Les enjeux stratégiques et militaires arctiques dans les médias : Quelles représentations pour quelle réalité ?

RG v9n1, 2023

Oriane Legrand

Oriane Legrand vient d’achever sa première année de master « Relations Internationales » à l’Iris Sup’, à Paris. Elle s’intéresse aux questions de défense et a rédigé un mémoire portant sur ces enjeux, appliqués à l’Arctique, sous la direction de M. Alexandre Taithe, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique.

oriane.legrand@iris-sup.org

Résumé

L’Arctique est un espace qui suscite un intérêt grandissant. Longtemps délaissé car considéré comme hostile et inhospitalier, cet espace connait depuis quelques années un regain d’intérêt, notamment dans les médias. Ces derniers n’hésitent plus à le présenter comme un eldorado empli de richesses et dont le réchauffement climatique pourrait révéler tout le potentiel, au risque d’entraîner de nouveaux conflits entre puissances.

Toutefois, pour une partie de la communauté scientifique, qui conçoit à l’inverse l’Arctique comme un espace à protéger, où prévaut la coopération, cette vision agace. De ce désaccord est né un malentendu quant à l’Arctique, qui semble être devenu un espace ambivalent tiraillé entre une apparence d’opulent territoire à conquérir et une image de territoire vulnérable, un espace à protéger où règnerait l’entente entre puissances.

Mots-clés : Arctique – médias – représentations – enjeux stratégiques – enjeux militaires.

Abstract

The Arctic is a space of growing interest. Long neglected because considered hostile and inhospitable, this space has experienced a renewed interest in recent years, especially in the media, which no longer hesitate to present it as an Eldorado full of wealth and whose global warming could reveal its full potential, at the risk of leading to new conflicts between powers.

But for a part of the scientific community, which conceives the Arctic as a space to be protected, where cooperation prevails, this vision annoys. From this disagreement arose a misunderstanding about the Arctic, which seems to have become an ambivalent space torn between its face of opulent territory to be conquered and its more vulnerable image of space to be protected where agreement between powers reigns.

Keywords: Arctic – media – representations – strategic stakes – military stakes.

Introduction

« Comme dans un remake de la guerre froide, les silhouettes des bombardiers stratégiques russes reviennent s’aventurer dans les cieux longtemps désertés du Grand Nord, plaçant sur le qui-vive les chasseurs de l’Otan »

(AFP, 2008).

Voilà un exemple parmi tant d’autres d’extrait d’article dans lequel l’Arctique est présenté comme étant un espace hautement stratégique, à nouveau lieu de déploiement de la puissance, futur nœud potentiel de navigation maritime. De nombreux médias n’hésitent en effet plus à louer les très nombreuses ressources dont regorgerait cet espace, celles-ci étant d’ailleurs susceptibles de devenir plus accessibles à l’avenir, du fait du réchauffement climatique, et d’entraîner dans le sillage de leur découverte une compétition acharnée entre États pour leur appropriation. Ressources, réchauffement climatique, nouvelles routes maritimes, multiplication de faits militaires et compétition interétatique : les différents jalons du récit médiatique sont ainsi posés. Tout semble tendre vers l’idée que les enjeux stratégiques et militaires sont grandissants et d’une importance de plus en plus tangible en Arctique, certains articles allant même jusqu’à mentionner le terme de nouvelle guerre froide.

C’est pourtant un tout autre discours que tiennent certains chercheurs à propos de cette zone : « Ainsi, serions-nous à l’aube d’une nouvelle guerre froide, voire d’un conflit armé. Or, une analyse précise de la situation et des acteurs en présence nous montre que ces scénarios- catastrophes sont grandement exagérés » (Lasserre, Choquet et Escudé-Joffres, 2021). Pour une partie de la communauté scientifique, l’Arctique représente plutôt un modèle de coopération internationale, symbolisé par l’existence du Conseil de l’Arctique, dans laquelle les questions géopolitiques sont traditionnellement laissées de côté.

On s’intéresse donc ici à cette dichotomie entre ces différents discours et représentations de l’Arctique, en se penchant notamment sur la façon dont cet espace est construit dans la presse française, russe et canadienne, en particulier sur les plans stratégiques et militaires. Il s’agissait d’extraire des journaux étudiés les représentations dominantes données de l’Arctique sur une période prédéfinie, puis d’étudier de quelle manière celles-ci reflétaient ou non les travaux scientifiques sur cet espace, sans pour autant réduire la complexité de ce dernier en opposant de façon simpliste et duale visions médiatiques et scientifiques.

1.     L’Arctique dans la presse

1.1. Explicitation de la méthodologie employée

Le mémoire susmentionné s’est penché sur la façon dont l’Arctique est construit dans les quotidiens français Libération et Le Figaro, dans les journaux russes Izvestia (Известия) et Argumenti i Fakti (Аргументы и Факты), ainsi que dans le quotidien canadien en ligne Radio Canada. La barrière de la langue ne permettait pas d’étudier les journaux d’autres pays arctiques, tels que la Norvège ou la Finlande. En ce qui concerne les États-Unis, les moteurs de recherche des journaux n’étaient pas assez précis ou donnaient un nombre trop important de résultats pour que ceux-ci soient analysés de façon satisfaisante. Enfin, le choix d’inclure la presse d’un pays non-arctique, ici la France, visait à vérifier s’il y avait des différences de discours avec les journaux des pays arctiques.

La période retenue pour cette étude court de 2005 à 2019. Si lors de la guerre froide, l’Arctique a pu être perçu comme un bouclier stratégique entre les deux superpuissances de l’époque, cet espace a été ensuite délaissé, à partir des années 1990. Le planter de drapeau russe sous le pôle Nord en 2007 a pu raviver un certain intérêt pour l’Arctique. Commencer l’étude journalistique en 2005 permettait donc d’observer si l’année 2007 a constitué, ou non, un tournant dans la façon dont cet espace est traité médiatiquement. L’année 2019, quant à elle, a marqué un tournant pour l’Arctique sur le plan politique, notamment avec le discours de Mike Pompeo à Rovaniemi, en Finlande, en marge du Conseil de l’Arctique. Quelques années clés ont été retenues pour l’étude : 2005, 2007, 2008, 2013, 2018 et 2019, afin d’étudier les évolutions statistiques et de discours liées à l’Arctique. Les articles ont ensuite été étudiés un par un pour être classés dans les catégories suivantes : Environnement, géopolitique, science, autochtonie et autre. La catégorie géopolitique recouvre en réalité plusieurs éléments, à savoir les ressources naturelles, la militarisation de l’Arctique, ou encore les routes maritimes. Cette classification a permis de faire apparaître des évolutions dans la place accordée à chaque thématique concernant l’Arctique au fil des années étudiées. Chaque article n’a été classé qu’une seule fois, en fonction du thème apparaissant comme étant le plus dominant.

Cette étude s’est structurée par années, tranches d’années et mots-clés. Les années et tranches d’années en question étaient les suivantes : 2005, 2005-2007, 2007- 2008, 2013, 2018-2019, 2005-2019, mais également 2020-2021 et enfin, une dernière tranche d’années regroupant toutes celles où des articles sur l’Arctique ont été publiés jusqu’en décembre 2021. Quant aux mots-clés, ceux qui ont été retenus étaient : sécurité (Безопасность), militaire (Военные), défense (Оборона), convoitises (желание завладеть signifiant « désir de posséder », le terme « convoitise » n’ayant pas vraiment de traduction littérale en russe), stratégies (Стратегии) et stratégiques (Стратегический) ainsi qu’environnement (окружающая среда). La plupart de ces mots-clés font référence au domaine de la défense et des enjeux économiques. L’objectif était d’observer le pourcentage d’articles qui apparaissent en entrant ces différents mots, par rapport au nombre total d’articles portant sur l’Arctique et à ceux portant sur le thème environnemental.

Ce travail statistique s’est doublé d’une lecture de nombreux articles, afin d’analyser la façon dont l’Arctique est construit dans le discours journalistique. Ce travail a permis de faire apparaître des dynamiques intéressantes quant au traitement médiatique de cet espace, tant sur le plan quantitatif que sur le fond.

1.2. L’Arctique : un espace qui suscite un intérêt grandissant, notamment via le prisme géopolitique

Il est indéniable qu’aujourd’hui « l’Arctique fascine » (Landriault, 2013). L’étude statistique réalisée sur les journaux susmentionnés l’illustre bien. À titre d’exemple, dans le quotidien français Le Figaro, en seulement deux ans, entre 2005 et 2007, le nombre d’articles portant sur l’Arctique a connu un accroissement de 2900%, et de 5450% entre 2005 et 2019. Cette évolution est moins prégnante pour Libération, avec une augmentation de seulement 75% entre 2005 et 2019, mais qui tranche pourtant avec des titres parfois très sensationnalistes à propos de l’Arctique. Pour le quotidien russe Izvestia, on observe une augmentation des articles de 10 500%, entre 2005 et 2019. Pour Argumenti i Fakti, l’augmentation est de 1767%, un pourcentage donc moins élevé que pour le quotidien, mais qui peut aussi s’expliquer par le fait qu’il s’agisse d’un hebdomadaire. Dans les deux cas, l’augmentation est tout de même très significative, ce qui peut naturellement s’expliquer par l’importance de l’Arctique pour la Russie. Enfin, pour notre dernier journal, le quotidien en ligne Radio Canada, l’augmentation d’articles         entre 2005 et 2019 est de 240%.

Ce travail de statistiques illustre, vraisemblablement, un phénomène d’ampleur plus important dans les médias, à savoir la montée de la popularité de cet Arctique, longtemps délaissé, souvent considéré comme hostile et inhospitalier. Il est pourtant inévitable que l’Arctique soit amené à prendre de plus en plus d’importance dans les années à venir, notamment en raison de son statut de victime et d’observatoire du réchauffement climatique. Pourtant, c’est souvent pour de tout autres raisons que l’Arctique est placé sous le feu des projecteurs par nombre de médias qui le considèrent depuis quelques décennies comme un point chaud géopolitique. Ce fait peut s’illustrer par les chiffres produits lors de l’étude statistique des journaux étudiés.

Par exemple, pour les deux quotidiens français, on observe un nombre certes plus élevé d’articles portant sur l’environnement, par rapport à d’autres thèmes. En ce qui concerne le thème géopolitique, le nombre d’articles augmente également, entre 2005 et 2019, mais de façon beaucoup plus spectaculaire pour Le Figaro que pour Libération. Cela peut certainement s’expliquer par la différence de ligne éditoriale entre ces deux quotidiens, Le Figaro étant un journal de droite, libéral et conservateur, Libération étant un journal de centre-gauche, donc plus susceptible d’aborder le thème environnemental à propos de l’Arctique. En observant plus finement les statistiques, on remarque que l’année 2007, qui est celle du planter du drapeau russe au pôle Nord, marque un tournant en ce qui concerne le nombre d’articles pour Le Figaro. Enfin, le nombre d’articles portant sur le thème environnemental semble dominer et augmente au fil des années. Ce nombre reste donc, à l’exception de l’année 2008 pour Le Figaro, toujours plus important que le nombre d’articles portant sur le thème géopolitique. Néanmoins, le nombre d’articles portant sur le thème environnemental connait une augmentation bien moins importante que le nombre d’articles portant sur le thème géopolitique. En effet, si l’on prend l’exemple du Figaro où l’évolution statistique est plus notable, en 2007, 36% des articles sur l’Arctique portent sur le thème environnemental, contre 26% pour le thème géopolitique. En revanche, en 2019, on est respectivement à 32% et 28%, soit une augmentation certes peu conséquente du nombre d’articles portant sur le thème géopolitique, mais une baisse tout de même assez notable de la part de ceux portant sur le thème environnemental, alors même que ces questions prennent de plus en plus d’ampleur dans les débats publics, médiatiques et politiques à cette période.

Dans les deux journaux russes, l’environnement est un thème qui n’est que très peu présent dans les articles sur l’Arctique. Le thème géopolitique est bien plus important. Il représente environ 67% des articles pour le quotidien et 60% pour l’hebdomadaire en 2019. Pour cette même année, le thème environnemental représente respectivement 5,6% et 7,1%. Pour les autres années, la proportion d’articles sur le thème géopolitique est également effectivement plus élevée par rapport au thème environnemental. Par rapport aux journaux français, on a donc une surreprésentation du thème géopolitique dans la presse russe alors que les considérations environnementales semblent délaissées, ce qui n’est guère surprenant étant donné la place de l’exploitation et de l’exportation des énergies fossiles dans les structures économiques russes. En ce qui concerne les statistiques produites à partir des mots-clés, des années, et tranches d’années, pour tous les journaux et toutes les périodes étudiés, le mot-clé « environnement » accolé à «_Arctique » l’emporte sur tous les autres, sauf pour le quotidien russe où se sont les mots-clés « Безопасность » (« sécurité ») ou « Военные » (« militaire ») qui dominent. La dimension sécuritaire arctique semble donc extrêmement importante dans les articles russes et plus particulièrement la sécurité militaire ou énergétique, la Russie considérant sa zone arctique comme une chasse gardée et le poumon économique du pays.

Enfin, pour le quotidien canadien, les articles sur le thème géopolitique sont un peu plus nombreux que ceux sur le thème environnemental, peut-être en raison des inquiétudes nourries quant à sa souveraineté arctique depuis quelques décennies. Il n’en     reste pas moins que le thème environnemental demeure important.

Ce qu’il y a de commun à tous ces journaux, c’est le fait que les articles portant sur la science ou les communautés autochtones sont peu nombreux, ce qui peut surprendre lorsque l’on connait la dimension importante qu’occupe la recherche dans la politique arctique française par exemple, ou encore la diversité et l’importance des peuples autochtones en Arctique. Pourtant,  très peu d’articles leur sont consacrés. Concernant les peuples autochtones, pour les journaux français et russes, ce n’est pas vraiment étonnant : la France n’est pas un pays arctique et il est possible que la faible connaissance de la région par les médias ne leur ait pas permis d’associer plus clairement géopolitique, changements climatiques et communautés autochtones ; quant à la Russie, le sujet est peu abordé, car il s’agit de populations marginales et périphériques, peu impliquées dans les prises de décision. Les conditions et le mode de vie des populations autochtones sont pourtant des sujets importants dans le débat public au Canada, y compris les risques liés aux changements climatiques sur leur environnement et leur sécurité au sens large. Mais ici, on ne l’observe pas dans les statistiques de Radio Canada.

Bien que le thème environnemental demeure important et largement dominant (sauf pour la presse russe), les éléments liés au thème géopolitique semblent prendre une ampleur nouvelle. De plus, si la dimension environnementale est de plus en plus traitée également, le nombre d’articles associés à ce thème augmente néanmoins moins vite que ceux traitant des enjeux plus géopolitiques. Néanmoins, cette étude n’a pas permis d’observer de différence importante du nombre d’articles d’une année à une autre, et ce pour aucun thème, à l’exception d’une augmentation vraiment notable du nombre d’articles entre 2005 et 2007 pour Le Figaro. L’augmentation se fait de façon lente et plus ou moins constante. La seule différence statistique notable que l’on peut remarquer pour certains des journaux étudiés est celle du nombre d’articles total et de ceux portant sur le thème géopolitique, entre 2005 et 2019, ce qui illustre encore l’importance croissante de ce thème dans les articles portant sur l’Arctique. Il est enfin intéressant de noter que le journal traitant le plus de l’Arctique entre le premier article paru et décembre 2021 est Le Figaro, avec 2 261 articles, suivi par Izvestia (1109), Libération (690) et enfin Radio Canada (374). Cela peut paraître étonnant alors que la France n’est pas un pays riverain de cet espace, contrairement au Canada ou à la Russie, mais illustre une nouvelle fois le fait que l’Arctique est un espace qui fascine, même au-delà de ses limites.

Les statistiques obtenues montraient donc globalement une augmentation du nombre d’articles portant sur l’Arctique, ainsi qu’une importance croissante des considérations géopolitiques quant à cet espace. Une fois ces considérations prises en compte, il a été intéressant de les mettre en perspective avec le contenu des articles, ce qui a permis d’apposer à ces premiers résultats une seconde lecture afin de mieux comprendre la façon dont l’Arctique est construit dans les journaux étudiés et mettre en exergue des différences de discours entre les différents pays auxquels appartiennent ces derniers.

2.     Les principales représentations médiatiques de l’Arctique

2.1. L’Arctique dans la presse française : le triptyque réchauffement climatique – ressources – tensions.

Dans les quotidiens français Libération et Le Figaro, si l’environnement reste le thème majeur, certains titres demeurent pourtant très évocateurs d’enjeux géopolitiques en Arctique. Pour ne citer que quelques exemples, on trouve dans Libération « Haro sur le pétrole de l’Arctique », dès 2005, « la deuxième guerre froide » en 2008, ou encore en 2019 « Routes arctiques : dégel et nouvelles tensions ». Dans Le Figaro, les articles sur le thème géopolitique sont tout de même bien plus nombreux et les titres tout aussi évocateurs : « Moscou à l’assaut des richesses cachées de l’Arctique » en 2007, « Le Pôle Nord fait l’objet de toutes les convoitises » ou encore « les ressources de l’Arctique attisent les appétits » en 2008. Les exemples abondent. Pour ces deux journaux, des mots ou expressions tels que « conquête », « à l’assaut », « renforcent leur présence militaire », « convoitises », « richesses » ou encore « nouvelle frontière » reviennent très souvent dans les titres d’articles à propos de l’Arctique, de même que les mots ou expressions ayant trait au vocabulaire martial. Tous ces titres font miroiter ici l’existence d’enjeux économiques importants en Arctique, de richesses, attisant les convoitises de nombreux États, prêts à renforcer leur présence militaire dans cet espace pour l’occuper et le défendre. Néanmoins, cette image de l’Arctique est davantage véhiculée dans Le Figaro que dans Libération. Quoi qu’il en soit, l’Arctique est ici construit comme un espace à conquérir. Il est également présenté comme une sorte d’eldorado, empli de ressources en tout genre, de nombreux articles évoquant très régulièrement cet aspect. Il est également présenté comme étant un espace de tensions croissantes entre deux blocs en particulier : la Russie et l’Occident. La Russie est présentée dans les articles des quotidiens français comme une puissance conquérante, en pleine expansion militaire et économique en Arctique, en opposition constante avec les Occidentaux dans la zone.

En définitive, le constat reste le même : la plupart des articles sont construits de la même manière, selon un triptyque réchauffement climatique – accès aux ressources – tensions entre pays, l’un en entrainant un autre puisque la fonte des glaces, pouvant permettre l’accès à de nouvelles ressources et de nouvelles routes maritimes, aurait pour conséquence une concurrence accrue entre puissances pour le contrôle et l’exploitation de cet espace.

Ainsi, les représentations les plus frappantes et peut-être moins exactes de l’Arctique se trouvent sûrement dans la presse française.

2.2. L’Arctique russe : le symbole d’une puissance renouvelée

Dans les journaux russes, l’Arctique est érigé comme un véritable symbole de puissance retrouvée. Cet espace est présenté comme le poumon économique du pays. La Russie conçoit l’Arctique comme faisant partie intégrante de son territoire et cette idée est répercutée dans la presse. Jusqu’alors périphérique, cet espace devient central et représentatif de la vigueur de la nation russe et de la capacité de cette dernière à innover et à repousser toujours plus loin les limites du possible. En effet, l’Arctique est un espace extrêmement hostile, froid et aride. Pourtant, les entreprises russes, notamment Gazprom, parviennent à y exploiter de gigantesques gisements d’hydrocarbures. Les articles à ce sujet sont d’ailleurs très nombreux. D’autre part, de nombreux articles évoquent les expéditions d’explorateurs ou de scientifiques russes, effectuées en Arctique il y a de cela plusieurs années, voire siècles. Le fait d’évoquer ces expéditions et de les présenter comme de véritables prouesses humaines permet de montrer aux lecteurs russes qu’ils appartiennent à un peuple ayant compté parmi les siens des hommes capables de jouer avec les limites de ce qui est humainement réalisable. Il y a également une véritable évolution des thèmes abordés dans les journaux russes. Pour les années 2005, 2007, 2008 et 2013, les articles évoquent souvent les ressources contenues en Arctique, alimentant ainsi la vision de cet espace comme eldorado. On retrouve le même triptyque que dans la presse française. Mais en 2018 et 2019, le thème de l’eldorado s’efface pour laisser place à d’autres préoccupations, à savoir le développement de l’espace arctique russe et sa protection. En réalité, cette transition est même visible dès 2013, notamment dans Izvestia. L’exploitation des ressources reste néanmoins un thème extrêmement présent dans la presse russe, à la différence près que l’Arctique n’est plus conçu et présenté comme un eldorado où tout serait encore à découvrir. Si l’exploitation des ressources arctiques, notamment des hydrocarbures, est une priorité dans les articles d’Izvestia et d’Argumenti i Fakti, il est toujours question de projets en cours, donc de ressources déjà découvertes et en cours d’exploitation ou en passe de l’être.

Si la vision de l’Arctique comme théâtre de tensions avec les autres nations arctiques, voire comme future zone de conflit contre les Occidentaux, transparait parfois, elle est beaucoup moins prégnante que dans les quotidiens français, du moins dans Argumenti i Fakti. Beaucoup d’articles russes évoquent les tensions avec les Occidentaux et l’OTAN, mais l’Arctique n’est

que très peu présenté comme la cause de ces tensions. Il l’est certes dans les années 2000, avec la volonté de la Russie d’étendre son plateau continental dans l’océan Arctique. Les articles de cette époque évoquent alors des tensions avec les autres nations arctiques, provoquées par cette volonté expansionniste. Mais l’Arctique n’est plus ainsi conçu par la suite dans Argumenti i Fakti. Cependant, le thème de la militarisation de l’Arctique revient très régulièrement, dans une optique de protection de l’espace arctique russe ainsi que du passage du nord-est qui serpente au large des côtes russes, bien que la possibilité d’une guerre contre les Occidentaux ne soit pas directement évoquée dans les articles. En revanche, dans Izvestia, cette vision de l’Arctique comme espace de tensions transparait beaucoup plus.

En fait, la presse russe sur l’Arctique est extrêmement autocentrée, terme entendu au sens où les articles se concentrent vraiment sur le territoire arctique russe, sur des enjeux très internes et moins sur des enjeux plus internationaux comme c’est le cas dans la presse française. Ainsi, quelques thèmes majeurs dominent dans le traitement médiatique russe de cet espace : son développement, sa protection et l’exploitation de ses ressources, présentés comme étant une nécessité vitale pour la Russie.

2.3. La presse canadienne et la « crise de souveraineté » arctique (Landriault, 2013, 14)

La presse canadienne est également assez autocentrée, terme entendu dans le sens défini plus haut pour la presse russe. Cette fois-ci, c’est le thème de la souveraineté canadienne en Arctique qui domine. On ressent une inquiétude à la lecture de certains articles, notamment dans les premières années de notre étude, quant à la souveraineté du pays dans sa zone arctique. Certains articles effectuent une comparaison entre les efforts et les moyens investis par la Russie dans son espace arctique et ceux fournis par le Canada, qui seraient moindres. Le constat d’un retard important du Canada sur la Russie est ainsi fait, et ce dans tous les domaines : développement du passage du nord-ouest, des infrastructures, des moyens militaires. Ce retard, de nombreux articles l’abordent, posant ainsi de réelles questions quant à la capacité du Canada à s’approprier correctement son espace arctique et à le développer suffisamment, afin d’en faire une véritable vitrine, à l’image de ce que la Russie a réussi à faire ces dernières années. La vision de l’Arctique comme eldorado est peu présente, voire absente. En revanche, celle de l’Arctique comme théâtre de conflit l’est davantage. L’environnement est un thème également très présent, avec de nombreuses inquiétudes exprimées quant aux dégradations environnementales en Arctique.

2.4. Bilan général des principales représentations médiatiques arctiques

Si l’on devait résumer, trois grandes idées principales reviennent donc à propos de l’Arctique dans les journaux étudiés pour ce travail. D’abord, celle de l’Arctique comme eldorado, assimilé en tant que tel à partir de la parution en 2008 du rapport de l’USGS sur les ressources en hydrocarbures présentes en Arctique. Dès lors, de nombreux médias en général, se sont extasiés sur les potentielles réserves d’hydrocarbures contenues dans la zone, prenant comme principale référence cette étude de l’USGS. Certains des articles étudiés, notamment dans la presse française, se fondent d’ailleurs sur cette étude pour construire leur propos.

La deuxième idée qui revient le plus souvent à propos de l’Arctique, c’est la vision de cet espace comme futur théâtre de conflit. Cette vision semble être apparue plus récemment que celle de l’Arctique comme eldorado. En fait, l’Arctique est présenté comme futur théâtre de conflit de deux manières différentes. D’abord, c’est un espace de tensions entre les pays arctiques eux-mêmes. Cette première vision est plus ancienne. Ensuite, l’Arctique est à nouveau construit, depuis quelques années, comme espace de tensions, voire de futur conflit entre Russes et Occidentaux. Le terme de guerre froide est même parfois mentionné.

De façon plus générale, de nombreux articles évoquent de plus en plus les projets et progrès effectués en Arctique quant à la militarisation de cet espace. Entrainements de fantassins, construction de brise-glaces, nouveaux équipements adaptés aux températures extrêmes et sorties de sous-marins : les exemples abondent et donnent l’image d’une militarisation très importante de l’Arctique, rapportée parfois directement à l’éventualité d’un conflit dans cette zone. 

Le dernier thème revenant le plus souvent à propos de l’Arctique est bien entendu le phénomène du réchauffement climatique et de ses conséquences sur cet espace. Au fur et à mesure que des études et rapports comme ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur les changements climatiques (GIEC) paraissent, le sujet semble prendre de l’ampleur : fonte des glaces, conséquences du réchauffement climatique sur les écosystèmes arctiques et les courants marins… la question environnementale en Arctique doit en effet constituer un sujet de préoccupation majeur aujourd’hui, tant cette zone est importante dans la régulation du système climatique mondial. Pourtant, le réchauffement climatique est trop souvent présenté, de façon assez ambivalente, comme une véritable opportunité d’exploration et d’exploitation économique, ouvrant de nouvelles perspectives en Arctique, rendant celui-ci moins hostile, plus accueillant, une sorte de nouveau « front pionnier » (Vaguet, 2021), en somme. Si de nombreux articles s’alarment des conséquences du réchauffement climatique sur l’Arctique, d’autres n’hésitent pas à louer les vertus qu’il pourrait avoir : accès aux ressources, ouverture de nouvelles routes maritimes… Présenter ainsi le réchauffement climatique semble réellement problématique au regard des prévisions déjà désastreuses de ces dernières années sur l’impact de ce phénomène sur notre planète.

3.     Le fort clivage médiatique et scientifique à propos de l’Arctique

3.1. La coopération : le leitmotiv prédominant en Arctique ?

La vision de certains chercheurs est bien différente de celles présentées dans les médias. Pour eux, l’Arctique est loin d’être cette terre emplie de richesse intarissables, ou encore le théâtre d’une prétendue guerre froide, mais plutôt un espace à protéger sur le plan environnemental et surtout un espace de coopération, au point qu’il existerait un « exceptionnalisme » arctique (Exner-Pirot et Murray, 2017). Heather Exner-Pirot a publié en 2018 (Exner-Pirot, 2018) un article sur le site Arctic Today, intitulé « How to write an Arctic story in 5 easy steps ». Dans cet article, celle-ci se moque de la façon dont la plupart des journalistes construisent l’Arctique. Cet exemple est assez révélateur du hiatus qui existe entre vision scientifique et vision médiatique quant à cet espace.

Et les faits semblent en effet accréditer la vision de ces scientifiques.

D’abord, la représentation de l’Arctique comme eldorado est à nuancer. En effet, les ressources annoncées sont probablement surestimées, « beaucoup de spéculation [ayant] entouré l’estimation des ressources probables de la région. » (Lasserre, Choquet et Escudé-Joffres, 2021, p. 35). Le rapport de 2008 de l’USGS semble avoir relancé l’idée de l’Arctique comme eldorado, mais « ce travail se base sur des modèles probabilistes, et non des forages. Les explorations menées depuis se sont révélées décevantes. » (Observatoire de l’Arctique, FRS – DGRIS, 2022).

De plus, l’Arctique demeure un espace difficile d’accès, toujours pris dans les glaces la majeure partie de l’année, et ce malgré l’espoir de certains articles de voir un jour le réchauffement climatique permettre l’accès à ces ressources. De ce fait, il est encore extrêmement difficile et coûteux d’exploiter ces gisements d’hydrocarbures, si bien que de nombreux projets ont été abandonnés par des entreprises soucieuses notamment de préserver leur image sur le plan environnemental, telles que Shell ou Total. Enfin, il faut rappeler que l’Arctique, contrairement à l’Antarctique, est un espace maritime, en bonne partie approprié (zones économiques exclusives et plateaux continentaux, et bordé de terres appartenant à des États souverains. Or, la plupart des ressources arctiques se trouvent précisément sur ces territoires souverains ou dans les espaces maritimes leur appartenant, et il semble peu raisonnable d’envisager qu’un pays puisse partir à l’assaut de ressources appartenant à un autre État.

Mais, comme susmentionné, cette idée de l’Arctique comme eldorado est de moins en moins prégnante ces dernières années, laissant sa place à une autre représentation semble-t-il plus populaire : celle de l’Arctique comme nouveau futur théâtre de conflit, notamment entre Russes et Occidentaux. Pourtant, il faut nuancer cette idée. Depuis son arrivée au pouvoir en Russie, en 2000, Vladimir Poutine a, semble-t-il, toujours eu pour objectif de redorer le blason de son pays et de lui rendre sa puissance d’antan. Sa politique extérieure agressive a véritablement relancé les tensions entre la Russie et les Occidentaux. Pour autant, ces tensions méridionales sont projetées, à tort, sur l’Arctique, par les médias. Si un conflit devait avoir lieu en Arctique, celui-ci s’expliquerait probablement par des raisons uniquement géographiques, la Russie, ainsi que certains pays de l’OTAN étant riverains de ce dernier.

La question de la militarisation de l’Arctique est également souvent utilisée par les médias pour montrer que cet espace devient un théâtre de tensions et de potentiel conflit. Mais parler de militarisation serait surestimer la réalité. Dans le cas de la Russie par exemple, on assiste non pas à une militarisation de l’Arctique, mais à une « modernisation et une réoccupation d’anciennes bases militaires »[1], selon le chercheur Florian Vidal, ce qui serait perçu comme étant un « signal belliqueux de la part des Russes »[2], d’après Michael Delaunay.

Pour certains chercheurs, c’est la coopération qui prévaut en Arctique, notamment par le biais du Conseil de l’Arctique, remettant en cause l’idée d’une montée croissante des tensions. « La dynamique politique des pôles est souvent dépeinte dans les médias comme source de frictions, voire de conflits à venir. […] En réalité, au-delà des images souvent diffusées de course à l’appropriation et de far west polaire, ces espaces sont régis par une coopération institutionnalisée. » (Lasserre, Choquet et Escudé-Joffres, 2021, p.75). La particularité du Conseil de l’Arctique est que les questions sécuritaires n’y sont a priori jamais abordées. Il permet donc un dialogue apaisé entre des pays pourtant en froid dans le reste du monde, comme la Russie et les Occidentaux.

Pourtant, pour certains journalistes, il existerait une modération excessive parmi certains chercheurs. L’hypothèse de l’existence d’un angélisme scientifique posait donc la question d’une potentielle mésestimation par le milieu scientifique des enjeux stratégiques, militaires et sécuritaires en Arctique.

3.2. Un angélisme parmi les chercheurs ?

En 2019, le consensus régnant au sein du Conseil de l’Arctique est remis en cause par Mike Pompeo, dans une allocution prononcée à Rovaniemi, en Finlande, en 2019. L’ancien Secrétaire d’État des États-Unis, tout en réaffirmant la légitimité des États-Unis en tant que pays arctique, se montre extrêmement virulent envers la Chine et la Russie, fustigeant leur comportement agressif et leur manque de coopération ailleurs dans le monde qui selon lui en disent long sur la façon dont ces pays pourraient agir en Arctique. Il reprend également certaines idées relayées par les médias, vantant les ressources de l’Arctique, ressuscitant les données avancées en 2008 par l’USGS, ainsi que les nouvelles opportunités de navigation, en avançant que les passages du nord-ouest et du nord-est « pourraient devenir les canaux de Suez et du Panama du XXIème siècle ». Pour lui, « la région est devenue un centre de pouvoir et de compétition ». Par ces mots, Mike Pompeo remettait ainsi en cause l’esprit de consensus censé prévaloir en Arctique ainsi que la règle tacite qui est de ne pas évoquer les questions sécuritaires en Arctique.

Dans un reportage réalisé en 2020 par la journaliste et réalisatrice Agnès Hubschman, intitulé Arctique : la guerre du pôle, de nombreux responsables militaires et politiques semblent accréditer par leur propos  la vision des médias sur l’Arctique, ainsi que celle de Mike Pompeo. Il apparait alors que la vision de l’Arctique comme eldorado et comme théâtre de nouveaux conflits d’envergure est relayée jusque dans les milieux politiques. Ce fossé entre vision scientifique d’une part et vision politique d’autre part est assez surprenant. Selon Mme Hubschman, il existerait donc un décalage entre la vision scientifique de l’Arctique comme modèle de coopération internationale et les démonstrations de force de pays qui organisent de nombreux exercices militaires dans cet espace. L’idée de coopération arctique qui prévaudrait sur tout le reste ne serait donc plus si évidente.

Existe-t-il donc réellement un angélisme parmi le milieu scientifique, au point que celui-ci resterait figé sur une vision coopérative de l’Arctique aux dépens d’une réalité stratégique qui aujourd’hui évoluerait ?

Il existe en relations internationales deux écoles de pensée qui peuvent s’appliquer aux chercheurs à propos de l’Arctique. D’abord, l’école réaliste, qui rassemblerait une majorité de chercheurs canadiens, américains et russes, selon Camille Escudé-Joffres[3], docteure en science politique et chercheuse en relations internationales. Les chercheurs appartenant à cette école conçoivent effectivement l’Arctique comme un futur théâtre d’affrontements, s’attachant au schéma de guerre froide pour décrire les relations entre nations dans cet espace et pour qui les intérêts de chaque État priment sur l’esprit de coopération. Et l’école libérale, croyant à l’inverse en la coopération et au rôle essentiel des institutions tel que le Conseil de l’Arctique. Toujours d’après Camille Escudé-Joffres, une majorité de chercheurs scandinaves et certains chercheurs français appartiennent à cette école, parfois qualifiée d’angéliste, qui insiste sur le fait que « le Conseil de l’Arctique a fonctionné envers et contre tout, même après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. C’est ce qui a poussé certains chercheurs à considérer l’Arctique comme une sorte de bulle géopolitique, isolée des tensions et conflits qui ont lieu ailleurs dans le monde. »[4]

Pour Michael Delaunay, docteur en science politique et chercheur, « il y a bien dans les mots et les écrits un durcissement américano- canadien contre la Chine et la Russie dans l’Arctique, discours qui découle des relations plus tendues entre ces pays sur la scène internationale. [Il n’y a] pas d’angélisme [de la part des chercheurs], mais une expérience qui [leur] permet de dire qu’effectivement au sein du Conseil de l’Arctique, dans le monde scientifique, c’est la coopération qui prévaut. Cependant, cela était valable jusqu’à l’invasion de l’Ukraine [par la Russie, en février 2022] qui a gelé les travaux du Conseil de l’Arctique. Mais l’Arctique n’est qu’une victime collatérale d’une politique étrangère russe et de la réponse occidentale à celle-ci »[5]. Ces propos de Michael Delaunay mettent donc en avant l’expertise de chercheurs qui travaillent en profondeur, depuis des années, sur les questions arctiques et qui sont donc capables d’apporter les nuances « que certains articles effacent ».

Ainsi, s’il existe pour certains journalistes une modération des chercheurs sur les questions arctiques, il existe pour ces derniers, à l’inverse, un sensationnalisme excessif de la part de certains médias : « Ce qui nous pose un problème, à nous chercheurs, ce sont bien justement ces titres racoleurs qui [sont là] simplement pour faire vendre, ce qui construit une fausse image des tensions actuelles dans la région dans l’esprit du grand public »[6], confie Michael Delaunay.

3.3.   Une vision médiatique de l’Arctique exagérément sensationnaliste ?

D’où vient alors cette image parfois exagérée donnée de l’Arctique dans la presse ? Pour Frédéric Lasserre, chercheur et directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques (CQEG), il y a « un attrait pour le sensationnalisme »[7]. Voilà un point sur lequel s’entendent chercheurs et journalistes. En effet, il faut jouer le « jeu du public » d’après Agnès Hubschman : « pour vendre, pour faire de l’audience, il faut des titres accrocheurs »[8].

Laura Berny, journaliste pour le quotidien français Les Echos, explique qu’il y a eu une réelle évolution dans la façon que les gens ont de lire les journaux. Étant donné que le public achète de moins en moins les journaux papier, et que l’essentiel des lecteurs se trouve sur le web, les équipes éditoriales cherchent à les attirer par le biais de l’article et non plus par le canal du journal en lui-même, « ce qui pousse les journalistes à présenter les choses sous l’angle le plus croustillant possible. ». C’est peut-être pour cette raison que « les chercheurs essayent de tempérer et d’aller dans le sens contraire de celui des journalistes », car cette façon de construire les articles, en étant dans la recherche du titre le plus accrocheur possible, « les agace ». « Le mieux, [serait] de s’arrêter aux articles de journalistes qui sont allés en Arctique », qui connaissent donc cet espace et qui sont le plus à même d’en parler[9].

La deuxième raison qui explique ce manque de nuance dans les articles, c’est le manque de temps : « la presse n’a pas le temps de se plonger dans un sujet aussi complexe. Cela peut amener à des simplifications. », explique Madame Hubschman. De la même manière, les journalistes (tout comme les chercheurs) abordent leur sujet selon un biais. « On aborde l’Arctique sous un certain angle. Cela ne veut pas dire que c’est la seule façon d’en parler. », continue-t-elle.[10]

C’est donc cette façon de construire les articles qui mène à cette vision exagérément sensationnaliste de la presse sur l’Arctique et que le lecteur averti doit garder à l’esprit.

Conclusion

« Sur l’Arctique, le sensationnalisme est excessif, mais il fait vendre »   (Feertchak, 2019)

Ce travail n’entend pas être assez exhaustif pour dire que tous les journaux, journalistes ou médias en général présentent systématiquement l’Arctique de cette façon et en aucune façon ne dénigre le milieu journalistique ou les articles cités. Les journalistes n’ont pas tous les mêmes moyens, la même liberté ou la même façon d’appréhender un sujet. Il a néanmoins permis d’identifier certaines des représentations qui semblent être les plus tenaces à propos de l’Arctique, dans le but de mieux cerner cet espace. Celui-ci fait fantasmer, aussi bien pour l’image que l’on peut se faire de ces immenses étendues de glace, que pour les enjeux dont il serait l’objet. Pourtant, l’Arctique n’est « ni un Far West ni un Eldorado » (Mered, 2019). Ses ressources, souvent vantées par les journaux, se situent soit sur des territoires souverains ou dans les ZEE, soit sont trop difficiles d’accès. En ce qui concerne le trafic maritime, ce dernier est pour le moment le fait d’un trafic local, ou de destination, et non de transit. La fonte des glaces peut-elle changer la donne dans les années à venir ? Peut-être. Mais l’Arctique, pourtant essentiel à la régulation climatique et océanique mondiale, est fortement sujet aux conséquences du réchauffement climatique et ce dernier ne saurait être raisonnablement considéré comme une opportunité, même dans l’espoir de voir un jour s’ouvrir de nouvelles routes maritimes ou d’exploiter de nouvelles ressources. Devant l’urgence, de nombreux pays recherchent des solutions alternatives aux énergies fossiles. Le pétrole et le gaz en faisant partie, il est difficile de donner du crédit aux articles qui parlent de gigantesques gisements arctiques qui pourraient être exploités d’ici quelques décennies, tout en sachant qu’il est question aujourd’hui déjà d’un changement de paradigme dans nos façons de vivre. En revanche, si ce phénomène du réchauffement climatique venait à s’aggraver, peut-être qu’en effet, l’accès aux nouvelles routes maritimes ou d’autres ressources présentes en Arctique, comme les terres rares, pourraient devenir un réel enjeu. Pour le moment, nul ne peut prétendre prédire l’avenir et répondre de façon catégorique à la question.

Quoi qu’il en soit, il apparaît au vu des travaux scientifiques que les enjeux stratégiques et militaires tels que présentés dans les articles étudiés pour ce travail sont largement surestimés et romancés, notamment dans la presse non-arctique, et qu’il y a parfois un manque voire une absence de nuance que les travaux scientifiques, s’inscrivant dans un temps plus long, sont capables d’apporter. Les faits également : l’Arctique n’est pas un théâtre de conflit pour les ressources ou des zones terrestres et maritimes, même s’il est vrai que quelques différends juridiques à propos des routes maritimes ou de certains territoires demeurent des questions toujours en suspens. Si certaines tensions débordent parfois sur cet espace, comme ce fut le cas lors de l’allocution de Rovaniemi, celles-ci trouvent le plus souvent leur cause plus au sud, et non pas en Arctique. Il est donc clair qu’il existe un sensationnalisme médiatique important à propos de cet espace, au regard des corrections faites par les travaux scientifiques.

Quant à l’angélisme qui prévaudrait parmi les chercheurs, il est difficile de l’évaluer. Si certains faits montrent en effet un regain de tensions et d’attention portée sur l’Arctique, d’autres accréditent plutôt le point de vue des chercheurs de cette zone comme véritable lieu de coopération plus que de tensions, comme en témoigne le travail fourni depuis maintenant plusieurs décennies par les groupes de travail du Conseil de l’Arctique. Néanmoins, tous les chercheurs n’ont pas la même façon d’envisager l’Arctique, de la même façon que tous les journalistes ne vont pas écrire leur article à partir du même angle. Il est clair qu’il existe plusieurs visions de ce qu’est l’Arctique, y compris parmi les chercheurs, entre ceux partisans d’une vision plus conflictuelle de l’Arctique et ceux défendant l’idée de coopération. Dans le cadre de ce travail, seuls des chercheurs défendant plutôt cette seconde vision ont accepté d’échanger. Mais il faut être conscient qu’il existe une autre catégorie de chercheurs dont le discours ne vient nullement corroborer cette conception coopérative de l’Arctique.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a marqué un véritable coup d’arrêt aux travaux du Conseil de l’Arctique. Est-ce la fin de « l’exceptionnalisme » arctique dont parle Heather Exner-Pirot ? La vision scientifique réaliste va-t-elle prendre le pas sur la vision plus libérale de l’Arctique ? Seul l’avenir permettra de le dire. Dans l’immédiat, il convient d’être conscient de l’existence de ces différentes visions médiatiques et scientifiques de l’Arctique, afin de mieux le comprendre et de parvenir à l’appréhender de la façon la plus nuancée possible.

Références

AFP (2008), Remake de la guerre froide en Arctique, Libération (Paris), 25 août.

Alonso, Pierre (2019), Routes arctiques : dégel et nouvelles tensions, Libération (Paris), 29   août.

De Malet, Caroline (2008), Le pôle Nord fait l’objet de toutes les convoitises, Le Figaro (Paris), 23 avril.

Département d’État des États-Unis (2019). Looking North : Sharpening America’s Arctic Focus, https://2017-2021-translations.state.gov/2019/05/06/looking-north-sharpening-americas-arctic-focus/index.html,  c. le 3 janvier 2023.

Exner-Pirot, Heather (2018). How to write an Arctic story in 5 easy steps. Arctic Today, 4 décembre 2018, https://www.arctictoday.com/write-arctic-story-5-easy-steps/ , c. le 18 décembre 2022.

Exner-Pirot, Heather et Murray, Robert (2017). Regional Order in the Arctic : Negotiated Exceptionnalism. The Arctic Institute, 24 octobre 2017, https://www.thearcticinstitute.org/regional-order-arctic-negotiated-exceptionalism/, c. le 17 décembre 2022.

Feertchak, Alexis (2019). Sur l’Arctique, le sensationnalisme est excessif mais il fait vendre, Le Figaro (Paris), 20 novembre.

Hubschman, Agnès (2020). Arctique, la guerre du pôle, Paris, France Télévisions.

J.C. avec AFP (2007), Moscou à l’assaut des richesses cachées de l’Arctique, Le Figaro (Paris), 14 octobre.

Kovacs, Stéphane avec AFP et Reuters (2008), Les ressources de l’Arctique attisent les appétits, Le Figaro (Paris), 29 mai.

Landriault, Mathieu (2013). La sécurité arctique 2000-2010 : une décennie turbulente ? Thèse de doctorat en Sciences politiques, Université  d’Ottawa, École d’études politiques, https://ruor.uottawa.ca/bitstream/10393/24353/1/Landriault_Mathieu_2013_these.pdf.

Lasserre, Frédéric ; Choquet, Anne et Escudé-Joffres, Camille (2021). Géopolitique des pôles, vers une appropriation des espaces polaires ? Paris, Le Cavalier Bleu.

Libération (2005). Haro sur le pétrole de l’Arctique, Libération (Paris), 7 janvier.

Mered, Mikaa (2019). Les Mondes polaires, Paris, PUF.

U.S. Geological Survey (USGS), Bird, J. Kenneth et al. (2008). Circum-Arctic Resource Appraisal : Estimates of Undiscovered Oil and Gas North of the Arctic Circle. https://pubs.er.usgs.gov/publication/fs20083049 , c. le 22 décembre 2022.

Vaguet, Yvette (2021). Fronts et frontières en Arctique, quelle singularité ? Géoconfluences, 13 décembre 2021, https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/arctique/articles-scientifiques/fronts-et-frontieres-en-arctique, c. le 9 janvier 2023.

Zizek, Slavoj (2008), La deuxième guerre froide, Libération (Paris), 13 novembre.

Sources orales (entrevues) :

Berny, Laura, journaliste pour Les Echos, entretien mené le 17/08/2022.

Delaunay, Michael, docteur en science politique et chercheur à l’OPSA (Observatoire de la Politique et la Sécurité de l’Arctique), entretien mené le 18/07/2022.

Escudé-Joffres, Camille, docteure en science politique, chercheuse en relations internationales à Sciences Po (CERI) et professeure agrégée de géographie, entretien mené le 31/08/2022.

Hubschman, Agnès, journaliste et réalisatrice, entretien mené le 25/07/2022.

Lasserre, Frédéric, chercheur à l’École supérieure en Études internationales (ESEI) et à l’Institut Hydro-Québec en Environnement, Développement et Société (IEDS), professeur au Département de géographie de l’Université Laval (Québec), directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques (CQEG), entretien mené le 08/07/2022.

Vidal, Florian, chercheur associé au Centre Russie/NEI à l’IFRI et maître de conférences à l’ESPOL (Institut Catholique de Lille), entretien mené le 20/08/2022.

Annexes

Les données statistiques mentionnées dans le développement sont issues de ces tableaux :

Annexe 1. Tableaux présentant le nombre d’articles portant sur l’Arctique, par thèmes et par années, pour chaque journal étudié.

Annexe 1.1. Nombre d’articles portant sur l’Arctique, par thèmes et par années pour Libération.

Annexe 1.2. Nombre d’articles portant sur l’Arctique, par thèmes et par années pour Le Figaro.

Annexe 1.3. Nombre d’articles portant sur l’Arctique, par thèmes et par années pour Izvestia.

Annexe 1.4. Nombre d’articles portant sur l’Arctique, par thèmes et par années pour Argumenti i Fakti.

Annexe 1.5. Nombre d’articles portant sur l’Arctique, par thèmes et par années pour Radio Canada

Annexe 2. Tableaux présentant le nombre d’articles portant sur l’Arctique, années, tranches d’années et mots-clés, pour chaque journal étudié.

Annexe 2.1. Nombre d’articles par années, tranches d’années et mots-clés pour Libération

Annexe 2.2. Nombre d’articles par années, tranches d’années et mots-clés pour Le Figaro

Annexe 2.3. Nombre d’articles par années, tranches d’années et mots-clés pour Izvestia

Annexe 2.4. Nombre d’articles par années, tranches d’années et mots-clés pour Radio Canada


[1] Cette citation est le fruit d’un entretien mené avec M. Florian Vidal.

[2] Cette citation est le fruit d’un entretien mené avec M. Michael Delaunay.

[3] La réflexion menée dans ce paragraphe est le fruit d’un entretien oral mené avec Madame Camille Escudé-Joffres.

[4] Cette citation est le fruit d’un entretien oral mené avec Mme Camille Escudé-Joffres.

[5] Cette citation est le fruit d’un entretien oral mené avec M. Michael Delaunay.

[6] Ibid.

[7] Cette citation est le fruit d’un entretien oral mené avec M. Frédéric Lasserre.

[8] Cette citation est le fruit d’un entretien oral mené avec Mme Agnès Hubschman.

[9] Les différentes citations contenues dans ce paragraphe sont le fruit d’un entretien mené avec Mme Laura Berny.

[10] Ces citations sont le fruit d’un entretien oral mené avec Mme Agnès Hubschman.

Guerre en Ukraine. Quelles causes ? Quelles conséquences pour les relations russo-chinoises ?

RG v8n1, 2022

Frédéric Lasserre et Olga Alexeeva

Frédéric Lasserre est directeur du Conseil québécois d’Études géopolitiques et professeur au département de Géographie de l’Université Laval.  Frederic.lasserre@ggr.ulaval.ca

Olga Alexeeva est professeure au département d’Histoire de l’UQAM et chercheure au CQEG. Alexeeva.olga@uqam.ca

Résumé : le conflit qui embrase l’Ukraine depuis le 21 février 2022, date de l’annonce de l’entrée des troupes russes dans le Donbass, trouve ses origines dans la recomposition politique internes à l’Ukraine, mais aussi dans les représentations que nourrit la Russie et son président Vladimir Poutine à son endroit. Quelles sont ces représentations ?  La Chine pourrait-elle jouer un rôle dans l’évolution de ce conflit ?

Mots-clés : Ukraine, Russie, guerre, Donbass, représentations, Chine.

Summary : the conflict that has set Ukraine ablaze since February 21, 2022 has its origins in the internal political recomposition of Ukraine, but also in the representations that Russia and its President Vladimir Putin nurture about the former Soviet republic. What are these representations? Could China play a role in the evolution of this conflict?

Keywords : Ukraine, Russia, war, Donbass, représentations, China.

Le 21 février 2002, le président russe Vladimir Poutine a officiellement reconnu l’indépendance des deux républiques sécessionnistes de Lougansk et de Donetsk, et a ordonné aux troupes russes de se déployer dans ces territoires pour en assurer la sécurité, ce qui constituait déjà en soi un acte de guerre contre l’Ukraine. Mais l’attaque de l’Ukraine sur plusieurs fronts, annoncée le 23 février, souligne que là n’était sans doute pas le seul objectif du président russe. Quelles sont les raisons de cette invasion? Et quelles répercussions principales peut-on entrevoir à la suite du déclenchement de ce conflit majeur, le premier entre États en Europe depuis 1945, ou depuis les guerres yougoslaves (1991-1995, 1999) ? La Russie semble s’appuyer sur le support tacite de la Chine de sa politique expansionniste en Ukraine, le support censé de lui aider à faire face aux sanctions occidentales. Quelle fut la réaction initiale de Pékin à l’invasion russe de l’Ukraine ? Comment cette réaction a évalué au fil de jours ? Quelles seraient les conséquences de cette crise pour la stabilité en Asie ?

  1. Un conflit déjà ancien en Ukraine

La cristallisation du conflit en Ukraine n’est pas un phénomène récent. À la sécession de la Crimée en février 2014, soutenue par des troupes masquées et sans insignes, mais fortement armées dont on a fortement soupçonné l’appartenance à l’armée russe (Norberg, 2014) succédait l’annexion par la Russie en mars 2014 (Biersack and O’Lear, 2014; Grant, 2015). Quelques mois plus tard, deux zones du Donbass, région de l’Est de l’Ukraine, ont tenté de reproduire le même scénario avec la sécession des deux républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. Cette sécession a là encore été soutenue par la Russie, financièrement, logistiquement en armes et possiblement par des conseillers voire des soldats sans insigne (Barabanov, 2015; Campana, 2016). Elle a aussi et notamment été marquée par deux référendums tenus dans les zones contrôlées par les rebelles le 11 mai 2014, lesquels ont servi de caution consultative aux déclarations d’indépendance. Après plusieurs mois d’affrontements et la prise de Debaltsevo par les rebelles, l’accord de Minsk II du 12 février 2015 a permis un cessez-le-feu, précaire et souvent émaillé de combats sporadiques marqués par des duels d’artiellerie tout au long des années suivantes (Henrotin, 2020). L’Ukraine était très réticente à signer cet accord, notamment parce qu’il impliquait de reconnaître une légitimité et un statut spécial aux séparatistes, et donc de légitimer un éventuel nouveau référendum d’autodétermination. La réalité du rapport de forces sur le terrain a néanmoins forcé Kiev[1] à se résigner à cet accord imparfait, qui octroyait de facto un levier de pression important de Moscou sur l’Ukraine (Boulègue, 2018).

Figure 1. Les républiques sécessionnistes du Donbass

Source : Le Parisien, 22 février 2022, https://tinyurl.com/Donbass-secessionnistes

2. Représentations russes : de la sécurité à la défense des russophones hors Russie

Les raisons évoquées par la Russie pour justifier ou légitimer l’invasion de l’Ukraine avant l’attaque du 23 février sont de trois ordres. On y retrouve le déni de légitimité à l’Ukraine ; le souci de la défense des russophones du Donbass ; la crainte de voir l’Ukraine, pays frontalier de la Russie, devenir membre de l’OTAN et de l’Union européenne.

2.1. La défense des russophones hors de Russie

Cet argument a souvent été invoqué par Moscou pour justifier les pressions que la Russie a pu exercer sur ses voisins. On peut penser à l’Estonie et à la Lettonie (Pundziūtė-Gallois, 2015) jusqu’en 2014. Dans sa justification de son annexion de la Crimée, le président Poutine évoquait ainsi la défense des minorités russes face au désir d’assimilation prêté aux autorités ukrainiennes (Bebier, 2015). Si le désir de développement de la langue ukrainienne dans la sphère publique était bien réel (Fournier, 2002), il n’en demeure pas moins que ce débat linguistique interne à l’Ukraine semble avoir été manipulé par Moscou et par les séparatistes du Donbass. En effet, une part notable de la population russophone d’Ukraine ne souscrivait pas à l’alarmisme des discours sur l’oppression culturelle dont aurait été l’objet la minorité russophone d’Ukraine, et est demeurée fidèle au gouvernement de Kiev (Laruelle, 2016; Pop-Eleches et Robertson, 2018; Boisvert, 2022). Dans le déroulement de la guerre de 2022, si le 21 février le président Poutine ordonne effectivement aux troupes russes d’entrer dans le Donbass pour y protéger les républiques de Donetsk et de Lougansk, s’il reconnait de plus la revendication de ces républiques sur l’ensemble du Donbass alors qu’elles n’en contrôlent que le tiers (Moscow Times, 2022), le fait que 2 jours plus tard l’offensive majeure russe porte sur la région de Kiev laisse entendre que l’objectif prioritaire de Moscou n’était pas la défense des russophones. De plus, cet argument n’explique pas l’urgence : si les accords de Minsk demeuraient très imparfaits et semblaient offrir peu d’issue, l’existence des républiques sécessionnistes n’était pas menacée, Kiev, malgré le renforcement récent de son armée, n’ayant guère les moyens militaires de reconquérir ces territoires bien soutenus militairement et politiquement par Moscou.

2.2. La menace de l’OTAN

À la suite du sommet OTAN-Russie de 2008, Vladimir Poutine, alors Premier ministre, aurait déclaré que si l’Ukraine rejoignait l’OTAN, son pays pourrait envisager l’annexion de l’Ukraine orientale et de la Crimée (Українська Правда, 2008). À tout le moins, il aurait vivement protesté auprès du président américain George Bush lorsque fut évoquée la possibilité d’une adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie (Harding et al, 2008), soulignant que l’Ukraine n’avait pas de légitimité politique (Baer, 2018). La décision des Occidentaux d’admettre les pays baltes au sein de l’OTAN, puis d’envisager l’adhésion d’autres ex-républiques soviétiques, dont l’Ukraine, a fortement irrité le gouvernement russe, accélérant une désillusion de la part de Vladimir Poutine. Pourtant plusieurs analystes estiment que celui-ci envisageait, au début de ses premières présidences (2000-2004, 2004-2008), une collaboration réelle avec les Occidentaux (Shlapentokh, 2021), pour ensuite être déçu face à l’attitude qu’il percevait volontiers comme arrogante et hégémonique de la part de Washington, évolution perceptible dès son discours de Munich en 2007 (Poutine, 2007; Zecchini, 2007).

Le discours du président Poutine a beaucoup mis l’accent sur l’expansion de l’OTAN vers la Russie, intégrant tout d’abord plusieurs pays d’Europe de l’Est, puis d’anciennes républiques soviétiques avec les trois pays baltes en 2004. « L’attitude de la Russie d’aujourd’hui rappelle celle de la France d’il y a deux siècles : contre qui l’OTAN est-elle alliée ? Pour Moscou, la seule réponse possible à cette question est : la Russie. Comme l’a fait remarquer un témoin devant un comité parlementaire en Grande-Bretagne, aux yeux des Russes, ‘l’idée que l’OTAN ne soit pas anti-russe est saugrenue.’ » (UK Parliament, 2007). Percevant l’OTAN comme une alliance antirusse, Poutine rappelle aussi aux Occidentaux que ceux-ci avaient promis, lors des derniers instants de l’URSS, que l’alliance atlantique ne serait pas étendue vers l’Est (Sarotte, 2010, 2021), nourrissant le sentiment de trahison (Mearsheimer, 2014).

Mais au-delà de l’amertume de voir l’OTAN s’étendre vers l’Est et admettre d’anciens pays du pacte de Varsovie ou d’anciennes républiques soviétiques devenues indépendantes, la possibilité d’une adhésion de l’Ukraine était-elle une menace sérieuse ? Était-elle envisagée à court terme par l’OTAN ?  En réalité, même si le président ukrainien Porochenko avait effectivement demandé l’adhésion de son pays au sein de l’Alliance en 2014, décision confirmée par l’abandon du statut de neutralité en décembre 2014 suite à l’annexion de la Crimée et à la guerre dans le Donbass (Interfax, 2014), cette adhésion était peu probable et guère envisagée par les gouvernements occidentaux, car ne suscitant pas de consensus— surtout dans un contexte de vives tensions avec Moscou (Wong and Jakes, 2022; South China Morning Post, 2022; Pommiers, 2022). De plus — gesticulation ou reflet des représentations réelles — les dirigeants russes ont à plusieurs reprises qualifié l’OTAN de « tigre de papier » (Spiegel, 2008; Pommiers, 2022). Quoi qu’il en soit, s’il est certain que Moscou perçoit l’OTAN et les États-Unis comme leur principal rival, l’Ukraine ne constituait pas une menace à court ou moyen terme, son adhésion au sein de l’Alliance n’étant plus à l’ordre du jour.

2.3. Le déni de légitimité de l’Ukraine

Le président Poutine et d’autres responsables russes ont longtemps développé l’idée selon laquelle l’Ukraine n’avait pas d’existence propre comme nation, que l’Ukraine et la Russie (tout comme la Biélorussie) formaient en réalité un seul et même peuple, et que l’existence de l’État ukrainien n’était donc due qu’aux conséquences de la chute de l’URSS (Kuzio, 2006, 2019; Baer, 2018; Pawliw, 2018). Ils reprenaient en ce sens des représentations historiques anciennes proches de l’eurasisme, la doctrine politique soulignant la destinée ni européenne ni asiatique, mais spécifique de la nation russe (Shlapentokh, 2021). Les arguments de la défense de la minorité russe du Donbass ou de la menace de l’OTAN semblant peu crédibles pour expliquer le déclenchement de la guerre, faut-il voir dans l’offensive russe la marque d’un désir de revanche sur l’histoire, de réintégration de ce qui n’aurait jamais dû être séparé de la Russie ? Avec en sus, une possible peur d’ordre idéologique, la crainte que le temps passant, l’Ukraine, si proche de la Russie aux yeux du président russe, ne devienne le symbole de ce qu’aurait pu être une Russie démocratique (Iakimenko et Pachkov, 2014; Wilson, 2014; Frachon, 2022).

Si cette représentation du caractère illégitime de l’existence de l’Ukraine a bien contribué au déclenchement de la guerre, on peut cependant se demander pourquoi maintenant, alors que cette représentation n’est pas nouvelle, y compris dans la pensée du président russe. Vladimir Poutine espérait-il susciter l’adhésion de l’opinion publique, comme en 2014 à la suite de l’annexion de la Crimée (Balzer, 2015), alors que la crise économique et la gestion de la Covid-19 avaient écorné sa popularité ? (Dobrokhotov, 2020; Semenov, 2021) Si tant est que le président s’inquiète réellement de l’opinion publique russe, il semble que le pari était gagnable, alors que l’image du gouvernement russe avait bénéficié de la fermeté dont faisait preuve Moscou face à l’Ukraine avant le déclenchement du conflit (Burakovsky, 2022). Il reste à voir si ce regain sera pérenne. Cette question se trouve au cœur des analyses de plusieurs experts, y compris des analystes russes opposants au régime. Certains d’entre eux affirment que la guerre en Ukraine figurait dans les plans de Poutine même avant 2014 : initialement prévue pour le printemps 2020, l’invasion aurait été ensuite décalée à cause de l’épidémie de la Covid-19 (Solovei, 2022). D’autres soulignent un manque de compréhension du contexte international de la part de Poutine, qui aurait envisagé de gagner la guerre rapidement en mettant l’UE et les États-Unis devant le fait accompli, comme ce fut le cas lors de l’annexion de la Crimée en 2014, et qui ne s’attendait pas à la réaction aussi ferme de la part du Global West (Meduza, 2022). Finalement, il y a aussi ceux qui voient dans cette guerre un soubresaut final de l’Empire russe—soubresaut qui ne ferait que précipiter sa chute (Pastukhov, 2022).

3. La position de la Chine : refus de condamner, refus de soutenir

Le déclenchement de cette guerre a suscité nombre d’interrogations quant à la position qu’adopterait la Chine, partenaire économique majeur de la Russie, mais avec qui aucune alliance formelle n’a encore été conclue. Depuis le début de la guerre, les autorités chinoises semblent se réfugier derrière le mutisme de ses médias officiels, qui ne diffusent que de brefs reportages sur la situation en Ukraine à la fin des bulletins d’information (White et al., 2022), et la répétition de formules diplomatiques habituelles qui mettent en avant les principes de la non-ingérence et du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États. Dans les jours qui suivent le début de « l’opération spéciale » russe, les communiqués officiels chinois continuaient à être prudents, mais l’attitude de Pékin paraît de plus en plus en décalage par rapport aux réactions du reste du monde. L’invasion russe de l’Ukraine met à l’épreuve la politique d’affirmation de la Chine sur la scène internationale, tout en compromettant les efforts de Pékin à construire un partenariat stratégique avec Moscou.

3.1. Protéger les intérêts chinois et minimiser l’impact de la crise en Ukraine sur l’économie chinoise

Bien que depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping la Chine ait développé un véritable partenariat stratégique avec la Russie, Pékin a toujours gardé une certaine distance vis-à-vis des ambitions territoriales de Poutine en Ukraine de l’Est. La Chine a d’ailleurs activement promu les relations bilatérales avec Kiev, en signant plusieurs accords d’intention visant à réaliser différents projets d’infrastructure en Ukraine. Par exemple, China Road and Bridge s’est engagé à investir 400 millions de dollars dans la reconstruction du pont Shuliavsky à Kiev, alors que China Harbour Engineering a obtenu un contrat d’un milliard de dollars pour le dragage du port de Youjne (Katsilo et al., 2017). En 2020, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Ukraine : le volume d’échanges a alors battu tous les records en atteignant 15,4 milliards de dollars américains. En parallèle, les compagnies chinoises ont démontré un intérêt particulier pour le secteur agricole, en investissant dans la production de la viande et des céréales (InVenture, 2021).

Ainsi, le rapprochement stratégique avec Moscou ne signifie pas nécessairement que Pékin va exprimer un support automatique et sans réserve aux activités russes en Ukraine. Les contorsions diplomatiques auxquelles les porte-parole du gouvernement chinois se livrent depuis une semaine semblent le confirmer. Le 24 février, la porte-parole du ministre des Affaires étrangères chinois, Hua Chunying, a refusé de qualifier les actions russes en Ukraine d’invasion en disant que « there is a complex historical background and context on this [Ukraine] issue. The current situation is the result of the interplay of various factors » (Ministry of Foreign Affairs of the PRC, 2022a). Elle a tenté ensuite de détourner l’attention de la conférence de presse vers les États-Unis en spécifiant qu’ils n’ont pas de légitimité à donner des leçons quant au respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale d’États alors qu’eux même ont envahi de nombreux pays au prétexte de « democracy or human rights or simply a test tube of laundry powder or even fake news » et que « China has no interest in the friend-or-foe dichotomous Cold War thinking » (Ministry of Foreign Affairs of the PRC, 2022a).

Ce refus de Pékin de condamner l’invasion a été interprété par la plupart des gouvernements étrangers et médias internationaux comme un signe de support pour les actions russes en Ukraine, voire comme une façon d’assurer à Poutine que la Chine pourrait l’aider à faire face aux sanctions imposées par les pays occidentaux (Feigenbaum, 2022). En effet, avant que l’accès aux médias russes ne soit coupé aux internautes avec les adresses IP étrangères, on pouvait y trouver des articles détaillant comment la Chine pourrait exploiter les sanctions pour combler ses lacunes technologiques: le système de transfert interbancaire SWIFT pourrait être remplacé par son équivalent chinois, Cross-Border Interbank Payment System (CIPS), de même pour les semi-conducteurs et composants technologiques américains. Mais toutes les entreprises qui aident la Russie à contourner ces interdits seraient frappées à leur tour de lourdes amendes et sanctions, un scénario que les grandes compagnies chinoises ne peuvent pas ignorer étant donné leur dépendance au marché globalisé. Ainsi, selon les médias ukrainiens, les géants de la tech chinois Lenovo et TikTok auraient déjà pris la décision de quitter le marché russe (Derkatchenko, 2022), bien que cette information n’ait pas été officiellement confirmée par les compagnies en question. Ces considérations semblent pousser la Chine à modifier sa communication, désormais focalisée sur les efforts chinois à négocier un cessez-le-feu et à promouvoir la désescalade du conflit (Ministry of Foreign Affairs of the PRC, 2022b).

3.2. La couverture médiatique de la guerre en Chine

Les rapports des médias chinois sur ce qui se passe en Ukraine reflètent la position officielle de Pékin et évitent d’utiliser les termes « guerre » ou « invasion » dans leur description des événements, leur préférant l’expression ambiguë de « situation » (qushi 局势). Quant aux médias sociaux, la situation y est plus intéressante et dans un sens, plus révélatrice. Un nouvel hashtag (wuxin gongzuo 乌心工作) est apparu dès le 24 février pour désigner l’inquiétude éprouvée par les internautes chinois au sujet de la situation en Ukraine. Il s’agit d’un jeu de mots (wuxin gongzuo 无心工作 ou « ne pas être d’humeur à travailler ») signifiant que la personne est tellement préoccupée par ce qui se passe en Ukraine qu’elle ne parvient pas à se focaliser sur le travail en cours. Beaucoup d’internautes chinois expriment leur souhait que la guerre se termine vite et que la population civile soit épargnée, même si d’autres proclament leur appui en faveur des militaires russes, estimant que la guerre est le résultat de la politique pro-américaine de Kiev (Koetse, 2022a). Toutefois, la plupart des messages sur Weibo concerne le sort des citoyens chinois — étudiants et entrepreneurs —, coincés en Ukraine. Les médias officiels ont d’ailleurs publié des vidéos et articles consacrés à la croissance du sentiment antichinois à Kiev à la suite de la « diffusion par les médias ukrainiens de fake news sur le support de l’invasion russe par Pékin » (Koetse, 2022b). Ces publications ont suscité d’intenses débats sur Weibo qui n’ont pas tardé à prendre une dimension nationaliste. L’abstention de la Chine lors du vote au Conseil de la sécurité de l’ONU sur la résolution condamnant l’agression russe contre l’Ukraine a ainsi été interprétée non pas comme un signe de la complicité tacite, mais comme un penchant naturel de la Chine vers la neutralité et la résolution de conflits par les moyens de négociations.

L’abondance de réactions en ligne contraste fort avec la couverture médiatique officielle, qui continue à être relativement limitée. La page sur Weibo dédiée à la guerre, qui publie de nombreuses nouvelles sur la situation en Ukraine, a été vue le 24 février par presque 2,7 milliards d’internautes chinois, et bien que depuis le nombre de visites ait baissé, la page a enregistré malgré tout presque 500 millions de visites le 3 mars (Weibo, 2022). La préoccupation des Chinois envers le conflit en Ukraine n’est pas surprenante, en revanche, le fait que les organes de la censure aient autorisé toutes ces discussions à fleurir et les opinions divergentes (y compris vis-à-vis de la version officielle des événements) à s’exprimer est tout à fait singulier. La Chine semble vouloir se distancier de Moscou, y compris sur le plan médiatique, pour ne pas se laisser entrainer dans la guerre en Ukraine.

Conclusion

L’invasion de l’Ukraine déclenchée par la Russie le 24 février semble avoir surpris jusqu’au gouvernement ukrainien lui-même, malgré les avertissements répétés de Washington. Le président Poutine a justifié le recours aux armes par la défense de la minorité russophone du Donbass et les craintes d’une adhésion à l’OTAN souhaitée par l’Ukraine. Dans les deux cas, il semble qu’il ne s’agisse que de prétextes puisque les républiques sécessionnistes du Donbass n’étaient guère menacées, que l’invasion russe semble orientée vers la chute du gouvernement ukrainien, et que l’admission de l’Ukraine au sein de l’OTAN n’était guère envisagée par la plupart des membres actuels de l’alliance.

Au-delà des motivations de la Russie, la mobilisation des Occidentaux et du Japon se traduit par de lourdes sanctions économiques—dont la durée demeure à évaluer—et un isolement politique majeur de Moscou. Si ces sanctions et cet isolement devaient perdurer, ils poseraient la question du soutien de la Chine envers Moscou : Pékin soutiendrait-il a Russie, sachant qu’à court terme la Chine n’affiche qu’un appui très réservé ? La Chine ne souhaite pas faire les frais de l’aventurisme militaire de la Russie, sans que son soutien économique envers la Russie ne soit remis en cause. Comme le souligne Valérie Niquet, « la Chine aime la Russie, mais une Russie affaiblie, en situation de demandeur » (Niquet, 2022), situation que viendrait renforcer l’isolement politique dans laquelle la Russie s’est placée.

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[1] Nous avons retenu l’orthographe russe parce qu’elle est plus largement employée chez les Occidentaux. Les Ukrainiens écrivent Kyiv.