Diplomatie du vaccin et système de surveillance à Agaléga: l’océan Indien au cœur des tensions sino-indiennes à l’ère de la Covid-19

RG v7n3 (2021)

Valentin Laugrand

 Valentin Laugrand est inscrit au baccalauréat en affaires publiques et relations internationales à l’Université Laval. Il collabore à un projet d’histoire orale de l’Institut Jean-Margéot (ICJM) sur l’île d’Agaléga (océan Indien) où vit une communauté de pêcheurs créoles. Il s’intéresse aux enjeux géopolitiques de la Chine et de l’Inde et souhaite poursuivre des études de droit international en Asie.

 

Résumé

À l’heure de la crise de la Covid-19, la Chine et l’Inde exercent leur soft power. La Chine se présente comme une superpuissance à la fois généreuse et préoccupée par la recherche de relations harmonieuses au sein, comme à l’extérieur de ses frontières. L’Inde défend depuis longtemps une politique de non-alignement. Aujourd’hui, elle s’appuie de plus en plus sur le nationalisme hindou et s’inquiète des ambitions économiques et politiques de sa voisine. Les deux géants entrent ainsi en friction. Le contrôle de l’océan Indien, comme l’illustre le cas d’Agaléga une île appartenant à l’île Maurice, devient alors l’un des grands enjeux géopolitiques contemporains.

Mots-clés : Chine, Inde, COVID-19, soft power, océan Indien, Maurice

Summary

At the time of the Covid-19 crisis, China and India are exercising their respective soft power. China presents itself as a superpower that is both generous and concerned by the search of harmonious relations within and outside its borders. India has implemented a policy of non-alignment for many years. Today, it relies increasingly on Hindu nationalism and worries about the economic and political ambitions of its neighbor. The two giants come into friction. Control of the Indian Ocean, as illustrated by the case of Agaléga, an island belonging to Mauritius, then becomes one of the major contemporary geopolitical issues.

Keywords: China, India, COVID-19, soft power,  Indian Ocean, Mauritius

Introduction

Comment parler du soft power en Asie en contexte de pandémie? Comment aborder les cas de la Chine et de l’Inde, deux puissances régionales asiatiques majeures, qui y recourent de façon différente dans les relations internationales? Popularisée par Joseph Nye (1990), l’idée du soft power apparait en Chine en 1992-93 après la traduction en chinois du livre de Nye et la publication d’un article de Wang Huning (Heurtebise 2020 : 131). En 2007, à l’occasion du 17e Congrès du Parti Communiste Chinois, le concept de soft power est officiellement introduit pour orienter la politique étrangère du pays (Heurtebise 2020 : 131). Le concept d’émergence pacifique, apparait lui en 2003, et devient alors un instrument idéal de ce soft power (Courmont, 2012). En 2013, Xi Jinping lance son projet colossal de développement économique, les nouvelles routes de la soie, visant à relier le pays au reste du monde par un réseau ferroviaire et maritime et à assurer son approvisionnement en matières premières. Pour rendre ses projets acceptables, la Chine tente alors de se débarrasser de l’image négative associée au caractère répressif de son régime à l’international et d’atténuer les craintes que son ascension fulgurante suscite au sein des démocraties libérales. Le sinologue Jean-Yves Heurtebise observe : « Là où l’Occident n’a su se développer que grâce à la colonisation de terres étrangères, la Chine, elle, saura se développer sans recourir à l’inféodation des autres nations » (2020 :130). Que cachent pourtant toutes ces initiatives? Certes, la notion de soft power a introduit un nouveau paradigme dans la doctrine politico-militaire chinoise, lui permettant de dissimuler son ascension et ses ambitions géostratégiques. Mais comment comparer ce soft power à celui de son rival indien, défenseur de longue date du non-alignement et du multilatéralisme (Véron et Lincot, 2020)?

C’est dans ce contexte de crise sanitaire mondiale déclenchée par le SARS-CoV2, sur le fond de ce vaste projet des routes de la soie et de l’exercice par la Chine de son soft power, que cet article propose d’examiner les tensions entre la Chine et l’Inde dans l’océan Indien. Les tensions entre ces deux géants asiatiques datent depuis longtemps et elles ont fait l’objet de nombreuses études dans cette région dès le milieu des années 2000 (voir Khurana, 2008), mais surtout après 2015 (voir par exemple Brewster, 2016; Hornat, 2016; Khan, 2016). Qu’en est-il à l’heure de la pandémie ? Quels sont les effets de la diplomatie du masque et du vaccin de Pékin? Derrière l’image du soft power, pour quels motifs ces deux pays se militarisent-ils (Blanchard et al., 2017) et ce, autant dans la région de l’Indo-Pacifique (Péroin-Doise, 2019) que dans l’océan Indien (Das 2019; Saint-Mézard, 2019) ?

L’analyse proposée sert deux buts puisqu’il s’agit d’examiner ces questions en amont de ces politiques, dans des représentations culturelles, et à partir du cas méconnu d’Agaléga. Cette île appartient à l’Île Maurice et l’Inde nationaliste y a récemment entrepris la construction d’infrastructures en vue de mieux contrôler l’océan Indien. Ces constructions ont été négociées avec le gouvernement pro-indien de l’île Maurice dès les années 2015, mais elles s’accélèrent au cœur de la pandémie et suscitent bien des inquiétudes auprès de la population locale. Agaléga est-elle en voie de devenir une base maritime indienne ? Quels sont donc les grands paramètres de cette rivalité sino-indienne ?

La réflexion se fera en trois temps. Après un examen de l’exercice du soft power chinois dans le contexte de la crise sanitaire, la perception indienne d’une menace chinoise sera analysée. Les aspirations hégémoniques de l’Inde et de la Chine seront ensuite appréhendées en amont sous l’angle des représentations culturelles et politiques qui les alimentent.

  1. L’instrumentalisation d’une crise sanitaire pour l’exercice du soft power chinois

La crise de la Covid-19 a surpris la Chine comme les pays occidentaux, mais l’Empire du milieu y a vu une opportunité pour se présenter comme une superpuissance bienveillante, prospère et suffisamment préparée pour à la fois gérer une crise sanitaire à l’intérieur de ses frontières et aider des pays plus démunis à l’extérieur. La Chine, n’a cependant pas renoncé à sa militarisation, elle a plutôt profité de la pandémie et de son attraction médiatique, mettant en avant son aide médicale offerte à différents pays, pour dissimuler d’autres activités.

Elle a consacré beaucoup d’énergie à montrer son efficacité dans la gestion de la Covid-19 sur son sol, ce qui a conduit, dès le début des événements, à faire arrêter les journalistes qui voulaient documenter l’épidémie. Aujourd’hui, elle revendique sa victoire sur le virus, et a pour cela organisé des fêtes en grande pompe à Wuhan, une ville-symbole dans l’histoire révolutionnaire du pays. Aussi, alors que les pays occidentaux se préparaient à une deuxième vague, la Chine célébrait le 8 septembre dernier, la quasi-éradication du virus. Les chiffres officiels du Parti font d’ailleurs état de 4634 morts (Lemaître, 2020). Bien que ces chiffres soient peu réalistes, les pays occidentaux restent prudents dans leur discours, la Chine représentant encore le principal exportateur de matériel médical jugé crucial pour combattre le coronavirus. De leur côté, les États-Unis de Trump ont saisi l’occasion pour quitter l’OMS, accusant la Chine d’avoir pris le contrôle de cette organisation.

De nos jours, le Parti communiste continue de faire la propagande de la réussite chinoise. Parmi ses arguments figure la générosité du pays prêt à exporter son aide médicale partout sur la planète. Ainsi, alors que le monde fermait ses frontières et s’isolait, la Chine fut une des seules puissances à soutenir l’Italie, en y envoyant des médecins, des conseillers et du matériel médical, contrairement au reste de l’Europe, ses proches voisins (Khan et Prin, 2020). S’agit-il d’un pur acte de générosité ou d’un acte politique calculé, considérant que l’Italie fut le premier pays du G7 à intégrer les routes de la soie chinoise ? La bienveillance chinoise ne s’est pas arrêtée là puisque Xi Jinping a fait envoyer des masques en Europe, en Afrique et en Asie. Ces dons se sont vite transformés en des partenariats commerciaux très lucratifs pour le pays. La Chine a finalement augmenté sa production de masques pour atteindre, en mars 2020, près de 120 millions d’unités par jour, soit 50% de la production mondiale. Cet investissement a fait naître la notion de diplomatie du masque (Bondaz, 2020), qui s’inscrit pleinement dans ce soft power chinois. La Chine se défend d’être ici l’unique fournisseur mondial capable d’assurer l’acheminent rapide d’une grande quantité de matériel médical, au moment même où le monde entier en a besoin.

Avec l’essor des vaccins contre la Covid-19, le pays dispose d’une autre arme diplomatique.  La Chine a ainsi lancé une production massive de vaccins et promis ces doses à des pays qui, souvent, n’ont pas pu en réserver aux firmes pharmaceutiques occidentales. C’est le cas des Philippines, de l’Indonésie ou de la Malaisie, des pays avec lesquels la Chine entre pourtant régulièrement en conflit en mer de Chine. Le pays a cependant placé ces rivalités en arrière-plan, promettant à tous les pays membres de l’Association des Nations du Sud-Est (ASEAN) un accès privilégié au vaccin qu’elle produirait (Hu Yuwei, 2020). Cette diplomatie du vaccin donne de bons résultats en Asie. L’Indonésie, par exemple, a adouci ses réponses aux incursions chinoises dans sa zone économique exclusive, au large des îles Natuna, substituant ses démonstrations de force à de simples protestations de forme (Capital, 2020). Tout dernièrement, elle a réagi timidement après avoir repêché dans ses eaux un drone sous-marin de confection chinoise (Guibert 2021).

Le 15 novembre dernier, quinze pays de l’Asie et du Pacifique[1] ont finalement conclu un accord économique historique avec la Chine. Le Partenariat régional économique global (RCEP) constitue l’accord de libre-échange le plus important du monde, ses adhérents représentant 30% du PIB mondial (Le Monde, 2020). Pour certains pays asiatiques, cet accord a tout d’une bénédiction puisqu’il leur permettra de compenser les effets dévastateurs de la crise économique qui s’installe graduellement en raison de la pandémie. Grâce à cet accord, les investissements à l’étranger de la Chine seront facilités, et la dépendance économique de plusieurs membres de l’ASEAN envers ce pays s’accentuera davantage.

L’Empire du milieu profite donc de la pandémie pour mettre de l’avant sa bienveillance et valoriser son image. Elle mobilise ce soft power pour dissimuler son hard power pourtant bien réel et visible en Mer de Chine, à Hong Kong, dans l’Himalaya, ainsi qu’aux portes de l’océan Indien, que ses navires doivent traverser. En effet, alors que l’attention des gouvernements et des médias est un peu partout tournée sur la pandémie, la Chine en profite pour poursuivre ses manœuvres militaires et la construction d’infrastructures stratégiques en Mer de Chine. En mars 2020, elle a effectué des exercices militaires au large des îles Paracels, un territoire revendiqué par le Vietnam et par Taïwan. Un bâtiment des gardes côtes chinois y a même récemment coulé un navire de pêche vietnamien (Philip 2020). De plus, les autorités chinoises ont poursuivi l’installation de deux centres de recherche sur les îles Spratleys, une zone revendiquée par les Philippines et le Vietnam (AFP, 2020). Ces exercices et ces infrastructures permettent à Pékin de s’imposer davantage dans cette zone très riche en hydrocarbures et en métaux rares.

La diplomatie chinoise intervient en deux temps : elle offre d’abord son soutien aux pays limitrophes pour les aider à les sortir de la crise sanitaire et économique qu’engendre la Covid-19, puis, dans un deuxième temps, elle avance ses pions dans la région même où ces États ont un contentieux territorial avec elle.

C’est sur ses frontières immédiates que le hard power chinois demeure le plus visible. À Hong Kong, la Chine a décidé d’en finir avec la conception d’« un pays, deux systèmes ». Profitant d’une réduction des manifestations en raison du confinement et des mesures sanitaires, la Chine procède régulièrement à l’arrestation de personnalités pro-démocratiques, liées aux manifestations étudiantes de 2019. Le 30 juin dernier, le parlement chinois a promulgué la Loi sur la sécurité nationale, un dispositif pourtant très controversé et sévèrement critiqué par les États-Unis et la Grande-Bretagne, en raison de la menace qu’il représente pour l’autonomie et les libertés individuelles des résidents. Encore une fois, la Chine a profité du contexte politique de la Covid-19 et de l’image qu’elle s’est construite comme nation généreuse pour durcir son ascendant sur l’ancienne colonie britannique et réduire son autonomie. Eu égard à Taiwan qui n’a pas eu besoin de l’aide chinoise continentale pour gérer la crise sanitaire, la Chine a fait preuve d’un ton encore plus dur et menaçant, faisant peser le risque d’une invasion si le pays continuait d’affirmer son indépendance.

À l’intérieur de ses frontières, dans la région autonome du Xinjiang, la Chine a enfin poursuivi le processus de sinisation brutale des Ouigours. Officiellement, les autorités ont mis en place des centres de formation professionnelle pour réduire le chômage mais de nombreux acteurs et pays internationaux dénoncent une autre réalité, celle d’un système répressif visant à assimiler cette population par des détentions massives, du travail forcé et des stérilisations (Le Monde, 2020).

En pleine pandémie, la Chine se range donc derrière l’image d’une superpuissance bienveillante et prospère alors qu’elle n’a pas renoncé à mener des répressions et des manœuvres militaires pour préserver ses intérêts et assurer ses visées géopolitiques en mer de Chine méridionale et dans l’océan Indien.

  1. Le sentiment indien d’une menace face à des ambitions chinoises jugées trop invasives

La pandémie et le soft power chinois n’ont pas engendré de trêve dans les relations sino-indiennes. Au contraire, les ambitions chinoises dans l’océan Indien et le rapprochement de celle-ci avec le Pakistan à qui elle a proposé une aide médicale, ont attisé le nationalisme indien (Boquérat, 2020). Le hard power de la Chine dans l’Himalaya conforte l’Inde à sortir de sa traditionnelle position de non-alignement, pour se militariser activement au nord comme au sud et à s’intéresser davantage à la vaste région Indo-Pacifique (Racine 2019 ; Peron-Boise 2019).

Dans la vallée de la rivière Galwan, une région de l’Himalaya contestée par Pékin et New Delhi, les tensions ont atteint leur paroxysme en juin 2020, lors d’un affrontement à mains nues entre les deux armées qui a fait plusieurs morts. La frontière est contestée dans cette région depuis plusieurs années, et le développement d’infrastructures des deux côtés de la frontière perpétue le contentieux. Ainsi, alors que l’Inde a ouvert une route pour relier ses différents postes frontaliers, la Chine a construit plusieurs bases militaires et des héliports dans la région (Landrin, 2020). Pékin et New Delhi se renvoient la faute et un conflit majeur pourrait s’y déclarer à tout moment.

Le rapprochement de la Chine et du Pakistan dans le contexte de l’aide sanitaire chinoise liée à la Covid-19, irrite aussi beaucoup l’Inde, qui entretient depuis longtemps des relations difficiles avec son voisin musulman, notamment dans le Cachemire où trois guerres ont eu lieu en 1947, 1965 et 1971, sans oublier les tensions de 1999. Aujourd’hui, dans le cadre de ses routes de la soie, la Chine a l’ambition de développer un vaste projet d’infrastructures dans la région. L’Inde accuse aussi Pékin d’appuyer les extrémistes musulmans de l’Azad Kashmir, par l’envoi d’armes et d’argent. Elle craint un encerclement qui résonne d’autant plus que la Chine a fait part de sa stratégie globale du collier de perles. Pékin a en effet investi dans la construction d’infrastructures portuaires en Birmanie et au Sri Lanka, deux autres voisins immédiats de l’Inde (Omid Farooq, 2019). La Chine a encore fait monter les tensions d’un cran en augmentant sa présence militaire et en ouvrant une base militaire à Djibouti (Lim 2020), d’autant plus que le pays en profite pour consolider ses liens avec le Pakistan et organiser des exercices militaires conjoints avec ce dernier, comme cela s’est fait en janvier 2020 (Albert 2019). L’Inde ne se trompe pas en percevant que la Chine tente d’accentuer aujourd’hui sa présence dans l’océan Indien afin d’assurer la protection de ses routes maritimes (Chung 2018) et accéder plus facilement à l’Afrique où ses intérêts ont considérablement augmenté.

Cette présence croissante de Pékin dans la zone d’influence de l’Inde irrite. Le gouvernement nationaliste de Narendra Modi avait déjà imposé un certain contrôle sur les investissements chinois sur son territoire mais le sentiment antichinois a pris une toute autre ampleur après l’annonce de la mort de 20 soldats indiens dans l’Himalaya. Une partie de la population s’est soulevée, sortant dans la rue pour brûler des drapeaux chinois et des portraits de Xi Jinping et en appelant au boycott des produits chinois. A la suite de ces évènements, 59 applications chinoises, dont le célèbre réseau social TikTok, ont été bannies en Inde et des barrières douanières ont été imposées (Dieterich, 2020). L’Inde espérait également profiter de la crise sanitaire pour développer son autosuffisance face à la Chine, limiter les investisseurs chinois et promouvoir un nationalisme économique (Dieterich, 2020). L’idée s’est manifestée dans une déclaration de Narendra Modi qui évoquait la nécessité de produire des vaccins contre la Covid-19 pour l’humanité entière.

Dans l’océan Indien, cette volonté de contrer la présence chinoise, a conduit l’Inde à renforcer aussi son soft power auprès de pays alliés tout en se militarisant discrètement (Lincot et Véron, 2020). L’Inde investit surtout dans le développement aux Maldives, aux Seychelles et à l’île Maurice.

Située à plus de 1000 km de Maurice, l’île d’Agaléga intéresse l’Inde au plus haut point. Sa position est stratégique, à la fois pour la pêche industrielle, possiblement pour un tourisme de luxe, mais surtout pour y établir une base de surveillance (Figure 1). La presse locale de Maurice a rendu publique le Memorandum of Agreement signé entre ce pays et l’Inde en 2015, et ce dernier établit clairement les taches à entreprendre par l’Inde dans l’article 2 :

The components are:

  • Construction of a jetty for berthing of ships

  • Rehabilitation and repaving of the runway over a maximum length of 4000 feet, an apron for two aircraft of size (ATR 42 type) and a taxiway

  • Installation of a power generation facility of approximately 300 KW

  • Setting up of a water desalination plant of capacity of approximately 60 tonnes per day

  • Construction of a National Coast Guard Post, including basic repair facilities, and

  • Any other facility related to the project.

Article 2, Memorandum of Understanding, Maurice-Inde, 2015

Development of Agalega – No Lease Agreement contained in MOU signed with India, says Minister Koonjoo

Source: Gouvernement de Maurice, https://govmu.org/EN/newsgov/SitePages/2015/Development-of-Agalega-%E2%80%93-No-Lease-Agreement-contained-in-MOU-signed-with-India,-says-Minister-Koonjoo.aspx

Le document n’évoque pas de base militaire mais des travaux importants comme la construction d’une jetée, la rénovation de la piste d’atterrissage[2], et l’installation d’infrastructures pour assurer l’approvisionnement en eau potable et en électricité[3]. Plusieurs parmi les Mauriciens sonnent l’alarme et s’inquiètent du sort qui sera réservé aux 300 Créoles d’Agaléga qui, eux, craignent une déportation semblable à celle qui a eu lieu il y a quelques décennies au moment de la construction de la base militaire à Diego Garcia par les Américains[4].

Fig. 1. L’archipel d’Agaléga

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Agalega_Islands_map-fr.svg

Certains se demandent ce que Maurice pourrait donc bien octroyer à l’Inde en retour, pour la remercier de son aide économique dans un pays où le gouvernement est pro-indien et issu de la diaspora hindoue. Maurice serait en effet le deuxième pays parmi les plus importants bénéficiaires de l’aide financière de l’Inde (Le mauricien, 2019).

Un article du 8 décembre 2020 publié dans L’Express mauricien fait état de ces initiatives indiennes découvertes dans la presse du pays:

Dans un article de The Telegraph India, publié en ligne le 1er décembre, des sources au sein de l’Establishment de la sécurité indiquent que l’Inde prévoit de mettre en place des systèmes de radar de surveillance côtière dans des pays amis dont Maurice (tout semble indiquer que ce sera à Agaléga), le Bangladesh, Myanmar, les Maldives et le Sri Lanka pour contrer la présence croissante de la Chine dans la région océan Indien (Walter, 2020)

L’île d’Agaléga, bien que méconnue, offre donc un bel exemple des tensions sino-indiennes qui se développent dans l’océan Indien. Ce minuscule archipel constitué de deux îles où depuis le XIXe siècle vivent des descendants d’esclaves, illustre parfaitement ce jeu de pouvoir que se livrent le soft et le hard power des deux grandes puissances asiatiques dans toute la région (Barton 2020). Agaléga se situe en plein centre de l’océan Indien et constitue, comme les Chagos, un lieu géostratégique idéal pour y établir des installations militaires. C’est dans cette perspective que l’Inde s’est d’ailleurs récemment rapprochée des États-Unis en participant à des exercices navals.

En parallèle, l’Inde exerce un soft power à Maurice qui dissimule aussi ses véritables intentions. Lors de la visite du Premier ministre indien sur l’île en 2015, plusieurs accords de coopération ont été signés dans différents domaines allant de la médecine indienne à l’économie maritime et à la culture (Ministry of External Affairs, 2015). L’Inde finance ainsi le cricket, des cours de yoga, des films de Bollywood et des manifestations religieuses spectaculaires. Les Créoles de Maurice s’inquiètent de cette générosité. New Delhi finance un métro à Port-Louis et il a signé un nouvel accord pour développer, officiellement, l’écotourisme à Agaléga. Les habitants de Maurice sont cependant convaincus que ces investissements indiens cachent un marché de dupes, et pointent du doigt les ambitions de l’Inde sur le plan stratégique et militaire. En effet, au cours des derniers mois, l’Inde a envoyé 800 ouvriers à Agaléga, dont des militaires (Floch, 2019). Outre, les infrastructures citées à l’article 2, l’accord de coopération prévoit l’établissement de 8 stations radar par l’Inde sur des îles de Maurice, comme St-Brandon, Rodrigues, etc. (Nkala 2015) De ce point de vue, l’Inde a agi ici plus rapidement que la Chine qui compte pourtant aussi une forte diaspora chinoise à Maurice, un centre culturel prospère, et des intérêts sur le plan touristique depuis l’ouverture d’une ligne aérienne reliant directement Hong Kong à Maurice.

  1. L’Empire du milieu et le Bhârat Mata: deux conceptions aux antipodes qui s’entrechoquent

Le soft power de la Chine s’analyse à plusieurs niveaux. A cet égard, les débats demeurent encore nombreux à l’effet de savoir par quel vecteur ce concept a cheminé et fait l’objet d’une appropriation par les Chinois. Une lecture qui prend en compte les imaginaires nationaux, permet de s’interroger : faut-il faire remonter le principe du soft power à la chinoise beaucoup plus loin dans le temps, la Chine ayant souvent prôné l’harmonie ? Des sinologues comme Marcel Granet montrent que la Chine, où confucianisme, taoïsme et bouddhisme s’enchevêtrent, se défend d’appréhender le monde dans sa globalité, en cherchant des complémentarités et des correspondances entre une multitude de singularités (Granet 1968). Ce mode de pensée dit analogique cherche à construire des relations harmonieuses. La médecine chinoise exemplifie bien ce raisonnement puisque la santé est d’abord une question d’harmonie, la maladie, elle, étant un blocage qui empêche l’énergie de circuler (Marié 2008).

Sur le plan politique et diplomatique, il est concevable que la notion de soft power ait pu séduire les Chinois en ce qu’elle véhicule potentiellement la recherche d’une harmonie, d’une situation dans laquelle le multiple cohabite sous le ciel, pour reprendre une allégorie ancienne. Sous les dynasties Ming et Qing, la Chine a en effet créé un système tributaire unique, construit non pas autour d’une ambition de conquêtes territoriales, mais plutôt d’une interdépendance de tributaires et d’une puissance hiérarchique, visant à instaurer une situation de stabilité et de paix durable dans la région (Zhaojie, 2002 ; Kang, 2010). La notion de Zhongguo (中国), littéralement pays du milieu, se popularise au milieu du XIXe siècle, après les guerres de l’opium, et traduit cette idée d’une Chine conçue comme un vaste espace, ethniquement pluriel mais défendu par un mur qui l’entoure. Le sinologue Thierry Sanjuan l’explique: « Aux yeux des chinois, la Chine elle-même fait monde » (Sanjuan, 2013). Assurer une bonne gouvernance implique de pouvoir à la fois circuler à l’intérieur de cet espace et d’en protéger les contours, des idées qui se retrouvent dans le projet des nouvelles routes de la soie et du collier de perles. Le philosophe Zhao Tingyang (2018) a fait un pas de plus en réhabilitant le concept de tianxia, littéralement « Tous sous un même ciel », pour montrer que la Chine s’impose de plus en plus comme une puissance normative susceptible de promouvoir le concept de guerre juste qui ne déclare la guerre mauvaise en droit que pour la justifier à chaque fois, en fait, soit par des circonstances exceptionnelles, soit par la nécessité de dissiper le chaos et rétablir l’ordre (Heurtebise 2020 : 145).

En outre, la Chine du XXe siècle a souvent joué sur deux tableaux en même temps et ce, tant en politique intérieure qu’en politique extérieure, mettant en place des dispositifs politiques riches de contradictions et d’interactions, comme l’illustre bien encore ce concept d’un pays, deux systèmes, ce que Mengin (1998 : 139) nomme des contradictions durables. En ce sens, le fait que la Chine articule du soft et du hard power est tout à fait cohérent avec l’histoire de ses modes de pensée et sa culture politique. Enfin, la Chine a su, depuis très longtemps, faire valoir la richesse de sa culture, celle des lettrés et de sa civilisation, un point qui n’a pas échappé aux missionnaires jésuites du 17e siècle ni aux philosophes des Lumières, comme Voltaire ou Montesquieu. Plus récemment, le sinologue François Jullien (1995) a relevé une autre caractéristique importante de la pensée chinoise dans la valorisation de ce qu’il nomme l’expression indirecte et la pensée du détour. Cela suggère que les actes et les discours de la Chine dissimulent souvent d’autres intentions. C’est avec tous ces éléments qu’il faut saisir le soft power chinois contemporain. Cette stratégie s’éclaire alors comme une politique pragmatique à une époque où la planète est marquée par l’émergence de nombreux pays à la suite de la décolonisation, et par la mondialisation avec, par ailleurs, la disparition des grands blocs qui avaient jusque-là structurés la scène politique internationale. C’est sur cette base que la propagande chinoise entend mettre en exergue les valeurs d’un pays qui se voit aujourd’hui en mesure de jouer le rôle d’une superpuissance, et d’imposer sa vision du monde. La doctrine diplomatique chinoise des loups combattants, initiée par Xi Jinping et qui désigne cette lutte que les ambassadeurs chinois doivent mener contre les démocraties occidentales qui ont développé des idéologies sinophobes, apparaît comme une sorte d’antidote susceptible de faire face aux critiques qu’elles formulent contre Pékin et ses ambitions.

L’Inde privilégie aussi depuis toujours une pensée analogique, combinant des traditions diversifiées issues du brahmanisme, du bouddhisme et du jainisme. L’exemple des mandalas illustre très bien ce mode de pensée qui consiste à concevoir que tous les éléments d’un système sont interdépendants et qu’une continuité relie des phénomènes fort différents : l’univers est ainsi conçu comme une sorte de tissage, des analogies existent entre le microcosme et le macrocosme, etc. Mais l’Inde, ancienne colonie britannique, a été marquée par d’autres influences, y compris par plusieurs idéologies venues de l’Occident. Sur le plan politique, elle a longtemps prôné la doctrine du non-alignement comme l’a bien illustré les politiques de Nehru qui, dès les années 1950, souhaitait créer sur la scène internationale un ensemble de pays qui échapperaient à la logique de la guerre froide et aux idéologies des deux grandes puissances de l’époque et de favoriser l’indépendance effective des pays du Sud. Cette diplomatie a connu ses grandes heures à la conférence de Bandung en 1955, puis à la conférence de Belgrade en 1961, avec la création du mouvement des non-alignés qui, en 2016, comprenait encore près de 120 pays. Sous la pression du soft power chinois, qui s’installe à ses portes, l’Inde a cependant délaissé cette tendance au profit d’un nationalisme qui n’a cessé de croître au cours des dernières années.

Le pays a conservé son soft power en continuant de se montrer financièrement généreux face aux pays les plus pauvres, en Afrique comme en Asie, en se montrant particulièrement présent dans des lieux issus de la diaspora comme l’île Maurice ou Fidji, où des ouvriers indiens ont été déplacés au XIXe siècle pour servir de main d’œuvre. À Fidji, où près de 40% de la population est d’origine indienne, l’Inde exerce son influence de manière à la fois indirecte, en appuyant cet État dans les instances internationales comme le Commonwealth ou l’ONU, et de façon plus directe puisqu’elle a signé en 2017 un pacte de défense et de coopération militaire avec ce pays (Indo-Pacific Defense Forum 2017). L’Inde maintient par ailleurs d’excellentes relations avec l’Indonésie et avec des pays du pacifique comme l’Australie, le Japon et les États-Unis dans le but de contenir et de faire front à la Chine. Ces relations se traduisent par des initiatives sur les plans économique, culturel et stratégique avec une alliance qui s’est vue récemment renouvelée au sein du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD) signé entre ces quatre puissances (Guibert et Pedroletti 2020).

Le soft power indien se nourrit cependant de plus en plus du nationalisme indien qui s’est saisi de l’image de la Bhârat Mata (littéralement « la mère indienne », en sanscrit), pour la représenter comme une femme vêtue d’un sari safran et tenant dans sa main le drapeau du pays. Sa forme correspond à celle de la géographie de l’Inde (voir figure 2), permettant de multiples associations d’idées dont l’efficacité est redoutable, en particulier pour défendre l’intégrité territoriale du Cachemire, sa tête.

Fig. 2. Image de Bhârat Mata

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bharat-mata.png

Cette imagerie a fait l’objet de plusieurs travaux par des chercheurs indiens (voir Gupta 2002 ; Jha 2004 et Kaul 2018) qui pointent sa puissance émotionnelle et symbolique. Cette allégorie véhicule encore l’idée d’un pays généreux à l’image de celui d’une mère avec ses enfants, mais elle illustre surtout la montée d’un ultranationalisme qui rêve d’une grande nation hindoue reconstituée, pure, religieuse et patriotique. L’idée est susceptible de séduire tous les hindous de la planète, y compris ceux de la diaspora qui se retrouvent souvent parmi les élites locales dans les pays concernés. Le cas de l’île Maurice est de nouveau exemplaire avec un gouvernement dominé par les Indiens et donc favorable à une coopération avec ce pays. Une telle conception culturelle cristallise la colère indienne contre la Chine et le Pakistan. Lors de l’incident du Galwan dans l’Himalaya, les nationalistes ont ainsi immédiatement indiqué que la Bharat Mata ne saurait perdre sa tête (les sommets de cette région) sans de terribles représailles.

Conclusion

Mis en œuvre différemment par la Chine et par l’Inde, le soft power de ces deux puissances génère de nos jours des frictions dans plusieurs régions d’Asie. Comme l’illustre le cas d’Agaléga, ces tensions se ressentent tout particulièrement dans l’océan Indien, une zone stratégique pour les nouvelles routes maritimes de la Chine et le contrôle du Moyen-Orient, puisqu’une partie substantielle du trafic maritime y transite encore. Dans les années 2000, plusieurs analyses sous-estimaient encore les ambitions chinoises dans l’océan Indien (voir Khurana 2008 ; Brewster 2014), mais d’autres les entrevoyaient (Yoshihara 2012). Au cours des dernières années, l’Inde a pris conscience de la puissance maritime de la Chine (Chaudhury 2016; Menon 2016). Aujourd’hui, en pleine pandémie, ces craintes se sont exacerbées. Avec sa stratégie de soft power apparente, la Chine attise ainsi les tensions régionales et l’Inde, même si elle ne peut encore prétendre au statut de puissance mondiale, entend bien limiter les appétits de son rival, notamment par le soutien à sa diaspora et la construction d’un système de surveillance radar dans l’océan Indien. L’exercice de ces deux soft power pourrait bien générer du hard power dont aucun État, ni aucune population ne saurait tirer, en fait, les bénéfices.

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[1] Les pays membres de l’ASEAN : (Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos, Brunei), ainsi que le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

[2] Voir aussi une note du 31 octobre 2018 paru dans The Economist : http://country.eiu.com/article.aspx?articleid=1647290148&Country=Mauritius&topic=Politics&subtopi_1

[3] Ce chantier se poursuit actuellement, voir l’Express mauricien https://www.lexpress.mu/article/389066/agalega-massacre-ecologique-en-cours?fbclid=IwAR0XN2JxbQDH4En87L-aBDZMoez3bxTFoG06toscVGMh8dQQN3rxFi2ymGU

[4] L’archipel des Chagos dont fait partie Diego Garcia, ne fut pas rendu à Maurice lors de son indépendance en 1968, mais intégré dès 1965 comme British Indian Ocean Territory et loué depuis aux Américains. Ce fut le début de la fin pour les 2000 créoles de l’archipel qui se sont vus d’abord coupés de vivre et de ravitaillement, puis finalement expulsés manu militari (Voir Ollivry, 2008 ; De L’Estrac, 2011).

 

La diplomatie du masque et du vaccin : nouvel atout de soft ou de hard power pour Pékin ?

RG v7 n2, 2021

Pauline Bonnet

Pauline Bonnet est étudiante en Géopolitique et Relations Internationales à l’Université Catholique de Paris au sein du parcours Sécurité Défense. Elle se spécialise sur la place de la Chine au sein de l’ordre internationale et plus globalement sur la région asiatique.

Résumé : La crise pandémique de la Covid-19 semble avoir défini les grands enjeux de l’année 2020. Débutée sur le territoire chinois, la République Populaire de Chine a été mise sur le devant de la scène dès le début de la pandémie mondiale. Entre les critiques des pays occidentaux face au manque de transparence, les mensonges du Parti Communiste Chinois et les discours de Xi Jinping prônant une gestion multilatérale de la crise sanitaire, Pékin a tenté de mettre en place une réelle stratégie de soft power à travers la diplomatie du masque et d’envoi d’aide médicale.

Mots-clés : soft power, Chine, Organisation Mondiale de la Santé, diplomatie des masques, pandémie de la Covid-19, Nouvelles Routes de la soie.

Summary: The year 2020 has been challenged by many issues but the crisis of Covid-19 mostly challenged it. Beginning in China, the People’s Republic of China has been in the spotlight since the beginning of the pandemic. Between the critics of Western States due to the lack of transparency and the lies of the Communism Party of China and, at the opposite, Xi Jinping’s speeches advocated a multilateral way of management, Pekin tries to define a real strategy of soft power in order of regilding its image. China’s Mask Diplomacy becomes a real soft power strategy during the time of the pandemic of Covid-19.

Keywords: China, Mask Diplomacy, pandemic of Covid-19, Belt and Road Initiative, World Health Organization, soft power.

Alors que Washington menait les démarches pour quitter l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et renforcer, de ce fait, son désintérêt pour une gestion multilatérale de la crise sanitaire, Pékin a décidé de ne pas rester silencieux pendant la crise de la Covid-19 (Le Monde avec AFP, 2020). Le gouvernement chinois a cherché à promouvoir sa vision du système international en mettant au point une réelle stratégie d’influence. « Diplomatie du masque, dons de vaccins, envoi d’aides médicales », les termes employés se multiplient pour décrire l’activisme de ce qui semble être la nouvelle puissance du 21ème siècle. Le « virus chinois », comme désigné par l’ex-président des États-Unis, Donald Trump, débuté en Chine en janvier 2020, a valu à la nouvelle puissance d’être mise sous les feux des projecteurs. De ce fait, la Chine a également essuyé des critiques, souvent négatives, quant à son manque de transparence et sa gestion de l’épidémie jugée malhonnête par les pays occidentaux. La Chine et son soft power ont été confrontés au scepticisme et aux critiques des puissances occidentales malgré la bonne volonté de Xi Jinping de promouvoir le multilatéralisme et de résoudre cette crise « tous ensemble ». Les normes et traités internationaux, conclus par le droit international depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour fonder notre système international, prennent une force obligatoire une fois ratifiés par les États.  Néanmoins, à l’image de Pékin concernant son manque de transparence sur la gestion initiale de l’épidémie et de son annonce tardive du virus de la Covid-19, certains États décident de ne pas le suivre. Le règlement sanitaire de l’OMS et plus précisément son article 6, paru en 2005 et ratifié par la Chine, implique que chaque État dispose de 24 heures pour avertir l’organisation « en cas d’évènement pouvant constituer une urgence sanitaire de santé publique de portée internationale »[1]. Ce règlement est un instrument juridique international qui a une force obligatoire dans les 196 pays du monde l’ayant ratifié. Toutefois, la capacité du gouvernement chinois à résister aux pressions des organisations internationales ainsi qu’à ne pas tenir compte des normes internationales a rendu la mise en place de sanctions internationales difficilement envisageable. Aussi, la difficulté de l’OMS à se rendre en Chine pour enquêter sur les origines de la pandémie traduit la faiblesse du droit international et des instances mondiales à imposer leur règlement. Cela témoigne également de la puissance de Pékin quant à sa capacité à influencer l’agenda mondial.

Ainsi, depuis un an, le Parti Communiste Chinois (PCC), cherche à se positionner, non comme le responsable de cette crise sanitaire, mais comme le sauveur.  La diplomatie des maques, entrepris par Xi Jinping, semble s’inscrire dans une véritable stratégie de soft power visant à redorer l’image de Pékin. De ce fait, deux camps se distinguent : celui devenu encore plus critique face à cet activisme chinois, principalement les pays occidentaux, et à l’opposé, les pays se réjouissant, ou n’ayant d’autres choix que de se réjouir, de l’entraide chinoise. Il semble tout de même légitime de se questionner : pouvons-nous réellement parler de dons ? Qu’attend la Chine en retour de l’aide qu’elle offre à d’autres États ? Sont-ils devenus un nouveau levier de puissance politique pour Pékin ?  Nous pouvons nous questionner si la santé globale est devenue une nouvelle priorité pour le PCC en cette ère de la Covid-19 ou uniquement un moyen d’asseoir son soft power dans le monde.

La santé globale, selon Mark Nichte, recouvre des « problèmes de santé transcendent les frontières nationales, peuvent être influencés par les circonstances ou les expériences d’autres pays, et appellent des réponses collectives » (Nichter, 2008). Si aucun consensus n’est aujourd’hui véritablement défini sur cette notion, elle implique, avant tout, une problématique de gouvernance mondiale de la santé. Bien que les instances mondiales, comme l’OMS puissent être les institutions légitimes face à cette problématique, les acteurs étatiques, principalement la Chine, en font une nouvelle priorité leur permettant d’asseoir leur puissance au sein du système international.  Crée par l’OMS en 2020, le COVAX, a pour but de garantir un accès à tous au vaccin de la Covid-19 et, peut s’inscrire dans cette lignée de gouvernance mondiale pour la santé. Il est, à ce jour, la seule initiative mondiale réunissant les États et les fabricants de vaccins : deux milliards de doses sont prévues d’être distribuées d’ici fin 2021.  Néanmoins, seule la livraison des 600 000 doses a été annoncée par le dispositif COVAX pour le Ghana, la Côte d’Ivoire et l’Inde en mars 2021. Chiffre bien minime pour un projet mondial face aux 200 millions de doses qui ont été promises par le groupe chinois Sinovac dans plus de 20 pays. La superpuissance chinoise serait-elle en capacité de remplacer l’OMS et de garantir, elle, un accès à l’ensemble de la population mondiale au vaccin et au soin ? Si les chiffres fournis par le gouvernement chinois témoignent d’une efficacité sans précédent, le prix à payer de ces dons inquiète les puissances occidentales, en première ligne l’Union Européenne (UE) et les États-Unis, qui y voient un nouveau moyen de pression et d’endettement vis-à-vis de Pékin. Le but de cet article est d’essayer d’analyser comment la diplomatie du masque et de l’aide médicale et, aujourd’hui en 2021, des vaccins, a pu impacter le soft power chinois et son positionnement dans le système international.

1. La diplomatie du masque : un premier outil de soft power chinois efficace et controversé

1.1. La crise de la Covid-19 confirme la volonté chinoise d’asseoir son soft power

Le concept de diplomatie du masque a commencé à être évoqué par les pays occidentaux lorsque Pékin a redoublé ses efforts de communication pour vanter ses différents dons. Le 29 janvier 2021, par le biais de son ministre du Commerce, la Chine s’est félicitée d’une « contribution importante à la lutte mondiale contre l’épidémie » (RTFB Info, 2021). La communication orchestrée par le régime chinois, régulièrement qualifiée de propagande, a fortement mobilisé l’Union Européenne. Si Pékin communique massivement sur ses différents envois de masques et d’aides médicales, l’Union Européenne, dont la France, s’est fait plus discrète début 2020 lorsque les rôles étaient inversés (Le Figaro, 2020). Mi-février un avion chargé de 17 tonnes de matériel médical quittait l’aéroport de Paris Charles de Gaulle à destination du Wuhan. En France, cet envoi a fait polémique dans les semaines qui ont suivi en raison de la situation sanitaire qui se dégradait rapidement sur le territoire et qui laissait apparaître les manques de moyens des hôpitaux français face à la gestion de la Covid-19. Mais, il a eu lieu lorsque la Chine, elle confinée, n’était plus en mesure de répondre aux besoins de ses citoyens. Si cet évènement semble avoir été très rapidement oublié par les autorités chinoises, c’est parce que le PCC a surcommuniqué un mois plus tard, en mars 2020, sur ses propres donations : un million de masques arrivait à Liège, en Belgique, à destination de la France. Ainsi, deux camps se sont rapidement opposés pour répondre à cette diplomatie du masque visant, d’une à rétablir l’image du PCC et de deux à faire oublier l’origine de la pandémie (Bondaz, 2020).

Les pays occidentaux, dont l’Union Européenne, les États-Unis, le Canada, l’Australie et dans une moindre mesure le Japon et l’Inde, y voient un nouveau moyen de pression politique et géopolitique. S’ajoute à cela la volonté du PCC de réécrire l’histoire de la pandémie dans une version lui étant plus favorable.  Car si Pékin agace tant c’est principalement à cause de son laxisme quant à l’origine de la Covid-19 et son entêtement à refuser une enquête internationale sur son territoire. Effrayé dans les premiers mois par la vitesse à laquelle se propageait le virus, le confinement strict imposé par le régime chinois lui a valu de se faire plus discret sur la scène internationale. Néanmoins, les 78 jours de confinement, débutés le 19 janvier 2020 à Wuhan, lui ont permis une maîtrise rapide de la pandémie et ainsi une reprise de sa communication afin de restaurer son image fortement dégradée. La pandémie de la Covid-19 fait mauvaise publicité au gouvernement chinois. Les pays occidentaux, lassés de voir cette superpuissance, si différente de leurs critères démocratiques, les contraindre à une vie (semi) confinée, a engendré une augmentation du racisme antichinois ainsi qu’un désir d’une plus grande autonomie face à Pékin (Bondaz, 2020). Le racisme antichinois et anti-asiatique ont été renforcés, en France notamment, par la crise de la Covid-19 : de nombreux membres de la diaspora chinoise témoignent d’insultes subies dans les transports publics. Les tueries d’Atlanta aux États-Unis, le 24 mars 2021, confirment également ce qui peut être qualifié de « nouveau » racisme par les autorités publiques mais de fléau « longtemps nié et mal identifié » par les associations luttant contre ce racisme asiatique. Pas question pour Xi Jinping de rester les bras croisés face à cette exaspération grandissante à l’encontre de son pays et de ses citoyens (Lesnes, 2021).

La diplomatie du masque et l’envoi d’aides médicales s’inscrivent alors dans une véritable stratégie de soft power visant à faire oublier l’origine du virus et redorer l’image de la Chine afin de la présenter comme une puissance responsable.  Le Parti a multiplié les envois dans les pays qu’elle considère comme ses alliés mettant en lumière sa stratégie de créer des relations bilatérales fortes. L’Europe de l’Est, Centrale, l’Afrique, l’Italie, le Pakistan, le Cambodge, le Laos, l’Iran, ces pays, tous membres des Nouvelles Routes de la soie[2], ont été les premiers bénéficiaires de cette diplomatie (Ekman, 2020).

En effet, cette stratégie, avant de devenir un levier de puissance politique ou de pression géopolitique, a été un moyen pour le gouvernement chinois de confirmer ses alliances. Inversement, cela a également mis en lumière les rivalités existantes : Canberra paye aujourd’hui les frais de sa confrontation avec Pékin. Depuis que la capitale australienne a demandé l’ouverture d’une enquête internationale sur l’origine du coronavirus en janvier 2020, les relations entre les deux pays se sont fortement dégradées au point d’arriver à l’interdiction, pour le groupe chinois Huawei, d’installer son réseau 5G sur le territoire australien. Déjà hostile au gouvernement de Xi Jinping, l’Australie ne s’est pas laissée séduire par les aides de Pékin bien qu’il représente son plus gros partenaire commercial : Canberra ne sacrifiera pas sa démocratie au profit du commerce (Lemaître, 2021). Si cet épisode est révélateur du fossé entre les régimes démocratiques et le régime communiste chinois, les alliés du PCC se sont, eux, réjouis de  cette aide rapide.  Les dons médicaux sont devenus un nouvel instrument de la stratégie chinoise pour asseoir son soft power et promouvoir son modèle de gouvernance. La communication abondante en est la preuve. Les autorités chinoises n’hésitaient pas à relayer massivement, à travers leurs ambassades et journaux officiels, les quantités exportées.  Le message s’accompagnait régulièrement d’un avis vantant la capacité du Parti à vaincre l’épidémie, visant ainsi à propager l’image d’une gouvernance forte et efficace. L’ambassade de Chine en France écrivait le 27 mars 2020 sur son compte Twitter « Les pays asiatiques, dont la Chine, ont été particulièrement performants dans leur lutte contre le Covid-19 parce qu’ils ont ce sens de la collectivité et du civisme qui fait défaut aux démocraties occidentales » (Liabot, 2020). Pékin tente activement de promouvoir son régime à travers cette pandémie.

En Europe, l’Italie, la Serbie et la Hongrie figurent parmi les pays où cette stratégie est la plus visible : trois pays européens ayant des arrangements bilatéraux avec l’État chinois[3]. L’Italie a été le premier pays du G7 à s’inscrire dans l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la soie en 2019. Cette inscription lui a été favorable durant la crise sanitaire : celle-ci lui a permis de bénéficier de l’appui de Xi Jinping lorsqu’elle n’arrivait pas à maîtriser la pandémie sur son territoire (Le Corre, 2020). Début mars 2020, pendant que l’Union Européenne se faisait plutôt discrète sur l’aide qu’elle pouvait octroyer à Rome, Pékin n’a pas hésité à proposer le sien. Le 13 mars 2020, des experts chinois dépêchés par le vice-président de la Croix Rouge chinoise, Yang Huichan et par le médecin Liang Zongan, arrivent à Rome offrant leurs expertises médicales. Accueillie à bras ouverts par les représentants du ministère italien de la santé, la République Populaire de Chine (RPC) confirme le partenariat stratégique qu’elle entretient avec l’Italie. La faiblesse de l’économie italienne, avec une dette publique qui représentait 130% de son PIB en 2019, soit 38000 euros par Italien, ajouté à la fragilité des banques, la fait apparaître comme la sauveuse pour le pays européen. Ainsi, malgré la crainte de l’UE face à l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la soie, Rome, assure sa volonté de coopération avec le gouvernement chinois. Cependant, qu’impliquent les dons de masques gracieusement offerts par le PCC ? À quel prix l’aide chinoise est-elle recevable ? Si Pékin se montre généreux pendant cette crise, il ne faut pas rester naïf quant à ses réelles intentions. Jocelyn Chey, une ex-diplomate australienne, affirme que « l’aide humanitaire de la Chine, comme celles des autres nations, fait partie de son pouvoir d’attraction et a également des objectifs commerciaux et politiques » (Le Point International, 2020). L’Italie offre « des facilités aux chinois » dans le port de Trieste : point d’entrée sur le marché européen, le pays représente un intérêt stratégique pour la RPC. Nous pouvons facilement imaginer le PCC mettre en avant ses dons dans le futur afin de renforcer sa présence sur le sol italien. Si le port du Pirée en Grèce et le port de Sinès au Portugal, faisant actuellement l’objet de nombreux débats[4], sont déjà (quasiment) entre les mains de Pékin, ces dons de masques inquiètent l’UE quant à la présence chinoise grandissante sur son territoire. Certains y voient, en plus d’un atout dans une stratégie de soft power, un nouveau levier de puissance politique et, ici, d’endettement vis-à-vis de la Chine. Si rien n’a pour le moment été officiellement demandé à l’Italie en retour de ces aides, cela n’est pas le cas pour tous les pays européens. En effet, la Serbie et la Hongrie sont les deux nouveaux pays ciblés par le PCC en Europe de l’Est pour le développement de relations privilégiées. Maillons faibles de l’UE à cause des crises relatives à l’état de droit et du froid entre leur gouvernement et Bruxelles, Pékin y voit une aubaine. Quand l’UE n’arrive pas, encore une fois, à fournir l’aide nécessaire aux pays d’Europe centrale, débordés par la gestion de la crise sanitaire, Pékin accourt (Berreta, 2020). Le Président serbe, Aleksandar Vučić, furieux du manque de coopération et d’entraide au sein de l’union, déclarait en mars dernier « La solidarité européenne n’existe pas, c’est un conte de fées sur papier, les seuls capables de venir en aide [aux Serbes], la Chine. ». Subséquemment, c’est en Serbie que la fameuse diplomatie du masque a pu débuter. Masques, médecins, experts médicaux, et aujourd’hui en avril 2021, vaccins, la totale est déployée par Pékin qui n’hésite pas à multiplier les interventions médiatiques soulignant « l’amitié solide comme le fer » entre le peuple serbe et chinois. Le Président serbe a même embrassé le drapeau communiste à l’atterrissage de l’aide médicale démontrant l’efficacité de cette stratégie diplomatique déployée par Xi Jinping. Ce dernier n’a pas hésité à rappeler l’envie de poursuivre la coopération entre les deux pays (Chastand 2021). Cette affirmation laisse percevoir la détermination du Président chinois à déployer ses intérêts, souvent économiques et commerciaux dans les pays, ici européens, ayant reçus son aide lors de la crise sanitaire. « La Chine est prête à travailler de concert avec l’Italie pour contribuer aux efforts de coopération internationale contre l’épidémie, ainsi qu’à la construction d’une route de la soie sanitaire » (Prin, Kahn, 2020). Car ce qui différencie tant la Chine des pays occidentaux est bien cette vision lointaine : Pékin a le temps. L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 a démontré de l’activisme chinois sur la scène internationale. Élu président à vie, le temps de bâtir des alliances solides ne lui manque pas. Les déclarations médiatiques du gouvernement chinois sont également approuvées par celui serbe :  le Président a exprimé que son pays « garderait toujours en souvenir cette aide » ainsi que le souhait d’une « amitié éternelle ». Résultat :  un an plus tard, en mars 2021, la Serbie devient, en proportion de sa population, le pays étant le plus vacciné d’Europe. La réponse : le vaccin chinois inonde le territoire. Un million de doses de Sinopharm ont été livrées en janvier 2021.  Aussi, en mars 2021, la déclaration de M. Vučić accentue la profondeur des relations entretenues avec la RPC : la Serbie sera le premier pays européen où sera produit localement le vaccin chinois Sinopharm. Cette stratégie vaccinale offre également au pays européen des opportunités et des moyens de pression stratégique dans le but d’asseoir son leadership dans la région. Ainsi, la Macédoine du Nord, le Monténégro ainsi que la Bosnie ont pu bénéficier d’une aide serbe provenant des vaccins chinois. Cette relation permet à Xi Jinping de justifier sa stratégie « gagnant-gagnant », stratégie élaborée dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie (Curovic, 2021).

La crise de la Covid-19 a définitivement permis au PCC de renforcer ses alliances déjà existantes et le cas de la Serbie le démontre bien. La Serbie et la Chine sont, depuis la signature en 2009 d’un partenariat stratégique, des alliés fidèles. Les investissements chinois ont atteint près de 8 milliards de dollars en 2019 faisant du pays l’une des destinations principales en Europe Centrale. La Hongrie, voisin de l’État serbe et elle membre de l’UE, est, elle aussi, favorable à cette présence chinoise. En janvier 2021, elle a été le premier pays de l’union à autoriser le vaccin chinois sur son territoire, alors qu’il n’était pas encore approuvé par l’OMS en raison du manque de données fournies. Cinq millions de doses ont été commandées au groupe chinois. (Kauffmann, 2021). La Hongrie de Viktor Orban se lasse de la lenteur de Bruxelles pour répondre aux besoins des pays membres de l’UE. La Chine, elle, agit rapidement. La déclaration du Président hongrois affirmant que le vaccin chinois représente « le vaccin en lequel il a le plus confiance » atteste l’efficacité de la stratégie d’influence chinoise (Chastand, 2021). À en croire ces déclarations des chefs d’État européens nous pourrions facilement oublier l’origine du virus à Wuhan et positionner Pékin comme le sauveur de la pandémie mondiale pourtant partie de son territoire.

1.2. Une stratégie de communication controversée

La stratégie de communication, autour de la diplomatie du masque, reste cependant à nuancer quant à son efficacité. Si les différents évènements décrits précédemment laissent percevoir une réussite de cette diplomatie, certains sinologues y voient, eux, un échec total. Cette sur-communication a, avant de séduire, irrité. Alain Fauchon, éditorialiste au journal français Le Monde, affirme que cette diplomatie du masque a été un véritable échec pour Pékin. En tentant coûte que coûte de faire oublier sa responsabilité sur l’annonce tardive du virus, cela a rendu cette sur-communication contreproductive et n’a guère amélioré son image auprès des pays occidentaux, dans un contexte d’affirmation décomplexée des objectifs chinois (Mottet, 2020). Pire, l’image de la Chine n’aurait jamais été aussi négative depuis les événements de Tiananmen en 1989 (Fauchon, 2020). Le vide laissé par Donald Trump, qui ne maitrisait pas la pandémie sur son territoire, avait donné l’occasion à Xi Jinping d’affirmer la puissance chinoise au sein du système international. Si l’exportation de matériel médical a pu être remerciée par les pays occidentaux, la sur-communication du PCC a très vite tourné à l’agacement. Les États y voient une nouvelle propagande du gouvernement chinois cherchant à imposer sa vision du système international et ses intérêts nationaux (Bondaz, 2020). Entre défiance et suspension, les pays occidentaux se sont plutôt entendus sur cet avis négatif et méfiant vis-à-vis des actions de Pékin.

Dans un premier temps, la qualité défectueuse des masques importés a été soulevée. Cela a engendré une mauvaise publicité au made in China. La Chine cherchait pourtant ces dernières années à éradiquer cette image de produit à faible qualité. De plus, les normes médicales diffèrent entre les masques européens, chinois et américains : une adaptation de la législation européenne a donc dû être menée par Bruxelles afin de recevoir les masques nécessaires aux pays européens (Tronchet, 2020).  Mais, si cette mauvaise qualité est un point à relever quant à cet échec diplomatique, ce sont avant tout les attaques et la propagande orchestrées par Pékin qui ont rendu cette dernière contre-productive (Guillaume Tawil, 2020). Les chiffres annoncés par la RPC laissent de nombreux pays sceptiques face à sa transparence : fin mars 2020, 3305 morts sont annoncés en Chine dont 2500 à Wuhan, épicentre de la pandémie. Chiffre très faible comparé aux pays européens : la France annonçait 3523 morts pour le mois de mars 2020 seulement. Ainsi, la propagande réalisée par le gouvernement chinois, dès 2019 et, l’opacité des origines de la pandémie, ont détérioré plus que redoré son image. Si le gouvernement communiste chinois cherche à minimiser et à cacher la censure et l’oppression effectués dès septembre 2019 lors des premiers cas de Covid-19, les pays occidentaux ne l’ont pas négligé. De nombreux médecins, journalistes, et chefs hospitaliers, à l’image du docteur Li Wenliang aujourd’hui décédé, ont été forcés de se taire afin de cacher les débuts de la pandémie. En plus de sa détermination à redorer son image et à se présenter comme une puissance responsable et fiable, le PCC cherche à faire oublier la censure imposée dans son pays (Bondaz, 2020). Cette volonté est visible dans une tribune publiée le 24 mars 2020 dans le Quotidien du Peuple nous rappelle le chercheur Antoine Bondaz. En effet, elle invite les pays à rejoindre la route de la soie de la santé et indique que « la Chine a, de manière ouverte, transparente et responsable, informé toutes les parties de l’épidémie en temps utile et a travaillé en étroite collaboration avec l’OMS et les pays concernés ». Informations fausses comme nous avons pu le rappeler précédemment à la vue du règlement sanitaire de l’OMS et des journalises, médecins, chercheurs, disparus et, ou, décédés.

Cette diplomatie, made in Xi Jinping, l’a finalement décrédibilisé. Idéologue convaincu, Xi Jinping a surestimé la capacité de son régime à promouvoir ses valeurs et mœurs auprès des puissances occidentales et il semblerait, sous-estimer, le mécontentement de l’Occident face à son manque de transparence et face à leur attachement à leurs valeurs démocratiques (Ekman, 2020). Si les pays asiatiques ont déjà connu plusieurs pandémies sur leur territoire depuis les années 2000, il ne faut pas oublier que la crise de la Covid-19 représente la plus importante que les citoyens européens traversent. Effrayés par ce virus, ils sont en quête de vérité et de compréhension et non pas d’un message mensonger provenant de la Chine, jugée pour la plupart, responsable de la pandémie (Prin, Kahn, 2020). Jean-Pierre Cabestan, professeur de Sciences Politiques à la Hong Kong Baptist University, indique que la diplomatie du masque « s’est retournée contre Pékin car trop agressive et contradictoire tout en niant sa propre responsabilité dans l’origine de la pandémie : le message de Pékin mélangeait trop la générosité avec la propagande alors que les démocraties affrontaient la crise sanitaire » (Prin, et Kahn, 2020). Le manque de ressources médicales n’a pas arrangé la situation, suscitant davantage d’agacement face à la dépendance des pays européens vis-à-vis de Pékin. Cela a donc encouragé la Commission Européenne à contrôler de plus près les investissements chinois sur son territoire et à affirmer son désir de retrouver une certaine souveraineté quant à la production pharmaceutique européenne (Aeberhardt et Hecketsweiler, 2020).

Les attaques du gouvernement chinois sur la gestion européenne de la crise de la Covid-19 ont représenté les critiques de trop faisant définitivement un « flop » de la diplomatie du masque. Elle est devenue une diplomatie trop agressive nuisant toute efficacité. Lu Shaye, ambassadeur chinois en France, déclarait dans un communiqué sur le site de l’ambassade chinoise que les autorités françaises « laissaient mourir dans les Ephad leurs pensionnaires de faim et de maladie. »  Cerise sur le gâteau lorsque le communiqué accuse également les dirigeants occidentaux de ne pas avoir pris le virus au sérieux en parlant de « grippette ». Convoqué par le Quai d’Orsay, Jean Yves Le Drian, Ministre des Affaires Etrangères français, a fait part à Pékin de sa désapprobation quant aux propos tenus par leur ambassadeur. Cette convocation représente une première entre la France et la Chine (Charbonnier , 2020). Cette diplomatie agressive est nommée diplomatie des « loups combattants » en référence au film d’action chinois Wolf Warrior paru en 2020 (Prin, Kahn, 2020). En plus de faire preuve d’agressivité, la RPC a fait preuve d’assurance en inscrivant être « le seul pays capable à avoir vaincu la pandémie » agaçant encore plus les occidentaux. Valérie Niquet, sinologue, développe que cette stratégie agressive n’est pas récente mais s’est accentuée avec la crise de la Covid-19, car la Chine juge qu’elle est aujourd’hui arrivée à une place centrale dans le système international lui permettant d’affirmer sa puissance et sa capacité de réponse (La Matinale RTS, 2020). Le chef de la diplomatie européenne, Joseph Borrel, appelle ainsi à plus de fermeté et à une « stratégie plus robuste » face à la Chine (Le Point International, 2020). Car derrière ses attaques, elle n’hésite pas à critiquer plus largement les régimes démocratiques, mettant en avant son régime socialiste « aux caractéristiques chinoises ». L’ambassade de Chine en France écrivait sur son compte twitter en mars 2020 : « Certaines personnes, dans le fond, sont très admiratives des succès de la gouvernance chinoise. Ils envient l’efficacité de notre système politique et haïssent l’incapacité de leur propre pays à faire aussi bien ! ». En plus d’assurer ses intérêts économiques et géopolitiques, la Chine promeut son système au détriment des démocraties occidentales.

Les États-Unis se sont également montrés virulents face à cette diplomatie du masque. Excédé par l’activisme chinois à se présenter comme le sauveur de la crise sanitaire, l’ex-président, Donald Trump, n’hésitait pas à rappeler l’origine du « virus chinois » comme il l’a nommé. La déclaration de Zhao Lijian, porte-parole du ministère des Affaires Etrangères en Chine, a provoqué une nouvelle polémique en suggérant que le virus de la Covid-19 avait pu être porté par des militaires américains sur le territoire chinois. Avant d’être efficace, cette stratégie de contre-attaque, fait tourner au ridicule la diplomatie chinoise dans les pays occidentaux (Le Point International, 2020).

En dépit de ses efforts diplomatiques,, l’image de la deuxième puissance mondiale reste plus mitigée que jamais. Si elle n’a pas réussi à convaincre les occidentaux cette stratégie lui a tout de même permis de confirmer ses alliances et in fine de promouvoir son modèle de gouvernance auprès des pays en développement. S’il semble trop tôt pour affirmer que la RPC soit la grande gagnante de cette pandémie, il est possible d’affirmer qu’elle témoigne d’un pays de moins en moins isolé et de plus en plus sûre de lui (Ekman 2020). À l’image de la Serbie, de l’Italie ou du Cambodge et de la Thaïlande, Pékin a mis sur le devant de la scène, la puissance de ses alliances bilatérales. Encore mieux, malgré la fermeture de ses frontières avec son voisin asiatique, dès l’annonce de la pandémie, Moscou arrive à maintenir son entente avec Pékin. Cela prouve l’intérêt stratégique de la Russie au sein des Nouvelles Routes de la soie. Il confirme, de ce fait, la capacité du gouvernement chinois à choisir ses alliés en fonction de ses intérêts.  Bien que Téhéran ait aussi été très critique lors du début de la crise sanitaire, accusant la Chine d’être responsable du virus, les deux pays ont signé, fin mars 2021, un accord dit de coopération globale, sur une durée de vingt-cinq ans. Pékin est l’un des premiers partenaires commerciaux de Téhéran et l’un de ses principaux acheteurs de pétrole. Il consent ainsi à ne pas tenir compte au régime iranien de ses premières critiques. À l’inverse, le PCC n’hésite pas à répondre aux critiques occidentales : « Puisque la République de Corée, le Japon et Singapour, qui sont des démocraties asiatiques, parviennent à contrôler l’épidémie, pourquoi les vieilles démocraties comme l’Europe et les États-Unis, n’y parviennent-elles pas ? »[5] La sinologue, Alice Ekman, affirme que cette diplomatie n’a rien de nouveau dans la stratégie chinoise : depuis plus de dix ans le PCC se montre pro-actif sur la scène internationale et les dons de masques à ses alliés prouvent sa détermination à entretenir ses relations stratégiques et à promouvoir, grâce à cette diplomatie, son modèle de gouvernance au détriment de celui prôné par l’Occident.

Pour finir, en énonçant le concept « d’amitié solide comme le fer » Xi Jinping a surtout mis en avant la division de la communauté internationale, et notamment de l’Union Européenne, quant à l’attitude à adopter face à ce géant mondial (Ekman, Verluise, 2020). La deuxième puissance économique mondiale a tout de même pris conscience de l’échec partiel de cette diplomatie du masque et compte ainsi en tirer des leçons pour la prochaine étape : les vaccins. Si la communication entreprise semble redevenir raisonnable vis-à-vis de la distribution des vaccins, c’est que la stratégie choisie par le Parti est différente. Qu’a donc Pékin à cacher derrière ses livraisons ? Les masques et les respirateurs envoyés ont fait preuve de moins de discrétion que les vaccins, pourtant essentiels pour stopper la pandémie.  Plus besoin d’un nouvel atout pour son soft power :  le gouvernement de Xi Jinping entend cette fois-ci utiliser les vaccins comme un véritable levier politique, une force commerciale et, dans une autre mesure, une arme géopolitique.

2.    Les vaccins : une nouvelle arme géopolitique et commerciale chinoise

2.1  Les pays des Nouvelles Routes de la soie au cœur de cette diplomatie

Au même titre que les masques, les vaccins chinois apparaissent, en ce début d’année 2021, comme un nouveau levier de pression géopolitique : la diplomatie du vaccin est elle aussi lancée par le gouvernement chinois et le protectionnisme vaccinal des pays occidentaux n’arrange rien. Si les masques représentaient un véritable outil de soft power pour Pékin, les vaccins sont bels et biens un moyen d’étendre son influence politique et de renforcer ses intérêts économiques et politiques. Dès le début du mois de janvier 2021, la Chine annonçait être en mesure de distribuer et de produire 400 millions de doses de ses trois vaccins dans le monde entier. Si l’agence de presse officielle chinoise affirme que « la Chine ne transformera pas les vaccins du Covid-19 en une sorte d’arme géopolitique et un outil diplomatique », l’idée semble, tout de même, leur avoir traversée l’esprit (Kadiri, Pedroletti, Mesmer, Meyerfeld, Landrin, Barthe, Lemaître, 2020). La confiance affichée par Xi Jinping prouve que le temps n’est plus au « soft » mais au « hard » : place à l’action et aux accords. Ainsi, un glissement d’un atout de soft power à un véritable levier politique et une arme géopolitique est largement observable. En fervent défenseur du multilatéralisme, Xi Jinping promet un vaccin qui deviendra un « bien public mondial ».  Cependant, les pays où les livraisons sont promises apparaissent être scrupuleusement choisis par le Parti (Kauffmann, 2021).

Les pays d’Asie du Sud-Est, zone géostratégique tant dans le cadre du projet des Nouvelles Routes de la soie que dans sa volonté de leadership régional, sont, selon le Premier ministre chinois Li Keqiang, parmi les pays prioritaires : « les vaccins seront fournis en priorité aux pays du Mékong », annonce-t-il le 24 août 2020. Région stratégique des Nouvelles Routes de la soie afin de garantir son accès maritime à l’Océan indien, le PCC n’hésite pas à les favoriser dans cette stratégie vaccinale pour mieux asseoir ses intérêts. Le Cambodge, le Laos, la Thaïlande, la Birmanie ou encore le Pakistan, en marge des pays occidentaux, se réjouissent des accords bilatéraux passés avec Pékin.  Le Cambodge a ainsi salué la présence chinoise sur son territoire (Lincot, Véron, 2021). Le 12 octobre 2020, pendant que l’Europe connaissait sa deuxième vague de pandémie, les deux pays ont signé un accord de libre-échange renforçant le poids de la RPC dans la région. Le Partenariat Régional Économique Global (RECP) renforce le poids de Pékin dans la région asiatique (Mesmer, 2020).  Les sanctions commerciales imposées par l’Union Européenne au Cambodge en raison de la dégradation des droits de l’Homme dans le pays, encouragent Phnom Penh à se tourner vers Pékin. Les négociations de cet accord, débutées en 2012, n’ont pas été remise en cause par l’origine de la pandémie : à l’inverse, l’aide médicale envoyée par la Chine, en mars 2020, pour soutenir les pays à lutter contre la pandémie, renforce l’idée d’un besoin de coopération dans la région asiatique (Le Figaro, 2020). Sa stratégie de soft power semble ainsi fonctionner auprès de ses alliés historiques. Récemment, le Premier ministre cambodgien, Hun Sen, s’est félicité de cette relation privilégiée : « la Chine amie va nous aider avec un million de doses ». Sa diplomatie sanitaire est sans limite : les dons de son vaccin Sinovac à Phnom Penh le justifie. La situation est identique au Laos. Pour le régime chinois, le Laos représente un point central du projet de la BRI lui permettant notamment une voie terrestre pour contourner la mer méridionale et principalement le détroit de Malacca où les enjeux sécuritaires se multiplient (Lincot, Véron, 2020). Le Laos y voit, lui, un moyen de tenir le Vietnam, ennemi historique de la Guerre Froide, à l’écart de son territoire. Ainsi, Pékin entend se servir de ses vaccins comme une véritable arme commerciale et géopolitique lui permettant d’asseoir ses intérêts dans la région en renforçant ses alliances.

Le gouvernement chinois compte bien conquérir tous les pays de la zone asiatique : la Birmanie lui est essentielle afin de bâtir son corridor économique reliant le Yunnan, province au Sud de son territoire, à l’océan Indien. Pékin étant le premier partenaire commercial de Naypyidaw, il est difficilement envisageable pour le pays d’Asie du Sud d’omettre une critique négative face à l’activisme chinois sur son territoire. Xi Jinping a d’ailleurs rappelé, en mai 2020 en pleine période de pandémie, l’importance de ce corridor à l’ex-président birman, Win Myint, avant le coup d’État de la junte militaire le premier février 2021 (Bara, 2020). Il en est de même pour la Thaïlande. Xi Jinping s’est assuré en juillet 2020 auprès du Premier ministre thaïlandais, Prauthoy Chan-o-Cha, de la poursuite du projet de chemin de fer Chine-Thaïlande (Lincot, Véron 2021). Crise sanitaire mondiale ou non, le PCC entend bien poursuivre son projet planétaire. De plus, ces pays n’ont d’autres choix que de se tourner vers les vaccins chinois bien moins onéreux que ceux développés par les occidentaux. Car en effet, si les vaccins ont un intérêt stratégique pour le régime communiste chinois, ils lui sont également une arme commerciale sans précédent malgré l’annonce de « biens publics mondiaux » énoncée par Xi Jinping. L’exemple du Bangladesh en témoigne.  Faute d’entente avec le fabricant chinois Sinovac, le laboratoire s’est retiré du pays laissant le champ libre aux fabricants bangladais et indien, Beximco Pharma et Serum Institue of India. Yun Sun, chercheuse au sein d’un think tank nord-américain Stimson Center, affirme que les laboratoires chinois reçoivent des subventions de la part du Parti leur permettant d’être plus compétitifs sur le marché économique mondial (Le Monde, 2020).

Subséquemment, Xi Jinping affirme : « la présence des États-Unis en Asie est un choix alors que la présence chinoise est une réalité géopolitique » (Bellanger, 2021).  Le vaccin devient, de surcroit, la nouvelle preuve d’amour que les autorités chinoises envoient à leurs alliés asiatiques. Les vaccins deviennent une véritable arme géopolitique :  un tiers des vaccins sont destinés à l’Indonésie, premier pays musulman au monde. De la sorte, le PCC se justifie d’une tolérance vis-à-vis de la religion musulmane à travers la pandémie et les aides octroyées. Dans un contexte où le Xinjiang, à majorité musulmane, est au centre des tensions internationales, Pékin utilise le vaccin pour contredire les accusations occidentales quant au génocide religieux opéré dans l’ouest de son territoire (Malovic, 2021). En outre, l’Indonésie est un allié historique des États-Unis. Le choix de l’Indonésie est donc à triple intérêt : affaiblir la présence des États-Unis dans la région en passant des accords bilatéraux avec ses alliés historiques, se munir d’un levier de pression pour influencer, dans le futur, des partenariats au sein de la BRI et contredire les critiques occidentales. Les arrangements bilatéraux orchestrés par Pékin contestent les discours de Xi Jinping appelant à une gestion multilatérale de la crise sanitaire.

Si géographiquement l’Asie du Sud représente la cour gardée de la Chine où elle entend bien accroître son influence, sa stratégie est la même dans le monde arabe et, d’une manière plus générale, dans les pays en développement.  Profitant du contexte électoral tendu aux États-Unis, d’une politique orientée vers la pandémie en Europe et au Japon, ainsi qu’un intérêt dans les pays développés de la part des laboratoires Pfizer et Astra Zeneca, Pékin se tourne lui, encore une fois, vers les pays en développement. Les pays du Sud sont les pays stratégiques de la BRI en se situant sur les passages des nouvelles routes maritimes et terrestres et Xi Jinping multiplie les efforts diplomatiques pour les attendrir. Ainsi, au Proche et Moyen-Orient, la RPC vise les pays qui ont besoin de diversifier leurs alliances, notamment pour contourner Washington, et ceux dans l’incapacité de se priver des services de la deuxième puissance économique mondiale. L’Égypte, le Maroc et les Émirat Arabes-Unis sont dans la ligne de mire du gouvernement chinois. Plus d’un milliard de doses sont annoncées être produites et distribuées dans les six premiers mois de 2021. Si ces échéances laissent sceptiques certains pays, Pékin a une solution : la production locale, deuxième avantage non négligeable pour la RPC face aux pays occidentaux. La capitale chinoise propose à certains pays de produire localement le vaccin chinois grâce à des transferts de technologies et des chaînes de production locale. Début 2021 cela est le cas aux Philippines et le projet est en cours au Maroc, en Algérie et au Kenya. Cette efficacité porte ses fruits. Les Émirats sont parmi les pays ayant vacciné la plus grande partie de leur population : 52,46% de la population a été vaccinée dès mars 2021 et 100% est annoncée pour cet été. En mai 2021, la France a seulement atteint le seuil de 37,56% de personne vaccinée et le taux de 50% souhaite être atteint d’ici l’été 2021. Abou Dhabi a signé un accord stratégique avec Pékin : en réalisant les essais de la phase 3 de son vaccin sur son territoire, il lui offre en échange des millions de doses vaccinales. Les Émirats représentent un avantage géopolitique pour le pays : sur les dix millions d’habitants, neuf millions sont des migrants. Cela permet au régime chinois de garantir l’universalité et l’efficacité dans le monde entier de son vaccin. (Colly, Rouy, Fontaine, 2021).

2.2  Le vaccin : une nouvelle forme de dette envers Pékin ?

Aujourd’hui, c’est la présence chinoise sur le continent africain qui suscite de plus en plus d’inquiétudes de la part des pays occidentaux, notamment de l’UE. Prêts pour développer les infrastructures contre opportunités de marché pour les entreprises chinoises : la chanson est la même mais suscite de nombreuses problématiques quant à la souveraineté des pays qui deviennent de plus en plus endettés face à Pékin. Nous pouvons nous interroger : les vaccins peuvent-ils représenter la nouvelle dette chinoise ?  L’exemple du Sri Lanka, qui a dû céder la gestion de son port de Hambantota pour une durée de 99 ans, a marqué les esprits et a révélé le piège de la dette liée aux Nouvelles Routes de la soie (Guillard, 2021). La crise de la Covid-19 a impacté l’économie internationale, mais principalement les pays en développement, souvent dépendants de leurs exportations de matières premières. Le Pakistan, allié historique de la Chine depuis sa création, entretient des liens étroits avec Pékin. Il est un pays central dans le projet de Xi Jinping lui permettant d’accéder plus facilement au golfe arabo-persique grâce au port de Gwadar. Cependant, ce dernier a été contraint d’envoyer mi-avril une demande au gouvernement chinois pour une révision des remboursements qui devaient avoir lieu en mai. Si Xi Jinping a assuré faire un effort pour « son ami pakistanais », cela a soulevé l’inquiétude de l’Organisation des Nations Unies quant à l’ampleur des dettes vis-à-vis du régime chinois dans les pays en développement. Car géographiquement le PCC n’a aucune limite : l’Afrique n’a pas échappé aux généreux dons chinois de masques et aujourd’hui, en 2021, de vaccins (Soudan, 2021). Le Sénégal, la Guinée Équatoriale et l’Égypte ont été les premiers à recevoir gratuitement, 200 000 doses de vaccins chinois. Geste salué par le Président sénégalais Macky Sall auprès de l’ambassadeur chinois à Dakar « Monsieur l’ambassadeur, soyez mon interprète auprès de mon ami Xi Jinping pour lui transmettre mes sincères remerciements » (Artz, 2021). À l’inverse des routes historiques de la soie, l’Afrique est intégrée au projet pharamineux de Xi Jinping. En mars 2020, plus de 12 000 ensembles de dépistage arrivaient à Addis-Abeba en Éthiopie à destination de l’Africa CDC, branche gérant la thématique sanitaire au sein de l’Union Africaine (Procopio, 2020). Des réunions virtuelles, entre le gouvernement chinois et les gouvernements africains, avaient également été organisées fin mars 2020 dans le but de « partager l’expérience » du virus. La présence médicale chinoise en Afrique n’est cependant pas nouvelle : lors de la crise sanitaire d’Ebola, plus de 1200 professionnels de santé chinois avaient été déployés sur le continent. Le chercheur Antoine Bondaz qualifie cet activisme de « diplomatie sanitaire » visant à créer une véritable route de la soie sanitaire en Afrique (Bondaz, 2020).

Le continent africain présente un triple intérêt : entre ses matières premières abondantes, ses infrastructures à construire, et sa démographie croissante représentant un marché de taille pour les produits manufacturés chinois, le PCC y soigne son image. Les vaccins peuvent représenter un véritable atout pour Pékin car, si l’Union Européenne peut se permettre dans certains cas de décliner le vaccin chinois, cela n’est pas le cas pour l’Afrique. Sa faiblesse institutionnelle et son manque de moyens contraignent certains États africains à accepter les accords chinois pour les tests cliniques et pour le vaccin envers leur population. 37 pays africains, sur les 54 du continent, faisaient, en 2019, partie de la BRI. Cette participation leur est favorable en temps de la Covid-19 si nous tenons seulement compte de la capacité de la Chine à fournir du matériel médical et des vaccins. Xi Jinping a rappelé en mai 2020, lors d’une réunion à l’OMS, que son pays ne laisserait pas tomber ses « amis » : moyen efficace de rappeler aux pays africains qu’ils peuvent bénéficier d’une aide chinoise durant la crise sanitaire en échange d’accords dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie (Paris, 2020). Les pays africains n’ont, aujourd’hui, aucune raison de refuser l’initiative si ce n’est un désaccord direct avec Pékin ce qui paraît difficilement plausible à la vue des efforts diplomatiques déployés par le régime chinois pour conquérir et amadouer tout le continent. Si l’Europe et les États-Unis se lassent de cette présence chinoise en Afrique, les pays y voient, eux, un partenaire davantage fiable, développant leurs infrastructures, de ce fait leur économie, et important des produits manufacturés nécessaires à leur marché interne. Si cela se fait principalement contre une mainmise chinoise sur leurs matières premières, les pays africains n’ont, mis à part le risque de la dette, aucun intérêt à tourner le dos au gouvernement chinois. Cependant, cette dette inquiète. Encore plus en période de pandémie où l’économie mondiale et les exportations de matières premières se voient impactées par une hausse des prix et une inflation importante. À ce titre, bon nombre de pays ont demandé, comme le Pakistan, une annulation ou une révision de leur dette afin de lutter contre la pandémie de la Covid-19. Si les discours de Pékin laissaient sous-entendre une entraide, nous pouvons nous interroger : les vaccins ne représentent-ils pas un nouveau moyen de chantage pour la RPC ? Le PCC n’ayant d’autres choix que de soigner son image et de faire preuve de compréhension face à la dette de ses alliés s’est vu contraint de repousser ses dates limites de remboursement.  Néanmoins, il ne peut se permettre de l’annuler au risque de mettre en péril sa propre économie. La Chine va devoir faire face à des problèmes économiques sur son propre territoire l’obligeant ainsi à faire preuve de flexibilité auprès de ses « amis ». En outre, cette présence chinoise est plutôt bien vue sur le continent : un habitant d’Alger déclarait au journal français Le Monde « Quand tu as besoin d’aide en tant que pays du tiers monde, ce sont toujours les mêmes qui sont là : les Chinois, les Russes et les Cubains ». Subséquemment, la fameuse dette chinoise semble représenter le seul point pouvant porter préjudice aux relations sino-africaines. La tournée réalisée, en janvier 2021, en Afrique par le Ministère des Affaires Étrangères, Wang Yi, témoigne de l’importance accordée au continent par le gouvernement chinois (Tilouine, 2021).

Également, le chargé d’affaire chinois Wang Jian affirme que le pays est en train d’accorder une aide vaccinale « sans contrepartie à 69 pays en développement », le « vaccin du peuple » va permettre d’accroitre, grâce aux accords bilatéraux, la production mondiale de vaccin et la lutte mondiale contre la pandémie (Lemaître, 2020). La Chine joue cette partie à long terme. Si aucun accord direct, impliquant des vaccins contre des futurs projets, n’a été passé, il semble tout de même probable que le PCC s’en fasse un levier de pression stratégique. Début novembre 2020, Pékin promettait à la Malaisie un accès privilégié à ses vaccins en échange de la libération des 60 pêcheurs chinois arrêtés pour avoir violés les eaux territoriales malaisiennes. Parallèlement, le vrai bénéficie est sur le long terme : les pays favorisés par le régime sont généralement les pays sur les routes commerciales maritimes empruntées par les navires chinois où transitent 80% de leur commerce. (Philip, 2020). Loin d’une promesse de « biens publics » Pékin se sert du vaccin comme une véritable arme géopolitique. La question n’est plus de l’ordre du soft power mais de l’avenir de la deuxième puissance mondiale et de sa capacité à imposer ses intérêts. Fin janvier 2021, la Chine fournissait déjà le Brésil, l’Indonésie et les Émirat Arabes-Unis. Le Maroc, la Turquie, le Botswana ou encore la République Démocratique du Congo attendaient, eux, leurs doses (Artz, 2021). Cet activisme chinois fait peur au point de voir l’OMS apparaître en deuxième ligne de front quand il s’agit de garantir un accès à tous au vaccin de la Covid-19.

Conclusion : une domination chinoise d’une gouvernance sanitaire mondiale ?

Si cette diplomatie sanitaire trouble les pays occidentaux c’est que Pékin, en plus du vaccin, véhicule une autre idée auprès des pays en développement : celui d’un pays autoritaire qui, à l’inverse des pays occidentaux, a réussi à vaincre l’épidémie. Bon nombre de chercheurs se questionnent : la crise de la Covid-19 est-elle révélatrice d’un changement du système international où la Chine aurait une place centrale, voire un rôle hégémonique ? Car derrière cette diplomatie du masque et des vaccins il y a la promotion d’un système « socialiste aux caractéristiques chinoises ». S’opposant fermement à la vision occidentale, la Chine séduit les acteurs des pays en développement. Le modèle chinois trouve du sens en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud et jusqu’à, récemment, en Europe de l’Est et Amérique Latine. Ainsi, Pékin serait-il devenu, en dépit de l’origine du virus, le nouveau maître d’une « gouvernance mondiale de la santé » ? Avant toute chose, pouvons-nous affirmer que le gouvernement chinois souhaite se positionner comme tel ? Si certains peuvent douter de sa volonté hégémonique, sa détermination de s’affirmer comme puissance n’est, elle, pas à prouver. La RPC n’entend plus rester silencieuse face aux occidentaux et encore moins au sein d’y système international qu’elle juge obsolète (Duclos, 2020). Le PCC a ainsi joué sur deux tableaux pendant cette crise. D’un côté, une diplomatie pro-active pour des accords bilatéraux et de l’autre côté une stratégie diplomatique vantant une gestion multilatérale de la crise sanitaire au sein des instances mondiales. L’activisme chinois au sein de l’OMS a été réalisé dans le but de faire oublier l’origine du virus et chercher à réécrire l’histoire à sa manière comme nous avons pu le démontrer.  Car si ces deux stratégies peuvent être paradoxales, c’est grâce à cette combinaison qu’elle possède aujourd’hui cette puissance (Ekman, 2020).

De plus, si l’OMS semble apparaître comme un acteur de second rang face à la gestion sanitaire de la pandémie, c’est principalement dû à la dépendance de ce dernier vis-à-vis des États, notamment de la Chine. Cette dépendance est expliquée en grande partie par des questions de financement : elle contribue de plus en plus au budget de l’institution. Sa participation s’élève  à 12% (contre 20% pour les États-Unis), chiffre constamment croissant ces dernières années (évalué en fonction de la fortune du pays et de la population). Également, la Chine a annoncé, en avril 2020, vouloir verser une somme supplémentaire de 30 millions de dollars pour pouvoir aider les pays en développement à lutter contre le virus. Le souhait de Donald Trump de stopper la contribution des États-Unis à l’OMS, jugeant l’organisation pro-Pékin, renforce la position de leader de Xi Jinping. Le droit international est ainsi totalement impuissant face à cette super-puissance qui paraît dicter les règles du jeu et dominer le système international (Gaïdz et  Semo, 2020).

S’ajoute à cela les inégalités croissantes entre les pays membres des organisations onusiennes. Les pays occidentaux ont acheté 90% des doses des deux vaccins américains laissant peu de place aux pays du Sud. Les « vieilles » inégalités Nord-Sud resurgissent suscitant la rancœur des pays en développement. Le Président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, a vivement critiqué en janvier 2021, la gestion de la crise par les puissances occidentales.  « Les pays riches ont acheté de grandes doses de vaccins. Le but était d’accumuler ces vaccins et cela se fait au détriment des autres pays du monde qui en ont le plus besoin » a-t-il déclaré. Xi Jinping sait entendre cette colère et en jouer à son avantage. Elle semble aujourd’hui se positionner comme l’acteur en capacité de résoudre cette crise en offrant, à tous et à un prix raisonnable, un accès aux vaccins chinois. Antoine Bondaz l’affirme bien : elle construit une véritable route de la soie sanitaire à travers cette stratégie. (Bondaz, 2020).

Ainsi, si pour certains la crise de la Covid-19 concourt au déclin du multilatéralisme, elle a avant tout mis en avant la puissance chinoise dans l’ordre international (Lemaître, 2020). Cette crise lui a permis, si ce n’est de bâtir de nouvelles alliances, de consolider celles déjà existantes à l’instar de la Russie, de la Serbie ou encore du Sénégal, du Pakistan et du Cambodge. Si l’Union Européenne et les États-Unis ne veulent pas laisser le PCC bâtir sa propre vision du système international il va falloir adopter une stratégie cohérente entre commerce, économie, diplomatie et droits de l’Homme. Aujourd’hui la Chine n’entend pas se laisser critiquer pour sa gestion de la pandémie ni accepter des critiques sur ses « affaires internes » comme les Ouighours (Ekman, 2020). La diplomatie des « loups combattants » est assurément renforcée depuis cette pandémie et le projet des Nouvelles Routes de la soie peut prétendre répondre à une gouvernance mondiale sanitaire en investissant dans les infrastructures hospitalières et en assurant un accès à tous aux vaccins et soins médicaux.  Néanmoins, ce modèle est, en 2021, mis au défi d’une par Taiwan et de deux par l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis. La très bonne gestion de l’épidémie sur son territoire place Taiwan dans une position de force dans cette crise sanitaire lui permettant de proposer un contre-modèle de celui prôné par Pékin. Son exclusion des instances internationales ne lui permet pas de s’assurer un soutien des puissances occidentales mais cela a permis de requestionner les États occidentaux face à cette prise de position, favorable au régime chinois (AFP, 2021).

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[1] Voir le Règlement Sanitaire International (RSI), Organisation Mondiale de la Santé. https://www.who.int/features/qa/39/fr/

[2]Projet lancé en 2013 par l’actuel président Xi Jinping visant à créer un vaste réseau d’infrastructures terrestres et maritimes reliant les différents territoires entre eux à partir des grandes villes chinoises afin de faciliter les échanges multisectoriels

[3] La Serbie est depuis 2012 candidat officiel à l’adhésion de l’Union Européenne mais n’en fait officiellement pas parti.

[4] Les autorités portugaises viennent d’annoncer en avril 2021 le rapport du choix concernant l’acheteur du port. Les chinois sont jugés favoris de ce nouvel achat.  Marie Charrel et Nathalie Guibert, (2021), le port de Sines au Portugal, porte d’entrée stratégique de l’Europe, pris dans le conflit entre Chine et États-Unis. Le Monde International, 9 avril.

[5] Voir le compte twitter de l’Ambassade de Chine en France et ses déclarations réalisées en mars 2020 pendant la période de la Covid-19.

Le Blue Dot Network, un outil de soft power adapté aux ambitions japonaises dans le monde de l’après-covid ?

RG v7 n2, 2021

Antoine Congost

Antoine Congost est diplômé de Science politique, Université de Montréal, Québec, Canada.

Résumé

La stratégie d’influence internationale du Japon, puissance non militaire, repose depuis longtemps sur le soft power. La sécurité humaine, l’autonomisation de ses partenaires et la promotion du multilatéralisme et du droit international sont au cœur de son approche. Le Blue Dot Network (BDN), annoncé en 2019 aux côtés de l’Australie et des États-Unis, s’inscrit dans cette posture. Le BDN vise à promouvoir les infrastructures de qualité en termes de durabilité, de viabilité, de transparence et d’impact social et environnemental. Parce qu’il se pose en alternative à la Belt and Road Initiative (BRI) de la Chine, le BDN apparaît comme une ambitieuse politique japonaise de diplomatie économique. Récente, elle doit toutefois se préciser et se concrétiser. Cette courte analyse tente de montrer que le BDN apparaît comme un prolongement logique de l’approche japonaise d’influence économique et que la crise sanitaire offre une opportunité au Japon d’approfondir son action et d’élargir les champs de coopération dans le cadre de cette politique. Le pays peut profiter de la relative fragilisation de l’influence chinoise pour renforcer son image de partenaire fiable, et en l’amarrant à des objectifs économiques et sécuritaires, le BDN constituerait un des leviers permettant au Japon de jouer un rôle central dans l’ordre international post-pandémie.

Mots-clés : Japon; Soft Power; Infrastructures; Belt and Road Initiative; Blue Dot Network

Abstract

As a non-military power, Japan’s international influence strategy has long been based on soft power. Ensuring human security, empowering its partners, as well as promoting multilateralism and international law are at the core of its approach. The Blue Dot Network (BDN), first announced in 2019 alongside Australia and the United States, is part of this stance. The BDN aims to promote quality infrastructure in terms of sustainability, viability, transparency as well as social and environmental impact. As an alternative to China’s Belt and Road Initiative (BRI), the BDN is an ambitious Japanese economic diplomacy policy. However, as a recent policy, it still needs to be clarified and concretized. This short analysis attempts to show that the BDN comes as the logical extension of Japan’s approach to economic influence and that the ongoing Covid-19 crisis offers an opportunity for Japan to deepen its action and broaden the fields of cooperation under this policy. Japan can take advantage of the relative weakening of Chinese influence to strengthen its image as a reliable partner, and by linking it to economic and security objectives, the BDN could constitute one of the levers enabling Japan to play a central role in the post-pandemic international order.

Keywords: Japan; Soft Power; Infrastructures; Belt and Road Initiative; Blue Dot Network

Introduction

« Le soft power est indispensable pour créer un monde plus durable à travers la coopération, la collaboration et la compréhension mutuelle » (Fisk, 2020). Ces mots de l’ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), Ban Ki-moon, résument bien la position japonaise en matière d’influence internationale. La projection internationale du Japon, puissance non militaire, repose en effet depuis longtemps sur le soft power. La sécurité humaine, l’autonomisation de ses partenaires et la promotion du multilatéralisme et du droit international sont au cœur de cette approche.

Le soft power, ou puissance douce, est défini par Joseph Nye comme la capacité d’un État à influencer les préférences et les comportements d’autres acteurs grâce à des moyens non coercitifs, comme le commerce, la culture, l’éducation et la science, ou encore la diplomatie. C’est sa capacité à se rendre attractif et à convaincre les autres qu’ils partagent des objectifs et des intérêts communs (Berger, 2010). Le soft power diffère du hard power en cela qu’il n’use pas de moyens coercitifs, comme la puissance militaire, pour influencer les actes des autres acteurs.

Le Japon, derrière les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et devant la Chine, est considéré comme la quatrième plus grande puissance mondiale en termes de soft power (Global Soft Power Index, 2020). Si le rayonnement culturel du pays est bien connu, son influence passe par d’autres vecteurs importants tels que les valeurs libérales et la promotion de l’État de droit ou, ce qui nous intéresse ici, l’économie. D’après Nye, le pouvoir économique peut d’une part influencer la volonté des autres pays à coopérer avec un État dans le but d’augmenter sa propre prospérité matérielle. Il peut d’autre part, grâce au succès économique, créer ou renforcer l’image d’un pays en tant que modèle à émuler (Berger, 2010). On comprend pourquoi le Japon, à travers un fort consensus au sein de sa bureaucratie comme au sein de son secteur privé (Nicolas, 2014), a fait de la promotion des infrastructures un de ses fers de lance en matière de soft power, particulièrement en Asie du Sud-Est. Elle sert sa stratégie de croissance et sa diplomatie économique, favorise sa vitalité industrielle et s’aligne avec les nouvelles priorités en matière de développement durable (Nicolas, 2014). Elle lui permet de sécuriser les approvisionnements en ressources naturelles, surtout énergétiques, mais aussi d’établir des relations diplomatiques cordiales et des partenariats stratégiques avec des pays partageant ses objectifs et ses valeurs (Basu, 2018).

Le soft power économique japonais par les infrastructures s’inscrit dans un contexte à la fois favorable et porteur de défis. Favorable, parce que les besoins de la région indo-pacifique en matière d’infrastructures sont plus importants que jamais. Pour maintenir leurs perspectives de croissance, éradiquer la pauvreté et répondre aux enjeux climatiques, les pays asiatiques en développement éprouveraient des besoins d’investissements en infrastructures équivalents à 1700 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 (Asian Development Bank, 2017). Il existe donc un « infrastructure gap » en Asie (Harris, 2019), que les deux grandes puissances régionales que sont le Japon et la Chine entendent combler en jouant un rôle central dans la construction des infrastructures dont la région a besoin pour croître. Le Japon est depuis longtemps à l’avant-garde dans ce domaine : fin 2016, les stocks d’investissements directs à l’étranger (IDE) japonais dans les grandes économies asiatiques représentaient en effet 260 milliards dollars, contre 58 milliards pour la Chine (Harris, 2019).

Porteur de défis ensuite, parce que les initiatives de soft power économique japonais représentent une réponse vitale à l’influence croissante exercée par la Chine dans la région, qui repose elle aussi grandement sur le financement et l’exportation d’infrastructures. La Belt and Road Initiative (BRI) entend développer les réseaux d’infrastructures dans les transports, mais aussi les réseaux numériques connectant la Chine à l’Asie du Sud-Est et même jusqu’à l’Afrique (Simpfendorfer, 2012 ; Lanteigne, 2015). Les investissements réalisés dans le cadre de la BRI en Asie du Sud-Est sont passés de 16,8 milliards de dollars en 2014 à plus de 29 milliards en 2019 (Yu, 2021). En participant de façon aussi active au développement de la région, donc à la croissance économique et à l’amélioration globale de la qualité de vie des populations, le financement de ces infrastructures permet à la Chine d’améliorer son image. Il s’agit d’un instrument majeur de la stratégie du Président Xi Jinping pour faire de la Chine un leader mondial en termes de puissance et d’influence d’ici à la moitié du siècle (Basu, 2018). La part croissante des investissements pilotés par la Chine dans le cadre du BRI concurrence frontalement la forte influence économique du Japon dans la région. La BRI pourrait, avec le temps, amplifier la dépendance économique des pays de la région vis-à-vis de la Chine et remodeler le système actuel d’alliances, pour l’instant globalement favorables aux grandes puissances occidentales et au Japon.

Face à la quantité, c’est-à-dire notamment les colossaux moyens financiers déployés par la Chine et avec lesquels il est difficile de rivaliser, le Japon et ses alliés répondent par la qualité. Le Blue Dot Network (BDN), annoncé en 2019 aux côtés de l’Australie et des États-Unis, s’inscrit dans cette posture. Le BDN, par des mécanismes de certification de projets, vise à promouvoir les infrastructures de qualité en termes de durabilité, de viabilité, de transparence et d’impact social et environnemental (Hartman, 2020). Pour l’heure, on constate un intérêt limité pour le BDN, d’une part par son statut encore embryonnaire, d’autre part par son ampleur a priori modeste surtout face aux moyens déployés par la Chine. Mais il est intéressant de comprendre en quoi il s’inscrit dans la stratégie japonaise de soft power, une forme novatrice de contrebalancement à la BRI, et représente un outil qui trouve d’autant plus son sens dans le contexte de la crise de la Covid-19.

  1. Un contexte favorable

1.1. La BRI est en relative perte de vitesse

La rivalité sino-japonaise en matière d’infrastructures n’a jamais autant occupé l’agenda international asiatique (Murashkin, 2020). Si la BRI vient sérieusement bousculer la domination historique du Japon en tant qu’investisseur et initiateur de projets, elle connaît depuis peu une relative fragilisation. Elle porte même atteinte à l’image de la Chine, qui, par ses méthodes, suscite une méfiance grandissante de la part de ses partenaires. À travers la BRI, la Chine pratique en effet des conditions de prêt désavantageuses pour les pays récipiendaires (Chotani, 2020) et exige notamment des taux d’intérêt élevés et des prises d’hypothèque comme condition de financement (Chaponnière, 2019). Les dispositifs et les termes de financement sont souvent jugés opaques, à l’image des institutions chinoises à l’origine de ces politiques, telles que la China Development Bank et la China Export-Import Bank (Kuo, 2020). La BRI est également critiquée pour les ambitions de domination politique qu’elle dissimulerait (Kuranel, 2020). Au-delà de la rentabilité de ces financements, l’intérêt stratégique est évident : elle lui permet de contrôler les voies maritimes vers l’Inde, comme le récent port construit au Sri Lanka (Chaponnière, 2018), et de clientéliser des pays jugés moins fréquentables par les Occidentaux, c’est-à-dire ne correspondant pas aux mêmes caractéristiques de démocraties libérales fondées sur l’État de droit. La dimension géopolitique est en effet primordiale pour le pays, notamment dans le cadre de ses relations tendues avec les États-Unis (Nicolas, 2014). Au cours des dernières années, plusieurs pays en développement ont d’ailleurs musclé leurs négociations concernant des projets de la BRI. Certains ont même décliné ou revu à la baisse des plans d’investissement chinois lorsque les conditions étaient jugées inéquitables, comme le Myanmar à propos de projets de port en 2018 et de barrage en 2019 (McCawley, 2019). La Malaisie aussi se tourne maintenant davantage vers le Japon, notamment parce la Chine exige depuis peu des garanties de prêts plus importantes pour apporter son financement, ceci afin de s’assurer une plus grande sécurité quant au remboursement (Chaponnière, 2018). Un dernier grief important fait à la Chine est la mauvaise qualité de ses infrastructures, comme l’a récemment exprimé l’Indonésie (Yu, 2017).

1.2. La pandémie apporte de nouveaux enjeux internationaux en matière de chaînes de valeur et de coopération

La pandémie, par les dysfonctionnements et le ralentissement de la production qu’elle a provoqués, a mis en évidence la surdépendance des économies régionales vis-à-vis de la chaîne de valeur chinoise. Cela est particulièrement visible en Asie du Sud-Est où les économies sont aussi densément reliées les unes aux autres, mais, en réalité, la tendance est mondiale. Afin d’être mieux préparées à des chocs systémiques similaires à la crise sanitaire en cours, il est aujourd’hui vital pour elles de diversifier leurs partenaires, de développer des voies alternatives (Panda, 2020) et de sécuriser des chaînes de production au niveau national. La pandémie a particulièrement complexifié les besoins en infrastructures sociales et sanitaires, que ce soit en termes de rénovations pour les anciennes infrastructures, et de constructions pour les nouvelles (Kuranel, 2020). Les investissements privés comme publics ont été réduits par la crise économique subséquente. Certains pays d’Asie n’ont pas les ressources financières suffisantes pour mener à bien de tels projets, générant un vide à combler pour des initiatives internationales comme la BRI et le BDN. La rivalité entre les États-Unis et la Chine, ainsi que le ralentissement des projets de la BRI en raison de la pandémie, représentent donc une opportunité pour le Japon d’accentuer ses arguments en faveur de chaînes de valeurs alternatives, soit de meilleure qualité, durables, transparentes, et ayant un réel impact sur le développement (Chotani, 2020).

La pandémie a également révélé le besoin croissant en coordination et coopération régionale. Sur le long terme, la crise pourrait en effet affaiblir la légitimité de l’ordre international libéral dans la région (Kim Jiyoon, 2020). Les grandes institutions internationales, comme le G7, ont échoué à faire des déclarations communes et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été fortement critiquée dans sa gestion de la crise. En réaction aux défaillances des institutions traditionnelles, la pandémie pourrait au contraire contribuer à l’émergence de nouvelles institutions régionales chargées de faire face aux défis de sécurité communs. Le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité en Asie-Pacifique, composé des Quad States que sont le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Inde, collabore d’ailleurs sur le plan diplomatique et militaire avec la Corée du Sud, le Vietnam et la Nouvelle-Zélande dans le dialogue Quad Plus. L’objectif est ici de coordonner leur réponse à la pandémie, ouvrant la voie à une plus grande coopération multilatérale dans le futur, y compris sur les infrastructures sanitaires. La pandémie serait alors une opportunité de générer du soft power à travers une collaboration et une coopération proactive avec d’autres pays, le leadership dépendant aujourd’hui davantage de la collaboration que de décisions unilatérales basées sur des intérêts à court terme (Stanislas, 2020). Cette voie peut être suivie par le Japon s’il souhaite voir s’épanouir sa stratégie fondée sur le multilatéralisme et l’État de droit (Kim Jiyoon, 2020). C’est justement cela qu’incarne son approche du soft power économique, et particulièrement sa dernière initiative, le BDN.

  1. L’approche japonaise du soft power économique, un terreau solide pour le BDN

2.1. Le rôle central de l’autonomisation, des partenariats public-privé et des valeurs libérales

Le Japon considère depuis longtemps l’Asie du Sud-Est comme son pré carré (Chaponnière, 2019), où il joue un rôle moteur en matière de dynamisme économique depuis le XIXe siècle. Il s’y est forgé une image de partenaire fiable et y a développé une certaine pratique de coopération internationale. Son approche non militaire des relations internationales est liée à l’identité de nation pacifique qu’il s’est forgé et repose avant tout sur le soft power. Son action internationale est ancrée dans des valeurs internationalistes, d’usage de la force retenue, de valorisation du potentiel des sociétés aidées, notamment via l’aide au développement (Delamotte, 2020). Ses trois piliers sont donc l’autonomisation, la pacification des espaces maritimes et la résolution des différends par l’État de droit (Funabashi, 2017). Cette approche apparaît toujours comme la façon la plus pertinente pour le pays d’augmenter son influence (Funabashi, 2017).

La coopération économique pratiquée par Tokyo est d’approche mercantiliste. L’État porte le paradigme néo-libéral des flying geese, modèle de développement basé sur la rationalité du marché, tout en aidant ses voisins à amorcer la transition vers des secteurs industriels plus lucratifs pour en bénéficier lui-même (Harris, 2019). Le pays s’appuie pour cela sur un savoir-faire en termes d’infrastructures et de hautes technologies, notamment dans le domaine de l’efficacité énergétique, qui est l’un des meilleurs du monde (Nicolas, 2014). Dès 1998, le premier ministre Obuchi a décidé de mettre l’humain au centre de la diplomatie japonaise, en adoptant une people-centric approach (Funabashi, 2017). En son cœur se trouve le concept de sécurité humaine, qui passe notamment par la promotion de la coopération économique, au contraire du concept de sécurité nationale, qui, lui, repose sur la projection militaire. En matière de santé notamment, la technique japonaise est dite catalytique (Funabashi, 2017). Héritée de l’occupation américaine, elle consiste en grande partie à former des leaders dans les pays partenaires. Dans cette démarche, l’assistance technique et la formation sont les catalyseurs de l’autonomisation locale et finalement de l’autosuffisance. Plutôt que des écoles ou des hôpitaux, le Japon construit plus volontiers des infrastructures dites hard, soit des ponts et autres infrastructures vitales pour augmenter les liens commerciaux, stimuler la croissance à long terme et promouvoir les transferts de technologies et de savoir-faire en conception, construction et maintenance (Funabashi, 2017). Le recours aux partenariats public-privé fait également partie de la tradition japonaise en matière de développement international (Harris, 2019). L’État japonais a récemment accéléré sa volonté de briser la distinction entre les financements privés et publics, en apportant son soutien à l’investissement privé pour renforcer la capacité d’action du pays sur le marché international des infrastructures, dans une démarche appelée All-Japan Policy (Nicolas, 2014). En 2017, le gouvernement a annoncé un plan de 40 milliards de dollars pour soutenir le développement d’infrastructures de grande échelle en Asie. Le but est encore ici d’encourager le secteur privé japonais à augmenter les investissements dans les pays de la région (Direction générale du Trésor, 2017). La tenue régulière du Ministerial Meeting on Strategy relating to Infrastructure Export and Economic Cooperation depuis 2013 (METI, 2020) permet également de coordonner l’action de l’État avec le secteur privé.

Le Japon est par ailleurs fortement engagé dans le multilatéralisme basé sur les règles libérales de libre-échange (Tomoaki, 2020). En atteste par exemple sa participation à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), un accord de libre-échange phare pour l’établissement d’un ordre commercial global basé sur les règles (Affaires mondiales Canada, 2020). L’État cherche notamment à asseoir son discours de Free and Open Indo-Pacific (FOIP), en permettant une stabilité régionale nécessaire à la prospérité économique. Son approche vise à accroitre son influence par la défense de ces idées et les retombées positives sur son image (Delamotte, 2020). Face à la politique économique prédatrice de la Chine, le Japon opte donc pour une diplomatie économique plus nuancée afin de renouer avec la prospérité internationale, ralentie depuis l’explosion de la bulle spéculative au tournant des années 1990, suivie par la crise asiatique de 1997. C’est au cœur de cette stratégie que s’inscrivent les infrastructures de qualité que le Japon promeut, respectueuses de l’environnement et transparentes dans leur fonctionnement (Panda, 2020).

2.2. Les enjeux géostratégiques : sécurité économique et dynamiques d’alliances

Le volontarisme de Tokyo répond à une certaine inquiétude face au nombre croissant de ports construits, gérés ou détenus par la Chine dans la région (Mottet, 2020). À l’heure où l’État chinois sécurise des routes maritimes vers le Moyen-Orient et l’Europe, et, ce faisant, accroit son influence économique et ses capacités de déploiement militaire, la sécurité nationale semble primordiale pour le Japon. La BRI, par son projet de restructuration des relations économiques dans la région et entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe, inquiète fortement Tokyo qui craint de se voir reléguer « en périphérie de la nouvelle architecture régionale et transrégionale » (Mottet, 2020).

Ceci pousse le Japon à entretenir et à renforcer précautionneusement ses alliances face à la Chine. En novembre 2018, l’institution américaine de financement du développement, l’Overseas Private Investment Corporation, la Japan Bank for International Cooperation (JBIC) et la Nippon Export and Investment Insurance (NEXI) ont notamment signé un protocole d’entente afin d’accélérer les investissements dans les infrastructures et le secteur de l’énergie en Asie-Pacifique. En plus des États-Unis, cette approche est soutenue par l’Inde, un autre allié de taille du Japon, qui appelle également de ses voeux une connectivité régionale accrue basée sur « universally recognized international norms, prudent financing and respect for sovereignty and territorial integrity » (Ministry of External Affairs, Government of India, 2017). Afin de tenir son image de contributeur actif à la stabilité régionale, le Japon cherche donc à agir dans le cadre d’alliances avec les États-Unis, l’Inde, et ses partenaires traditionnels, en essayant d’imposer la rhétorique libérale du droit international à son rival chinois (Basu, 2018). Il souhaite devenir un intermédiaire stratégique dans la région, notamment en faisant le pont entre la Chine et l’Inde (Brînză, 2018). À travers la promotion de ses infrastructures, le Japon conçoit la sécurité humaine comme de la sécurité intérieure, en cela qu’il perçoit la résilience sociale comme une forme moderne de dissuasion contre des menaces non militaires. Il tente ainsi de créer un environnement international capable de s’adapter aux risques futurs (Friedman, 2020). Une approche particulièrement pertinente à l’heure de la crise sanitaire mondiale.

2.3. Les politiques japonaises d’influence économique : des réponses alternatives à la BRI

Dès les années 1980, le Japon s’est affirmé comme l’un des plus grands pourvoyeurs mondiaux d’aide internationale, au point de fournir plus de financements que n’importe quel autre pays dans le courant des années 1990, avec près de 9 milliards de dollars par an en aide bilatérale (Berger, 2010). Si la Chine et le Japon reposent sur des moyens techniques similaires, à savoir les agences de crédit à l’exportation telles que la JBIC et la China Exim Bank (Nicolas, 2014), le Japon a rapidement développé ses propres outils. La Japan International Cooperation Agency (JICA) pour l’aide au développement (Funabashi, 2017) ou la Japan Overseas Infrastructure Investment Corporation for Transport and Urban Development (JOIN) et la Nippon Export and Investment Insurance (NEXI) en font partie. Mais surtout « par opposition aux investissements que sponsorise le gouvernement chinois à travers la BRI, le Japon (…) valorise la qualité, la durabilité, et l’environnement » (Delamotte, 2020). Bien antérieure au BDN, cette tendance s’est concrétisée avec l’annonce du Partenariat étendu pour les infrastructures de qualité (EPQI) par le gouvernement japonais lors du G7 de 2016. Il s’agit d’une occasion pour le Japon de briller par son savoir-faire technique et d’affirmer une voie différente de la BRI. L’ambition est grande, puisque la stratégie nationale d’exportation des systèmes d’infrastructures avait pour objectif de générer 300 milliards de dollars en 2020 (Delamotte, 2020) et à moyen terme d’augmenter de 25% les prêts japonais en aide au développement pour les infrastructures en Asie (Direction générale du Trésor, 2017). Cette politique soutient de nombreux projets en cours en Inde, au Sri Lanka, en Thaïlande et au Myanmar. En miroir à la BRI, il s’agit de construire des relations de confiance, de transparence et de développement (Panda, 2020), notamment en réformant ses politiques de prêts, plus avantageuses pour les pays emprunteurs (Harris, 2019). Il s’agit là d’un engagement que le Japon a formalisé au Sommet de l’ASEAN de 2016 dans la Déclaration de Vientiane pour la promotion du développement d’infrastructures.

L’accent mis sur la qualité des investissements permet au Japon de garder une certaine avance sur la Chine dans l’utilisation de l’aide au développement et des investissements stratégiques comme leviers d’influence régionale (Harris, 2019). Pour être crédible face à la Chine, soutenir les opportunités de développement des entreprises japonaises et promouvoir le développement régional, le Japon met en avant une large gamme de critères pour guider les investisseurs : impact social, soutenabilité de la dette, viabilité environnementale, niveau de sécurité des constructions, impact sur l’emploi local et expertise technique (Harris, 2019). Ces objectifs sont décrits dans sa Charte de la coopération au développement de 2015 comme permettant aux États du Sud-Est asiatique d’échapper au « piège de la classe moyenne » avec des infrastructures qui renforcent la connectivité au sein et entre les États, et réduisent les inégalités. C’est un niveau d’expertise que la Chine n’a pas ou ne met pas de l’avant (Harris, 2019) et qui répond à un intérêt grandissant pour le développement durable, la gestion d’entreprises pour l’investissement responsable, la sécurité des données et la vie privée (Tomoaki, 2020). Le Japon agirait ainsi en réaction aux initiatives chinoises, peu soucieuses de ces considérations qualitatives et sociales. Par ailleurs, pour asseoir l’agenda de la BRI, la Chine privilégie les relations bilatérales clientélistes, visant parfois à diviser des pays alliés. Par exemple, Pékin a volontairement apporté une aide matérielle à certains pays européens plutôt qu’à d’autres au début de la crise sanitaire. Le Japon, de son côté, accélère et approfondit ses partenariats commerciaux et sa présence dans les instances multilatérales.

Au final, le Japon reste fidèle au respect du droit international et au multilatéralisme. C’est ce qu’il fait à travers sa stratégie de Free and Open Indo-Pacific ou lorsqu’il crée la Foundation Center for Global Partnership en 1991. À partir des années 1990, en mettant l’emphase sur la coopération bilatérale et surtout multilatérale pour répondre à des enjeux internationaux, tels que l’environnement ou la connectivité régionale, le Japon a effectué un changement de paradigme. Abandonnant une approche historiquement exceptionnaliste, il tend désormais vers une forme d’universalisme en mettant en avant les intérêts partagés avec les autres nations (Watanabe, 2017). Le Japon prend part à ou initie de nombreuses instances de dialogue multilatérales, comme la Asian Development Bank (ADB) pour le développement d’une connectivité stratégique et économique en Indo-Pacifique (Basu, 2018). Cela se traduit notamment par une coopération renforcée avec l’Inde dans le cadre, par exemple, du Corridor de Croissance Asie-Afrique créé en 2017 pour lequel le Japon et l’ADB développent des infrastructures portuaires reliant l’Inde à l’Afrique et l’Inde à l’Asie du Sud-Est (Mottet, 2020). En opérant en parallèle de la BRI chinoise, ce mode d’action a surtout pour but de maintenir les plus hauts standards de gouvernance dans la région (Basu, 2018) et de pousser Pékin « à contribuer à la stabilisation de l’ensemble de l’Asie-Pacifique tout en respectant les règles de gouvernance et les valeurs du système libéral. » (Mottet, 2020). La dernière initiative de Tokyo et de ses alliés américains et australiens, le Blue Dot Network, semble offrir une synthèse de cette approche.

  1. Le Blue Dot Network

3.1. Une initiative récente et originale

Le BDN a été annoncé par le Japon, les États-Unis et l’Australie en novembre 2019 lors de l’Indo-Pacific Business Forum en Thaïlande. Il s’agit d’une initiative multipartite, à laquelle peuvent s’associer d’autres partenaires de la région, dans le cadre d’un partenariat public-privé visant à promouvoir des infrastructures de qualité, durables et transparentes via un processus de certification et de classification (Panda, 2020). Ce consortium réunit le Department of Foreign Affairs and Trade (DFAT) australien, la JBIC japonaise et le US Overseas Private Investment Corporation (OPIC). Le but de cette initiative est d’évaluer et de certifier des projets d’infrastructures sur la base de principes et de standards communément acceptés pour promouvoir un développement des infrastructures axé sur le marché, la transparence et la viabilité financière en Indo-Pacifique et au-delà (Milne, 2020). Lors de son annonce, le Conseiller à la sécurité nationale américain Robert O’Brien a comparé l’initiative au Guide Michelin et son système d’étoiles récompensant l’excellence des établissements évalués (The Japan Times, 2019).

Plus qu’une alliance économique entre le Japon et ses partenaires, le BDN est davantage une plateforme permettant la poursuite de ses objectifs géostratégiques vis-à-vis de la Chine. Si les spécificités du projet sont encore relativement floues, l’image renvoyée est celle d’une tentative de freinage de la BRI, six ans après son lancement, bien que les trois parties s’en défendent (Kuranel, 2020).  Le Japon, les États-Unis et l’Australie prennent en effet grand soin d’expliquer que le BDN n’est pas une initiative concurrente à la BRI, même si le choix de la couleur bleue, en contraste au rouge de la BRI, ne semble pas innocent (Kuo, 2020). C’est bien la volonté de distinction du Japon que l’on retrouve ici. Le BDN entend jouer un rôle de certificateur, là où la BRI s’affiche comme « maître d’œuvre » des différents projets d’infrastructures. Il s’agit davantage d’une autorité de standardisation qu’un initiateur de projets ou d’un financier. Son objectif principal est de promouvoir et soutenir l’investissement privé dans des infrastructures ouvertes et inclusives, transparentes, viables économiquement, durables financièrement, écologiquement et socialement, et conformes au droit, aux réglementations et aux standards internationaux. Le but est de faciliter l’accès de groupes d’investisseurs au réseau de financement d’infrastructures et de renforcer l’image de prestige et de fiabilité du Japon et de ses alliés. Le réseau couvre quatre principales catégories d’infrastructures, à savoir l’énergie, les télécommunications, les transports, et les infrastructures sociales (Kuranel, 2020). Il se veut également inclusif : les nouveaux membres sont les bienvenus s’ils promeuvent les investissements de haute qualité menés par le secteur privé. Des discussions sont d’ailleurs en cours avec l’Union européenne en ce sens (Kuo, 2020).

3.2. Une politique alignée avec l’approche et les intérêts du Japon

Comme mentionné précédemment, les piliers du rayonnement japonais par le développement d’infrastructures sont le renforcement de l’image d’excellence technique et de partenaire fiable du pays, la promotion du multilatéralisme et des relations économiques équitables, et le maintien de la sécurité et de l’ordre régional via ses alliances, notamment avec les États-Unis, l’Australie ou l’Inde sur des terrains non militaires. D’après Friedman, la puissance nationale a pris plusieurs formes successives au cours des deux derniers siècles : la puissance nucléaire des réseaux d’alliances a par exemple succédé à la puissance maritime de la colonisation. Au XXIe siècle, elles seraient en passe d’être remplacées par la « puissance de résilience » du soft power (Friedman, 2020). Il s’agit de la capacité d’un État à absorber les chocs systémiques, à s’adapter aux perturbations et à rebondir rapidement. Si au XXe siècle la priorité des politiques publiques était d’augmenter l’efficacité de l’industrie et de la société, la priorité serait désormais à l’augmentation de la capacité résilience, notamment parce que le XXe siècle a mené à des systèmes interconnectés plus vulnérables aux chocs (Friedman, 2020). Dans une logique jugée expansionniste par certains observateurs (Greer, 2018), Pékin a recours au détachement massif de travailleurs chinois sur ses projets internationaux, souvent au détriment des économies locales et du transfert de compétences. À l’heure du dérèglement climatique et de la crise sanitaire mondiale, le BDN propose une voie prometteuse en matière de soft power en cela qu’il met l’accent sur l’autonomisation des sociétés par des infrastructures viables.

En accord avec la stratégie de partenariat public-privé chère au Japon, l’intérêt central du BDN est d’impliquer le secteur privé, dans une conjoncture où les gouvernements ne disposent pas des ressources nécessaires pour répondre à la demande en infrastructures, estimée dans le monde à 94 billiards de dollars d’ici les vingt prochaines années (Global Infrastructure Outlook, 2017). Une puissance de frappe du secteur public qui est d’autant plus amoindrie par les répercussions économiques des politiques de lutte contre le virus de la Covid-19. Le rôle des gouvernements est ici d’encourager le secteur privé et de renforcer la confiance des investisseurs en réduisant les risques à l’investissement. Ces derniers sont en effet multiples et de plus en plus complexes. Ils peuvent être environnementaux, sociaux, sanitaires, sécuritaires, mais aussi légaux et politiques, comme des potentielles disputes autour de contrats ou les risques posés par un État de droit faible (Kuo, 2020). Le BDN serait en effet particulièrement attrayant pour les fonds d’assurance et de pension qui recherchent des projets de long terme et peu risqués dans lesquels placer leurs milliards de dollars, ce que le BDN pourrait certifier. La certification pourrait à terme dépasser l’évaluation technique des projets et s’assurer de leur conformité légale ainsi que leur viabilité financière (Kuranel, 2020). En termes de puissance financière pure, c’est-à-dire sa capacité à lever des capitaux, le BDN est bien plus limité que la BRI et son plan d’investissement à long terme de 575 milliards de dollars (Panda 2020). Sa valeur ajoutée ne repose pas tant sur sa force de frappe financière que sur son image de puissance stable, fiable, extrêmement développée et pouvant compter sur des alliés puissants et capables de mobiliser le secteur privé. Le BDN est en effet un programme financièrement modeste permettant au gouvernement d’afficher, à très peu de frais et sans en détailler les dépenses, son soutien à l’investissement dans les infrastructures en Asie. (McCawley, 2019). En cela c’est un produit à haute valeur ajoutée et un outil de soft power potentiellement très efficace. Face aux enjeux sécuritaires en mer de Chine, le BDN permet, par ailleurs, de mettre en confiance les États-Unis pour leurs intérêts économiques et militaires, et réduit la dépendance des économies de l’ASEAN à la Chine, dont la stratégie clientéliste est de plus en plus agressive. En renforçant les partenariats public-privé, le BDN permet également de contourner l’affrontement direct, bien trop politisé et dangereux, avec Pékin (Murashkin, 2020). Le BDN semble également aligné avec les intérêts que le Japon partage avec les États-Unis et l’Australie, à savoir le développement d’entreprises innovantes et de l’expertise technique, l’État de droit et des retours sur investissement à long terme (Kuo, 2020). Beaucoup d’infrastructures stratégiques, dans leur conception et leur exploitation, sont toujours peu rentables dans la région, parce qu’elles ne génèrent pas assez de devises pour rembourser les crédits qui les ont financées comme les centrales électriques ou les améliorations du réseau routier (Chaponnière, 2019). Le BDN permettrait de s’assurer à l’avance de la solidité et de la rentabilité de tels projets grâce à son système de certification, qui prend en compte leur viabilité financière.

Finalement, après des premières semaines marquées par le repli de la plupart des États sur eux-mêmes, la crise sanitaire a peu à peu montré l’importance de la coordination internationale dans des domaines vitaux, comme la sécurité humanitaire et sur les valeurs de coopération. Elle a également montré les bénéfices en termes de prestige et d’influence que peuvent en tirer les États proactifs (Panda, 2020). À court terme, c’est ce que la Chine a compris et utilisé à travers sa « diplomatie du masque ». En s’engageant à plus long terme à travers des initiatives comme le BDN, en mettant en avant les valeurs de l’ordre international libéral, en promouvant les bonnes pratiques de gouvernance et en mettant l’accent sur l’autonomisation des sociétés, le Japon peut indirectement contrebalancer l’influence chinoise. Plus largement, le BDN peut ici servir de levier pour approfondir les partenariats régionaux en matière de diplomatie, de défense et de sécurité.

3.3. Un projet né dans un contexte incertain et aux contours encore flous

Si le contexte de la pandémie offre des perspectives intéressantes au BDN à moyen et long terme, elle peut jouer contre lui à court terme. Lancé un an avant la crise, le projet pourrait souffrir de la fragilisation des finances publiques et de la frilosité des investisseurs, amplifiant les difficultés de financement des projets dont il fait la promotion (Panda, 2020). D’autre part, certains pays de la région, comme l’Indonésie, sont rendus plus dépendants à l’industrie chinoise en raison de développements politiques et économiques liés à la pandémie. Cela risque de les éloigner de l’influence potentielle du BDN (Milne, 2020). Sur les plans politique et social, les standards que veulent imposer le Japon, les États-Unis et l’Australie à travers le BDN peuvent soulever un problème éculé : il n’est pas certain que ces valeurs libérales et l’attention portée à l’impact social et environnemental des projets soient au goût de tous les pays partenaires (McCawley, 2019). La plupart des grandes démocraties libérales industrialisées rencontrent souvent des difficultés à dialoguer avec des interlocuteurs de pays émergents lorsque leurs politiques d’aide au développement s’accompagnent de conditions politiques, comme le renforcement de l’État de droit, et économiques, comme le développement de l’économie de marché ou la rigueur budgétaire, dans les pays récipiendaires. Sur ce point, la Chine tire justement son épingle du jeu lorsqu’elle fait reposer sa BRI sur le consensus de Pékin, son modèle de développement prônant la non-ingérence dans la gouvernance des pays partenaires. Enfin et surtout, les dispositifs précis de certification et de financement restent majoritairement flous ou inconnus. On peut s’attendre à ce que les politiques existantes de la JBIC, du Department of Foreign Affairs and Trade australien et de la Development Finance Corporation américaine servent de modèle de gouvernance (Kuo, 2020), lançant un défi supplémentaire en termes de coordination entre les trois alliés.

Conclusion

L’approche japonaise en matière de soft power économique repose sur la volonté de renforcer à long terme les capacités d’élaboration de projets, de partenariats public-privé, d’évaluation des conséquences environnementales et sociales et de financement d’infrastructures de qualité, « des valeurs qui soulignent les carences de l’aide publique au développement chinoise » (Delamotte, 2020). Les pratiques de la Chine sont, en effet, de plus en plus pointées du doigt pour le manque de prise en compte des enjeux environnementaux, pour la mauvaise qualité de leurs infrastructures et pour leurs pratiques de financement souvent aliénantes pour les pays bénéficiaires. La position du Japon rejoint les intérêts des États-Unis et d’autres puissances démocratiques dans la région, soit la promotion du développement économique de l’Indo-Pacifique de façon libre, ouverte et durable. C’est en cela une forme de contrepied à l’approche chinoise (Harris, 2019), dont le BDN est l’incarnation la plus récente.

La crise sanitaire offre une opportunité majeure au Japon d’approfondir son action et d’élargir les champs de coopération dans le cadre du BDN. Il peut profiter de la relative fragilisation de l’influence chinoise et du ralentissement de la BRI pour renforcer son image de partenaire fiable. En l’amarrant à des objectifs économiques et sécuritaires, le BDN constituerait un levier permettant au Japon de renforcer son statut de leader régional et mondial dans l’ordre international post-pandémie. Le rôle de Tokyo sera crucial une fois la crise passée, car les conséquences économiques du virus vont probablement amplifier les appels, au Japon et dans d’autres puissances moyennes, en faveur de mesures protectionnistes et d’isolement d’une économie mondiale chaotique (Patey, 2020). Dans ce contexte, le Japon peut être un acteur central pour revitaliser la coopération internationale et la confiance des partenaires économiques par des initiatives comme le BDN. Le Japon doit mettre l’accent sur ces nouvelles chaînes de valeur, en termes de résilience infrastructurelle bien sûr, mais aussi en termes de qualité de vie, de sûreté, et d’environnement qu’elles génèrent (Chotani, 2020). Sur ce point, Tokyo peut tirer profit d’une certaine avance sur Pékin, car là où la Chine cherche à améliorer son image, le Japon cherche à conserver la bonne image dont il jouit déjà depuis des décennies.

L’avenir dira si le BDN va concurrencer de front la BRI et la freiner en imposant des standards de qualité transversaux et exigeants ou bien si elle agira en parallèle en étendant son rôle au développement de nouveaux projets d’infrastructures (Kuranel, 2020). La malléabilité de cette politique, peu coûteuse et peu contraignante, permettrait de la déployer au-delà de la région indo-pacifique. À ce titre, les discussions en cours avec l’Union européenne, qui a récemment entamé un « pivot » vers l’Asie, sont encourageantes. Il y a là une opportunité de se démarquer des pratiques d’influence chinoises en mettant l’emphase sur les valeurs sociales partagées avec des alliés influents comme les États-Unis, l’Australie ou l’Inde (Tomoaki, 2020). Par ailleurs, à l’échelle mondiale, la demande en rénovation et en construction d’infrastructures reste en forte croissance, principalement dans les secteurs de l’énergie et des transports (Direction générale du Trésor, 2017). Mais à très court terme, il conviendra surtout de suivre attentivement les futurs développements de ce projet, lancé quelques mois avant les grands bouleversements apportés par la pandémie, dont les contours restent flous et dont l’avenir est encore incertain.

Références

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