The Routledge Handbook of Arctic Security
Gunhild Hoogensen Gjørv, Marc Lanteigne, Horatio Sam-Aggrey (eds.)
Londres: Routledge, 462 p, 2020.
C’est peu de dire que la question de la sécurité arctique est une question à la fois vaste et très actuelle. Au cœur de l’intrigue de séries (Okupert), elle fait aussi régulièrement la une, à grand renfort de reportages (et jeux de mots douteux) annonçant une « nouvelle guerre froide » ou un « réchauffement des tensions » (National Geographic, août 2019). Mais les démonstrations de force bien réelles — on peut penser à l’exercice de sous-marins déployés dans le périmètre arctique russe en mars dernier et dont la manœuvre coordonnée a largement fait la une — contribuent aussi à faire de la question de la sécurité arctique une question très actuelle. La publication de ce manuel tombe alors à point nommé, en permettant de faire un tour d’horizon très complet de la question — et de s’attaquer à certaines représentations tenaces que l’on a de la situation sécuritaire dans la région.
Bien entendu, l’ouvrage est pensé comme un manuel et à ce titre plutôt destiné à une clientèle étudiante ou en tout cas du secteur académique. Il n’en reste pas moins que les textes sont très accessibles et offrent un point de départ d’une grande précision pour qui s’intéresse au sujet et cherche à en savoir plus. Le volume est organisé en cinq grandes parties, pensées pour apporter chacune un éclairage complémentaire sur les grands enjeux reliés aux questions de sécurité dans l’Arctique. La première propose une perspective plus théorique, croisée avec une perspective historique qui permet de souligner comment le concept de sécurité a évolué dans le champ des Relations Internationales et comment cela se traduit dans la conceptualisation de la sécurité arctique. La deuxième partie s’intéresse aux pays arctiques et le propos est divisé de manière très classique, permettant alors un bon tour d’horizon des grands enjeux, par pays. Le travail de croisement sera donc à charge du lecteur. La troisième partie — particulièrement intéressante — étudie la sécurité régionale au travers du prisme de la gouvernance. C’est une partie intéressante, car elle permet de poursuivre le travail de réflexion initié en première partie quant au concept de sécurité et à son élargissement dans un contexte arctique. Il s’agit notamment de mettre en lumière d’autres types d’acteurs et diverses instances qui jouent un rôle dans la sécurité régionale, alors même qu’ils ne s’intéressent pas à la sécurité traditionnelle, à l’instar du conseil de l’Arctique. Avec la quatrième partie, on élargit l’échelle d’analyse, pour s’ouvrir aux acteurs non arctiques et pourtant bien présents dans la région. Si elle a le mérite de poser des questions très pertinentes pour l’analyse du sujet, on pourra peut-être regretter que cette partie soit peut-être un peu moins complète que les autres. Dans la dernière partie enfin, l’ouvrage s’intéresse cette fois à l’échelle humaine et notamment aux perspectives autochtones. Au total, cette organisation permet donc de couvrir de très nombreux aspects de la question.
Plusieurs chapitres nous ont paru particulièrement intéressants, offrant une perspective captivante sur la question. À ce titre, on peut souligner le chapitre signé par Rasmus Gjedssø Bertelsen dans la première partie : « Arctic Security in International Security » (chapitre 5, pp. 57-68). Ce chapitre replace la sécurité arctique dans un contexte international, mais aussi historique, en offrant une analyse de grandes crises (la guerre de Crimée, les guerres napoléoniennes, mais aussi, bien sûr, la guerre froide) et de leur effet sur la situation arctique. Cet éclairage historique, couplé à une lecture systémique des processus de sécurité offre une perspective bienvenue pour comprendre les enjeux régionaux actuels. Le chapitre qui suit, signé par Gunhild Hoogensen Gjørv et intitulé « Security as an analytical tool » offre également une perspective passionnante sur la question (chapitre 6, pp. 69-79). D’emblée, le chapitre embrasse la complexité de la question de la sécurité régionale en balayant du revers de la main les conceptions trop restrictives centrées sur l’État et les acteurs étatiques. En s’appuyant sur deux concepts principaux, la sécurité humaine et la sécurité « exhaustive » (« comprehensive security »), le chapitre éclaire la nécessité de penser la sécurité régionale à l’échelle humaine, bien loin du carcan de l’échelle nationale et de ses injonctions militaires. Dans la troisième partie, le chapitre signé par Andreas Østhagen intitulé « Arctic Coast Guard, why cooperate? » (chapitre 24, pp. 283-294), propose de se pencher sur un acteur incontournable de la sécurité régionale, la garde-côtière. Ce faisant, il contribue à souligner l’importance de considérer un éventail d’acteurs diversifié pour penser la sécurité régionale. Il pose aussi une question particulièrement pertinente : alors que la littérature portant sur la coopération est très importante, peu de travaux soulignent pourquoi les acteurs coopèrent, s’intéressant plutôt à la façon dont la coopération s’agence concrètement. Dans ce chapitre, la dernière partie pose justement la question de ce pourquoi et déroule un argumentaire efficace et très éclairant. On me reprochera sans doute mon manque d’objectivité, mais le chapitre signé par Klaus Dodds et adoptant une perspective géopolitique est sans doute l’un de ceux qui m’ont paru le plus intéressants, justement parce qu’il pose la question de l’espace arctique (chapitre 22, pp. 258-269). On aurait peut-être aimé qu’il intervienne plus tôt, afin que cet éclairage spatial serve à la lecture des autres contributions…
Dans le dernier chapitre, signé par Gunhild Hoogensen Gjørv et Marc Lanteigne, les deux auteurs tentent de mettre en évidence un certain nombre de liens qui peuvent être établis entre les chapitres. Ils soulignent notamment l’importance de penser la sécurité arctique selon une perspective multiscalaire, oui, mais aussi pluridisciplinaire — en insistant sur la nécessaire prise en compte des différents discours qui coexistent sur la sécurité régionale et qui, ensemble, forment une ‘sécurité arctique’. Au total, il s’agit donc d’un ouvrage très intéressant, très accessible et qui permet de se familiariser efficacement avec un vaste panel d’enjeux relatifs à la sécurité. On pourra regretter le petit nombre d’illustrations et notamment de cartes, qui auraient pu illustrer efficacement un certain nombre de points. L’approche par échelle, par pays, puis par secteur est classique, mais efficace, et c’est ce qu’on demande à un manuel de ce type. Les bibliographies permettent ensuite d’approfondir le propos si souhaité et elles sont généralement très actuelles, ce qui est très appréciable.
Pauline Pic
Candidate au doctorat en géographie