Les politiques indo-pacifiques du Canada et du Québec : réflexions croisées

Regards géopolitiques vol.9, n.2, 2023

Frédéric Lasserre, Directeur du CQEG

Résumé : En novembre 2022, le Canada publiait sa Stratégie pour l’Indo-Pacifique. Cette stratégie suivait de quelques mois celle du Québec, publiée en en décembre 2021. Ces documents d’orientation politique suivent plusieurs documents similaires publiés par le Japon, l’Australie, les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni, dans un contexte international de changement des paradigmes réflexifs pour aborder les relations régionales et internationales en Asie. Quels sont les principaux éléments mis de l’avant dans ces stratégies ?  Proposent-elles des lectures et des approches convergentes envers la région indo-pacifique ?

Mots-clés : Indo-Pacifique, stratégie, Canada, Québec, Chine, Japon, Inde.

Summary : In November 2022, Canada published its Indo-Pacific Strategy. This strategy followed by a few months a similar document from Quebec, published in December 2021. These policy documents follow several similar documents published by Japan, Australia, the United States, France or the United Kingdom, in an international context of changing reflexive paradigms for addressing regional and international relations in Asia. What are the main elements put forward in these strategies?  Do they propose convergent readings and approaches for the Indo-Pacific region?

Keywords : Indo-Pacific, strategy, Canada, Quebec, China, Japan, India

En novembre 2022, le Canada publiait sa Stratégie pour l’Indo-Pacifique (Gouvernement du Canada, 2022). Cette stratégie suivait de quelques mois celle du Québec, publiée en en décembre 2021 (Gouvernement du Québec, 2021). Ces documents d’orientation politique suivent plusieurs documents similaires publiés par le Japon, l’Australie, les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni, pour n’en citer que quelques-uns, dans un contexte international de changement des paradigmes réflexifs pour aborder les relations régionales et internationales en Asie (Nagao, 2019; Berkofsky et Miracola, 2019). Lancé en 2007 par le premier ministre japonais Shinzo Abe, le concept d’Indo-Pacfique, pendant longtemps peu relayé, connait depuis quelques années un engouement marqué. Il ne s’agira pas ici de considérer les raisons de cet intérêt – ou de cet effet de mode – mais plutôt de s’interroger sur les caractéristiques des stratégies indo-pacifiques du Canada et du Québec. Quelles en sont les principales idées, alors que se singularisent deux grandes orientations dans la plupart des stratégies indo-pacifiques publiées à ce jour : la plupart accordent une place très importante à la Chine, dont l’ascension économique et politique bouscule les intérêts de nombreux États, voire les inquiète dans ce qu’Isabelle St-Mézard qualifie d’anxiété géopolitique (Saint-Mézard, 2023) ; en réaction, toutes oscillent entre des positions visant à contrer la Chine et son ascension, ou au contraire à maintenir un espace régional inclusif afin de ménager le dialogue avec Beijing (Martin 2019; Heiduk et Wacker, 2020; Goin, 2021).

1. La notion de paradiplomatie

Cette comparaison des stratégies indo-pacifiques du Canada et du Québec pourrait prêter le flanc à l’argument que le Québec n’est pas un État souverain, et que donc il ne peut ni définir de stratégie diplomatique, ni être pertinent dans une analyse de stratégies définies par des États indépendants. Formellement, cela est exact, mais très réducteur. Un champ important des sciences politiques et des relations internationales étudie depuis plusieurs années ce que l’on appelle la paradiplomatie, soit l’action internationale d’entités politiques de rang 2, à savoir des États fédérés ou des administrations qui se sont dotés d’outils de relations internationales. On oublie ainsi qu’au sein de la très jacobine et centralisatrice République française, les collectivités d’outre-mer du Pacifique, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie, ont constitutionnellement la latitude de développer des relations autonomes avec des gouvernements étrangers tant que cela n’interfère pas avec la défense ou les douanes.

Le Canada est un État fédéral, dans lequel les administrations de rang 2 (les provinces) sont juridiquement des États. Dans le cadre de la Révolution tranquille, mouvement socio-politique majeur qui a bouleversé la société québécoise des années 1960, la volonté d’affirmation de l’autonomie du Québec s’est notamment traduite par un souci d’affirmation à l’étranger également, même si les affaires étrangères sont de compétence fédérale. Dès 1961, le Québec inaugure à Paris une Délégation générale, première d’une série de plusieurs qui structure aujourd’hui le réseau des représentations politiques du Québec à l’étranger. Depuis 1965, la doctrine Gérin-Lajoie est le fondement de la politique internationale du Québec ; elle affirme que la souveraineté d’une province canadienne dans ses champs de compétence devrait s’appliquer également dans ses relations internationales. Tous les partis politiques au Québec, souverainistes comme fédéralistes, ont poursuivi cette politique, que le gouvernement canadien tolère.

Panayotis Soldatos a défini la paradiplomatie comme « la poursuite directe, à des degrés variables, d’activités internationales de la part d’un État fédéré » (Soldatos, 1990). Le concept est largement répandu aujourd’hui (Paquin, 2004) et appliqué à des États quasi-fédéraux également. Ce concept demeure à géométrie variable : tous les États fédérés ne mènent pas forcément une action internationale/politique étrangère. On observe également une diversité de l’engagement de l’État dans sa paradiplomatie, entre Québec, Écosse, Flandre, Catalogne, Groenland… Le Québec n’est pas souverain et ne définit donc pas de politique étrangère pleine et entière – donc son action ne couvre pas tous les domaines : c’est à garder à l’esprit dans la comparaison des cadres politiques du Québec et du Canada.

2. La politique indo-pacifique du Canada

La stratégie canadienne définit l’Indo-Pacifique comme l’Asie orientale, l’Asie du Sud-est, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les 14 pays insulaires du Pacifique, le sous-continent indien et les Maldives. Les Seychelles, l’Asie centrale, la Russie d’Asie, le Moyen-Orient en sont ainsi exclus. La pertinence de ce régionyme nouveau d’Indo-Pacifique n’est pas justifiée ; le document explique cependant que la région ainsi définie représente une part importante de l’économie mondiale, la moitié en 2040. C’est une région qui connait globalement une grande vitalité démographique mais aussi économique. C’est une région qui suscite des « défis stratégiques » majeurs, essentiellement du fait de l’ascension de la Chine; une région qui implique le Canada de par sa façade Pacifique, et qu’il importe d’engager dans la voie du développement durable « si nous voulons relever les grands défis mondiaux », dont « la lutte contre les changements climatiques » et le développement durable (p.3).

La politique vise donc à approfondir les partenariats régionaux, pour promouvoir la paix, le développement durable, les échanges commerciaux et les investissements. Le Canada « entretient des relations étroites avec ses partenaires et amis », mais « il y a aussi des pays dans la région avec lesquels le Canada est fondamentalement en désaccord; le Canada doit être lucide quant aux menaces et aux risques que ces pays représentent ». Certes, il faut « maintenir le dialogue » (p.6), « il est nécessaire de coopérer » (p.8), mais la stratégie énonce clairement que certains pays constituent des menaces. La Chine est clairement visée : elle est une « puissance mondiale de plus en plus perturbatrice », qui peut faire preuve d’« arrogance » et déployer une « diplomatie coercitive » (p.7). On est loin des discours lénifiants des cadres généraux de politique du Canada qui prévalaient dans le passé, dans lesquels la confiance en l’attrait du modèle occidental et la perception de la maitrise des enjeux de sécurité ne conduisaient pas le Canada comme les États-Unis ou l’Australie ou le Japon, à nourrir cette anxiété géopolitique qui les conduit maintenant à incriminer directement le gouvernement chinois. Entendons-nous : il ne s’agit pas ici de défendre la Chine, mais simplement de souligner le changement de ton à Ottawa, changement très officiellement consacré dans la Stratégie régionale en 2021.  L’objectif est clairement de soutenir une approche « fondée sur des règles » (p.9) et de repousser toute action unilatérale, implicitement de la Chine, envers Taiwan ou dans les mers de Chine du Sud et de l’Est.

Trois pages sont ainsi consacrées à la Chine, puis une page sur l’Inde, deux pages pour le Pacifique Nord (Japon et Corée), une page (2 avec des figures) pour l’ANASE (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, ASEAN en anglais) avec des axes politiques très généraux. La Chine est mentionnée 53 fois dans le document, l’Inde 22 fois, la Corée 27 fois, le Japon 18, l’ANASE 22 fois : le document s’efforce de parvenir à un certain équilibre, mais, reflet de l’énoncé de politique générale dans lequel la réaction face au rôle perturbateur de la Chine est clairement soulignée, la place accordée à la Chine est dominante – plus de deux fois plus que le 2e pays mentionné le plus souvent, la Corée.

Le document articule par la suite les 5 axes prioritaires : Promouvoir la paix, la résilience et la sécurité ; accroitre les échanges commerciaux et les investissements, et renforcer la résilience des chaines d’approvisionnement; investir dans les gens et tisser des liens entre eux ; bâtir un avenir durable et vert ; demeurer un partenaire actif et engagé.

La tonalité du premier axe montre qu’ici encore, le raisonnement implicite vise la Chine : seule la modernisation de l’armée chinoise est mentionnée parmi tous les pays de la région, comme menace implicite. La tonalité très défensive se poursuit avec un paragraphe sur l’Arctique : « le Canada est conscient que les puissances de l’Indo-Pacifique considèrent l’Arctique comme une région offrant des débouchés », constat qui semble signifier que cet intérêt est lourd de menaces puisque la phrase suivante explique que « Le Canada est déterminé à maintenir la paix et la stabilité dans la région » (p.16). Si ce premier axe est développé sur trois pages, comme la seconde section sur l’économie. Les axes suivants s’appuient sur des passages plus courts, mais articulent des objectifs de politique générale (développement durable( parfois originaux (investir dans les gens et les liens entre populations. Le document présente pour chaque axe les façons d’atteindre les objectifs retenus : ces aspects pratiques représentent 9 pages et demie (35%) sur les 27 du document.

3. La Stratégie territoriale pour l’Indo-Pacifique du Québec

Pas plus que la Stratégie canadienne, la Stratégie québécoise ne cherche vraiment à justifier le terme d’indo-pacifique. Le document mentionne un objectif de relance économique dans un contexte de fin de pandémie de covid-19, soulignant d’emblée une lecture de la région nommée Indo-Pacifique en des termes résolument économiques. La région constitue un « nouveau centre de gravité de l’économie mondiale » (p.3); on le disait déjà de l’Asie-Pacifique en 1997 lors de la première mission commerciale Québec Chine et, de manière générale, dans les années 1990 avec le succès du concept d’Asie-Pacifique. Constater le poids économique dominant d’une région rassemblant 35% des terres et 65% de la population n’a rien de novateur. En revanche, au-delà du cliché du poids économique majeur de l’Indo-Pacifique, le document souligne deux points : cette région est marquée par un fort dynamisme économique – comme pour la stratégie canadienne – mais elle est aussi traversée de rivalités. Rivalité entre la Chine et les États-Unis, présentée comme un paramètre et non comme une prémisse politique engageant la vigilance du Québec, mais une rivalité qui a des impacts sur les partenaires de ces deux pôles économiques. Rivalité également entre Inde et Chine, deux géants démographiques, politiques et économiques. On observe donc un monde en recomposition, avec des risques, mais aussi des occasions. Le document relève que certains lisent la région sous un prisme sécuritaire (QUAD, AUKUS) ; qu’on y observe le déploiement des nouvelles routes de la soie et de contre-projets indiens ou japonais, et que ces rivalités se traduisent aussi à travers de nombreux accords commerciaux à géométrie variable.

La Stratégie se place résolument dans le domaine du commercial. Le premier axe stratégique concerne le commerce international et les investissements. Le second cherche à renforcer la recherche, l’innovation et la formation, non seulement pour maintenir la compétitivité des entreprises québécoises, mais aussi pour favoriser la collaboration avec des laboratoires asiatiques et pour développer le marché de la formation offerte au Québec aux chercheurs et étudiants asiatiques – « Développer une intelligence d’affaires en éducation et enseignement supérieur » (p.18).

Le 3e axe porte sur l’économie verte et le développement durable. Il s’agit de renforcer l’engagement du Québec en matière de développement durable, tout comme dans la stratégie canadienne. Il s’agit donc d’un engagement politique certes, mais aussi économique : des efforts seront ainsi déployés pour promouvoir « l’offre et le savoir-faire du Québec en matière de développement durable et de tourisme responsable » (p.19) ; un engagement politico-social également : on souhaite « favoriser le partage d’expertise sur la dimension sociale du développement durable » (p.19). Le concept de valeur intervient ici : liberté, démocratie, justice, durabilité, mais sans qu’aucun État ne soit stigmatisé. Le document reconnait du même souffle le potentiel de coopération dans ce domaine : plusieurs sociétés de la région ont développé des expertises potentiellement bénéfiques pour le Québec, Australie, Nouvelle-Zélande, Chine, Corée, Japon… dans une optique de partage (pas seulement de vente) et de coopération.

Le 4e axe porte sur la main-d’œuvre ; le 5e sur la culture, et un 6e axe transversal porte sur la jeunesse, atout commun aux sociétés de la région dont il faut renforcer la curiosité, la formation, les contacts pour forger des liens trans-océaniques.

À travers l’analyse de cette stratégie, on relève :

  • L’expression de principes politiques certes, mais formulés de façon modérée – droits de la personne ; développement durable – une demi-page
  • La présence d’objectifs politiques – développer l’influence du Québec et le développement durable – pour soutenir les valeurs certes, mais surtout pour favoriser la coopération et les objectifs socio-économiques.
  • Une approche résolument pragmatique – de nombreuses pistes d’action sont exposées. Sur 19 pages de texte, un total d’environ 9 pages (47%) présentent les actions à mener.
  • Une approche intégrée : le document expose les liens qui associent les différents axes de la stratégie, le développement durable, la formation de la main-d’œuvre, la recherche, la culture permettant certes d’envisager des développements économiques, mais aussi de renforcer le pouvoir d’influence du Québec, dont le rôle crucial en Asie est rappelé dans le document, dont on espère indirectement pouvoir récolter les fruits économiques à terme. Les axes de cette stratégie ne sont pas disjoints, mais bien au contraire proposent un plan d’action pensé comme cohérent et articulant l’ensemble des actions proposées.
  • Aucun État n’est directement incriminé dans cette stratégie, au-delà du constat très factuel de la rivalité sino-américaine. L’approche politique demeure modérée, non militante : le concept de valeurs est mentionné 2 fois ; mais celui de coopération 12 fois. Ce discours parait similaire à celui du Canada, mais la stratégie québécoise ne propose pas d’action spécifique visant à répondre à une quelconque menace chinoise.
  • On y découvre une approche géographique équilibrée : certes la Chine fait l’objet de 30 mentions ; mais le Japon 25 ; la Corée du Sud 24 ; l’Inde 22 ; l’Australie 14 ; le Vietnam 11 ; l’Indonésie et l’Asie du Sud-Est, 6 chacun.

4. Deux stratégies convergentes ?

Toute comparaison des deux stratégies canadienne et québécoise doit rappeler un paramètre de taille : le Québec n’étant pas un État souverain, il ne peut développer d’éléments forts de politique étrangère, a fortiori en matière de défense ou d’accords commerciaux. De fait, il ne peut développer de lien avec l’institution qu’est l’ASEAN, ni tenir de discours à fort contenu diplomatique ou de sécurité. Cela explique en partie l’absence de place importante consacrée aux enjeux politiques en Asie – en partie seulement, on y reviendra.

Des convergences se dessinent : les deux stratégies font la part belle aux enjeux économiques (commerce, investissements) ; aux questions de développement durable ; à la main-d’œuvre, à l’immigration, à la formation et à la jeunesse, des aspects qu’on retrouve peu souvent dans les stratégies indo-pacifiques.

Mais des différences importantes se dessinent. Sur la forme tout d’abord : la stratégie québécoise a réussi à proposer une série d’orientations et d’actions qui présentent un fort degré d’intégration et de synergie, ce qu’on observe nettement moins du côté de la stratégie fédérale canadienne.

Sur le fond ensuite : certes le Québec n’a pas à se prononcer sur une posture politique à l’endroit de la Chine ; mais il aurait néanmoins pu développer un propos plus incisif sur la question des valeurs et de la trajectoire politique de celle-ci, ce qu’il a choisi de ne pas faire. Le portrait politique de la dynamique politique dans la région est lucide – on observe l’émergence de vives tensions – mais ce constat demeure factuel et ne suscite pas de critique même si l’attachement aux valeurs démocratiques est formulé. La stratégie québécoise se veut un document résolument pragmatique pour permettre le développement de la coopération en Indo-Pacifique. À l’inverse, la stratégie canadienne, en rupture avec les discours relativement idéalistes sur l’Asie que développaient les administrations libérales précédentes, souligne l’importance d’une certaine résilience face à l’émergence d’une Chine perçue comme une menace potentielle. La main demeure tendue ,mais le discours n’en demeure pas moins incriminant, polémique voire vindicatif pour un document de politique régionale. Fin de l’innocence et de la croyance candide dans la vertu de l’ouverture économique envers la Chine, qui conduirait nécessairement celle-ci à réformer son régime politique ? Car telle était pendant longtemps la croyance inébranlable des Occidentaux, et des gouvernements libéraux de Jean Chrétien (1993-2203) à Paul Martin (2003-2006) (The Economist, 2018; Sampson, 2020). Ou angoisse géopolitique ?  Sans doute un peu des deux. Il reste à savoir si la politique menée sur la base de cette stratégie pourra demeurer proactive et non réactive, et favoriser la coopération et l’engagement du Canada envers non seulement ses partenaires, Japon, Corée, Australie et Inde principalement, mais également à l’endroit de la Chine (Paikin, 2023).

Frédéric Lasserre

Références

Berkofsky, A. et S. Miracola (2019). Geopolitics by Other Means : the indo-pacific reality. Milan : ISPI, https://www.ispionline.it/en/publication/geopolitics-other-means-indo-pacific-reality-22122

Goin, V. (2021). L’espace indopacifique, un concept géopolitique à géométrie variable face aux rivalités de puissance. Géoconfluences, 4 oct., http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/oceans-et-mondialisation/articles-scientifiques/espace-indopacifique-geopolitique

Gouvernement du Canada (2022). La Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique. Ottawa, https://www.international.gc.ca/transparency-transparence/indo-pacific-indo-pacifique/index.aspx?lang=fra

Gouvernement du Québec (2021). Cap sur la relance : des ambitions pour le Québec. Stratégie territoriale pour l’Indo-Pacifique. Québec,  https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/relations-internationales/publications-adm/politiques/STR-Strategie-IndoPacifique-Long-FR-1dec21-MRIF.pdf

Heiduk, F. et Wacker, G. (2020). From Asia-Pacific to Indo-Pacific. Significance, Implementation and Challenges. SWP Research Paper 9, Berlin, juillet, https://www.swp-berlin.org/publications/products/research_papers/2020RP09_IndoPacific.pdf

Martin, B. (2019). Cartographier les discours sur l’Indo Pacifique. Carnets de Recherche, Sciences-Po, 18 déc., https://www.sciencespo.fr/cartographie/recherche/cartographier-les-discours-sur-lindo-pacifique/

Nagao, S. (2019). Strategies for the Indo-Pacific: Perceptions of the U.S. and Like-Minded Countries. Washington, DC : Hudson Institute, décembre, https://www.hudson.org/national-security-defense/strategies-for-the-indo-pacific-perceptions-of-the-u-s-and-like-minded-countries

Paikin, Z. (2023). La “doctrine Freeland” et la stratégie Indo-Pacifique du Canada : entre isolement et confusion, Note politique 26, Réseau d’analyse stratégique, 2 janvier, https://ras-nsa.ca/fr/la-doctrine-freeland-et-la-strategie-indo-pacifique-du-canada/

Paquin, S. (2004). Paradiplomatie et relations internationales, Bruxelles: Peter-Lang.

Saint-Mézard, I. (2022). Géopolitique de l’Indo-Pacifique. Paris : PUF.

Sampson, X. (2020). Quelle marge de manoeuvre a l’Occident face à la Chine?. La Presse, 7 juillet, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1717514/chine-commerce-expansion-economie-politique-puissance

The Economist (2018). How the West got China wrong. The Economist, 1er mars, https://www.economist.com/leaders/2018/03/01/how-the-west-got-china-wrong

Regards géopolitiques vol.9 n.2, 2023

Mesly, Nicolas (2022). Terres d’asphalte. Notre agriculture sous haute pression. Montréal : Multimondes.

Cet ouvrage pose la question de l’avenir des terres agricoles au Québec. Prenant la mesure de leur déclin rapide dans les espaces autour de Montréal et de Québec, Nicolas Mesly propose ici une analyse de ce cas de géopolitique locale, dont l’enjeu réside dans l’utilisation du foncier rural. L’auteur pose la question du choix politique qui se présente au gouvernement, mais à la société aussi : veut-on préserver l’activité agricole dans les terres fertiles de la vallée du Saint-Laurent, surtout dans la région entourant le grand Montréal ?  De manière plus générale, veut-on préserver une certaine autonomie alimentaire, en maintenant l’activité agricole dans les campagnes ?

La prémisse de base renvoie à cette question de l’autonomie alimentaire du Québec. L’auteur évoque la politique proactive de soutien du monde agricole menée par le ministre Jean Garon de 1976 à 1985. Jean Garon a notamment réussi à faire voter, en 1978, la Loi sur la protection du territoire agricole (LPTA), qui institue un zonage et le classement des terres agricoles afin de les soustraire à l’appétit des promoteurs. Le ministre de l’Agriculture et des Pêches a dû lutter, au sein même de son gouvernement, contre les intérêts politiques du ministre d’État à l’Aménagement, Jacques Léonard, dans une rivalité pour savoir qui lutterait le plus efficacement contre l’étalement urbain, une rivalité entre ministères qui n’est pas sans rappeler celle, toujours d’actualité, entre le ministère de l’Environnement et le ministère des Affaires municipales pour savoir qui piloterait la politique de l’eau du Québec…

Jean Garon avait comme objectif l’autosuffisance alimentaire du Québec – ne pas dépendre des importations tout en développant un secteur agro-alimentaire fort générateur d’emploi. A la fin de son mandat, des estimations veulent que l’autonomie alimentaire du Québec ait atteint 80% (Dorval, 2020); mais atteindre l’autosuffisance semble hors d’atteinte compte tenu des goûts alimentaires contemporains des Québécois, notamment en ce qui concerne les fruits et légumes tropicaux et/ou consommés en hiver (Genois Gagnon, 2020). Néanmoins, un degré d’autonomie le plus élevé possible semble, rappelle l’auteur, bénéfique à plus d’un titre : ne pas dépendre des chaines d’approvisionnement de l’étranger, surtout si celles-ci en viennent à se distendre sous l’effet de perturbations politiques ou environnementales comme les tensions sur la gestion de l’eau en Californie ; entretenir un secteur productif et de transformation créateur de valeur ajoutée et d’emplois.

Il ne s’agit pas seulement de produire : l’auteur observe la tendance à la concentration du secteur, avec l’émergence de grandes exploitations portées par le secteur financier (Banque nationale notamment) ou l’achat de terres par des investisseurs étrangers, qui certes voudront maintenir une activité de production, mais pas nécessairement pour l’écouler sur le marché local – on pense ainsi à des investisseurs chinois ou émiratis, actifs à travers le monde pour diversifier leur portefeuille d’actifs dans le secteur alimentaire mais aussi pour accroitre la production expédiée vers leur propre population. Il n’est pas certain que ces nouveaux exploitants auront à cœur de soutenir les retombées économiques de leur production dans les campagnes du Québec…

Le déclin du secteur agricole se traduit précisément par l’expansion du tissu périurbain au dépens des terres agricoles dans les périphéries de Québec et surtout de Montréal. C’est d’autant plus regrettable pour la production agricole que ces terres sont très fertiles, alors même que le Québec ne dispose pas de surfaces considérables : 5% de son territoire seulement est cultivable, et 2% seulement est effectivement exploité. Il existe certes des surfaces qui pourraient être mises en exploitation, surtout avec les effets du réchauffement climatiques, mais cela exige des investissements pour bonifier ces sols alors que les exploitations de la grande couronne de Montréal travaillent des terres productives, déplore l’auteur. Malgré la LPTA et le zonage agricole, la pression de l’étalement urbain est intense, depuis des décennies : le modèle urbanistique repose sur le développement massif et extensif de lotissements de maisons unifamiliales que desservent des routes, puis des autoroutes urbaines sans transport en commun, alors même que des réserves foncières existent dans le tissu des zones dites blanches ouvertes à l’aménagement commercial ou résidentiel. Ce modèle, décrié depuis des décennies, s’est vu renforcé avec les impacts de la pandémie de covid-19 et la généralisation du télétravail, qui ont incité nombre de foyers à s’installer en zones périurbaines pour satisfaire le désir de « vivre à la campagne » – dan un milieu qui, l’auteur le passe sous silence, n’est pas toujours très sain du fait de l’intensité des usages de pesticides et d’engrais, et dont les conséquences sur la santé se manifestent aussi peu à peu : c’est un mythe que de croire que la campagne de l’agriculture intensive est verte (Latulippe, 2001 film; Cameron, 2019), ce que l’on sait depuis Rachel Carson et son essai Silent Spring publié dès 1962. De plus, ces nouveaux ruraux supportent souvent mal la cohabitation avec les exploitations agricoles, lesquelles génèrent des odeurs que ces rurbains en mal d’espaces bucoliques tolèrent mal – d’où de nombreux conflits de voisinage et de recours en justice.

Sous la pression des nouveaux rurbains, les municipalités s’activent également pour développer les infrastructures routières, grandes voies rapides puis autoroutes, puis pour dézoner de plus grands espaces pour poursuivre le développement résidentiel et commercial. A cela, une cause fiscale, outre la forte demande des citadins : l’essentiel des revenus des municipalités du Québec réside dans la perception des droits de mutation sur les achats immobiliers, et sur les taxes foncières dont le montant dépend de l’évaluation de la valeur des propriétés – bien supérieures pour des développements résidentiels, commerciaux ou industriels. Les municipalités, surtout si un promoteur leur propose qui plus est d’assumer les coûts des infrastructures urbaines – voire, égout, aqueduc – résistent difficilement à l’attrait de cette ressource financière et vont donc se joindre aux pressions des promoteurs pour obtenir le dézonage des terres agricoles.

Ainsi, le monde agricole se voit-il confronté, dans ces territoires d’expansion des couronnes urbaines, à de multiples pressions : conflits avec les nouveaux résidents ; entraves posées par le développement routier et l’accroissement du trafic ; pression des promoteurs et des municipalités. Souvent vieillissants et endettés, les exploitants, faute de trouver des successeurs, finissent par vendre leurs terres à des spéculateurs qui à leur tour feront pression sur la Commission de protection des terres agricoles pour obtenir le dézonage et le feu vert pour lotir et construire.

Il existe des pistes de solutions. Tout d’abord, renforcer les pouvoirs municipaux pour protéger les espaces agricoles et les milieux humides, alors même que leur valeur environnementale est reconnue. L’actualité témoigne de la difficulté des combats menés par certaines municipalités, deux récentes décisions de justice risquant de compromettre leur action pour protéger les milieux naturels sur le territoire (Champagne, 2023). L’auteur compare aussi la politique d’aménagement du Québec avec celle de l’Ontario, où le gouvernement provincial a instauré une ceinture verte protégée par une forte réglementation autour de Toronto.

Afin de renforcer l’attractivité du secteur agricole aux yeux des exploitants eux-mêmes, mais aussi du public et des municipalités, l’auteur fait valoir le potentiel de valorisation touristique sur le modèle des routes du vin, du fromage etc… surtout que ce type d’activité plait souvent aux nouveaux rurbains friands de l’image d’une campagne saine et productrice de produits de qualité. Le développement de l’agriculture urbaine constitue également une avenue pour renforcer un secteur économique dévalorisé notamment par la précarité financière qu’il impose souvent aux exploitants. Certes, souligne l’auteur, il ne faut pas que l’on prenne de bonnes terres pour construire un entrepôt et des serres sur son toit ; mais si le questionnement de base est l’autonomie alimentaire et le renforcement de l’activité agricole, alors l’agriculture urbaine, sur des toits ou en pleine terre, constitue aussi un élément de solution.

Mais ces avenues ne sauraient à elles seules répondre aux difficultés structurelles qui guettent le monde agricole. Tant que les municipalités chercheront à toujours mettre en valeur des terres pour accroitre leurs revenus faute d’accès à de nouvelles sources de financement ; tant que le modèle urbanistique favorisera l’étalement urbain et que nombre de promoteurs, mais aussi de citadins pousseront pour l’extension de la construction de résidences unifamiliales; tant que nombre de consommateurs préféreront acheter leur épicerie moins cher plutôt que de favoriser l’achat local, tant que les villages plus loin des grands centres urbains se videront et que les services déclineront, alors les exploitants demeureront confrontés à la question de la difficile relève et des pressions pour céder leurs terres ou cesser leur exploitation. Ces conflits d’usage du foncier agricole en périphérie urbaine constituent un cas de géopolitique locale qui renvoie à des choix de politique d’aménagement, mais aussi à des choix de la part des consommateurs.  Un livre fort intéressant, militant certes, mais qui éclaire sur les enjeux de pouvoir sur les terres agricoles périurbaines au Québec.

Frédéric Lasserre

Directeur du CQEG

Références

Cameron, D. (2019). Pesticides : la rivière aux horreurs. La Presse, 21 sept., https://www.lapresse.ca/actualites/2019-09-21/pesticides-la-riviere-aux-horreurs.php

Carson, R. (1962). Silent Spring. Boston : Houghton Mifflin.

Champagne, É.-P. (2023). Protection des milieux naturels. Des décisions des tribunaux qui « préoccupent » Québec. La Presse, 13 mars, https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2023-03-13/protection-des-milieux-naturels/des-decisions-des-tribunaux-qui-preoccupent-quebec.php

Dorval, A. (2020). L’autonomie alimentaire sous Jean Garon. La Gazette de la Mauricie, 14 juillet, https://gazettemauricie.com/lautonomie-alimentaire-sous-jean-garon/

Genois Gagnon, J-M. (2020). Autonomie alimentaire : difficile d’être entièrement autonomes. Le Journal de Québec, 26 sept., https://www.journaldequebec.com/2020/09/26/autonomie-alimentaire-difficile-detre-entierement-autonomes

Latulippe, H. (2001). Bacon, le film. ONF, https://www.onf.ca/film/bacon_le_film/

Géopolitique et agrandissement portuaire à Québec

Mireille Bonin

boninmireille@gmail.com

vol 7 n1, 2021

Diplômée de l’Université d’Ottawa en droit, Mireille Bonin a été membre du Barreau du Québec pendant 20 ans. Elle s’est toujours impliquée dans ses différents milieux de vie. À la retraite depuis 2013, elle continue de chercher les multiples manières de faire reconnaître la valeur de la voix citoyenne.

Résumé

Le projet de terminal portuaire Laurentia représente un bel exemple de géopolitique locale. Ce projet suscite de vives oppositions au sein de la population des quartiers mitoyens alors que prend forme un bras de fer quant au bien-fondé de la construction de ce terminal, promu notamment par une société chinoise de Hongkong. Ces rivalités de pouvoir se cristallisent autour des impacts appréhendés pour la qualité de vie dans les quartiers voisins du terminal.

Mots-clés : Laurentia, port, Québec, aménagement, local, Hutchison Ports, Chine

Summary

The Laurentia port terminal project represents a fine example of local geopolitics. This project arouses strong opposition within the population of adjoining neighborhoods while a standoff is taking shape over the merits of the construction of this terminal, promoted in particular by a Chinese company from Hong Kong. These power rivalries crystallize around the anticipated impacts on the quality of life in the neighborhoods near the terminal.

Keywords : Laurentia, port, Québec, land planning, Hutchison Ports, China.


Il fut un temps où la géopolitique n’était pas un sujet d’intérêt local à Québec. Les conflits urbains se confinaient au rythme de l’aménagement du territoire d’une population vivant dans une ville moyenne, dans un pays peu peuplé, où notre voisin du Sud était le partenaire de référence avec qui échanger tant au niveau de nos valeurs que de notre commerce. Au point de l’oublier et de le prendre pour acquis. Avec les années, des conflits touchant à l’environnement, à la biodiversité, à la préservation du patrimoine, à la protection de la vie privée, à la santé publique, ont pris une dimension élargie pour atteindre le sens que nous accordons à la participation citoyenne comme vecteur d’évolution et d’amélioration de nos milieux de vie.

Naissance des conseils de quartiers

En 1993, quand le maire Jean-Paul L’Allier a mis sur pied les conseils de quartier, le but était de créer une interface entre les préoccupations partagées par des gens des différents quartiers et le conseil municipal. Ceci, en vue d’ajouter l’intelligence populaire au savoir de la Ville pour répondre adéquatement aux enjeux susceptibles d’avoir un impact social, économique et bien sûr politique. Il y tenait tellement que les conseils de quartiers ont été enchâssés dans la Charte de la Ville de Québec. Depuis lors, les autorités municipales n’ont eu d’autre choix que de les maintenir.  

Les sujets d’intérêt citoyen à cette époque étaient beaucoup reliés à la circulation automobile et à l’utilisation des rues des quartiers centraux pour servir de transit entre le lieu de travail des gens et leur domicile, alors que Sainte-Foy et Sillery étaient des banlieues! C’était un enjeu de sécurité publique pour protéger surtout les écoliers. À cette époque nous parlions de convertir les rues et les trottoirs en rues partagées et à enfouir les fils pour que les rues deviennent sécuritaires et plaisantes à vivre, qu’elles deviennent enfin des rues habitées, un concept européen introduit par un citoyen expert en environnement. Il a fallu attendre l’avènement d’une pandémie pour que ce concept prenne un sens pour les autorités municipales. Une attente sur des décennies parce que c’est au pas de fourmi que les dossiers citoyens avancent.

Le fleuve Saint-Laurent, patrimoine à intégrer aux milieux de vie 

Avant tout cela, dans les quartiers centraux, le fleuve Saint Laurent était devenu un interdit à Québec, une chasse gardée du Port de Québec. Il n’y avait que quelques citoyens visionnaires pour nous amener à voir ce plan d’eau magnifique comme un patrimoine social qui nous appartenait et que nous pouvions non seulement contempler, mais y mettre les pieds et même qui pouvait devenir un endroit de baignade, particulièrement au bassin Louise et à la baie de Beauport. Cela fait plus de 40 ans que ces citoyens militent pour que la population ait accès à l’eau du fleuve. Mais peu importe, car ce conflit a éduqué des générations de citoyens qui en sont venues à comprendre l’importance de la géographie à Québec, de son histoire, laquelle maintient toujours une certaine mentalité coloniale du XIXe siècle. Le bassin Louise est toujours interdit pour la baignade et l’intégrité de la baie de Beauport – legs du 400e anniversaire de Québec aux citoyens – est désormais à risque avec le projet d’agrandissement du port, qui a pris plusieurs formes au cours des années et est maintenant connu sous le nom de Projet Laurentia. 

La géopolitique et l’agrandissement du port de Québec

Cette nouvelle mouture de l’agrandissement du Port, celle de 2016, se retrouve donc à un moment de notre petite histoire à Québec où les membres issus des conseils de quartier représentent une force compétente, plus instruite, plus nombreuse et plus diversifiée depuis la fusion municipale de 2002.

Beaucoup de ces militants ont de l’expérience et réalisent l’importance de la géopolitique qui nous a rejoint très localement à Québec. C’est en suivant les ramifications de l’affaire Huawei, qui place le Canada entre deux empires et réduit son pouvoir d’agir, que cet enjeu international de l’affirmation chinoise nous a rejoint en regardant de plus près qui étaient les investisseurs du projet d’agrandissement Port de Québec. Quand l’Administration portuaire de Québec a annoncé en 2019 qu’elle venait de signer une entente tripartite avec l’entreprise ferroviaire du Canadien National et Hutchison Ports Holding (enregistrée à Hong Kong), nous avons découvert que Québec faisait désormais partie du portfolio international de la compagnie chinoise (voir figure 1) et nous avons réalisé que les autorités locales qui appuyaient le Port ne connaissaient pas plus que nous les conditions de l’entente.

Fig. 1. Le réseau international de terminaux portuaires de Hutchison

Source : d’après https://hutchisonports.com/ports/world/ Le port de Québec est déjà présenté comme faisant partie du réseau de Hutchison.

De plus, quand nous avons appris que la Loi sur la Sécurité nationale de Hong Kong devenait le symbole de la fin de la liberté dont les gens de Hong Kong ont pu bénéficier du temps de son régime britannique et du début du statut particulier de Hong Kong, revenu à la Chine, Hutchison Ports a retenu notre attention, avec une frontière entre Beijing et Hong Kong en voie de disparaître, et un statut d’autonomie de plus en plus virtuel.  Il est légitime de se poser la question des relations de cette compagnie avec le gouvernement chinois.

Bref, les gens des quartiers touchés par un agrandissement du port, avec l’ajout du transport de conteneurs, s’inquiètent maintenant de l’aggravation des risques à l’extérieur du périmètre portuaire qui les rejoindront dans leurs milieux de vie. Qui les protégera des nuisances du transport par camion et par train devant leur porte, du crime organisé présent dans le business du conteneur, d’accidents routiers de camions dont on ignore le contenu et la charge, de l’utilisation des boulevards urbains pour une industrie envahissante? Nous serons bien loin des nuisances de la circulation du seul transit urbain! 

Que nous reste-t-il de notre naïveté locale?

Le temps est limité pour éviter les impacts de cet agrandissement du port, tel que planifié dans ce projet Laurentia. Même le rapport provisoire de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, rendu public en novembre 2020, évalue ces impacts comme étant problématiques. Considérant que l’Agence n’a qu’un pouvoir consultatif et que c’est le Conseil des ministres à Ottawa qui décide, ceci nous amène à penser que le niveau de complexité d’un projet local prend des dimensions internationales.

Même notre géographie, qui nous élève au-dessus d’un fleuve majestueux, est, elle aussi, mise à contribution pour ce transport de conteneurs. Il faudra un remblaiement du fleuve sur 14 hectares, ériger des murs pour réduire le bruit, empiéter sur nos routes, passer sur les rails derrière nos portes pour satisfaire cette économie et structurer notre espace par des grues géantes.  

Bref, le projet de développement de ce terminal portuaire à Québec se décline clairement aussi en termes géopolitiques. Géopolitique des réseaux des entreprises chinoises ; géopolitique locale des impacts de l’aménagement du territoire de la communauté de Québec, tant il est vrai que ce projet suscite des craintes de la part des résidents concernés, et donc articule des enjeux de pouvoir sur ces territoires urbains.

Nous nous retrouvons dans une situation délicate pour répliquer à un projet qui implique l’avènement d’une autoroute maritime entre l’Asie et le Midwest américain. Notre introspection nous amène à quelques interrogations d’ordre social :

Avons-nous vraiment besoin de tous ces conteneurs pour nous procurer des biens de consommation et des gadgets proposés au meilleur prix juste pour faire tourner l’économie?

Qu’adviendra-t-il du rapport local que nous avions avec une administration portuaire qui devait avoir l’approbation du fédéral pour entretenir et développer ses infrastructures?

Qu’adviendra-t-il de nos paysages et de notre classification aux Villes du patrimoine mondial?