La politique du Groenland et sa quête d’autonomie

Alexandra Cyr
alexandra.cyr.3@ulaval.ca

vol 7 n1, 2021

Alexandra Cyr est candidate à la Maîtrise en Relations Internationales à l’Université Laval et au microprogramme de deuxième cycle en changements climatiques. Elle détient un baccalauréat en Affaires publiques et relations internationales ainsi qu’un certificat en géographie.

Résumé

Le Groenland, territoire de la Couronne danoise, est doté d’une autonomie politique depuis 1979 qui fut renforcée en 2009 par l’allocation de nombreuses compétences exclusives qui lui a permis de se prévaloir d’une plus grande marge de manœuvre sur l’échiquier international. D’ailleurs, le Groenland se retrouve progressivement au cœur d’une nouvelle réalité géopolitique arctique, où les représentants du Groenland tentent de maximiser leur engagement à l’international auprès d’une myriade d’acteurs externes. C’est notamment en prenant des positions plus individuelles dans différentes instances multilatérales que s’esquissent des discours indépendantistes sur l’île septentrionale, tant par les différents partis politiques que par la population groenlandaise.

Mots clés

Groenland, autonomie, référendum, géopolitique de l’Arctique, paradiplomatie

Abstract

Greenland, territory of the Danish Crown, has enjoyed political autonomy since 1979 which was reinforced in 2009 by the allocation of many exclusive jurisdiction which allowed it to take advantage of greater leeway on the international scene. Moreover, Greenland is gradually finding itself at the heart of a new arctic geopolitical reality, where Greenland’s representatives are trying to maximize their international engagement with a myriad of external actors. It is notably by taking more individual positions in various multilateral forums that separatist discourses emerge on the northern island, both by the various political parties and by the Greenlandic population.

Keywords

Greenland, autonomy, referendum, Arctic geopolitics, paradiplomacy.

Introduction

Le Groenland, Kalaallit Nunaat de son nom en groenlandais est l’île avec la plus grande superficie au monde, comptant une population d’un peu plus de 56 000 habitants, près de 90 % d’entre elle étant inuit (Kristinsen et Rahbek-Clemmensen, 2018: 1 ; Zhang, Wei et Grydehøj, 2021: 5). Ayant le statut d’une juridiction insulaire infranationale autonome de l’État du Danemark, le Groenland fait de plus en plus l’objet d’articles scientifiques en ce qui a trait à sa quête d’autonomie et ses visées indépendantistes. De ce fait, comment a évolué l’autonomie politique du Groenland, évolution qui s’est accompagnée de l’émergence de discours indépendantistes ? L’importance de l’histoire coloniale du Groenland, qui souligne la montée du nationalisme jusqu’à l’introduction de la loi sur l’autonomie du Groenland de 1979 (Greenland Home Rule Act), est inévitablement abordée dans cette littérature, tout comme sa successeure, la loi sur l’autonomie du Groenland de 2009 (Self-Government Act on Greenland). Avec ces deux lois, le Groenland a pu se prévaloir d’institutions politiques légitimes en plus d’acquérir certaines compétences exécutives et législatives, compétences qui s’avèrent essentielles dans un contexte où l’île septentrionale s’illustre comme une figure importante dans l’échiquier géopolitique et géostratégique arctique, notamment en offrant de nouvelles opportunités pour une pléthore d’acteurs étatiques et non étatiques (Grydehøj dans Coates et Holroyd, 2020 : 228). Les opinions des différents partis politiques et du public sont également multiples, tant sur le sujet chaud de l’indépendance que sur les politiques à privilégier ou adopter avec ces acteurs externes exerçant des pressions multiples au niveau économique et stratégique.

1. De la colonisation du Groenland au Home Rule Act de 1979

1.1. Colonisation, décolonisation et début de nationalisme

Le territoire groenlandais qui abrite des communautés inuites depuis des siècles fut d’abord norvégien, avant de passer sous le contrôle de Copenhague lorsque le Danemark et la Norvège ont formé une union personnelle au XIVe siècle, puis le Groenland est demeuré sous la couronne danoise « lorsque la double monarchie a été absoute avec le traité de Kiel après les guerres napoléoniennes » (Kristensen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 4). Autrefois un endroit stratégique pour les missionnaires européens et pour la pêche et la chasse à la baleine, les explorateurs danois ont traversé l’île et ont commencé à documenter les coutumes des peuples inuits à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Les conseils de district locaux au Groenland furent créés au milieu du XIXe siècle, l’autorité centrale demeurant à Copenhague (Kristensen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 4). Lors de la période de décolonisation au milieu du XXe siècle, l’île septentrionale s’est pleinement intégrée au Royaume du Danemark en tant que comté, soit en 1953 (Ackrén, 2019 : 1). Or, Fernandez (2010 : 419) adresse les diverses critiques du point de vue du droit international quant à la procédure qui fut adoptée lors de l’intégration groenlandaise, en débutant par l’absence de débat par rapport aux alternatives qui se présentaient outre l’adhésion à la métropole, bien que le droit à l’autodétermination des peuples était affirmé dans la Charte des Nations Unies de 1945. Le Danemark aurait, par ailleurs, mal informé les Nations Unies sur les compétences du Groenland, en plus d’y présenter un conseil local à la légitimité contestable, alors que ce dernier ne représentait pas toute la population de l’île, mais seulement les communautés au sud-ouest, près de Nuuk, la capitale (Figure 1) (Fernandez, 2010 : 420). Cette époque fut également marquée par le contexte de guerre froide sur le plan mondial, et les atouts géographiques du Groenland ne sont pas passés inaperçus chez les Étatsuniens qui ont opéré quatre stations de radars et une base aérienne sur le territoire de 1958 à 1990, la base aérienne située à Thulé, dans le nord-ouest, étant toujours active depuis 1951 (Ackrén et Jakobsen, 2015 : 406 ; Jacobsen et Gad, 2018 : 16).

Figure 1. Carte du Groenland, montrant les cinq municipalités et les plus grandes villes au sein des municipalités

Source : Qaasuitsumiinngilanga dans Zhang, Wei et Grydehøj j, 2021 : 6

Dans son article traitant des référendums au Groenland, Ackrén (2019 : 1) met en lumière la « période d’éveil » nationaliste de certains citoyens groenlandais au cours des années 1960, soient ceux ayant bénéficié d’une éducation supérieure outre-mer, qui voyaient désormais le développement de l’île d’un point de vue extérieur, provoquant un mécontentement face à la domination danoise et les discriminations vis-à-vis de la population locale. Elle renchérit en évoquant la création du Parti inuit, en 1964, un parti nationaliste qui mettait l’emphase sur la reconnaissance des Groenlandais « comme un peuple distinct avec leurs propre culture, traditions et langue » (Ackrén, 2019 : 1). N’ayant pas le support nécessaire à l’époque alors qu’un seul représentant fut élu au conseil du comté en 1967, le parti fut dissous (Ackrén, 2019 : 1), manifestant tout de même un début de nationalisme dans la sphère politique de Nuuk.

1.2. La Communauté économique européenne et le Home Rule Act de 1979

Selon plusieurs auteurs, un moment décisif dans la volonté autonomiste au Groenland fut l’adhésion du Danemark à la Communauté économique européenne (ci-après CEE) en 1973, ce qui a attisé les frustrations locales dans le comté insulaire danois, qui voyait cette appartenance comme une perte majeure de souveraineté dans le domaine des pêches, l’exportation principale de Nuuk (Jacobsen, 2020 ; Fernandez 2010 ; Ackrén 2019), puisque l’adhésion à la CEE impliquait l’obligation de partager les zones de pêche groenlandaises avec les membres de la Communauté. L’adhésion à la CEE avait d’ailleurs été sujet de référendum au Groenland l’année précédente, bien que ceux-ci n’ont que des visées consultatives et ad hoc, et le résultat négatif du référendum témoignait de la réticence de la population face à la CEE (Ackrén, 2019 : 4). Or, en raison du statut du Groenland à l’époque et du référendum qui n’avait pas de valeur juridique, le Danemark ne l’a pas reconnu, ce qui a tout de même poussé un comité du Conseil national danois à proposer une commission pour examiner la manière dont un régime autonome pourrait être mis en œuvre au Groenland (Heinrich dans Kristensen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 35). Le Parlement danois adopta dès lors, en novembre 1978, une loi sur l’autonomie du Groenland (Home Rule Act) qui fut validée lors d’un référendum en janvier 1979, alors que ce dernier fut appuyé à 70,1 % par les électeurs avec un taux de participation de 63 % (Hofverberg, 2019). Cette nouvelle loi danoise créait un nouveau statut plus autonome au Groenland dans 17 domaines allant de l’éducation et la santé à la fiscalité et l’économie, en plus d’entériner la création d’un gouvernement à Nuuk (Kleist dans Loukacheva, 2010 : 173). Ackrén (2019 : 5) précise qu’avec le Home Rule Act, « le Groenland faisait office de région administrative avec certaines responsabilités légales, mais c’est le Parlement danois qui attribuait les pouvoirs aux autorités groenlandaises ». Le Danemark assumait toujours la responsabilité, entre autres, des affaires étrangères et de la sécurité, de la police, du système judiciaire et des questions monétaires, et le domaine des ressources naturelles se retrouvait administré conjointement par le Danemark et le Groenland (Jonsson 1999 : 6-7). Le Groenland demeurait tributaire d’un soutien économique de la part du Royaume prenant la forme d’une subvention, occupant d’ailleurs la majeure partie du PIB groenlandais à l’époque.

Le nouveau gouvernement du Groenland a considéré comme l’une de ses premières tâches la préparation d’un référendum sur le retrait du Groenland de la CEE, en 1982, où 52 % des électeurs ont exprimé leur souhait de quitter ce qui allait devenir éventuellement l’Union européenne (ci-après UE), et le Groenland devint la première communauté à quitter la CEE en 1985 (Heinrich dans Kristensen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 35). Malgré ce retrait, des « dispositions spécifiques ont été mises en place afin de protéger les intérêts du marché des pêches entre la CEE et le Groenland » (Brito et Du Castel, 2014 : 11). Avec la Décision relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté européenne, adoptée par le Conseil de l’UE en novembre 2001, le Groenland est associé à l’UE comme étant un pays et territoire d’outre-mer[1] (ci-après PTOM). En outre, jusqu’à la fin des années 1990, la grande majorité des domaines énumérés dans le Home Rule Act avaient effectivement été repris par le gouvernement du Groenland (Ackrén, 2019 : 6). En 1999, ce dernier a créé une commission sur l’autonomie gouvernementale pour étudier la possibilité d’atteindre un degré d’autonomie plus élevé, et ce en se penchant sur six modèles ; l’indépendance, l’union avec un autre État, la libre association, la fédération, l’autonomie gouvernementale renforcée des peuples autochtones et la pleine intégration (Kleist dans Loukacheva, 2010 : 177-178 ; Ackrén, 2019 : 5). C’est finalement sur l’autonomie gouvernementale renforcée « avec des éléments d’autodétermination pour les perspectives futures » que la Commission s’est arrêtée au cours des années 2000, ce qui donna lieu à un nouveau référendum sur le sujet en novembre 2008 (Ackrén, 2019 : 5).

2. La loi sur l’autonomie du Groenland de 2009 (Self-Government Act)

Un référendum non contraignant portant sur la nouvelle autonomie gouvernementale du Groenland a eu lieu le 25 novembre 2008, organisé par le gouvernement de l’époque, le Parti Siumut en coalition avec le parti Inuit Ataqatigiit (Nuttall, 2008 : 65 ; Ackrén, 2019 : 5). Le parlement du Danemark s’était engagé à respecter les résultats de celui-ci afin d’entreprendre des négociations avec le gouvernement groenlandais (Ackrén, 2019 : 6). Avec un taux de participation plus élevé qu’en 1978, soit de 71,96 %, le peuple groenlandais a voté en faveur de cette nouvelle autonomie à 75,54 %, le camp du « non » récoltant 23,57 % des votes (Kleist dans Loukacheva, 2010 : 179). L’un des principaux objectifs de l’introduction de cette éventuelle loi danoise était de « faciliter le transfert de pouvoirs supplémentaires et donc de responsabilités aux autorités groenlandaises dans les domaines où cela est constitutionnellement possible et fondé sur le principe de la concordance entre les droits et les obligations » (Statsministeriet, 2009). À la suite de négociations entre les deux gouvernements, la loi sur l’autonomie gouvernementale du Groenland fut intégrée dans la Constitution danoise, remplaçant le Home Rule Act de 1979 et ajoutant de nouveaux domaines de compétences au gouvernement groenlandais (Statsministeriet, 2009).

En premier lieu, dans le préambule de la loi, les habitants du Groenland sont reconnus comme un peuple au sens du droit international, signifiant qu’il peut se prémunir du droit à l’autodétermination des peuples (Ackrén et Jakobsen, 2015 : 404). D’autre part, l’article 20 de la loi officialise que la langue officielle du Groenland est le groenlandais, alors qu’elle était autrefois la langue principale, mais que le danois devait également être enseigné et demeurait centrale dans les instances gouvernementales (Ackrén, 2019 : 7). L’article 21 de la loi prévoit, quant à elle, des dispositions dans l’éventualité où le Groenland tient un référendum sur son indépendance, ce qui devra s’effectuer notamment avec le consentement du Parlement danois (Statsministeriet, 2009). En plus d’habiliter les représentants à négocier avec le gouvernement danois au sujet de la possible sécession groenlandaise, les organes exécutif (le Naalakkersuisut) et législatif (l’Inatsisartut) « disposent du droit de produire la loi dans un domaine donné et sont responsables de son application et de son financement » (Duc, 2017 : 5). Les noms groenlandais du parlement et du gouvernement sont utilisés dans la loi, traduisant la volonté de valoriser la langue officielle (Ackrén, 2019 : 7). Par ailleurs, parmi les nouveaux domaines de compétences du Groenland figure la compétence exclusive pour l’extraction des ressources et la gestion des ressources naturelles, en plus de détenir une plus grande marge de manœuvre sur la scène internationale avec la liberté de conclure des accords bilatéraux et multilatéraux dans ses champs de compétence (Duc, 2017 : 5 ; Jacobsen, 2020 : 175). L’île pouvait dès lors jouer un rôle plus actif dans certaines organisations internationales, dont le Conseil de l’Arctique et le Conseil nordique, organisations majeures pour le Groenland considérant qu’elle est géographiquement au cœur de la question arctique (Jacobsen, 2020 : 183). Il y a également eu des changements au niveau de l’économie groenlandaise, puisqu’en plus d’être responsable du financement des activités dont elle était désormais responsable, la subvention que recevait Nuuk du Danemark a été fixée au niveau de 2009[2] et ne change qu’en vertu de l’inflation, et n’est plus renégociée annuellement (Grydehøj dans Coates et Holroyd, 2020 : 220). Cette subvention représente encore environ 25 % du PIB groenlandais et la moitié des dépenses publiques : une éventuelle indépendance de l’île pourrait nuire à son économie (Grydehøj dans Coates et Holroyd, 2020 : 221). L’article 8 de la loi pose un mécanisme juridique dans le domaine des ressources naturelles, « où le niveau de la subvention globale sera réduit d’un montant correspondant à 50 pour cent des revenus tirés de l’extraction de minéraux et d’énergie lorsqu’ils dépassent 75 millions de DKK (environ 10 millions d’euros) » (Ackrén, 2019 : 7). Les redevances de l’extraction seront ainsi partagées entre les deux gouvernements danois et groenlandais, ce qui aura pour effet de réduire d’autant plus la subvention danoise pour éventuellement la retirer (Ackrén, 2019 : 7). De ce fait, une fois la subvention danoise réduite à zéro, le gouvernement groenlandais peut entamer des négociations avec Copenhague concernant leurs futures relations économiques et l’introduction de son indépendance du Danemark (Dingman, 2014 : 4).

3. Les compétences législatives et exécutives du Groenland 

3.1. Les domaines de responsabilité groenlandais et danois

Le Home Rule Act de 1979 qui fut remplacé par la loi sur l’autonomie gouvernementale de 2009 ont tous deux consolidé certains pouvoirs et compétences au Groenland, que ce soit au niveau des ressources naturelles ou des relations internationales. Ces derniers seront explicités plus en profondeur que dans les points précédents, en plus de présenter le concept de la paradiplomatie et son lien avec la conduite du Groenland sur la scène internationale. Dans la loi de 2009, ce sont 33 domaines de responsabilités qui pouvaient être repris par le gouvernement insulaire, ceux-ci étant divisés en deux listes (Ackrén, 2019 : 7). La liste I comprend cinq domaines[3] qui pouvaient être du ressort immédiat du Groenland, alors que pour les sujets de la liste II, comprenant le droit criminel, les passeports, l’aviation, la sécurité en mer et les ressources naturelles minérales, les modalités devaient être négociées avec le Danemark. Tel que mentionné précédemment, le domaine des ressources naturelles et son extraction, autrefois partagé entre le Danemark et le Groenland, devint une compétence exclusive de l’île avec la loi sur les minéraux de 2010 (Ackrén dans Finger et Heininen, 2019 : 241). Ce changement porte cependant à confusion chez certains investisseurs étrangers qui ne savent pas toujours avec quel gouvernement faire affaire dans quelques cas de contrats d’extraction, cette confusion étant particulièrement observée chez les entreprises asiatiques (Ackrén dans Finger et Heininen, 2019 : 240). Les domaines qui sont toujours du ressort du Danemark sont par exemple la Constitution, la citoyenneté, l’immigration, les affaires étrangères, la défense et la monnaie (Ackrén dans Finger et Heininen, 2019 : 242). En ce qui concerne l’espace aérien et les eaux groenlandaises, qui peuvent devenir des compétences groenlandaises, ces dernières ne sont pas encore tout à fait reprises : le Groenland est présentement responsable de l’environnement maritime jusqu’à trois milles marins lorsqu’il est question de pollution par le pétrole et les produits chimiques, et détient un accord à ciel ouvert avec l’Islande, en raison des vols réguliers entre l’État et l’île (Ackrén, communication personnelle, 17 juin 2020 ; Naalakkersuisut, s.d.). En l’absence de garde-côtes et de forces armées groenlandaises, le Danemark est toujours responsable de ces domaines, où les forces armées exécutent « les tâches de protection civile, de missions de recherche et de sauvetage, de contrôle des eaux territoriales, d’inspection et de surveillance des pêches et de nettoyage maritime » (Ackrén et Jakobsen, 2015 : 406). Ces tâches sont assumées par le commandement interarmées danois de l’Arctique (Danish Joint Arctic Command) dont le siège est situé à Nuuk (Public Affairs Office, 2020).

3.2. Les relations internationales et la paradiplomatie du Groenland

            Il n’en demeure pas moins qu’au niveau des affaires étrangères, le gouvernement groenlandais avait déjà obtenu, en 2005, le droit de négocier et de conclure des accords internationaux dans les domaines qui lui avaient été conférés en 1979, mais la loi de 2009 a permis à l’île d’élargir ces domaines et de prendre une place plus marquée à l’international (Fernandez, 2010 : 435). En effet, le Groenland détient une plus grande marge de manœuvre et peut parler de sa propre voix en tant que participant dans certains forums et certaines conférences, comme le Conseil nordique ou le Conseil de l’Arctique (Jacobsen, 2020 : 183). Plus spécifiquement, jusqu’en 2011, le Groenland et les îles Féroé étaient des parties égales et distinctes de la délégation officielle danoise au Conseil de l’Arctique, où il a été tacitement accepté que la délégation ait trois chaises à la table, trois drapeaux et une étiquette de pays indiquant les trois nations (Olsen et Shadian, dans Kristensen et Rahbek-Clemmensen 2018 : 132). Après 2011, soit lorsque la Suède assuma la présidence du Conseil de l’Arctique, les chaises des représentants du Groenland et des îles Féroé ont été mises à l’écart (Jacobsen, 2020 : 177). Le nouveau premier ministre du Groenland, Aleqa Hammond fit entendre son mécontentement face au « jeu de souveraineté joué par les États membres » (Jacobsen, 2020 : 177) en boycottant la réunion ministérielle à Kiruna en mai 2013 et en annonçant la suspension de toutes les activités en cours du Groenland au sein du conseil (Olsen et Shadian, dans Kristensen et Rahbek-Clemmensen 2018 : 132). Après trois mois de négociations avec la nouvelle présidence canadienne, un accord a été conclu donnant aux trois parties du royaume danois le droit de participer pleinement à toutes les réunions du conseil, retirant néanmoins de la table leurs drapeaux (Jacobsen, 2020 : 177).

En outre, le Groenland a pu ouvrir ses propres représentations dans les capitales étrangères, ayant notamment des bureaux de représentation diplomatique à Copenhague, Bruxelles, Washington DC, à Reykjavik en 2018 et éventuellement à Pékin en plus d’accueillir à Nuuk de nombreux consulats, dont ceux de la Belgique, du Canada, de la Finlande, de la France, de l’Allemagne, de l’Islande, des Pays-Bas, de la Norvège et de la Suède (Bartmann, 2006, p.551). Il serait dès lors juste de dire, selon Jacobsen (2020 : 184) que « dans leurs efforts pour devenir [éventuellement] un État, les représentants du Groenland tentent de maximiser la souveraineté de la politique étrangère du Groenland dans les cadres juridiques actuels en articulant, agissant et apparaissant une position plus individuelle ». Cette affirmation cadre avec la définition du concept de paradiplomatie suggérée par Paquin (2004 dans Fontanel, 2005 : 244), soit que la paradiplomatie est la « poursuite d’activités étrangères diplomatiques d’États fédérés ou de régions » ; et de la protodiplomatie, qui est quant à elle la politique étrangère d’une instance subétatique qui entreprend une démarche d’autonomie ou d’indépendance (Paquin, 2004 dans Fontanel, 2005 : 244). La participation du Groenland dans diverses organisations internationales, telles que le Conseil circumpolaire inuit, le Conseil de l’Arctique, le Conseil nordique et le Conseil nordique des ministres sont aussi des exemples de la paradiplomatie groenlandaise (Ackrén, 2019 : 241). Une preuve de cette implication grandissante du Groenland dans les relations internationales réside dans un évènement qui s’est déroulé à la ville d’Ilulissat, en 2008, où le village a vu naître la Déclaration d’Ilulissat, unissant les États-Unis, la Russie, la Norvège, le Canada et le Danemark lors d’une conférence organisée conjointement entre le Danemark et le Groenland afin de converser sur une pluralité de sujets tels que le changement climatique, l’environnement marin ainsi que la sécurité maritime relative à l’océan Arctique (Kapyla et Mikkola dans Finger et Heininen, 2019 : 155). Celle-ci a permis aux États signataires d’affirmer leur volonté de coopération et de respect des lois internationales en vigueur (Kapyla et Mikkola dans Finger et Heininen, 2019 : 156). L’initiative et l’invitation du Danemark en collaboration avec le gouvernement groenlandais lors de la déclaration d’Ilulissat ont sans contredit permis au Groenland de se positionner dans un ordre qui mettait davantage l’accent sur les États (Kristensen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 1). Jacobsen (2020 : 183) ajoute que pour le Groenland, l’implication accrut dans ces organisations « [est particulièrement utile] dans le but de rechercher plus de souveraineté sur le régime de gouvernance régionale ». Le Groenland profite de cet essor de coopération en Arctique afin de développer graduellement sa paradiplomatie et sa protodiplomatie.

4. Les opinions politiques et publiques du Groenland sur l’indépendance

4.1. Les partis politiques et les gouvernements de coalition

            Depuis les années 1970, plusieurs partis politiques ont vu le jour au Groenland, à commencer par Siumut, qui fut créé en tant que mouvement politique, pour devenir un véritable parti en 1977, et qui est devenu le parti dominant au Groenland depuis 1979 (Grydehøj, 2020 : 105). Le parti social-démocrate avait deux objectifs principaux dans son programme au départ, à savoir les relations avec le Danemark et les conditions internes groenlandaises, avec l’arrivée du Home Rule act (Ackrén, 2019 : 2). Un deuxième parti politique plus conservateur désirant maintenir le Groenland au sein de la couronne danoise prit naissance l’année suivante, en 1978, l’Atassut (Ackrén, 2019 : 2). Né d’un mouvement nationaliste et socialiste, un troisième parti émergea à la fin des années 1970, Inuit Ataquatigiit, dont l’objectif était « l’autodétermination nationale et la reconnaissance du peuple du Groenland en tant que peuple distinct » (Ackrén, 2019 : 2). De 2005 à 2009, le parti Siumut et le parti Inuit Ataqualigiit formaient une coalition, où leur objectif commun était l’autonomie gouvernementale renforcée et éventuellement l’indépendance du Groenland (Zhang, Wei et Grydehøj, 2021 : 9). Le parti Inuit Ataqualigiit obtint la majorité des voix lors de l’élection de 2009, plaçant le parti indépendantiste au pouvoir jusqu’en 2013 (Zhang, Wei et Grydehøj, 2021 : 9). Ces élections furent remportées par la coalition constituée de Siumut, d’Atassut et d’un nouveau parti nationaliste, le Parti Inuit formé par des dissidents de l’Inuit Ataqatigiit (Grydehøj dans Coates et Holroyd, 2020 : 222). Un scandale à propos de dépenses du premier ministre émergea cependant dans les mois suivants, forçant ce dernier à démissionner, conduisant dès lors à des élections générales anticipées en novembre 2014 (Duc, 2017 : 8). Siumut remporta tout de même les élections, et un gouvernement de coalition fut formé à nouveau, cette fois avec le parti Solidarité et le parti Demokraatit (Duc, 2017 : 8). Les discussions autour de l’indépendance du Groenland se plaçaient de plus en plus au cœur des priorités des partis politiques à partir de 2014. Avec le changement de gouvernement en 2016, laissant place à une nouvelle coalition entre les partis Inuit Ataatigii, Partii Naleraq et Siumut, le nouvel objectif central devint la mise en place d’une commission constitutionnelle guidant la création de l’État groenlandais (Duc, 2017 : 9). Cela dit, bien que la majorité des partis politiques visent la souveraineté du Groenland, des disparités résident sur la marche à suivre et le calendrier à adopter afin d’enclencher un processus de négociation avec le Danemark (voir figure 2) (Grydehøj, 2016 : 105). L’élection du 24 avril 2018 forma un autre gouvernement de coalition encore dirigé par le parti Siumut et composé des partis Partii Naleraq, Atassut, et Nunatta Qitornai (Zhang, Wei et Grydehøj, 2021 : 9).

Figure 2. Positions des partis politiques au Groenland sur la question du statut politique

Source : Gad, 2014 dans Ackrén, 2019 : 2 (mis à jour)

Faisant toutefois face à divers désaccords au sein de la coalition, le Partii Naleraq la quitta en octobre 2018, suivi du parti Atassut, laissant un gouvernement minoritaire au pouvoir jusqu’au 29 mai 2020, où la coalition fut formée des partis Siumut, Demokraatit et Nunatta Qitornai (Zhang, Wei et Grydehøj, 2021 : 9). D’autres bouleversements sont à noter dans la coalition, à débuter par le remplacement de Kim Kielsen à la tête du parti Siumut par Erik Jensen, en novembre 2020, puis par le départ du parti Demokratene dans la coalition le 8 février 2021 suite à un différend sur un projet minier, laissant d’ailleurs le Groenland sans ministre des Affaires étrangères (Breum, 2021 ; High North New, 2021). 

4.2. La convoitise indépendantiste des Groenlandais

Au niveau de l’opinion publique, selon un sondage portant sur le désir d’indépendance politique effectuée en 2017 auprès de 708 personnes, 34 % parlaient d’un désir très important et 25 % d’assez important, mais des nuances ont été apportées par un autre sondage en 2017, alors que 44 % des répondants ont indiqué ne vouloir l’indépendance que si cela n’entrainait pas une baisse du niveau de vie (Grydehøj, 2020 : 96). Dès lors, le soutien à l’indépendance demeure important, mais conditionnel à certains aspects, dont le statu quo du niveau de vie au Groenland (Grydehøj, 2020 : 96). De ce fait, Gad (2016 : 56) pose trois positions de base qui peuvent être adoptées sur le sujet au Groenland, la première étant que l’autogouvernance est une condition préalable à l’autonomie économique, une seconde selon laquelle l’autonomie économique doit être une condition préalable à l’autonomie et une troisième stipulant que « l’autosuffisance [est] un projet commun partagé par le Groenland et le Danemark, [signifiant] que l’autonomie gouvernementale resterait une affaire progressive ». En 2018, le soutien pour l’indépendance du Groenland était toujours élevé, alors que 67,7 % des Groenlandais souhaitaient l’indépendance politique ; 43,5 % des personnes interrogées ont également indiqué que l’indépendance politique aura un effet positif ou très positif sur l’économie, à leur avis (Grydehøj, 2020 : 96).

5. L’indépendance économique pour l’indépendance politique ?

L’aspect du lien entre indépendance économique et autonomie gouvernementale est particulièrement débattu tant dans la population que dans les articles scientifiques portant sur la souveraineté du Groenland, puisque certains médias qualifient d’essentiel le fait que le Groenland devrait moins dépendre du Danemark économiquement. De ce fait, plusieurs auteurs affirment qu’avec l’avènement des changements climatiques dans la région qui offrent de nouvelles opportunités de développement économique pour le Groenland, notamment avec les investissements internationaux dans les gisements d’hydrocarbures et l’industrie minière, l’indépendance économique de l’île vis-à-vis de Copenhague pourrait être atteinte, et donc aspirer à la souveraineté (Fernandez, 2010 ; Nuttall, 2012 ; Jacobsen et Gad dans Kristinsen et Rahbek-Clemmensen). Ces arguments vont donc de pair avec la clause d’élimination progressive de la subvention danoise contenue dans la loi sur l’autonomie gouvernementale du Groenland de 2009 (Dingman, 2014 : 4). Or, selon Grydehøj (2020 : 92), ces perspectives de mondialisation et de partenariats économiques avec l’étranger représentent un certain paradoxe à la position de base selon laquelle l’indépendance économique du Groenland devrait être atteinte avant son indépendance politique. Effectivement, une coupure des liens avec l’extérieur n’est pas souhaitable ni réellement mise de l’avant par les politiciens groenlandais, qui ne considèrent pas l’isolationnisme comme la solution, au final, afin d’obtenir leur souveraineté (Grydehøj, 2020 : 105). Cela dit, les Groenlandais sont majoritairement d’avis que la subvention globale n’est pas viable et qu’à son niveau actuel, elle demeure insuffisante pour maintenir l’économie groenlandaise (Committee for Greenlandic Mineral Resources to the Benefit of Society, 2014 dans Grydehøj, 2020, 95). Qui plus est, les avantages dérivés du Groenland par le Danemark sont considérés comme de l’exploitation tandis que les avantages groenlandais dérivés du Danemark sont considérés comme oppressifs et comme une continuation du processus colonial (Grydehøj, 2016 : 110). Les partis politiques et la population groenlandaise prennent conscience que l’indépendance réclame des fonds importants « afin de pallier [au] désengagement du Danemark et d’assumer de nouvelles responsabilités » (Fernandez, 2010 : 430). Effectivement, il fut estimé en 2008 que le transfert des compétences restantes aurait un cout d’un milliard d’euros, d’où l’importance d’avoir une économie forte et en développement (Fernandez, 2010 : 430). L’acquisition des 33 compétences incluses dans l’accord de 2009 constitue d’ailleurs une étape cruciale afin d’atteindre l’objectif d’indépendance (Kuokkanen, 2017 : 46). Il n’est pas sans mentionner, qui plus est, que le Groenland est confronté à une « augmentation des couts de protection sociale et à une baisse des revenus à l’avenir en raison d’un profil démographique vieillissant rapidement » (Conseil économique du Groenland, 2013).

Considérant ces différents arguments apportés par les auteurs, il serait plus juste d’affirmer que les Groenlandais aspirent pour la majorité à une indépendance face au Danemark afin de prendre leurs propres décisions, « et cela inclut le choix d’entrer dans des relations économiques mutuelles et des relations de dépendances économiques » (Grydehøj, 2020 : 106), mais avoir une économie forte n’est pas une condition préalable à l’exercice de la souveraineté insulaire d’emblée (Bertram, 2015). À titre d’exemple, plusieurs États insulaires dans le Pacifique sont indépendants politiquement, mais dépendent en majeure partie des subventions et du commerce extérieurs (Grydehøj, 2020 : 91). Malgré les dissidences sur le sujet, il n’en demeure pas moins que le nouveau contexte géopolitique arctique offre des opportunités qui pourraient potentiellement s’avérer intéressantes pour le Groenland dans une optique d’affirmation politique et de quête de souveraineté, puisque l’atteinte d’un certain équilibre budgétaire au Groenland serait un préalable, pour le Danemark, à la tenue de négociations pour son indépendance.

6. La nouvelle donne géopolitique et géostratégique arctique et l’autonomie du Groenland

Pour poursuivre, avec l’avènement des changements climatiques, l’Arctique est au cœur des discussions, d’abord pour les dangers que représente un réchauffement climatique dans cette région du globe qui est particulièrement sensible aux altérations du climat, mais aussi pour les nouvelles opportunités associées à la fonte de la glace. En outre, des incertitudes au niveau du statut juridique de l’Arctique donnent lieu à un contentieux entre les pays riverains, soit la Norvège, la Russie, le Danemark, les États-Unis et le Canada, qui revendiquent, en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, une partie de l’espace maritime (Brito et Du Castel, 2014 : 21). Bien que le Groenland n’en soit pas une exception, l’intérêt stratégique envers la juridiction insulaire infranationale autonome n’est pas récent (Fernandez, 2010 : 430).

6.1. Les attributs géostratégiques groenlandais au service des États-Unis   

Les États-Unis se sont montrés particulièrement intéressés par le Groenland et ses attributs géostratégiques depuis la Seconde Guerre mondiale, alors qu’une présence militaire américaine au Groenland fut autorisée par les diplomates danois contre une reconnaissance de la souveraineté du Danemark sur le territoire, et qu’en 1946 les États-Unis ont tenté d’acheter l’île de l’hémisphère nord (Kristensen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 4). Les deux États ont d’ailleurs négocié un accord de défense en 1951, officialisant une présence militaire américaine permanente, créant dès lors, selon Lidegaard (1996 : 574, dans Kristensen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 5) « un système de souveraineté partagée sur le Groenland, où l’armée américaine était autorisée à opérer quand et où elle en avait besoin, tout en évitant les affaires groenlandaises et en autorisant la souveraineté de droit des Danois sur l’île ». Ackrén et Jakobsen (2015 : 405) ajoutent qu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis avaient établi 13 bases militaires et 4 bases navales au Groenland. Archer (2003 : 129), quant à lui, explicite que le territoire était considéré comme important dans un contexte de Guerre froide, pour quatre raisons principales. En premier lieu, il était vital d’empêcher l’accès à l’Amérique du Nord par toute puissance hostile potentielle ; deuxièmement, le Groenland était un point de transit clé vers l’Europe, troisièmement, les bases météorologiques au Groenland ont su fournir des informations cruciales et quatrièmement, la richesse minérale du Groenland avait une valeur pour l’industrie aéronautique aux États-Unis et au Canada (Archer, 2003 : 129). Il était déjà possible de constater à cette époque l’importance géostratégique et géopolitique que représentait le Groenland dans les relations internationales, touchant à des enjeux de sécurité. La base aérienne américaine située à Thulé au nord-ouest du Groenland est toujours active en 2020 et constitue un point névralgique du bouclier antimissile des États-Unis (Fernandez, 2010 : 430). Cette base militaire génère d’ailleurs des revenus indirects pour l’île, employant des Danois et des Groenlandais, qui sont ensuite imposés (Olesen, dans Kristinsen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 72).

6.2. Entre changements climatiques, opportunités et effets pervers

En tenant donc compte de l’intérêt géostratégique historique envers le Groenland, la plupart des auteurs s’entendent pour dire qu’avec les changements climatiques, une nouvelle donne géopolitique s’instaure dans la région, où des considérations en matière de sécurité environnementale et de sécurité économique entrent aussi en ligne de compte (Ackrén et Jakobsen, 2015 ; Fernandez, 2010 ; Nuttall, 2012). L’une des conséquences visibles et d’autant plus attendues au fil des prochaines décennies dans l’Arctique est la fonte de la banquise, ce qui se traduit par « un accès facilité aux ressources dans la mer et sur la terre » (Ackrén et Jakobsen, 2015 : 407), ainsi que l’ouverture de nouvelles routes de transport maritime qui étaient autrefois des voies de navigation trop périlleuses pour la plupart des navires, particulièrement les navires commerciaux. Tel que mentionné précédemment, considérant que l’indépendance du Groenland nécessiterait des couts considérables en plus de couper la subvention du Danemark qui représente une part non négligeable du PIB de la juridiction insulaire, certains voient le réchauffement du climat et ses impacts divers comme étant une opportunité pour l’exploitation de ressources naturelles telles que le pétrole, le gaz et les minerais (Fernandez, 2010 : 431). D’ailleurs, Fernandez (2010 : 413) affirme qu’avec les revenus que pourrait rapporter l’exploitation de ces nouvelles ressources, une plus grande « autonomie financière pourrait inciter une terre qui possède déjà son drapeau, son hymne, sa toponymie et ses institutions à une sécession désormais raisonnable ». Concrètement, les opportunités d’extraction pourraient attirer différents investisseurs étrangers et faire de l’État un exportateur de ressources naturelles (Nuttall, 2012 : 116). L’US Geological Survey a estimé en 2013 que le Groenland disposerait d’une réserve potentielle de 50 milliards de barils équivalents pétrole, représentant environ 11 % du total des réserves de la région arctique (Brito et Du Castel, 2014 : 103). Au niveau de l’industrie minière, l’exploitation de l’uranium fut bannie en 1988, ce qui a freiné drastiquement les développements dans le domaine, si bien qu’en 2008, aucune mine n’était active au Groenland (Nuttall, 2008 : 66). Suite à l’introduction de la loi sur l’autonomie du Groenland de 2009, le débat sur l’autorisation de l’exploitation de l’uranium fut réintroduit jusqu’à l’arrivée au pouvoir du gouvernement dirigé par Siumut, en 2013, qui a abandonné la politique de tolérance zéro sur cette exploitation par le biais du Parlement à une majorité d’une voix, dans l’espoir d’attirer des investissements internationaux, ce qui a d’ailleurs été l’une des plus grandes controverses de son histoire, menant à d’importantes manifestations publiques (Kristensen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 42). L’extraction minière a d’ailleurs été priorisée par le gouvernement Siumut vis-à-vis de l’exploitation des ressources pétrolières offshore en 2013, car bien que les deux présentent des risques environnementaux considérables, l’exploitation des hydrocarbures dans la région requiert une grande technicité et des couts majeurs, ce qui se conjuguait mal avec la chute des cours du pétrole après 2008 (Duc, 2017 : 7). Le tourisme pourrait être un autre secteur à développer dans la région qui afficherait des conditions plus favorables (Brito et Du Castel, 2014 : 109).

Si certains voient des opportunités pour le Groenland avec l’avènement des changements climatiques, d’autres se montrent plus prudents en soulignant les effets pervers pour la région, d’abord en contraignant l’écosystème et l’environnement fragile arctique, ce qui peut se répercuter notamment dans les activités de subsistance traditionnelles comme la chasse et la pêche, dont la dégradation pourrait favoriser l’exode rural, mais pouvant également favoriser la propagation de nouveaux virus (Fernandez, 2010 : 432). Des risques seraient aussi inhérents à cette possibilité accrue d’exploitation de ressources naturelles. Brito et Du Castel (2014 : 157) ont mis en exergue les inconvénients d’un développement par les hydrocarbures, ce qui inclus des menaces pour la pêche traditionnelle et l’environnement avec de la pollution par les forages, sans compter qu’économiquement, il y a des risques de dépendance aux ressources énergétiques : les exportations importantes de pétrole peuvent favoriser une surévaluation de la monnaie nationale, qu’une chute du prix du baril peut entrainer une récession, il peut y avoir une mauvaise redistribution de la rente et somme toute, l’économie se retrouve déséquilibrée. Outre ces risques, force est de constater que les activités de prospection qui avaient lieu jusqu’en 2020 au Groenland se sont soldées par un échec retentissant puisque la proportion de gisements découverts fut très faible (McGwin, 2020 dans Lasserre et Pic, 2021 : 11). Du côté de l’industrie minière, malgré les sollicitations gouvernementales pour attirer des investisseurs étrangers, seulement six licences d’exploitation étaient effectives en 2017 et une seule mine de rubis était en activité la même année (Molgaard, 2017 dans Duc, 2017 : 9). En 2020, une deuxième mine était en activité sur le territoire, soit la mine d’anorthosite de Qaqortorsuaq (Lasserre et Pic, 2021 : 9). En ce qui concerne l’argument selon lequel les revenus miniers pourraient assurer une indépendance financière au Groenland afin de mener à bien son indépendance, Duc (2017 : 8) affirme plutôt que « les revenus conjoints de plus d’une vingtaine de mines seraient nécessaires sur une période d’au moins vingt-cinq ans pour financer l’indépendance et garantir la stabilité financière de l’État à venir ». D’autre part, économiquement, le Groenland est aux prises avec d’importantes entraves liées à l’exploitation du pétrole et d’autres ressources naturelles, telles que le « manque de personnel qualifié, les contraintes qui découlent du respect de l’écosystème traditionnel des peuples autochtones et la question de la répartition de la manne du potentiel d’hydrocarbures avec le Danemark » (Brito et Du Castel, 2014 : 71).

6.3. Les projets de logements et aéroportuaires

Suivant la thèse d’une nouvelle réalité géopolitique dans la région, d’autres projets d’envergure ont été amorcés au Groenland, par exemple avec de nombreux projets de logements à Nuuk, dont un tout nouveau quartier dans la ville (Ackrén, communication personnelle, 17 juin 2020). Le plus grand projet en cours, en 2020, demeure l’extension de l’aéroport de la capitale, Nuuk, ainsi que celle d’Ilulissat afin d’en faire des aéroports internationaux, en plus d’améliorer l’aéroport régional de Qaquotoq (Ackrén, communication personnelle, 17 juin 2020 ; Grydehøj, 2020 : 100). Le projet intéressa d’abord des entrepreneurs chinois, mais le gouvernement danois, en 2018, assuma plutôt l’investissement au Groenland (Grydehøj, 2020 : 101). Des considérations géopolitiques sont entrées en ligne de compte pour le Danemark lorsqu’il est question de cet investissement, qui ne voulait pas voir la dépendance du Groenland à son égard simplement déplacé vers un État tiers comme la Chine (Grydehøj, 2020 : 105).

7. Le Groenland : un nouvel Eldorado pour les acteurs externes ?

            Tel que l’expriment Kristensen et Rahbek-Clemmensen (2018 : 157), « alors que le projet d’indépendance du Groenland a mûri et que son interaction politique avec les acteurs externes s’est élargie […] il est devenu le reflet d’une pléthore d’acteurs différents ». Tant le Danemark que certains États étrangers comme les États-Unis et la Chine ont de nouvelles prérogatives en lien avec le contexte géopolitique précis du Groenland. Qui plus est, les auteurs dénotent que l’une des principales questions auxquelles sont confrontés « les observateurs du Groenland est de savoir comment l’île va s’orienter vis-à-vis des acteurs extérieurs » (Kristensen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 38).

7.1. Le Danemark

En premier lieu, du côté du Danemark, le Groenland représente son seul point d’assise en Arctique et légitime sa participation dans diverses instances internationales dans la région (Jacobsen, 2020 : 171). Copenhague se voit dès lors dépendant de la situation géographique du Groenland (Jacobsen, 2020 : 171). En 2016, le gouvernement danois a souligné ce point en affirmant « [qu’il devait] tirer parti de [leur] position de grande puissance arctique pour influencer les développements dans l’Arctique au profit du Royaume du Danemark, la région et les peuples du Groenland et des îles Féroé » (Taksoe-Jensen, 2016 : 13). Selon Brito et Du Castel (2014 : 29), les questions majeures en Arctique, en 2014, concernaient la délimitation du plateau continental et les fonds sous-marins ainsi que leur exploitation. Dans cette optique, le Danemark a soumis, en 2012, une requête sur les limites du plateau continental de la partie sud du Groenland auprès de la Commission des limites du plateau continental des Nations Unies, signifiant par le fait même son intention de faire une nouvelle requête jusqu’au Pôle Nord (Brito et Du Castel, 2014 : 32). Deux ans plus tard, soit en 2014, le Danemark a déposé une revendication qualifiée d’ambitieuse dans le bassin central de l’océan Arctique, « [s’étendant] loin vers le sud de l’autre côté du pôle Nord, le long de la dorsale de Lomonossov, jusqu’à la limite de la ZÉE russe (Lasserre, 2019 : 5). Le Danemark s’est d’ailleurs montré plus actif dans la région, par exemple en effectuant régulièrement des patrouilles aériennes et maritimes au Groenland (Ackrén, communication personnelle, 17 juin 2020). Cette dépendance du Danemark donne ainsi au Groenland un « avantage arctique » (Jacobsen, 2020 : 171) dans les négociations avec sa mère patrie, alors que Nuuk souhaite « multiplier les liens avec les pays riverains et les communautés inuites […]. Cette volonté pourrait toutefois rencontrer le désir de contrôle ou d’influence des autres acteurs » (Brito et Du Castel, 2014 dans Lohez, 2014).

7.2. L’Union européenne

Pour l’Union européenne, dans le cas où le Groenland obtiendrait son indépendance, en raison de son statut PTOM, celui-ci pourrait demander l’adhésion à l’UE avec des droits d’association spécifique avec les nations inuites de la région arctique (Brito et Du Castel, 2014 : 56). La stratégie arctique développée par l’UE deviendrait d’autant plus pertinente si le Groenland devenait un État membre, alors que la communauté pourrait étendre son territoire Arctique à l’Atlantique Nord (Brito et Du Castel, 2014 dans Lohez, 2014 : 56-61). Un partenariat entre l’Union européenne, le Danemark et le Groenland fut d’ailleurs en vigueur de 2007 à 2013 dans différents domaines de coopération, dont l’éducation et la formation, les ressources minérales, l’énergie, le tourisme et la culture, la recherche ainsi que la sécurité alimentaire (Brito et Du Castel, 2014 : 68). Le partenariat fut renouvelé en 2012 pour la période 2014-2020 et avait notamment pour objectif d’aider le Groenland à diversifier durablement son économie et améliorer la qualité de sa main-d’œuvre et le financement pour la période représentait 217,8 millions d’euros (Brito et Du Castel, 2014 : 68-69). En revanche, la sécession du Groenland pourrait servir de modèle à certaines régions qui aspirent à quitter leur État de tutelle, comme le Pays basque, la Catalogne ou la Nouvelle-Calédonie, ce qui pourrait être vu comme un inconvénient à la stabilité de certains membres de l’UE (Brito et Du Castel, 2014 : 59-60).

7.3. Les États-Unis

Du côté des États-Unis, tel qu’il a été exposé précédemment, l’intérêt géostratégique que représente le Groenland n’a rien de nouveau, alors que le territoire se pose comme un pilier de la sécurité du Grand Nord (Brito et Du Castel, 2014 : 135). La base aérienne de Thulé est effectivement une « importante composante de l’alerte avancée antimissile des États-Unis et une composante du réseau global de contrôle et de surveillance satellitaire des États-Unis » (Brito et Du Castel, 2014 : 138), en plus d’être un hub pour le transport militaire aérien étatsunien provenant ou à destination de l’Europe et du Moyen-Orient. Le Groenland est aussi intéressant pour les États-Unis économiquement, soit en raison de la perspective d’exploitation de ses richesses dans sa zone économique exclusive, tout comme les possibilités de recherches et d’éducation sur les changements climatiques, du fait que l’importance exceptionnelle de sa calotte glaciaire n’a jamais fondu aussi rapidement (Drevet, 2020 : 113). Une éventuelle indépendance du Groenland soulève certaines questions sur l’échiquier international, d’abord si la présence américaine serait remise en cause sur le territoire. Brito et Du Castel (2014 : 137) affirment que celle-ci ne serait pas sujette à une reconsidération en raison des nombreux rapprochements entre les deux acteurs. À titre d’exemple, le gouvernement groenlandais a annoncé le 22 avril 2020 avoir accepté la proposition américaine de verser 12,1 millions de dollars d’aide visant à financer des projets civils dans l’industrie minière, le tourisme et l’éducation (Naalakkersuisut, 2020). Le gouvernement a affirmé que « le financement de projets au Groenland doit également être considéré comme le résultat de la coopération accrue entre Naalakkersuisut et les États-Unis depuis la création de la représentation du Groenland à Washington DC, qui est maintenant réciproque sous la forme de l’intérêt américain pour l’ouverture d’un consulat à Nuuk » (Naalakkersuisut, 2020). Washington aurait effectivement obtenu le feu vert de Copenhague pour installer un consulat dans la capitale groenlandaise (Agence France-Presse, 2020). Cette annonce survient presque un an après qu’il fut révélé que le 45e Président des États-Unis, Donald Trump, étudiait la possibilité d’acheter le Groenland, ce qui suscita certes de fortes réactions, témoignant ainsi de l’intérêt croissant pour la région et de sa « peur que l’île devient plutôt dépendante de la Chine » (Grydejøh, 2020 : 102). Une autre interrogation concerne les moyens de défense du Groenland dans le cas de son indépendance, à savoir s’il pourrait assurer sa sécurité ou s’il « [substituerait] simplement le Danemark pour les États-Unis en matière de défense et de sécurité » (Brito et Du Castel, 2014 : 141). Pour répondre à cette question, Brito et Du Castel (2014 : 141) avancent que le Groenland pourrait probablement détenir une défense de proximité, c’est-à-dire une défense pouvant mener des missions de surveillance et des interventions dans différentes zones maritimes, mais que l’île ne détient pas, pour le moment, les capacités techniques et une population suffisante pour instituer des forces armées. Selon ces derniers, « la défense, au sens général, contre des menaces armées extérieures serait prise en charge par les États-Unis, le Canada, le Danemark et l’OTAN » (Brito et Du Castel, 2014 : 141).

7.4. La Chine, la Corée du Sud et le Japon

D’autres acteurs externes prépondérants dans les discussions sur le Groenland et sa réalité géopolitique sont certains pays d’Asie tels le Japon, la Corée du Sud ainsi que la Chine. Après l’introduction de la loi sur l’autonomie du Groenland de 2009, des représentants de ces trois États asiatiques « se sont démarqués en tant qu’invités officiels les plus insolites de Nuuk » (Jacobsen et Gad dans Kristinsen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 18). Jacobsen et Gad (dans Kristinsen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 20-21) argumentent que, comme les acteurs cités précédemment, les pays asiatiques pourraient occuper une place centrale en tant que « reconnaissants de la subjectivité groenlandaise indépendante, cruciale pour le processus vers un Groenland plus autonome ». Brito et Du Castel (2014 : 150) soutiennent, en outre, que depuis 2009, la Chine serait vue comme étant un sauveur économique pour le Groenland, alors que Pékin « se positionne aussi en termes d’influence politique et économique, dans les domaines de coopération avec les États de l’Arctique ». Plus spécifiquement, Sørensen (dans Kristinsen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 85) identifie quatre intérêts principaux de la Chine en Arctique, à savoir la recherche scientifique, l’accès aux ressources pétrolières et minérales, le développement et l’accès aux routes maritimes ainsi que de s’imposer comme un joueur dans la gouvernance arctique. Ces intérêts vont de pair avec l’admission de la Chine comme membre observateur permanent au sein du Conseil de l’Arctique en 2013 (Lasserre, Alexeeva et Huang, 2015 : 10), où Pékin aurait comme ambition d’établir des relations bilatérales avec les États et parties prenantes du Conseil, comme le Groenland, et d’augmenter sa présence et son influence dans les institutions multilatérales arctiques (Sørensen dans Kristinsen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 87). La Chine s’est aussi montrée intéressée au potentiel minier du Groenland comme le démontre l’investissement de l’entreprise Xinye Mining dans l’entreprise London Mining, qui devait faire l’exploitation d’une mine de fer groenlandaise en 2015, mais qui fit faillite en 2014 (Lasserre, Alexeeva et Huang, 2015 : 14). De leur côté, le Groenland multiplie les efforts afin d’attirer les investisseurs asiatiques, par exemple en envoyant fréquemment des délégations groenlandaises en Chine, comme le ministre des Finances et des ressources qui a participé à la conférence annuelle China mining à Tianjin, en 2015 (Sørensen dans Kristinsen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 88). D’autre part, Têtu et Lasserre (2017) se sont penchés sur les projets d’investissements miniers chinois en Arctique et ont révélé dans leur étude, entre autres, que peu d’entreprises chinoises connaissaient réellement les perspectives minières potentielles groenlandaises, et manquaient globalement d’information sur les possibilités d’investissement. Parmi les autres défis rencontrés par diverses entreprises chinoises mises en lumière par les auteurs, il y a le fait que le Groenland manque d’expérience à l’international, le cout des vols en provenance et en destination du Groenland, puis le cout et la disponibilité de la main-d’œuvre (Têtu et Lasserre, 2017). Malgré l’intérêt marqué de la Chine dans la région, Sørensen argumente aussi que les entreprises chinoises éprouvent certaines difficultés pour investir au Groenland : d’abord, les diplomates chinois ne se sentiraient pas à l’aise de traiter avec une entité autonome avec un désir d’indépendance puis, en raison des intérêts de sécurité des États-Unis sur le territoire, « les autorités danoises ont peur de donner à la Chine un effet de levier qui pourrait compromettre la position américaine au Groenland », limitant les perspectives d’investissements de la Chine (dans Kristinsen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 186).

Conclusion

En définitive, le Groenland est passé du statut de colonie entre 1721 et 1953 à celui de comté danois de 1953 à 1979, pour ensuite se doter d’une loi sur l’autonomie du Groenland (Home Rule) jusqu’en 2009, où la loi sur l’autonomie du Groenland de 2009 (Self-Government Act) donne aujourd’hui au territoire arctique de nombreuses compétences exclusives, en plus de détenir une plus grande marge de manœuvre sur l’échiquier international et parler de sa propre voix dans différences instances internationales telles qu’au Conseil de l’Arctique, dans les réunions d’Ilulissat ou encore dans les conférences circumpolaires (Ackrén, 2019 : 8 ; Jacobsen, 2020 : 184). Tous ces évènements ont su contribuer à renforcer les visées d’autonomie du Groenland qui voit de plus en plus le projet d’indépendance du Danemark comme la prochaine étape à franchir dans son histoire. En décembre 2016, le ministre de l’Industrie, du Travail, du Commerce et des Affaires étrangères du Groenland, Vittus Qujaukitsoq a déclaré que le Danemark « ne traitait pas le Groenland équitablement » et que Nuuk devrait être habilité à poursuivre ses propres intérêts vis-à-vis des États-Unis et des États tiers, par exemple les nations asiatiques (Kristensen et Rahbek-Clemmensen, 2018 : 155). Selon des auteurs tels que Kristensen, Rahbek-Clemmensen (2018), Gad (2014) et Jacobsen (2020), la stratégie du Groenland pour mener à bien le projet sociétal d’indépendance passe avant tout par un rôle actif dans la politique arctique avec les autres nations arctiques ou non arctiques, légitimant donc sa place dans la sphère régionale et internationale en profitant d’une certaine flexibilité dans plusieurs domaines, dont celui de l’extraction. La société inuit œuvrant traditionnellement dans la chasse et la pêche se voit désormais avec d’énormes potentiels en matière d’exploitation des ressources naturelles, selon Ackrén (2019 : 8), particulièrement avec le contexte géopolitique changeant. Tel que l’exprime Kristensen et Rahbek-Clemmensen (2018 : 155) : « le monde s’intéresse au Groenland et le Groenland dispose d’une marge de manœuvre paradiplomatique pour façonner sa propre politique étrangère ». Les représentants du Groenland tentent alors de maximiser la souveraineté politique étrangère dans les différents cadres juridiques actuels en agissant et en prenant des positions plus individuelles, ces mouvements plus souverainistes étant facilités par la dépendance du Danemark face à la géographie du Groenland pour maintenir son statut d’État arctique (Jacobsen, 2020 : 184). Il est dès lors possible de voir plus d’engagement entre le Groenland et divers acteurs internationaux, mais Grydehøj (2020 : 106) souligne que le récent investissement aéroportuaire du Danemark pourrait traduire d’une volonté de relation à plus long terme entre les deux. Duc (2017 : 25) argue d’ailleurs que les projets dans l’industrie minière témoignent du désir groenlandais d’obtenir des revenus et que le territoire autonome cherche sa légitimité à l’international par ces aménagements miniers et plus globalement, par l’exploitation des diverses ressources naturelles par des tiers. Nuttall (2012 : 123) met toutefois en lumière le débat sur la manière dont le Groenland devrait se préparer à une société future caractérisée par la présence et la domination des industries extractives et la gouvernance du développement de ces ressources tout en préservant l’environnement fragile. Une certaine logique de dépossession est également observable en raison de l’exclusion de la population dans les processus décisionnels, le manque de consultations publiques et le manque de transparence tant de la part des compagnies d’exploitation de ressources naturelles que du gouvernement, se manifestant par une certaine méfiance du public envers ces industries extractives, bien qu’elles seraient lucratives et pourraient assurer une certaine aisance économique, que plusieurs qualifient d’essentielle à la tenue d’un prochain référendum sur l’indépendance du Groenland (Nuttall, 2012 : 123, Duc, 2017 : 25).

De nouvelles élections extraordinaires prévues le 6 avril 2021 ont d’ailleurs été annoncées le 16 février 2021 à la suite du départ du parti Demokraatit, laissant le parti de coalition « à court d’une majorité parlementaire » (Thomson Reuters, 2021). Il est fort à parier que les projets d’extraction minière, la revitalisation de l’économie du Groenland et l’indépendance de Nuuk seront au cœur des discours des différents partis politiques dans les prochains mois, particulièrement par le nouveau chef du Parti Siumut, Erik Jensen.

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[1] Le statut relève des articles 198 et 203 du traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (modifié par le Traitéde Lisbonne) et du Protocole no. 34 sur « le régime particulier applicable au Groenland », entré en vigueur le 1er décembre 2009 (Brito et Du Castel, 2014 :12).

[2] 3.4 milliards de DKK, soit environ 456 millions d’euros ou encore 703 millions de dollars canadiens

[3] L’indemnisation des accidents de travail, autres domaines de soins de santé, la circulation routière, le droit des biens et obligations et la zone de plongée commerciale.