Clara Loïzzo et Camille Tiano (2019). L’Arctique – A l’épreuve de la mondialisation et du réchauffement climatique. Paris : Armand Colin.

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Cet ouvrage se propose d’aborder les enjeux sociaux, environnementaux, politiques et économiques de l’Arctique en un tour d’horizon thématique et géographique.

Le livre, assorti de nombreux schémas et d’une dizaine de cartes de synthèse montées par les auteures, propose une étude complète de l’ensemble des régions arctiques, Russie, Canada, Groenland, Europe arctique, à travers de grands enjeux :  spécificités environnementales, aménagements et activités économiques, urbanisation, sociétés autochtones, conséquences du réchauffement climatique, évolutions politiques et géopolitiques. En ce sens, il constitue un remarquable effort de vulgarisation et de synthèse des enjeux contemporains de la région arctique.

L’introduction précise les limites de la région arctique, aux multiples acceptions, tout en évoquant la dynamique des transformations actuelles de la région, mais sans malheureusement clairement problématiser cette dynamique, au risque de produire davantage une monographie un peu encyclopédique, qu’une analyse argumentée.  Mais ce bémol n’en réduit pas la qualité pédagogique de l’ouvrage. Celui-ci débute par une première partie sur les écosystèmes arctiques, documentée et précise, quoique la dynamique de la fonte de la banquise et du pergélisol, et son impact sur les infrastructures et le transport terrestre comme maritime auraient pu être davantage détaillés, ne serait-ce que pour nuancer l’idée d’une ouverture croissante de la région avec le réchauffement climatique. Le chapitre suivant présente les différentes sociétés arctiques et, aspect très intéressant, la façon dont les changements climatiques affectent le mode de vie de ces sociétés et comment celles-ci s’efforcent de s’adapter.

La seconde partie aborde les « territoires convoités », pour certes montrer quels sont les enjeux du contrôle des espaces terrestres et surtout maritimes, sans parvenir réellement, malgré des nuances, à se départir du cliché d’une région au cœur d’une « convoitise croissante », alors que les différends semblent pacifiques et courtois, et que la convoitise, tant pour les routes de transport que pour les ressources, semble devoir concilier avec des contraintes économiques majeures certes évoquées et articulées dans un chapitre 5 intéressant, mais sans parvenir à nuancer cette idée d’une région au cœur des enjeux économiques mondiaux, idée que vient renforcer la titre de la 3e partie portant sur les « enjeux et recomposition géopolitiques en Arctique : la montée des tensions. »

Cette 3e partie propose pourtant des éléments fort intéressants, débutant d’emblée par une originale analyse de « l’émergence d’une géopolitique des peuples autochtones », se poursuivant avec la présentation des stratégies des différents États arctiques ou non-arctiques, ainsi que des entreprises et autres acteurs non étatiques, pour présenter dans un dernier chapitre les formes de la gouvernance, les institutions et le développement de la coopération. Tout ceci est exact, mais le lecteur risque fort de se voir conforté dans le cliché d’une région au cœur de vive tensions, objet de « conflits », « nouveau théâtre de la puissance », « région disputée » objet d’une remilitarisation qui en fait n’a pas de vocation offensive. Il est ainsi dommage que les nuances de l’exposé, bien réelles, soient en partie gommées par l’accent mis dans quelques titres sur des idées reçues au sujet de la région.

Le livre présente d’indéniables qualités : le souci d’un tour d’horizon thématique et géographique ; l’accent mis, de manière originale, sur les peuples autochtones, les défis contemporains auxquels ils font face ; les villes et les façons d’habiter l’Arctique; la géopolitique des peuples autochtones et la problématique des retombées des activités économiques pour les peuples locaux. Le texte est très clair, bien illustré, et le plan bien articulé. D’autres éléments paraissent plus discutables, comme l’inclusion de Terre-Neuve dans la zone arctique – le nord du Labrador est certes subarctique mais l’île de Terre-Neuve est clairement boréale et atlantique. Dans la même veine, on s’étonnera de lire des développements sur l’hydroélectricité du Québec, alors qu’aucun barrage ne se trouve dans la zone subarctique et que les seuls projets dans cette zone, le harnachement de la rivière Grande Baleine, ont été abandonnés en 1994. On s’étonnera aussi de lire que la chasse et la pêche soient devenues des activités de loisir (p.70), alors qu’elles constituent encore une partie non-négligeable de l’apport alimentaire même si elles diminuent, et sont la base d’une activité économique conséquente avec les produits dérivés du phoque. C’est pour n’avoir pas su prendre la mesure de cette réalité que l’adhésion de l’Union européenne comme observateur au Conseil de l’Arctique a été rejetée par les Inuits via le veto canadien, en représailles de la destruction du marché de ces produits. On pourra regretter aussi que la question de l’indépendance du Groenland, liée précisément à l’ouverture en faveur de l’exploitation des ressources pétrolières et minières, ne soit pas davantage évoquée; ou que les conditions économiques très difficiles qui pèsent sur l’exploitation de ces ressources ne soient pas davantage détaillées, malgré les réelles avancées technologiques évoquées dans l’ouvrage. Alors que l’ouvrage insiste avec raisons sur l’intégration de la région dans la mondialisation, les éléments qui président aux choix stratégiques des compagnies minières, pétrolières ou maritimes sont peu évoqués, notamment le juste à temps pour le transport du conteneur ou le service de transport en tramp pour le vrac, contraintes logistiques qui limitent l’intérêt de ces compagnies pour les routes arctiques, et donc leur valeur stratégique à l’échelle mondiale.

Dans l’ensemble, un très bon ouvrage général sur les transformations actuelles de la région, avec plusieurs références pour pouvoir continuer d’explorer les questions arctiques.

Frédéric Lasserre

Directeur du CQEG

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