environnement culturel des populations (Ibid., p. 8).

    La reconstruction post conflit selon l’UA demande une appropriation nationale et locale, sous-entendu que toutes les composantes du pays à tous les niveaux de la vie politique et sociale sont sollicitées pour la garantie de son caractère inclusif et populaire. Le principe d’inclusion « est critique pour s’assurer que les activités de la RDPC correspondent aux besoins et aspirations locales, encourage une compréhension commune d’une vision partagée, optimise et maximise le soutien à la RDPC à travers le réengagement de la population envers sa gouvernance et garantit la durabilité des efforts de relance » (Union Africaine, 2006). La gouvernance dans les situations de post conflits nécessite la promotion de la politique inclusive et du pluralisme de façon à contribuer positivement à l’édification de la nation. Ainsi, le point de concentration des activités dans cet élément constitutif a trait à la transformation du leadership et de la société, à travers des processus de développement de la vision nationale collective fournissant des systèmes de gouvernance cohésifs et réceptifs allant du niveau national aux niveaux populaires (Ibid., p. 15) y compris le niveau communautaire notamment avec son leadership traditionnel. Il faut donc veiller à « guider l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques de décentralisation, de gouvernance locale et de développement local aux niveaux continental, régional, national et sous-national »[3] et, particulièrement dans le cadre de la reconstruction post conflit des institutions et de l’État. Les gouvernements locaux ou les autorités locales exercent leurs fonctions et responsabilités en tenant compte du développement intergénérationnel et la durabilité de l’environnement[4]. L’explicitation du terme intergénérationnel met en évidence l’importance du rôle des autorités traditionnelles et des anciens dans les processus de paix. Donc, une reconnaissance tacite des acteurs traditionnels. Il convient de préciser que l’UA insiste sur le rôle des autorités traditionnelles dans la RSS particulièrement en reconstruction post conflit. « Dans plusieurs cas, mais pas forcément dans tous les contextes africains, les prestataires informels, coutumiers et traditionnels de sécurité apportent un appui crucial à l’Etat dans les prestations de sécurité en faveur des populations. Aussi, pour s’assurer qu’ils travaillent conformément aux normes légales, à l’état de droit et aux droits de l’homme, les prestataires informels et coutumiers de sécurité et les acteurs de la justice traditionnelle doivent être pris en compte dans les processus de RSS, quand cela est nécessaire. A cet égard, les processus RSS sur le continent africain devraient impliquer beaucoup plus d’acteurs qu’il ne serait nécessaire dans d’autres contextes » (Union Africaine, 2014). Il est donc recommandé aux états membres de fournir de l’espace et des pouvoirs à la supervision traditionnelle et communautaire, en reconnaissant les autorités traditionnelles africaines, d’une façon qui soit conforme aux dispositions du présent cadre d’orientation (Ibid. p. 21). Le CPS a d’ailleurs souligné qu’il est absolument indispensable « d’intégrer le rôle important des chefs traditionnels dans la conception et la mise en œuvre réussie des processus de réconciliation et de cohésion nationales, en vue de renforcer l’inclusion et la participation de toutes les composantes de la communauté nationale, y compris à travers un processus continu de décentralisation » (Banque mondiale, 2016).

    2.2. Les dimensions opérationnelles de la participation des acteurs traditionnels et religieux

    Au Mali, plusieurs activités de la mission de l’ONU et de l’UA « sont destinées à accompagner les initiatives traditionnelles pour gérer les différends et renforcer les moyens locaux, faisant ainsi écho à l’idée que le retour de l’autorité de l’Etat doit apporter un plus grand pouvoir d’agir aux autorités locales et traditionnelles. » (Mohamed et Mechoulan, 2018). On comprend l’importance des autorités traditionnelles qui viennent appuyer les institutions régaliennes et qui apparaissent comme indispensables à la reconstruction post conflit de l’Etat et des instituions au Mali tout comme leur consolidation. Ainsi, « les Parties demandent à la classe politique ainsi qu’à la société civile, notamment les communicateurs traditionnels et les autorités traditionnelles et religieuses, d’apporter leur plein concours à la réalisation des objectifs de l’accord »[5]  et d’intégrer les dispositifs traditionnels et coutumiers sans préjudice du droit régalien de l’état en la matière[6] . Les conflits communautaires sont la manifestation de divers décalages entre les acteurs : communautés, villages, fractions, institutions locales. Ils expriment aussi des oppositions normatives entre plusieurs systèmes de valeurs historiques, sociologiques, institutionnelles et organisationnelles (Dakouo, 2017). La gestion traditionnelle des conflits, souvent appelée méthode endogène, est cette forme de gestion qui fait référence à la mobilisation du capital social, du patrimoine culturel des sociétés et des ressources religieuses. Dans ce registre, une diversité d’acteur est impliquée : les chefferies, les leaders communautaires, les imams, les marabouts, les cadis. Les repères historiques des sociétés, les valeurs symboliques, éthiques et morales, de même que les conventions sociales intercommunautaires établies au fil de l’histoire constituent les références majeures dans la résolution des conflits (Ibid. p. 289). Ici, il est davantage fait recours à l’intervention des chefs coutumiers et des leaders religieux, à l’intermédiation des griots et hommes de castes, des chefs de quartiers de conseillers qui interviennent en premier lieu, des maires et adjoints qui sont saisis au cas où le chef de quartier n’arrive pas à régler les désaccords, au règlement à l’amiable entre les parties, aux pourparlers , aux chefferies traditionnelles qui gèrent les litiges au village, à l’utilisation du capital social (le cousinage à plaisanterie ou Sanankouya, pactes entre les ethnies, pactes entre les villages) (Ibid.).

    L’accord de paix centrafricain rappelle naturellement l’importance des autorités traditionnelles dans la reconstruction post conflit de l’Etat et des institutions Les autorités veulent donc « mener un plaidoyer auprès des autorités traditionnelles, ainsi qu’auprès des Etats voisins, des partenaires internationaux réunis au sein du Groupe internationale de Soutien à la République centrafricaine (GIS-RCA), des organisations régionales et internationales, afin de solliciter un soutien collectif et unanime à la réalisation des objectifs, de cet accord »[7] . La Centrafrique veut « développer et mettre en œuvre un plan d’action des mécanismes traditionnels de réconciliation, en étroite concertation avec les chefferies traditionnelles » (ONU, 2015) pour que ceux-ci participent pleinement à la consolidation de la paix au sein de « la Commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation (CVJRR) avec le lancement, dans les meilleurs délais, de consultations nationales et l’adoption d’une loi sur cette Commission ; travailler avec les partenaires internationaux et les associations concernées à la création d’un programme de soutien et de réparation en faveur des victimes » (Ibid.). En Centrafrique, si dans les villages [les autorités traditionnelles] jouissent encore d’un brin d’autorité morale, c’est de moins en moins le cas dans les villes et notamment à Bangui, où beaucoup de résidents ne connaissent même pas leur chef de quartier du fait que certains quartiers, périphériques notamment, se peuplent et se densifient sans cesse à travers des constructions anarchiques, rendant difficile un contrôle effectif des zones concernées (Réseau Africain de Réforme du Secteur de la Sécurité, 2016). Un Sultan de son côté, s’emploie inlassablement à favoriser la restauration de la chefferie en RCA : il s’agit du Sultan de Bangassou, Maxime Faussin Mbringa-Takama. Il a initié une Concertation nationale de la chefferie traditionnelle pour la fin 2016. La tenue d’une telle concertation étant une recommandation du Forum de Bangui (Ibid., p. 10). De manière générale les mécanismes traditionnels et autorités n’ont pas l’importance observée au Mali dans la consolidation de la paix.

    Pour ce faire il est recommandé de « donner un second souffle aux mécanismes traditionnels de médiation entre agriculteurs et éleveurs grâce à l’organisation, par des ONG spécialisées dans la prévention des conflits, de rencontres informelles entre les représentants des différentes communautés. Les forces internationales devraient s’assurer que l’interdiction de siéger au sein de ces arènes de concertation et d’échanges soit intégrée parmi les mesures de confiance aux groupes armés. Encourager la diffusion grâce aux radios communautaires soutenues par les ONG locales et les organismes religieux de messages de coexistence pacifique rappelant les intérêts communs et les échanges entre éleveurs et cultivateurs, en ciblant les femmes [et les jeunes] qui jouent traditionnellement un rôle clé dans les relations intercommunautaires » (Crisis Group, 2014). Au regard de la pré domination morale de ces mécanismes, il ressort des deux études que la population continuait de recourir aux méthodes traditionnelles de règlement des conflits et ce, en dépit de la multiplicité de nouveaux mécanismes mis en place ces dernières années. Cependant, comme ces nouvelles initiatives se sont souvent appuyées sur des structures traditionnelles préexistantes, il était difficile de les distinguer précisément. Dans la zone frontalière, la majorité des personnes interrogées se tournaient vers les chefs traditionnels pour une médiation des conflits tandis que 14% mentionnaient les comités locaux, une structure plus récente, comme un mécanisme efficace. Cette tendance était encore plus prononcée à Bossangoa où la majorité des répondants affirmaient recourir aux chefs de village pour régler les conflits 43% (Conciliation ressources, 2020). Il faut envisager d’apporter un appui stratégique aux structures traditionnelles de règlement des conflits et aux processus menés par le gouvernement tels que le Comité de mise en œuvre préfectorale (CMOP) établi par le gouvernement centrafricain pour appliquer l’Accord de paix signé le 6 février 2019. C’est l’occasion d’apporter l’analyse des conflits et les compétences nécessaires en matière de consolidation de la paix pour que les membres du CMOP et d’autres structures de paix remplissent leurs fonctions consistant à encourager les populations à prendre part aux mécanismes de dialogue local et de réconciliation, à faire remonter au gouvernement national les opinions des communautés et à communiquer les politiques publiques à travers le pays (Ibid., p.10).

    Conclusion

    Cette contribution confirme la posture de l’UA comme institution pleinement impliquée dans la sécurité collective en Afrique. Et qu’elle œuvre finalement à un partage des responsabilités et instruments relatifs à la pacification du continent, ceux-ci apparaissent de plus en plus inclusifs comme on peut le relever avec la popularisation de la reconstruction post conflit. Une posture que l’on peut confronter aux données issues de deux pays africains pris dans un conflit d’usure. A partir des exemples du Mali et de la Centrafrique, il se dégage une prise en considération de des prescriptions et de la pensée de l’UA dans réalisation de la reconstruction post conflit de ces pays. En effet, pour l’UA la reconstruction et le développement post conflit sont des politiques exigeant un caractère inclusif. Cette perspective œuvre particulièrement à consolider le caractère holistique et ouvert, tout en recherchant l’efficacité de la reconstruction. De ce fait, les acteurs touchés par les conflits et concernées, par la reconstruction, peuvent naturellement identifier et évaluer leurs besoins au cours de la réalisation de ce processus. La reconstruction demande alors l’implication de la société civile, en tant qu’expert et acteur multisectoriel des enjeux sociaux. Ainsi, la reconstruction ne saurait s’effectuer et revendiquer un caractère inclusif tout comme une efficacité en l’absence des femmes, des jeunes et des autorités traditionnelles. Si l’UA plaide pour la participation de tous les acteurs à la reconstruction post conflit, elle a également élaboré des normes relatives à cette politique, applicables par les acteurs politiques et institutionnels aux différents niveaux de gouvernance de la reconstruction post conflit. En revanche, il faudra peut-être sensibiliser les décideurs de cette organisation continentale sur la nécessité la préparation et l’institution d’un mode opératoire pour une fluidité de la reconstruction post conflit. Cependant, l’effectivité de la participation populaire de la participation de la jeunesse et des autorités traditionnelles à la reconstruction post ne présume en rien leur efficacité, en effet il faudrait un travail complémentaire à cet article en menant une enquête de terrain pour établir leur efficacité.

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    [1] Cité par Abdoul Karim Saidou, (2019), « La participation citoyenne dans les politiques publiques de sécurité en Afrique : analyse comparative des exemples du Burkina Faso et du Niger », Revue internationale de politique de développement, 11(1), p.l.

    [2] Article l -b Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, Bamako, le 1er mars 2015.

    [3] Article 2-f Charte africaine de la décentralisation, de la gouvernance et du développement local.

    [4] Article 10-5 Charte africaine de la décentralisation, de la gouvernance et du développement local.

    [5] Article 51 Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, Bamako, le 1er mars 2015.

    [6] Article 46 Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, Bamako, le 1er mars 2015.

    [7] Article 28 Accord pour la paix et la réconciliation. Khartoum. 6 février 2019.

    Les entrepreneuriats médiatique et privé russes en République Centrafricaine : des dynamiques d’implémentation locale du Kremlin en Afrique centrale

    François Xavier Noah Edzimbi

    Ph.D en Science Politique

    CEO du Cabinet LUCEM GLOBAL CONSULTING S.A.R.L,

    Chercheur Associé au Centre Africain de Recherche pour la Paix et le Développement Durable (CARPADD), Ottawa, Canada

    et au Centre Africain d’Études Stratégiques pour la Promotion de la Paix et du Développement (CAPED), Yaoundé, Cameroun

    xnoah@gmail.com

    Regards géopolitiques, 7(4)

    Résumé :

    Dans une rivalité existante entre puissances occidentales et émergentes pour l’accès et la gestion des ressources stratégiques en Afrique, la rapide installation de la Russie en République Centrafricaine inquiète la France dans une Afrique centrale considérée jusque-là, par elle, comme sasphère d’influence. En mobilisant respectivement le réalisme classique au sens large et l’approche géopolitique, l’étude présente les différentes entreprises usitées par Moscou pour occuper la Centrafrique.

    Mots clés : mise en œuvre, Russie, Centrafrique, intérêts français, Afrique centrale

    Summary :

    With a competition between occidental and emergent powers for access and management of Africa’s strategic resources, the fast Russian implementation in Central African Republic is going to disturb France’s interests in Central Africa which are, hitherto for this country, his influence’s space. By mobilizing the classic realism and the geopolitical approach, this study presents different strategies using by Moscow to promote its power opportunities in Central African Republic.

    Keywords : implementation, Russia, Central African Republic, French interests, central Africa

    Introduction

    Le choc mondial du coronavirus rappelle l’emprise des puissances sur les organisations internationales, mondiales et régionales. L’Organisation des nations unies (ONU) subit en effet, la capacité de blocage de ses patrons dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques internationales (Defarges, 2021). Cette situation révèle des faiblesses du multilatéralisme et les limites du libéralisme, spécifiquement les faiblesses de l’approche institutionnelle pour laquelle l’individu est au cœur de la sécurité, notamment sa sécurité physique et sa propriété privée.

    Partant de cette configuration, les puissances émergentes, comme les grandes puissances hier, acceptent difficilement d’être soumises à une décision du Conseil de sécurité (CS) aujourd’hui, contraire à leurs intérêts fondamentaux, dont elles veulent rester seules juges (De La Sablière, 2021). Ce contexte rappelle l’importance des rapports de puissance pour comprendre la politique internationale et l’impossibilité de réconcilier les intérêts divergents des États (David et Schmitt, 2020) dans une approche réaliste. Les ressources naturelles africaines, jusque-là gérées comme des réserves stratégiques des anciennes puissances coloniales, sont désormais au cœur d’une concurrence entre les puissances traditionnelles et les nations émergentes dont les besoins en matières premières stratégiques paraissent illimités. Aussi, les stratégies des chefs d’État Vladimir Poutine pour la puissance russe, de Recep Tayyip Erdogan pour la puissance turque et de Xi Jinping pour la puissance chinoise se font jour et sont transformées en calculs et manœuvres géostratégiques ainsi qu’en politiques économiques agressives (Burgorgue-Larsen, 2021) sur le continent. Pour la France, l’irruption des puissances économiques et militaires émergentes telles que la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil sur la scène africaine et l’intérêt croissant des États-Unis et du Japon pour le continent, ont perturbé son monopole en Afrique francophone (Tchokonté, 2019).

    L’effondrement de l’Union des Républiques Socialistes et Soviétiques (URSS) a conduit les Russes à s’interroger sur leur identité, la nature de leur État et la place qu’occupe leur nation sur la scène internationale. Pour la Russie, les relations internationales post-guerre froide sont structurées par la concurrence et l’aspiration de plusieurs États à renforcer leur influence sur la politique internationale (Bonvillain, 2006). Ainsi, l’ambition de Moscou est de permettre à ses autorités de prendre part et d’avoir une forte influence dans la résolution des grands problèmes internationaux, le règlement des conflits militaires, la réalisation de la stabilité stratégique et de la suprématie du droit international dans les relations internationales (Facon, 2016) d’une part. D’autre part, la Russie veut avoir voix au chapitre en Afrique et accès à ses différentes ressources dans son objectif de repositionnement stratégique sur la scène internationale en tant que puissance mondiale. Dans cette dernière optique, la diplomatie proactive russe du président Vladimir Poutine, principal artisan d’une reprise progressive de rapports coopératifs entre Moscou et l’Afrique, est de plus en plus perceptible (Lobez, 2019). À cet effet, la rapide prise de position russe en Centrafrique, à travers une politique étrangère qui promeut différentes stratégies comme l’utilisation des médias (1) et du secteur privé (2), est appréciable.

    1. L’usage de l’outil médiatique : nouvelle stratégie d’influence de Moscou en République Centrafricaine.

    Du 22 au 25 octobre 2019, près de 50 chefs d’États africains se sont rendus à Sotchi pour assister au sommet Russie-Afrique, premier évènement dédié au continent africain d’une telle ampleur organisé par la Russie. Selon le Premier ministre Dimitri Medvedev, ce sommet marque « le début d’une nouvelle ère de coopération russo-africaine » (1). Ces propos renforcent l’idée d’une projection de la puissance russe en Afrique. En effet, à la fin de sa tournée en Égypte, au Nigéria, en Angola et en Namibie en 2009, ce dernier affirmait sur son blog que « désormais, notre devoir est de rattraper tout ce qui a été perdu » (2). L’Afrique centrale est aujourd’hui un lieu d’observation privilégié de dynamiques médiatiques. Cette région du monde abrite le plus grand nombre de conflits dits majeurs, c’est-à-dire qui coûtent la vie à plus de 1000 personnes par an (Sipri Yearbook, 2021).  L’information, sa diffusion, sa rétention, sa manipulation, ont constitué des armes puissantes dans les périodes de conflit. Avec l’échec de l’intervention américaine en Somalie au début des années 1990 et le génocide au Rwanda en 1994, l’actualité africaine, c’est-à-dire ici la représentation de la réalité qu’en donnent les grands médias occidentaux, a cheminé entre la compassion, le cynisme et le désespoir (Marthoz, 2005). Et, depuis lors, la plupart des médias occidentaux reflètent et suivent traditionnellement, dans leur ligne éditoriale, les priorités et décisions tant géopolitiques que géoéconomiques prises par leur pouvoir exécutif (Ungar et Gergen, 1991). L’apparition de médias de masse a décuplé ce potentiel en rendant possible de vastes opérations de propagande et d’embrigadement des esprits (Chaliand, 1992).

    Parallèlement, elle a permis de renforcer les mécanismes démocratiques en éveillant les consciences citoyennes, en développant les capacités de pression de la population sur ses dirigeants, en permettant le contrôle critique de la gestion de la chose publique et en facilitant la circulation internationale de l’information (ibid.). L’Afrique centrale est également le siège d’une effervescence des médias inédite dans son histoire, ayant vu apparaître, ces quinze dernières années, des milliers de nouveaux journaux et des centaines de stations de radio dans des États jusque-là marqués par le monopole étatique sur le secteur (Frère, 2005). Elle constitue un réservoir d’expériences pour tous ceux qui s’intéressent au rôle des médias dans les situations de conflit ou de crise et un champ d’action central, voire un laboratoire, pour les organisations régionales et internationales. Mais aussi pour les institutions publiques, les organisations non-gouvernementales ou les acteurs des sociétés civiles locales. Ces derniers tentent de trouver, de forger, de mettre en œuvre et d’enraciner des solutions durables afin que les populations puissent évoluer dans un contexte de paix et relever le défi du développement, mais aussi concevoir des solutions auxquelles les médias peuvent contribuer de façon tout à fait significative (ibid.).

    Dans une époque de globalisation où les médias sociaux ont révolutionné les moyens de communication entre les communautés, la capacité à influencer le récit d’un conflit est ainsi fondamentale. Aussi les États comme les groupes non-étatiques investissent-ils d’importantes ressources dans le récit qu’ils entendent faire passer et les moyens de le diffuser, débouchant sur un retour d’actions qui relèvent des guerres de manipulations de l’information (David et Schmitt, op. cit.) comme le présente le discours russe dans le tableau qui suit :

    Tableau 1 : Le discours stratégique russe

    Source : C.-P., David et O., Schmitt, La guerre et la paix. Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie, 4e édition, Paris, Presses de Science Po, 2020, p. 215.

    Le contrôle des opinions publiques par la propagande, traduit par la subversion, l’amplification sur les médias sociaux et les manipulations de l’information, est un enjeu fondamental des conflits au XXIè siècle pour la Russie (David et Schmitt, op. cit.). Moscou a pour objectif, par le biais desdits médias, de restaurer une égalité stratégique et géopolitique avec Washington, et sortir du déclassement stratégique (Dumas, 2021) émis à son égard par l’ancien président américain Barack Obama dans la conduite des affaires et les prises de décisions internationales (Badie et Foucher, 2017). C’est dans cet objectif que le 18 juillet 2019, les enfants en République Centrafricaine (RCA) ont découvert un dessin animé dans lequel un lion attaqué par une multitude de hyènes fait appel à son ami l’ours, qui à son tour accourt depuis le Grand Nord pour l’aider à se défendre et à faire régner l’ordre en Afrique (Tchoubar, 2019). Dédié à la coopération entre la RCA et la Russie, ce dessin animé en français a été produit par Lobaye Invest, une société russe ayant obtenu des contrats d’exploration minière en RCA. Cet exemple illustre un élément nouveau dans la stratégie russe en Afrique subsaharienne : l’accompagnement des avancées diplomatiques par des campagnes d’influence dans les médias et sur les réseaux sociaux visant à légitimer et à promouvoir la présence russe dans le pays. La Russie admet ouvertement que les médias qu’elle contrôle comme Russia Today (RT) et Sputnik sont des instruments au service de son ambition de manipuler les audiences étrangères (Galeotti, 2019). Ainsi, « c’est le gouvernement qui dégage la piste à suivre par les médias. Bien qu’elle prétende être libre, la presse suit presque toujours la piste dégagée par son gouvernement » (Seaga Shaw, 2002). L’objectif étant de faire admettre et de promouvoir un récit ainsi qu’une vision du monde spécifiques, afin qu’en cas de conflit, les audiences soient par avance convaincues du bien-fondé de la position russe et contraignent donc les actions de leurs gouvernements (Fridman, 2018). Cette influence médiatique est d’une importance géopolitique certaine pour Moscou, dans la mesure où elle permet de « gagner les cœurs et les esprits » (Alleno, 2020) et d’inculquer des manières de faire, de penser, de réfléchir, de sentir, d’orienter aux Centrafricains pour un profit efficient, symbolique et matériel dans un contexte international mutant.

    Le Kremlin propose de ce fait aux gouvernements africains un soutien informationnel pour assurer la pérennité de leur régime. Exportant un modèle d’influence médiatique ayant déjà fait ses preuves en Russie, Moscou n’hésite pas à recycler certains thèmes de prédilection tels que l’attachement aux valeurs traditionnelles et la représentation de l’Occident comme décadent (Tchoubar, op. cit.). À travers ce procédé, la Russie cherche à se démarquer des puissances occidentales et joue sur les sentiments anticolonialistes de la population : ainsi, en RCA et à Madagascar, la Russie déroule une campagne d’information négative contre la France (Forestier, 2018). Pour diffuser ces informations, la Russie s’appuie notamment sur des médias et journalistes locaux : en RCA, des journalistes ont dénoncé l’emprise de la Russie sur la ligne éditoriale de certains médias (Moloma, 2019). Les campagnes sur internet et les réseaux sociaux seraient, selon des documents obtenus et diffusés par le Dossier Centre de Mikhaïl Khodorkovski, orchestrées par l’Internet Research Agency liée à l’homme d’affaires russe Evgueni Prigozhin. Il dirigerait une « usine à trolls » à Saint-Pétersbourg à l’origine de campagnes d’influence à travers le monde via des faux profils sur les réseaux sociaux et des bots (Harding et Burke, 2019). Ainsi, un discours spécifique stratégique est développé par Moscou et diffusé de différentes manières : soit officiellement dans les cercles diplomatiques, soit officieusement (et parfois illégalement) par des actions de propagande, de subversion ou de désinformation. En complément à ce discours, le Kremlin reçoit le soutien d’entreprises privées russes dans son objectif d’aménagement en Centrafrique.

    2. Le secteur privé : un outil au service de la diplomatie militaire et minière du Kremlin en RCA.

    Le corollaire de la globalisation de la guerre est sa privatisation, avec l’émergence de fournisseurs de sécurité exclusivement privés ou transnationaux. Le monopole de la violence par l’État (internalisé depuis le XIXe siècle) est donc remis en question (Thomson, 1996) et érodé, à la fois par le haut selon des processus transnationaux et par le bas par des seigneurs de guerre, groupes paramilitaires ou rebelles. Dans les pays occidentaux, les États ont eux-mêmes contribué à la privatisation de la guerre par l’externalisation de nombreux services (Krieg, 2016). Les entreprises de sécurité se différenciant de groupes mercenaires ad hoc qui opéraient en Afrique pendant les années 1960 et 1970 par leur permanence, leur organisation hiérarchique et légale, et la volonté de générer du revenu pour l’entreprise (et les actionnaires) et non plus seulement pour la gloire ou le profit privé (Singer, 2003). Avant 2018, la Russie n’était pas présente en RCA. C’est en octobre 2017 que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a reçu le président centrafricain, Archange Touadéra, à Sotchi. Deux mois plus tard, la Russie obtenait de l’ONU une exception à l’embargo prohibant l’exportation d’armes en Centrafrique. À partir de ce moment, le rythme des échanges diplomatiques s’est accéléré : le président Vladimir Poutine a rencontré son homologue centrafricain Archange Touadéra à Saint-Pétersbourg le 23 mai 2018, et Mikhaïl Bogdanov, vice-ministre des Affaires étrangères russes, a effectué une visite en RCA le 16 mars 2019 (Tchoubar, op. cit.). De ces rencontres, plusieurs accords de coopération militaire sont signés et prévoient le déploiement de conseillers militaires russes en Centrafrique. En parallèle du rapprochement au niveau étatique, de nouveaux acteurs privés russes sont devenus force d’initiative pour le Kremlin. Il est symbolique en effet de constater que depuis la révolution dans les affaires militaires (Revolution in Military Affairs, RMA) à la fin de la bipolarité, qui privilégie entre autres la supériorité de l’information, a été mise en œuvre dans les puissances mondiales un dispositif d’intelligence économique et stratégique (IES). Ce dernier est basé sur la centralisation de l’information, du renseignement et de l’action publique de soutien (Conesa, 2003). La nouvelle mission de l’État devient alors l’aide aux entreprises sur les marchés importants à dimension stratégique et, d’une façon générale, à toutes les entreprises, qu’elles soient exportatrices ou simplement en concurrence avec des firmes étrangères (ibid.).

    Dès lors, dans la nouvelle stratégie de Moscou, les entreprises privées occupent une place prépondérante : en plus du rôle joué par la société Wagner (société dont les domaines d’expertise sont la sécurité et le militaire, tout en ayant souvent recours au mercenariat) et l’Internet Research Agency (compagnie informatique russe dont l’objectif est de défendre et préserver les intérêts politiques et économiques russes dans le monde), des entreprises minières russes obtiennent des contrats d’exploitation en RCA, à Madagascar et au Soudan. Des sociétés telles que Ferrum Mining ou Lobaye Invest, ont pour la plupart été créées récemment et ont peu d’expérience dans l’extraction de ressources naturelles. Néanmoins, elles semblent avoir réussi dans certains pays à obtenir des contrats au détriment d’entreprises russes établies sur le continent de longue date, comme Alrosa, Nornickel, Renova, Rusal ou Norgold. Enfin, Evgueni Prigozhin aurait personnellement participé aux négociations de paix avec des groupes rebelles en RCA (3). En avril 2018, le chef d’État Archange Touadéra recrute un nouveau conseiller personnel en matière de sécurité : le Russe Valery Zacharov, ancien de la police et des douanes, ayant plusieurs fois travaillé en collaboration avec les structures d’Evgueni Prigozhin. En juillet 2018, des conseillers militaires russes de l’entreprise Wagner commencent à arriver à Bangui (Tchoubar, op. cit.), pour former les soldats centrafricains mais aussi pour sécuriser les activités de Lobaye Invest. Actuellement, 175 instructeurs militaires russes seraient en RCA (ibid.). Pour la plupart, il ne s’agit par de membres de l’armée régulière, mais d’employés de la société militaire privée Wagner, déployée en Ukraine et en Syrie. Ses employés sont officiellement chargés de former l’armée nationale, mais peuvent également assurer la protection d’hommes d’État, comme c’est le cas en RCA, où ils ont intégré la garde personnelle du président Archange Touadéra. Par ailleurs, Wagner protège les sites des entreprises russes sur le continent. Ses hommes seraient présents en République Centrafricaine, au Soudan, au Rwanda et à Madagascar, et pourraient prochainement faire leur apparition en République du Congo, avec qui la Russie a signé un accord en juin 2019 prévoyant le déploiement de conseillers militaires (ibid.).

    À la même période, des contrats d’exploitation minière commencent à être attribués aux entreprises privées russes. C’est le cas de l’entreprise minière Lobaye Invest, liée, selon la presse, à Evgueni Prigozhin, qui obtient sept permis d’exploration ou d’exploitation de l’or et du diamant en RCA (4). Selon Africa Intelligence, la Russie a obtenu l’autorisation d’exploiter les mines d’or de Ndassima en échange de la pacification de la région (5). Moscou a effectivement participé à la signature des accords de paix de Khartoum en février 2019, non sans court-circuiter les négociations de paix menées par l’Union Africaine (Forestier, op. cit.). Avoir recours à une société militaire privée permet au gouvernement russe de se distancier des actions de cette dernière, tout en mettant en œuvre ses projets de puissance en Afrique. En effet, les médias et les organisations internationales ont à plusieurs reprises alerté sur le rôle controversé joué par les sociétés militaires privées russes : au Soudan, elles auraient participé à la répression violente des manifestations contre le gouvernement ; en Centrafrique, elles ont été accusées d’avoir été impliquées dans des cas de torture (Searcey, 2019). Le 31 juillet 2018, le décès tragique des trois journalistes russes Alexandre Rastorgouïev, Orkhan Djemal et Kiril Radtchenko, tués en RCA alors qu’ils enquêtaient sur l’entreprise militaire privée russe Wagner pour le centre d’investigation TsUR (Investigation ControlCenter) financé par Mikhaïl Khodorkovski, a attiré l’attention des médias sur la présence de la Russie dans le pays.

    Les avancées sécuritaires et économiques de la Russie en RCA ont bénéficié d’un accompagnement médiatique favorable et assuré, grâce au financement de la chaîne de radio Lengo Songo et de plusieurs médias véhiculant des messages anticolonialistes et anti-français. Enfin, peu à peu, des entreprises russes historiquement présentes en Afrique ont également obtenu quelques opportunités de développement : le président Archange Touadéra a affirmé en avril 2019 que le gouvernement avait approché l’entreprise d’exploitation de diamants Alrosa pour lui proposer d’opérer en RCA. Rosatom aurait, pour sa part, déjà négocié l’exploration d’uranium dans la zone de Bakouma, où Areva avait opéré dans le passé avant d’abandonner le projet pour des raisons sécuritaires en septembre 2012 (Kalika, 2019). Ainsi, par ces différentes stratégies, Moscou s’efforce de réduire l’empreinte visible d’une rivalité avec d’autres puissances mondiales et émergentes en Afrique centrale.

    Conclusion

    Il appert, au vu de la précédente investigation, que depuis la fin de la guerre froide, les ressources naturelles africaines, jusque-là gérées comme des réserves stratégiques des anciennes puissances coloniales, sont désormais au cœur d’une concurrence entre les puissances traditionnelles et les nations émergentes dont les besoins en matières premières stratégiques paraissent illimités. Voulant avoir voix au chapitre Afrique, le Kremlin, dans une reconfiguration du jeu de puissance en Afrique centrale, use des médias et du secteur privé. Ces différentes manœuvres, exécutées en RCA, lui permettent de disposer de nouveaux partenaires qui rééchelonnent ses intérêts de puissance dans un espace international post guerre froide. En réponse à ces stratégies, pour éviter un déclassement stratégique dans un contexte marqué par la pandémie de Covid-19 qui accélère une période de transition, et dans laquelle se dessine un nouveau système international caractérisé par l’existence de plusieurs pôles de puissance, la France réadapte ses stratégies de puissance. Pour exemple, à la suite de la mort du président Idriss Déby Itno, le soutien français au Conseil Militaire de Transition (CMT), à la tête duquel trône le fils du défunt président de la République du Tchad voisin de la Centrafrique, exprime la détermination de la France à préserver ses intérêts dans ce pays hautement stratégique (Noah Edzimbi, 2021).

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    Notes

    1. Discours de Dmitri Medvedev (2019) lors de la conférence d’Afreximbank à Moscou. www.government.ru, c. le 12 mai 2021.
    2. Dmitri Medvedev (2009), « Itogi poezdki po stranam Afriki (Egipet, Nigeria, Namibia, Angola) » [Bilan de la visite des pays d’Afrique (Égypte, Nigeria, Namibie, Angola)]. http://blog.da-medvedev.ru, c. le 12 mai 2021.
    3.  Searcey, Dionne (2019). Gems, Warlors and Mercenaries : Russia’s Playbook in Central African Republic. The New York Times.
    4. Selon des documents publiés par le ministère des Finances et du Budget de la République Centrafricaine, Lobaye Invest a obtenu : quatre permis d’exploitation pour l’or et diamant à Bangassou, Ouadda, Bria et Sam Ouandja, pour 3 ans le 4 avril 2018 ; un permis de recherche d’or à Yawa le 2 juin 2018 ; un permis d’exploitation pour l’or et le diamant à Yawa-Boda le 12 juin 2018 ; et une autorisation de reconnaissance minière dans la région de PAMA le 25 juillet 2018.
    5. Moscou met le cap sur l’or et les diamants (2019). Africa intelligence. www.google.fr, c. le 12 mai 2021.