Une rupture majeure dans la pensée stratégique japonaise ?  Au-delà du piège de l’alliance et de la peur de l’abandon

YOSHIDA Toru

tyoshida@mail.doshisha.ac.jp

YOSHIDA Toru est professeur de politique comparée à l’Université Doshisha, Kyoto. Après avoir était chercheur au sein de JETRO (Centre Japonais du Commerce Extérieur) et avoir obtenu son doctorat à l’Université de Tokyo, il a été professeur à l’université de Hokkaido, ainsi que professeur invité à Sciences-Po. Il est aussi actuellement chercheur associé à la Fondation France-Japon de l’EHESS.

Résumé :

Les modifications apportées aux trois documents de sécurité par le gouvernement Kishida représenteraient un changement significatif. Toutefois, ce changement pourrait être considéré comme une extension de la politique de défense qui a progressé graduellement depuis les années 1970. Le Japon de l’après-guerre s’est développé sur la base d’un équilibre délicat entre le traité de sécurité américano-japonais et la Constitution pacifiste, mais cette condition a changé de manière significative récemment. En fonction de l’orientation future, il pourrait s’agir d’un véritable tournant.

Mots clés : Japon, stratégie de défense, après-guerre, Asie, États-Unis

Abstract :

The Kishida government’s changes to the three security documents would represent a significant change. However, this change could be seen as an extension of the defence policy that has been progressing gradually since the 1970s. Post-war Japan has developed on the basis of a delicate balance between the US-Japan security treaty and the pacifist constitution, but this condition has changed significantly recently. Depending on the future direction, this could be a real turning point.

Keywords: Japan, Defence strategy, post-war, United States

Inévitablement, la guerre en Ukraine engendrera des bouleversements géopolitiques dans le monde, poussant l’Occident à réévaluer sa trajectoire historique. Ainsi, en février 2022, le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré au Bundestag que « nous approchons d’un tournant historique (Zeintenwende) ». Inspiré ou non par ce discours, le premier ministre japonais Fumio Kishida a annoncé, en janvier 2023, un « tournant historique » dans la politique de défense de son pays lors de son discours politique à la Diète.

En revanche, les préparatifs ont été rapides. En l’espace de quelques mois en 2022, trois documents fondamentaux de la politique de défense, ie. la stratégie de sécurité nationale, la Stratégie de défense nationale et le Plan de renforcement des forces de défense ont été révisés hâtivement[1]. La Stratégie de sécurité nationale, qui n’avait pas été révisée depuis sa formulation en 2013, souligne maintenant que le Japon est « confronté à l’environnement international le plus difficile et le plus complexe depuis l’après-guerre », et demande que le budget de la défense soit doublé pour atteindre 2 % du PIB d’ici 2027, soit le double du niveau actuel d’environ 1% maintenu depuis 1976 (Auer, 1988). Elle recommande également que le Japon dispose d’une « capacité de contre-attaque » et qu’il investisse considérablement dans la recherche, les infrastructures, la cybernétique et la coopération internationale. Nobukatsu Kanehara, ancien directeur général adjoint du National Security Council (NSC) japonais et l’un des initiateurs de la FOIP (Initiative pour une Asie-Pacifique libre et ouverte, lire infra), souligne que les trois textes de base sont le résultat de la volonté du Japon d’articuler et d’exprimer publiquement une grande stratégie diplomatique et militaire, pour la première fois depuis l’ère Meiji (Kanehara, 2022).

À cet égard, il convient de noter que le texte de la Stratégie de s La sécurité nationale souligne que « les démocraties avancées, dont le Japon, s’engagent à défendre des valeurs universelles telles que la liberté, la démocratie, le respect des droits fondamentaux de l’Homme et l’État de droit, et cherchent à prendre l’initiative de façonner la communauté internationale en vue de la coexistence et de la coprospérité ». Cela témoigne de l’engagement total du Japon en faveur des valeurs de l’ordre libéral international[2], alors que le pays n’avait auparavant jamais exprimé un tel engagement politique

La deuxième doctrine de défense pour la prochaine décennie stipule que le Japon doit renforcer ses capacités dans sept domaines afin de garantir la défense nationale. Il s’agit des capacités de défense à distance, de la défense antimissile, de la défense aérienne automatique, de la défense élargie de l’espace et du cyberespace, du renforcement des structures de commandement, du soutien logistique et de la protection des habitants, ainsi que de l’augmentation des stocks de munitions, de carburant et d’autres ressources.

Le plan de renforcement des forces de défense prévoit l’acquisition de missiles à longue portée, y compris l’achat de missiles américains Tomahawk, l’amélioration du système de combat Aegis[3] et le développement de drones à cette fin.

Le Japon, tout comme l’Allemagne, est traditionnellement considéré comme un « guerrier réticent » (relunctant warrior) parmi les alliés de Washington (Maull et al., 2019), et l’opinion publique manifeste régulièrement de profondes réticences envers tout ce qui pourrait ressembler à un déploiement militaire à l’étranger (Delamotte, 2010). Les politiques récentes anticipent-elles donc un changement de positionnement de sa part ? Afin de comprendre les enjeux réels et le sens de ces stratégies, nous allons procéder en trois étapes en adoptant une perspective historique. Premièrement, nous allons rapidement identifier les défis auxquels le Japon est confronté ainsi que la situation géopolitique qui contribuent à anticiper ce changement. Ensuite, nous allons analyser la manière dont la politique de sécurité du Japon, apparemment sans lien, a été structurée dans la période d’après-guerre jusqu’aux années 1970, en identifiant les principales étapes de cette politique pour mieux comprendre l’ampleur des changements ultérieurs. Enfin, nous reviendrons sur la signification de ces changements qui sont le résultat d’une longue mutation de la politique de sécurité nippone et qui ont été jusqu’à maintenant, en réalité une évolution forcée.

La transition japonaise actuelle est clairement un accroissement de la politique de dissuasion contre la rivalité croissante avec la Chine. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Abe en 2012, le Japon décomplexé a intensifié ses efforts diplomatiques pour contrer la Chine. En 2015, grâce à la législation sur la paix et la sécurité, qui a introduit le droit collectif à l’autodéfense et donc la possibilité de se porter à la défense d’un allié, le Japon a pu étendre l’Initiative pour une Asie-Pacifique libre et ouverte (FOIP). Ayant été jugées comme inconstitutionnelles par les juristes, la législation sur le droit collectif à l’autodéfense ait été fortement contestée par la société civile. Mais elle a permis au Japon de renforcer sa coopération avec ses alliés traditionnels comme les États-Unis, et sous la bannière de la FOIP, a encouragé le Japon à rechercher de nouveaux alliés comme l’Inde, ainsi que de développer un dialogue quadrilatéral sur la sécurité (QUAD)[4].FOIP, des nouveaux alliés comme l’Inde, ainsi que de développer un dialogue quadrilatéral sur la sécurité (QUAD)[1].

L’initiative FOIP, lancée par le gouvernement Abe en 2016, et se fondant sur trois principes – l’État de droit, l’alliance économique et le maintien de la paix et de la sécurité – a été élargie en 2023, plaçant le centre de gravité de la diplomatie japonaise dans l’Indo-Pacifique[5]. Il s’agit clairement d’une contre-mesure à l’initiative de la Nouvelle route de la soie promue par la Chine en 2013. Depuis le second mandat de l’administration Obama et un certain raidissement américain envers la Chine, le Japon, partenaire stratégique historique avec les États-Unis, ce « changement historique » a ouvert une fenêtre d’opportunité pour le Japon afin de garantir de meilleures conditions de sécurité.

L’environnement sécuritaire autour du Japon se dégrade de plus en plus. Peut-être que la guerre ukainienne ne fait pas partie de ses défi directs, hormis la crise énergétique[6], mais Tokyo perçoit des menaces potentielles venant de la Chine, de la Corée du Nord et de la Russie, qui possèdent toutes des armes nucléaires. La Chine, dont le budget de la défense est le deuxième au monde depuis 2008 grâce au renforcement du leadership de Xi Jinping, vise apparemment l’unification de Taïwan, ce qui mettrait automatiquement le Japon en état de guerre si un conflit éclatait comme le droit collectif à l’autodéfense envisage. De plus, la Corée du Nord a lancé 37 missiles en 2022, ce qui est un record si l’on tient compte des missiles balistiques intercontinentaux, dans le but d’intensifier les tensions et de forcer les États-Unis à négocier un accord garantissant sa sécurité. Telle qu’elle a été mise en œuvre, la nouvelle politique de sécurité constitue un contrecoup de l’accent mis sur le renforcement de la dissuasion et de la rivalité croissante avec les pays voisins. Depuis l’entrée en fonction de l’administration Abe en 2012, le Japon a en effet intensifié très activement ses efforts diplomatiques pour les contrer.

En revanche, le gouvernement japonais n’a pas encore la liberté de choisir s’il doit acquérir une capacité de riposte. Bien que la forme de cette capacité soit toujours en cours d’étude, sa constitutionnalité pourrait être remise en question, et sa mise en place pourrait augmenter les tensions avec la Chine et créer un dilemme de sécurité pour le Japon. Les différences entre les arsenaux des deux pays (nombre, capacité des missiles, déploiements), sont considérables, et la Chine dispose d’ogives nucléaires. De plus, le gouvernement n’a pas encore précisé les conditions dans lesquelles une contre-attaque serait menée, suscitant ainsi la méfiance de la part de l’opinion publique. Bien que la majorité de l’opinion soit désormais favorable à l’acquisition de cette capacité[7], elle s’oppose à une augmentation des impôts pour financer cela[8]. Le cabinet Kishida s’est engagé à atteindre le ratio de 2 % du PIB requis par les normes de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) au cours des cinq prochaines années, en augmentant les taxes sur les entreprises et le tabac, ainsi qu’en introduisant un impôt spécial sur le revenu pour la reconstruction des zones touchées par le tremblement de terre de 2011 dans l’est du Japon. En résumé, l’opinion publique souhaite plus de sécurité avec moins de dépenses.

L’opinion publique japonaise reste largement en faveur du pacifisme, ou plus exactement sa lassitude contre le militarisme, à la suite de la défaite de la Seconde Guerre mondiale. Mais le regret unique du Japon se résume à avoir défié l’ordre international de l’époque, qui lui entrainait à une défaite colossale. Cependant, contrairement à l’Allemagne, ce regret ne portait pas sur ses régimes militaristes ou autoritaires, voire fascistes. Par conséquent, son statut international et ses relations avec les États-Unis suscitent une grande obsession et une contrainte : la paix sera établie dans l’ordre existant, dont les États-Unis sont le garant. Au moins dans la période d’après-guerre, c’est cette complexité, voire cette antinomie des représentations japonaises, qui orienta tout le débat sur la sécurité du pays.

Le politologue Shirai Satoshi a brillamment illustré cette complexité dans son essai intitulé La défaite permanente (Eîzoku Haïsenron). Le Japon a toujours nié la défaite et substitué le mot « défaite » (haîsen) par « fin de la guerre » (shûsen), comme lors des émissions de radio annonçant l’acceptation de la déclaration de Potsdam par l’Empereur (Shirai 2013). La continuité du régime (c’est-à-dire le maintien de l’empereur) a protégé les anciens membres de l’élite japonaise, tels que l’ancien criminel de guerre Kishi Nobusuke, qui fut promu Premier ministre en 1958 sous le gouvernement conservateur Libéral-démocrate (PLD). La conservation du pouvoir et le soutien des États-Unis au camp conservateur japonais reflètent la nécessité pour l’archipel de demeurer une tête de pont contre le communisme en Asie. D’où découle le double langage, ou la dualité de la droite conservatrice japonaise qui est ainsi emprisonnée dans une logique de souverainisme doublée d’un pro-américanisme[9]. Cette attitude se reflète également dans les relations fructueuses du Japon avec les pays voisins. Dépendant des États-Unis, le Japon n’a pas eu, encore une fois en contraste avec le pays comme l’Allemagne, d’incitation à développer ses relations avec des pays qu’il avait autrefois agressés, tels la Chine et la Corée. Car le statut de partenaire stratégique des États-Unis garantissait la position du Japon dans le monde.

Pour être plus précis, la stabilité fragile du Japon était maintenue par l’existence de l’article 9 de sa Constitution, qui stipule que le pays renonce à la guerre en tant que droit (premier alinéa) et ne détiendra pas de force militaire (deuxième alinéa). Cependant, cet article a été et est toujours l’une des fractures les plus violentes de la politique japonaise (Smith 2019)[10]. les plus violentes de la politique japonaise (Smith 2019)[2]. Le PLD au pouvoir a préconisé de modifier ce point, ainsi que d’autres dispositions de la Constitution, dans sa proposition faite en 2012. Certains partis d’opposition, farouchement opposés à tout changement, en particulier le Parti communiste, remportent encore plus de 10 % des voix lors des élections nationales. D’autres forces politiques, y compris le principal parti de l’opposition, le Parti constitutionnel démocratique du Japon, sont également tièdes à l’égard de toute révision. La politique de sécurité du Japon est caractérisée par le fait que le centre de gravité du débat est invariablement placé sur la Constitution et son éventuel amendement.

Retournons maintenant à l’origine du propos : il faudrait noter que c’est bien cet article 9 qui a permis au PLD d’éviter les demandes de contribution militaire des États-Unis. C’est bien le cas du principe de non-exportation d’armes, confirmé par le Premier ministre Sato avant la déclaration conjointe avec le président Nixon en 1969 qui a entériné le retour de l’île d‘Okinawa encore occupée et administrée par les États-Unis à l’époque. C’était aussi le cas pendant la guerre du Golfe de 1990 et la guerre de l’Irak : le Japon a rejeté toute contribution militaire à la guerre du Golfe et a déployé les forces d’autodéfense seulement dans des zones sans combat lors de la guerre en Irak. En rétrospective, cette posture repose sur la décision du Cabinet de 1972, selon laquelle l’autodéfense collective n’était pas possible en raison de cet article 9.

Par ce fait, l’historien Sakaî Tetsuya a avancé la thèse du « régime de sécurité de l’article 9 ». Cette thèse met en lumière qu’il y avait une complicité entre l’article 9 et l’alliance militaire nippo-américaine -(Traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon, traité renégocié et signé en 1960). Cette alliance a permis au Japon d’utiliser l’article 9 comme un mécanisme de sécurité – en créant les conditions de sa dépendance envers la protection américaine – tout en limitant ses dépenses militaires sous l’hégémonie américaine (Sakaî 1991). Plus important encore, cet arrangement a maintenu un équilibre stable dans la politique intérieure japonaise. Les conservateurs ont pu maintenir des liens militaires avec les États-Unis tout en respectant l’article 9 de la Constitution, auquel la population japonaise était profondément attachée. De l’autre côté de l’échiquier politique, l’alliance a permis au Japon de ne pas succomber au militarisme. Il serait erroné et contre-productif d’affirmer que la paix de cette période a été obtenue seulement grâce à l’alliance militaire avec Washington et à l’article 9 ; c’est plutôt le contexte de la guerre froide qui a favorisé cet état de fait. Cependant, les Japonais ont préféré maintenir cet équilibre, souvent en conjonction avec une forte expansion économique. Comme explique le politologue Nakanishi Hiroshi, la politique de sécurité japonaise s’articulait autour de l’implication des États-Unis, de la souveraineté japonaise et la confirmation du pacifisme, tout en préservant un juste équilibre entre ses trois éléments fondateurs (Nakanishi 2014).

On attribue banalement au nom de Yoshida Shigeru, Premier Ministre entre 1948 et 1954, cette ligne politique dite « Doctrine de Yoshida » qui a favorisé une militarisation modérée ainsi qu’une croissance économique solide en s’alliant avec les États-Unis. Cependant, cette doctrine n’a jamais été explicitement formulée par les gouvernements suivants et ne peut être attribuée à une seule personne. Elle était plutôt le résultat d’un compromis politique influencé par les conditions internationales et nationales (Hoshiro 2022).

En résumé, la diplomatie japonaise de l’après-guerre a évolué en fonction de la stratégie américaine et de la présence nationale et régionale, avec des tensions internes propre au Japon[11]. Notons aussi que le réarmement du Japon n’avait pas suscité l’enthousiasme des pays voisins. En 1951, le président américain Harry S. Truman et son secrétaire d’État John Foster Dulles ont proposé le Traité du Pacifique, une version régionale du Traité de l’OTAN régionale. Toutefois, les Australiens, les Néo-Zélandais et les Philippins s’y sont opposés, craignant un réarmement du Japon. Par conséquent, les Américains n’ont pas eu le choix que d’entrainer le Japon dans la voix d’un accord de défense mutuelle, qui était en phase avec la stratégie japonaise de l’époque (Kondo 2005).

Les choses ont changé alors que l’influence américaine diminuait progressivement. Tout s’est déroulé en trois phases. Au début des années 1980, le Groupe d’Etude sur la Sécurité Générale a conseillé le PM Ohira en soulignant que l’hégémonie américaine avait atteint ses limites et que la doctrine Yoshida devait être révisée afin de renforcer la coopération en matière de sécurité et les capacités militaires du pays. En même temps, les « Premières lignes directrices en matière de défense entre les États-Unis et le Japon » ont été adoptées en 1978, affirmant leur soutien mutuel en cas d’agression militaire et leur engagement à mener des opérations conjointes en dehors du Japon. Tout cela s’est déroulé dans le contexte de la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS, qui s’est intensifiée à l’époque. Ce n’est que sous l’administration Nakasone, après 1982, lorsque la guerre froide s’est durcie, que le Japon a clairement affirmé son appartenance au camp occidental.

Le réalignement des forces est devenu inévitable à la fin de la guerre froide, et une nouvelle directive, les « Nouvelles lignes directrices Japon-États-Unis », a vu le jour en 1997. Cette directive contient plus de 40 éléments relatifs à la coopération entre les deux forces, incluant notamment des exercices militaires conjoints et le soutien logistique et matériel par la force japonaise. La directive fait également naitre en 1999 la « Loi sur les mesures en cas de situations environnantes », qui engage le Japon dans une perspective plus globale. Cette nouvelle approche, appelée la « mondialisation de l’alliance », a été en partie motivée par la crise nucléaire nord-coréenne et soutenue par les dirigeants japonais.

Enfin, la troisième étape arrive comme nous le mentionnions ci-dessus, en 2015, quand la Loi modifiant la partie de la loi sur les Forces d’autodéfense a été adopté à l’encontre de l’opinion publique[12]. En effet, cette loi englobant les 10 lois relatives aux questions de défense, élargissait considérablement les capacités militaires du Japon. La loi repose sur six piliers : la fourniture d’équipements et d’autres fournitures à l’armée américaine, le déploiement des Forces Autodéfenses hors du territoire japonais, le renforcement des opérations de sécurité intérieure, la coopération militaire accrue avec les États-Unis, l’autorisation d’utiliser des armes dans le cadre des opérations de maintien de la paix de l’ONU, et la participation permanente aux opérations de maintien de la paix organisées par la communauté internationale. Le quatrième pilier était un changement majeur, car il permettait le droit à l’autodéfense collective, autorisant ainsi les forces japonaises à engager au côté des forces américaines attaquées, avant qu’elle même soient attaquées. Cependant, l’exercice de ce droit est limité aux situations où « l’existence de l’État est menacée et où il y a un danger évident que le droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur soit fondamentalement renversé » (article 2). Donc il n’implique pas un déclenchement automatique quand les É-U seraient en état de guerre. Tout de même, cette évolution majeure dans la politique de défense japonaise (il faut se souvenir qu’en 1970, le Livre Blanc de la Défense notait que « l’objet principal de notre capacite de défense est exclusivement défensive ») est le résultat de la montée des tensions sino-américaines et de l’affaiblissement de la stabilité régionale, faisant du Japon l’un des partenaires stratégiques des États-Unis, aux côtés des Philippines, de l’Australie et de la Corée du Sud, ayant affirmé des droits de défense mutuelle plus d’un demi-siècle plus tard.

Kumao Nishimura, ancien directeur général du Bureau des traités du ministère des Affaires étrangères dans les années 1950, avait formulé l’alliance américano-japonaise de l’époque comme une « coopération en matière de personnes et de biens ». Cela signifiait que les États-Unis fournissaient ses soldats et le Japon les bases militaires (Chijiiwa 2022). Cependant, la nouvelle loi transforme la nature de l’alliance en corrigeant la nature unilatérale du traité. Désormais, elle devient une coopération en « matière de personnes et des personnes ».

De par sa nature même, la stratégie du Japon le pousse à devenir un acteur actif de l’ancrage de la présence américaine en Asie du Nord-Est en réintégrant ses forces au sein de la stratégie des États-Unis. Cette orientation pourrait s’avérer plus bénéfique, surtout après que l’administration Trump a pris l’alliance en otage et que le président américain a annoncé en 2019 qu’il était prêt à renégocier le traité en raison de déséquilibres préjudiciables à son pays (Ono 2021).

La révision du texte tripartite sous le cabinet Kishida, que nous avons vue plus haut, suit la même logique. En mai 2022, lors de la première visite du président Biden au Japon, le Premier ministre a annoncé son intention d’augmenter significativement le budget de la défense « avec le soutien ferme du président Biden ». L’engagement de poursuivre le renforcement des capacités militaires avait déjà été pris auprès du président.

Dans cette courte description des différentes étapes de la politique de sécurité du Japon, il est clair que les paramètres de la diplomatie japonaise se sont articulés autour d’un point central : la crainte d’être impliqué dans une guerre aux côtés des États-Unis et, en même temps, d’être abandonné par l’ancien occupant. Michael Green, ancien directeur du National Security Council américain pour l’Asie, résume la situation en soulignant que, depuis Thucydide, les théoriciens des relations internationales ont mis en évidence le dilemme auquel un petit pays allié à une grande puissance est confronté : mordre à l’hameçon ou être abandonné. Il précise que ce dilemme est particulièrement aigu pour le Japon, qui a formalisé son asymétrie politique et militaire avec les États-Unis à travers sa Constitution et les normes et institutions pacifistes qui en découlent (Green 2000 : 243). De telles réactions sont plus ou moins courantes lorsque les deux alliés diffèrent en taille et en poids, comme c’est le cas dans les relations entre d’autres pays asiatiques et les États-Unis. Toutefois, dans le cas Japonais, la réaction contrastée, pour ne pas dire schizophrénique, vis-à-vis de la stratégie américaine a été partagée par les élites politiques et les acteurs de la société civile qui permettait au Japon de demeurer dans cet équilibre. Le pacifisme était cher aux Japonais de l’après-guerre, ils divergeaient seulement quant aux moyens et à la logique à utiliser pour l’obtenir. Le désaccord portait sur la question de savoir si le moyen était la présence des États-Unis ou la Constitution. Le magazine américain The Times a publié une longue interview du PM Kishida en mai 2023, dans laquelle il déclare qu’il essaie de construire une force militaire digne de la troisième économie mondiale (Campbell 2023). Comme ci, le Zeitenwende japonais semble chercher à surmonter l’alternative entre l’implication et l’abondon de la part des Américains, en adoptant une position plus proactive, prenant le relais des politiques suivies précédemment. Le résultat de cette transformation majeure de la posture japonaise pourrait être d’impliquer davantage les États-Unis et de maintenir leur hégémonie dans la région, notamment en adoptant une position agressive à l’égard de la Chine. Si les États-Unis se sentent contraints et souhaitent se désengager, la version japonaise de la Zeitenwende mérite son nom. Le Japon devient alors une variable indépendante, et non dépendante de la stratégie américaine.

Enfin, la vision de la politique de sécurité du Japon, axée sur la FOIP, est considérée comme étant à la fois le fondement des principes directeurs de la diplomatie japonaise et de sa Stratégie de sécurité nationale. Cette vision pourrait être perçue comme un moyen d’atténuer les tensions entre les objectifs de sécurité militaire et le droit constitutionnel. Les idéaux défendus par cette stratégie, comme la liberté, la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit, sont également ancrés dans la Constitution japonaise. Ainsi, en alliant un esprit libéral international et national, le Japon cherche à surmonter le dilemme qui l’a toujours tourmenté. Si cette approche réussit, elle pourrait conduire à la création de normes universelles propres au Japon. Pour l’heure, cette idée fragile est en cours de réalisation. Si elle s’épanouit, le Zeitenwende, entrepris depuis la fin de la guerre, sera enfin accompli.

Toru YOSHIDA

Références

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[1] Pour les détails, lire Koshino 2022.

[2] Terme attribué par Eickhenberry 2006.

[3] Le système Aegis est un système avancé de commandement et de contrôle qui utilise de puissants ordinateurs et radars pour suivre et guider les armes d’interception afin de détruire de multiples cibles aériennes ennemies.

[4] A savoir que la doctrine du FOIP se situe ainsi dans le prolongement de la stratégie globale du Japon exprimée en 2012 sous le concept de « l’Arc de de la Liberté de de la Prospérité » dans le premier gouvernement Abe (2006-2007).

[5] Pour plus de précision, se reporter à Koga 2020.

[6] En mars 2022, à part ses un soutien financier et la livraison des biens à des fins humanitaires, le gouvernement a décidé de le soutenir Kiev en exportant 1 900 gilets pare-balle et 6 900 casques. Pour l’instant, l’opinion publique est majoritairement favorable majoritairement à un soutien en faveur de l’Ukraine (66%), bien qu’elles soient massivement défavorables pour à une assistance militaire (76%). Enquête Nikkei, 24-26 février 2023.

[7] 56% d’opinions favorable, enquête Asahi le 17-18 décembre 2022.

[8] 51% d’opinions défavorable, enquête Asahi le 18-19 février 2023.

[9] Ce qui a été l’une des traits du premier gouvernement Abe en 2006, lorsque ; ou le PM premier ministre prônait « la sortie du régime d’après-guerre » tout en prônant une posture pro-américaine.

[10] A noté que dans les années 1950, les différentes opinions d’enquête montrent que les Japonais étaient plutôt favorables pour à une modification de leur constitution, y compris de l’article 9. Voir Sakaiya 2017.

[11] La plus grande illustration entre autres, et la création du Corps de Réserve de la Police Japonaise (R.P.J) dont qui fut l’organisation prédécesseur précédent les Forces de l’Autodéfense en 1950, issue découlant de la demande par du général et gouverneur militaire Douglas MacArthur, afin d’appuyer e supplémenter les armées américaines déployées en Corée pendant la guerre (1950-1953).

[12] Cette loi très controversée avait suscité des manifestations dans le pays d’une ampleur sans précédents depuis les années 60, en mobilisant plus de 1 millions de manifestants. Pour le contenue de la loi, à lire Oros 2017.

[1] A savoir que le FOIP se situe dans le prolongement de la stratégie globale du Japon exprime en 2012 entant que « l’Arc de de la Liberté de de la Prospérité » sous le premier gouvernement Abe.

[2] A noter que dans les années 50, les différentes opinions d’enquête montre que les Japonais étaient plutôt favorables pour une modification de leur constitution, y compris l’Article 9. Voir Sakaiya 2017.

Les actions états-uniennes sur l’espace mondial entre 2018 et 2022 : une réaffirmation du leadership américain ?

RG v8n1, 2022

François Xavier Noah Edzimbi

Noah Edzimbi détient un Ph.D en Science Politique et est CEO du Cabinet Lucem Global Consulting S.A.R.L. xnoah@gmail.com

 Résumé

Avec la fin de la bipolarité, les États-Unis furent le principal acteur d’un  « nouvel ordre mondial » énoncé à la fin de la guerre du Golfe, en mars 1991. Toutefois, avec les attentats du World Trade Center en 2001, l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) la même année, la crise financière de 2008 et la pandémie à Coronavirus depuis 2019, l’« occidentalisation » du monde, de même que le leadership américain, sont remis en cause par d’autres acteurs internationaux. Avec une approche géopolitique, l’étude montre comment les Américains s’efforcent à conserver le statut de puissance mondiale.

Mots clés : actions, États-Unis, réaffirmation, bipolarité, leadership

Summary

With the end of Cold War, The United States of America were the main actor of « new world order », such as former president George Bush said in march 1991, in the end of the Gulf conflict. However, with World Trade Center’s attacks in 2001, China integration in the World Trade Organization (WTO) the same year, financial crisis of 2008 and the Coronavirus pandemic since 2019, the « World Westernization » as well as american leadership and challenged by other international actors. With a geopolitical approach, this study shows how Americans strive to maintain status of international power.

Keywords : actions, United Stated of America, reaffirmation, Cold War, leadership.

Introduction

Il y a trente ans régnait une euphorie dans les milieux stratégiques occidentaux, l’Amérique étant au centre du monde et devenant, de facto, « l’empire du Milieu » (Mélandri et Vaïsse, 2001). Les années qui suivirent la fin de la Guerre froide furent alors celles d’une glorification des valeurs occidentales, qui se confondaient avec le processus de mondialisation (Courmont, 2021). Toutefois, ayant abusé de leur avantage et développé une vision de l’unipolarité teintée d’unilatéralisme, les États-Unis ont suscité des résistances à un ordre mondial qui leur était favorable. Dans le même temps, l’affirmation progressive de la puissance chinoise a associé au rattrapage économique et politique une nouvelle vision des équilibres internationaux (Boniface, 2021). Dès lors, ce n’est pas d’un point de vue factuel que le rattrapage de Pékin doit être appréhendé, mais dans sa capacité à imposer une nouvelle grammaire des relations internationales et à remettre en question le leadership américain (Courmont, op. cit.).

De cette réalité, les acteurs mondiaux font davantage face aujourd’hui à des incertitudes que de certitudes, mais surtout à des préoccupations immédiates et des ambitions souvent fort éloignées les unes des autres. Pour des raisons multiples, il n’existe plus de modèle convaincant de la mondialisation, mais une diversité de visions et d’aspirations, qui emmène certains penseurs à affirmer que les relations internationales traversent un nouveau « moment machiavélien », c’est-à-dire un « grand désenchantement » et une « indétermination des temps » (Gomart, 2019). Car, bien que la mondialisation ait modifié la répartition de la richesse, elle n’a nullement effacé les rapports de puissance et encourage-t-elle, parallèlement, de nouvelles formes de prédation. Aussi apparaît une nouvelle hiérarchisation du monde, qui fait perdre aux Européens leurs repères habituels et aux Américains le leadership mondial pour les rendre, entre autres, plus vulnérables (Boucheron, 2017).

L’accélération des trajectoires liées à la pandémie de covid-19 rappelle la résistance des États face aux forces économiques, technologiques et idéologiques actives dans la transgression des limites. La Chine affirme donc, pour sa part, qu’elle n’accepte plus les « donneurs de leçons » de l’Occident sur les droits humains, et répond agressivement à toutes les critiques, notamment sur l’origine et la gestion de la pandémie à coronavirus, ainsi que sur Hong-Kong, le Tibet, Taïwan et le Xinjiang (Grosser, 2021). Partant de ce contexte, qui leur est défavorable selon certains néoconservateurs, en ce début du XXIè siècle dans l’espace mondial, les États-Unis, « seule nation indispensable » durant les trente dernières années (Boniface, op. cit.), trouvent capital de ne pas « perdre la face » (Charon et Jeangène Vilmer, 2021). Ainsi usent-ils de diverses stratégies dans la guerre au leadership qui les opposent avec les Chinois[1], de même qu’avec leurs « alliés européens », pour préserver les intérêts nationaux et avoir le dernier mot sur la scène internationale.

La « soviétisation[2]» de Pékin et la nécessaire réduction des conséquences dudit processus pour Washington sur l’espace mondial.

Pendant longtemps, des observateurs de la Chine, ceux situés à Taïwan et Hong Kong ainsi que les services de renseignement d’un certain nombre de pays occidentaux, ont alerté sur l’ambition hégémonique et révisionniste du Parti communiste chinois (PCC). Ils n’ont pas été pris au sérieux par la plupart des décideurs, victimes à la fois d’une forme de naïveté face à la thèse chinoise de « l’émergence pacifique », et d’un excès de confiance quant à la supériorité morale du modèle démocratique : à force de s’ouvrir au monde, pensait-on, de s’intégrer économiquement, le PCC finirait par se « normaliser », c’est-à-dire se libéraliser politiquement (Charon et Jeangène Vilmer, op. cit.). Or, Pékin n’a pas renoncé à séduire, à son attractivité ni à son ambition de façonner les normes internationales. Plutôt, il assume de plus en plus d’infiltrer et de contraindre : ses opérations d’influence se sont considérablement durcies ces dernières années et ses méthodes ressemblent de plus en plus à celles employées par Moscou. C’est un « moment machiavélien » au sens où Pékin semble désormais estimer qu’ « il est plus sûr d’être craint que d’être aimé », correspondant à une « soviétisation » de ses opérations d’influence (Nouzille, 2020). Cette « soviétisation » s’appesantie sur la doctrine des « Trois guerres » formulée en 2003. Elle se compose de la guerre psychologique (心理战), de la guerre de l’opinion publique (舆论战) et de la guerre du droit (法律战). Ces trois dimensions visent respectivement à influencer les décisions de l’adversaire, à modeler son opinion publique et à forger un environnement normatif favorable à la Chine (Parton, 2019).

La guerre du droit chinois, qui fait écho aux débats occidentaux sur le lawfare, fait référence à un usage orienté de la norme juridique. C’est l’un des moyens de la guerre non cinétique, permettant d’influencer le comportement d’un acteur dans un but stratégique. Il s’agit moins d’une « guerre » de nature juridique que d’un affrontement de discours. L’enjeu est de montrer que le droit est de son côté, quel que soit ce droit, international ou national, même si cela signifie instrumentaliser la justice à des fins politiques (Patranobis, 2017). Les représentants chinois sont incités à repérer et exploiter autant que possible les dispositions juridiques en faveur des intérêts chinois, ignorer celles qui vont à l’encontre de ces derniers, et soutenir une interprétation du droit international qui leur est favorable même si celle-ci diffère de l’interprétation générale (Fernandez, 2019). Les exemples les plus cités sur Pékin sont ses actions en faveur d’une interprétation révisionniste du droit de la mer pour servir ses intérêts en mer de Chine du Sud et interdire l’accès de la zone, notamment aux États-Unis. L’origine du problème est la demande, par les Philippines, d’une clarification juridique et définitionnelle de la « ligne en neuf traits ». En réaction à cette proposition philippine, à la convention des Nations unies sur le droit de la mer, le Parti-État oppose des « droits historiques ». Il ne reconnaît pas le jugement de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye qui estimait en 2016 que la « ligne en neuf  traits » n’avait « aucun fondement juridique ». Dès lors, il s’observe, entre autres, une promotion de discours négatifs extérieurs sur ladite polémique par les autorités chinoises, car Pékin tente de « manipuler des conversations même sur des sujets non directement liés à la mer de Chine du Sud » (Cook, 2020). Pékin estime désormais nécessaire « non seulement de défendre publiquement son propre système juridique, mais de lancer une critique ouverte de la “démocratie occidentale” par l’intermédiaire de leurs fonctionnaires et de sa machine propagandiste plutôt que de restreindre ce langage » (Mazarr, 2020).

Concrètement, Pékin « cherche à tirer parti de son pouvoir militaire croissant pour contraindre les États côtiers de la mer de Chine du Sud à renoncer à exercer leurs droits légitimes garantis par la Convention de l’Organisation des Nations-Unies (ONU), à savoir exploiter les ressources situées dans leur zone économique exclusive », explique Collin Koh de RSIS-Singapour (Guibert, 2021). Et, pour ce faire, la Chine multiplie des incidents, avec ses flottes civiles, dont les garde-côtes et des milices (De Tréglodé et Frécon, 2020) dans l’objectif de promouvoir et d’aboutir à une politique révisionniste des accords maritimes internationaux (Erickson et Martinson, 2019). C’est cette politique du fait accompli qui fait de la Chine « un État révisionniste du droit maritime international » (Guibert, op. cit.).

Un autre exemple est la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong adoptée par Pékin le 30 juin 2020 et particulièrement l’extraterritorialité de son article 38, qui criminalise les violations de la loi commises par n’importe qui, n’importe où dans le monde. En effet, la loi de la sécurité nationale de Hong Kong est passé par Pékin, s’impose au peuple hongkongais et sa juridiction est élargi volontairement afin d’interdire les critiques à l’extérieur du pays. Les premiers à être inquiétés sont alors les Hongkongais se trouvant temporairement à l’étranger, en particulier les milliers d’étudiants qui, sur les campus australiens, américains, canadiens ou européens, ont manifesté leur soutien aux militants pro-démocratie, ainsi que tous ceux qui l’ont fait sur les médias sociaux, et qui hésitent à rentrer chez eux au cas où cette loi serait rétroactivement invoquée par les autorités pour les poursuivre (Gueorguiev, Lü, Ratigan, Rithmire et Truex, 2020). Certaines universités, comme Dartmouth College aux États-Unis et l’université d’Oxford au Royaume-Uni, ont par ricochet pris certaines mesures : les étudiants chinois peuvent ne pas suivre certaines classes et peuvent rendre leurs travaux de façon anonyme, ce qui limite les risques de dénonciation (Mullins, 2020). Après la loi est entrée en vigueur, les États-Unis et leurs alliés comme le Canada et l’Australie ont créé des programmes spécialement pour attirer les Hongkongais à immigrer dans leurs pays, des initiatives qui sont considérées comme une lutte entre la Chine et le monde occidental.

Cet instrument juridique pékinois s’assimile au fondement de la puissance américaine qu’est son droit. En effet, toute transaction en dollars ou impliquant un ressortissant américain peut faire l’objet d’une poursuite par la justice américaine. Bien que des institutions financières étrangères soient au courant des risques qui pourraient s’imposer à elles dans un cas de non-respect de la juridiction états-unienne, l’amende de 9 milliards de dollars infligée à BNP Paribas en 2014 est devenue l’exemple emblématique du prélèvement subi par des entreprises étrangères provenant des pays « alliés » (environ 200 milliards de dollars depuis 2008) au bénéfice des finances publiques américaines (Gomart, op. cit.). Racket pour les uns, lutte anticorruption pour les autres, l’étendue de la législation américaine est devenue une question éminemment politique, qui altère la nature des relations transatlantiques. À travers leur Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) de 1977, et la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales adoptée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 1997, les États-Unis ont imposé leur modèle de lutte anticorruption. Les sanctions économiques s’inscrivent dans une diplomatie coercitive tandis que les Américains considèrent que leur conception du droit, en raison de ses principes fondateurs comme de la réalité des affaires, a une valeur supérieure aux législations nationales et au droit international. Point essentiel : l’utilisation délibérée de certains pans extraterritoriaux de leur législation justifie une forte mobilisation de leurs administrations, y compris des services de renseignements (Lellouch et Berger, 2016). La puissance de ce dispositif permet aussi bien de ponctionner directement des entreprises étrangères que de les écarter d’un marché au profit de leurs concurrents américains.

Depuis l’entrée de la Chine à l’OMC, l’importante hausse des exportations chinoises suscite d’intenses polémiques sur la chute de l’emploi industriel américain, la manipulation du yuan, le respect des droits de propriété intellectuelle, les barrières non-tarifaires ou les subventions généreuses accordées à l’industrie chinoise (Velut, 2021). Les présidents George Walker Bush et Barack Hussein Obama ont chacun opté pour concilier endiguement et main tendue, selon la doctrine du « con-gagement »[3] en utilisant différents instruments politiques sans pouvoir véritablement freiner la montée en puissance de la Chine. C’est la Stratégie de sécurité nationale (National Security Strategy) de 2017 qui formalise le nouveau rapport de force en définissant la Chine comme « [un défi] à la puissance, à l’influence et aux intérêts américains, cherchant à éroder la sécurité et la prospérité des États-Unis » (The White House, 2017). Comme conséquence, dès janvier 2018 à fin 2019, Washington rompit avec plus de deux décennies de libéralisation compétitive pour lancer une offensive protectionniste à l’encontre de la Chine. Les États-Unis déploient depuis lors un arsenal de mesures de rétorsion (sections 201, 301, 232) pour imposer sept vagues successives de sanctions commerciales qui, cumulées, touchent les deux tiers des importations chinoises, soit près de 360 milliards de dollars. Le niveau moyen des tarifs douaniers américains imposé à la Chine passa de 3,1 % à 21,2 % en 2019, et impulsa un électrochoc à l’économie chinoise et aux chaînes de valeurs mondiales (Velut, op. cit.).

L’accord économique et commercial entre les États-Unis et la Chine repose dès lors sur quatre piliers : 1) la désescalade de la guerre commerciale via la réduction d’une partie des sanctions douanières (déjà imposées et sur le point d’être appliquées) par chacune des parties ; 2) les promesses d’augmentation des importations de Produits agricoles, industriels et de services américains par la Chine ; 3) l’imposition de disciplines réglementaires à la Chine en matière de protection de la propriété intellectuelle, de transferts technologiques, de politique de taux de change et pour l’imposition de barrières non-tarifaires dans de nombreux secteurs comme l’agriculture ou les services financiers ; 4) la création d’un système de règlement de différends qui établit un dialogue bilatéral et prévoit, en cas de litige, l’application de mesures proportionnées à la discrétion des parties. Bien que la Chine réplique promptement en relevant ses tarifs douaniers de 8 à 21,8 %, visant surtout l’agriculture américaine, la mesure américaine vise à placer Washington en position de force avant toute négociation commerciale avec Pékin. Elle a pour objectif de défendre l’industrie américaine contre la concurrence chinoise dite déloyale. La pandémie de covid-19 renforce cette volonté de restaurer la souveraineté nationale américaine. Ainsi, le 27 avril 2020, Robert Lighthizer[4] déclarait : « la crise de la pandémie de la Covid et la reprise économique démontrent qu’aujourd’hui plus que jamais, les États-Unis devraient s’efforcer d’accroître leurs capacités de production industrielle et leurs investissements en Amérique du Nord » (Kesselman, 2020). Dès lors, le fait que l’administration Biden maintienne une grande partie des tarifs douaniers mis en œuvre sous l’administration Trump, bien que coûteux pour un grand nombre de secteurs de l’industrie et de la distribution, permet aux États-Unis de conserver un certain avantage pour la suite des négociations et préserver la place d’hégémon dans la conception, la structuration, la mise en œuvre et l’exécution des normes juridiques internationales. Le fait qu’à ce jour, le président Joe Biden ne se soit pas empressé d’éliminer les sanctions douanières à l’encontre de la Chine sans obtenir de nouvelles concessions revient à légitimer de fait le durcissement de la diplomatie économique américaine et l’accord de phase 1 (Velut, op. cit.) sur l’ensemble d’accords signés avec Pékin.

Les leçons du « protectionnisme trumpien » (ibid.) sont aussi perceptibles dans la trajectoire prise par les États-Unis sur certains dossiers internationaux, présentée comme arbitraire et déloyale par leurs alliés Européens.

L’alliance AUKUS: une adaptation des relations transatlantiques aux nouvelles priorités américaines.

La création de l’alliance AUKUS entre les États-Unis, l’Australie et la Grande-Bretagne est révélatrice d’une tendance qui façonne la politique étrangère américaine et redéfinit la relation transatlantique. Les États-Unis affirment en effet vouloir se « recentrer » sur le cœur de leurs priorités stratégiques au premier chef desquelles, la guerre commerciale et d’influence globale avec la République populaire de Chine (RPC) (De Hoop Scheffer et Quencez, 2021). L’annonce de l’initiative AUKUS, cristallisant avec la rupture d’un contrat majeur entre la France et l’Australie portant sur la fourniture de 12 sous-marins à propulsion classique et conduisant à un renversement d’alliance, est une des meilleures illustrations de ce pragmatisme géopolitique contemporain (Drouhaud, 2022). Le président Joe Biden accélère le « pivot vers l’Asie » entamé par ses deux prédécesseurs et veut montrer qu’il va encore plus loin. Si les administrations Obama et Trump avaient également défini l’Indopacifique comme la région où se jouerait l’avenir des États-Unis au XXIè siècle, l’investissement politique de l’administration Biden est d’une autre ampleur. Plus structurée, plus stratégique, elle fait surtout preuve d’une détermination plus forte pour mettre en œuvre les mesures nécessaires afin de rééquilibrer les ressources diplomatiques, économiques et militaires américaines dans la compétition avec la Chine (Tankersley, 2021). La création d’AUKUS constitue donc le second exemple de la mise en œuvre concrète du « pivot ». Il révèle également le risque, pour les Européens, d’être les dommages collatéraux de décisions qui les impliquent directement sans pourtant y être associés.

En effet, ce qui avait débuté durant l’administration Obama est plus visible aujourd’hui, et Washington met régulièrement les partenaires européens devant le fait accompli. L’absence de consultation transatlantique est une critique récurrente, qu’elle provienne de Varsovie dans le cas de Nordstream 2, de Berlin et de Londres pour le retrait d’Afghanistan, ou encore de Paris pour la création d’AUKUS. Pour l’administration Biden, l’Union européenne (UE) reste trop prudente et trop lente à réagir face à la compétition chinoise (De Hoop Scheffer et Quencez, op. cit.). La réaction du conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, à la signature de l’accord UE-Chine sur les investissements, en décembre 2020, illustrait déjà les frustrations américaines. Si l’UE est ouverte à une coopération plus approfondie avec les États-Unis sur la Chine, notamment sur les questions liées au lien démocratie-technologie, la France et la plupart des capitales européennes privilégient toujours l’engagement multilatéral avec Pékin et veillent à ne pas devenir de simples instruments dans la compétition des États-Unis avec la Chine (Guitton, 2021). Dans ce contexte, Washington a tendance à privilégier la coopération avec Londres, dont l’alignement sur la question chinoise est plus clair (Nardelli, 2021). Malgré les doutes qui ont suivi le vote et la négociation du Brexit, c’est bien Boris Johnson qui fut le premier dirigeant européen à recevoir un appel du président Joe Biden, et la création d’AUKUS a largement confirmé l’importance de l’« anglosphère » aux yeux des États-Unis, alors même que l’UE publiait sa propre stratégie pour l’Indopacifique (Lherbette et D’Aboville, 2022).

Le « retour de l’Amérique » dans les alliances se fait de manière sélective et avec une nette préférence pour les coalitions ad hoc et flexibles, incluant ou excluant les Européens, au gré des sujets. Le traditionnel pragmatisme américain, résumé par la formule bien connue de Madeleine Albright, alors secrétaire d’État sous le président Clinton, « Multilateral when we can, unilateral when we must », persiste : les États-Unis favorisent le « multilatéralisme à la carte » par choix, alors que l’UE joue la « carte du multilatéralisme », par nécessité (De Hoop Scheffer et Quencez, op. cit.). Ce besoin inégal du multilatéralisme continue de créer des attentes déçues dans la relation transatlantique et se traduit par une « compartimentalisation » de la coopération transatlantique. La diplomatie transactionnelle des États-Unis persiste sous l’administration Biden qui instrumentalise les instances multilatérales pour faire avancer les intérêts américains (à l’aune de l’otanisation de la question chinoise), « troque » concessions américaines contre concessions européennes (adoption de la taxe minimale de 15 % sur les multinationales en échange du gel de la taxe digitale européenne ou suspension de la surtaxe américaine contre l’acier et l’aluminium européens en échange de l’alignement européen avec Washington contre les surcapacités chinoises) ou à court-circuiter ses partenaires lorsqu’ils ne s’alignent pas totalement sur ses positions (ibid.). Pour Washington, l’avenir de la coopération internationale réside dans les alliances transrégionales, en créant des interconnexions entre les alliances transatlantiques et transpacifiques. Le Sommet de l’Otan de juin 2022 à Madrid permettra pour l’administration Biden d’en faire la démonstration en insistant pour que les pays du QUAD y soient invités. La relation transatlantique est une alliance parmi d’autres pour Washington. L’UE est désormais perçue comme un levier face à Pékin. Le QUAD euro-atlantique que forment les États-Unis, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne a perdu de son influence au profit du QUAD transpacifique qui lie les États-Unis au Japon, à l’Inde et à l’Australie (Maître, 2022).

Le partenariat AUKUS est ainsi perçu par Washington comme une étape essentielle dans la constitution de coalitions transpacifiques pouvant répondre aux menaces posées par la Chine. Il est également, au-delà du contrat des sous-marins nucléaires en lui-même, un partenariat technologique incluant des coopérations dans le domaine de l’intelligence artificielle et du cyber, et un partenariat politique arrimant profondément la sécurité australienne à la défense américaine. Les gains d’AUKUS en Indopacifique ont donc effacé toute autre considération, dont les conséquences pour la France. En parallèle, la polarisation politique à Washington pousse le président Joe Biden à chercher des résultats rapides et concrets, parfois même au risque de limiter les consultations et les discussions avec les alliés les plus proches des États-Unis (Drouhaud, op. cit.). Si elles n’impliquent pas un retrait des États-Unis d’Europe, ces différentes dynamiques ont bien des conséquences directes pour la relation transatlantique. AUKUS confirme ainsi que les Européens sont progressivement relégués à une position secondaire dans la pensée stratégique américaine, et intégrés après-coup aux décisions les plus importantes. Le niveau d’investissement politique reste limité, malgré les annonces du début de mandat en faveur d’une coopération accrue entre États-Unis et UE. L’administration Biden attend également un certain niveau d’alignement de la part de ses alliés, et n’hésite pas à les mettre devant le fait accompli lorsque les intérêts américains et les priorités de politique intérieure sont en jeu (ibid.).

Conclusion

Le XXIè siècle est accompagné du retour de l’usage des attributs de la puissance, dès lors que les intérêts vitaux d’une Nation sont ou peuvent être menacés. Jusqu’à présent, le soft power et le hard power se distinguaient. Le premier tendait à gagner les cœurs, à provoquer une adhésion presque affective : l’aide au développement, le soutien à l’éducation, à la culture et l’accueil des étudiants, autant d’options correspondant à cette logique. Ce fut « l’Alliance pour le progrès » engagée par le président Kennedy à partir de 1961 (ibid.). Le hard power a constitué, quant à lui, un instrument d’influence dans une stratégie globale qui comprend l’usage de la force, le déploiement de militaires et des conflits directs. Ce hard power a désormais envahi toutes les sphères de l’action internationale, l’émergence du duopole sino-américain ayant donné le sentiment d’une accélération d’usage de la force pour éviter un gap stratégique, comme cela était le cas dans l’ancien rapport Est-Ouest (Charon et Jeangène Vilmer, op. cit.). Le drame du World Trade Center a symbolisé une remise en cause de la suprématie américaine. Le monde est aujourd’hui à la fois éclaté, peut être en voie d’« atomisation », avec une offre différente de nouvelles puissances régionales, doublée d’un renforcement de menaces, technologiques et numériques, qui vont conditionner les puissances de demain. De la force de l’innovation et de la course à l’Intelligence artificielle (IA) dépendront, en grande partie, les équilibres et conflits des prochaines années (Boniface, op. cit.). L’année 2021 constitue un tournant, sans doute ce que certains qualifient de « bascule du monde ». Le retrait américain en Afghanistan, accompagné de son lot d’images symboliques, introduit l’idée d’un repli que le président Joe Biden tend à présenter comme un repositionnement devant la réalité du monde (ibid.). Le chaos de l’aéroport de Kaboul, la reprise du pouvoir de la capitale par des taliban sûrs de leur force, la violence en Afrique de l’Ouest, le renversement d’alliance dans la zone Indopacifique, les provocations nord-coréennes, les inquiétudes sur la prolifération nucléaire et les avancées du programme iranien, rarement les relations internationales n’ont semblé autant en ébullition qu’en 2021. Plus que jamais, la rivalité sino-américaine apparaît comme le nouveau régulateur des relations internationales contemporaines en émergence et au sein desquelles la vigilance est de rigueur, tant les risques de dérapage sont réels. Aussi, les États-Unis mettent en œuvre différentes stratégies de puissance et d’influence pour préserver leur place d’hégémon et réaffirmer leur leadership mondial.

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[1] Un intérêt national se définit comme tout secteur, domaine ou richesse d’importance stratégique qui, en raison d’une quelconque menace ou attaque dont il ferait l’objet, conduirait un État à mobiliser des moyens conséquents de défense et de sécurité pour le protéger.

[2] À l’instar des Soviets, le Parti communiste chinois a une vision intégrée de la guerre politique et des relations avec l’étranger. Pour ce faire, les « mesures actives » font partie de sa routine et impliquent des acteurs nombreux et divers. Ainsi, l’on parle de « soviétisation » des opérations chinoises pour exprimer l’emprunt chinois aux tactiques soviétiques lors de différentes confrontations avec l’extérieur. Il s’agit des opérations informationnelles clandestines sur les réseaux sociaux occidentaux (Facebook, Twitter, YouTube), en utilisant des trolls, des faux comptes et des bots ; d’investir massivement, ouvertement et agressivement ces réseaux sociaux comme l’illustre notamment la « twitterisation » des diplomates dans le cadre de la diplomatie du « loup guerrier » ; partir d’un discours positif sur soi à un discours négatif sur l’autre ; ou encore s’ingérer dans des élections en Asie, en Australie et en Amérique du Nord.

[3] Le « con-gagement » est un mot valise combinant « containment » (endiguement) et « engagement » (main tendue).

[4] Robert Lighthizer est l’ancien représentant au commerce (United States Trade Representative, USTR) sous l’administration Trump, spécialiste du droit commercial international et vétéran des négociations commerciales depuis son poste de député USTR sous l’administration Reagan. Avec Peter Navarro, économiste antimondialiste, il est l’architecte de « l’Amérique d’abord », slogan politique du président Donald Trump, qui souhaite opérer un rapatriement (reshoring) des capacités productives aux États-Unis et un découplage des économies américaines et chinoises au bénéfice de l’emploi industriel américain.

COVID-19 et réalisme néoclassique : la Chine contre les États-Unis dans la course aux gains relatifs par l’instrumentalisation du soft power

 RG v7n3 (2021)

 

Yvonne Devaux

Yvonne Devaux est étudiante à la Maîtrise en Études Internationales de l’université Laval et porte un intérêt marqué pour la place qu’occupent les théories des relations internationales au sein des conflits entre pays.

yvonne.devaux.1@ulaval.ca

Résumé :

Depuis la constitution du monde unipolaire, au sein duquel le géant américain incarne le rôle d’hégémon, les administrations qui se sont succédées ont entendu préserver leur titre de leader à l’international. Mais depuis bien avant l’arrivée de la COVID-19, la flamme des États-Unis commençait à s’éteindre, notamment avec la montée en puissance d’une nouvelle rivale qui allait potentiellement la détrôner. S’alignant avec les théories réalistes des relations internationales, qui permettront d’analyser le comportement de la Chine à l’international, on remarque que cette dernière a bénéficié de la perte de gains relatifs de ses pairs pour promouvoir son soft power. En effet, les réponses des deux États face à la propagation rapide du virus met en lumière le degré d’efficacité de leurs stratégies nationales respectives en fonction du type de régime adopté. Une véritable guerre diplomatique sévit entre les deux puissances et révèle la perte d’influence du présupposé leadership américain, au profit d’un nouveau essential power.

Mots clés : rivalités, réalisme, soft-power, coronavirus

 

Summary :

Following the constitution of the unipolar world, in which the American giant embodies the role of hegemon, the successive administrations have intended to preserve their title of international leader. Long before the arrival of COVID-19, the flame of the United States began to suffocate, especially given the rise of a new rival that would potentially dethrone it. Aligning with realistic theories of international relations, which will allow analysis of China’s international behavior, we note that the latter has benefited from its peers’ loss of relative gains to promote its soft power. The states’ responses to the rapid spread of the virus highlight the degree of effectiveness of their respective national strategies depending on the type of regime they adopted. A real diplomatic war rages between the two powers and reveals the loss of influence of the presupposed American leadership, in favor of a new essential power.

Key words: rivalries, realism, soft power, coronavirus

 

Introduction

La fin de la guerre froide et la dissolution de l’Union des républiques socialistes soviétiques en 1991 ont entraîné un changement structurel du système international, passant d’une conception bipolaire à l’unipolarité, de pair avec l’hégémonie des États-Unis d’Amérique. Dès lors, les administrations américaines qui se sont succédées ont montré la puissance substantielle du pays en fournissant une assistance économique et militaire à l’étranger, avec l’idée centrale que la nation américaine soit dotée d’un destin divin expliqué par son exceptionnalisme. Les États-Unis seraient destinés à jouer un rôle unique et positif sur la scène mondiale. Cet exceptionnalisme se manifeste dans leur volonté de répandre leurs valeurs et d’intervenir à l’étranger pour ainsi résoudre les conflits et lutter contre le communisme pendant la guerre froide (Tyrell, 2016). Plus tard, les erreurs commises par les Américains au Moyen-Orient, suivies par la crise financière mondiale, ont signalé aux concurrents potentiels les limites de la puissance américaine. L’hégémonie américaine reposait sur l’absence de rivaux à l’étranger et d’autres conditions favorables qui ne sont pas réunies au sein du nouvel ordre. Aujourd’hui, le système international se dirige vers la multipolarité qui suppose l’émergence et le développement de nouvelles grandes puissances qui pourraient potentiellement entrer en compétition les unes contre les autres sur la scène internationale, de plus en plus en faisant l’usage de leur soft-power, par voies diplomatique, politique et même économique. En effet, les rivalités entre les puissances grandissent, il suffit de nommer par exemple la compétitivité économique croissante entre la Chine et l’Inde ou les relations conflictuelles des États-Unis avec la Russie et l’Amérique latine. L’exemple le plus flagrant de ce processus est celui de la Chine, première rivale des États-Unis. Aaron définit la multipolarité comme une configuration « au sein de laquelle l’équilibre est fonction de la rivalité entre plusieurs unités » (Battistella, 2015 : 138). Nous le verrons, cette définition est porteuse de similarités avec la théorie réaliste néoclassique des relations internationales, mise de l’avant par Gideon Rose dans son ouvrage Neoclassical Realism and Theories of Foreign Policy publié en 1998.

 

  1. Du hard-power au soft-power

Contrairement à l’époque de la guerre froide, la puissance ne se définit plus seulement en termes de hard power, c’est-à-dire la capacité d’un État à imposer aux autres acteurs internationaux ses intérêts par la force armée ou la coercition. L’article 2, paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies proscrit formellement aux États membres « de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies » (ONU, 1945). L’article 1 de ladite Charte insiste désormais sur la priorité donnée « aux des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix […] par des moyens pacifiques » (ONU, 1945). À ce sujet, Pannier ajoute que « les relations bilatérales constituent l’élément fondateur des relations internationales, ou, […] du jeu diplomatique » (Pannier, 2018). De cette affirmation découle l’explication que « toute négociation multilatérale […] requiert des pré-négociations et la constitution de coalitions qui se font au niveau bilatéral […] ainsi, la relation bilatérale s’avère toujours nécessaire […] comme une condition indispensable du monde multilatéral » (Pannier, 2018 ). De ce fait, dans un monde où le progrès socio-économique est signe et facteur de puissance, les États recourent davantage au pouvoir de la diplomatie par rapport à l’utilisation de la force, la qualité de la puissance tend de plus en plus vers l’avantage du soft power, un processus par lequel un État parvient à convaincre les autres de suivre ses intérêts par la séduction, la négociation et la mise en pratique de stratégie diplomatique publique. Les travaux de Carnes Lord renseignent sur les origines historiques du soft power dans le monde. En effet, « grâce à l’attirance de la civilisation [qu’il répandait devant lui] et au caractère relativement bénin de [sa] domination » (Lord, 2005 : 62) l’empire Romain avait déjà cette capacité à employer peu de ressources militaires pour étendre son emprise. De plus en plus, le soft power est un outil privilégié pour la Chine qui a « entrepris ces dernières années un effort majeur pour améliorer son image comme membre responsable de la communauté internationale » (Lord, 2005 : 62).

 

2. Théories réalistes : les rivalités compétitives sino-américaines

2.1. Un jeu à somme nulle

Pour le réaliste classique Morgenthau, les humains ont une nature agressive et se préoccupent davantage des gains relatifs que des gains absolus. Il explique que « la politique internationale, comme toute politique, est une lutte pour la puissance » (1948 : 13). Mearsheimer, autre tenant du courant réaliste, considère que les acteurs au sein de l’ordre mondial ont comme but ultime d’être l’hegemon du système (Battistella, 2015). Finalement, le courant réalisme néoclassique de Rose (1998) révèle l’importance d’intégrer les variables internes à l’État pour bien comprendre comment « la politique nationale [agit comme] une variable intermédiaire entre la répartition de la puissance et le comportement en politique extérieure » (Baylis et al., 2012 : 96). Pour Rose :

The neo-archetype is Thucydides’ history of the Peloponnesian War, which grounds its narrative in the theoretical proposition that the real cause of the war was the growth of the power of Athens, and the alarm which this inspired in Sparta […] instead of assuming that seek security, neoclassical realists assume that states respond to the uncertainties of international anarchy by seeking to control and shape their external environment (1998 : 152).

 

Dans un ordre multipolaire, la puissance relative établit les paramètres premiers des politiques étrangères des États et ces derniers tendent principalement à répondre aux menaces et aux incertitudes de l’anarchie internationale en reflétant et protégeant leurs intérêts nationaux sur la scène mondiale. L’émergence de la Chine sur la scène internationale est tout à fait comparable aux théories réalistes des relations internationales. Ce gain de puissance relative s’inscrit en parallèle avec la diminution de l’influence des États-Unis : la perte de l’un est le gain de l’autre. C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre le comportement de la Chine envers les États-Unis, et vice-versa.

 

2.2. Making America great again

2.2.1. Un sentiment populaire

La politique étrangère du président américain serait directement influencée par la perturbation du statu quo et la montée en puissance d’un nouveau compétiteur qui ébranle la position des États-Unis dans l’ordre mondial. Pour la première fois dans l’histoire « a majority of Americans […] believe that their economy has a declining influence on what is happening around the globe » (Schweller, 2018 : 28). La rhétorique de Trump a donc trouvé sa légitimité au sein d’un électorat de plus en plus sceptique quant au rôle des États-Unis dans le monde et la compétition croissante entre les États en transition vers la multipolarité. Dans cette lignée, un thème récurrent dans le discours de Trump « was opposition to globalization, which he claimed had cost Americans millions of good jobs, opened the door to dangerous immigrants, and made America weaker » (Walt, 2018 : 42). Depuis longtemps « Americans, in contrast to their leaders, have been more realist than liberal […] They insist on a president […] who will fight as an economic nationalist to keep manufacturing jobs in the USA rather than letting […] globalization decide the fates of working-class Americans » (Schweller, 2018 : 23).

Cela explique largement la rupture idéologique de Trump vis-à-vis de ses prédécesseurs libéraux, l’attrait de sa doctrine America First et, par le fait même, le retour au réalisme. En tant que nationaliste économique, Trump est soutenu par les classes moyenne et ouvrière qui sont convaincues que la Chine a profité des politiques de libre-échange pour affaiblir l’économie américaine : « the globalists gutted the American working class and created a middle class in Asia » (Schweller, 2018 : 31). Ces circonstances ont conduit l’administration Trump à prendre des mesures considérables pour reprendre le pouvoir à l’échelle mondiale et diminuer les effets néfastes de cet ordre sur le destin des États-Unis face aux nouvelles puissances. Le président américain ajoute d’ailleurs que « our country is in serious trouble. We don’t win anymore. We don’t beat China in trade » (Ibid.). Le principe de gain relatif des théories réalistes prend tout son sens dans les propos de Trump, qui souhaite miner la puissance chinoise dans le but de protéger ses intérêts sur les plans national et international : make America great again.

 

2.2.2. Les stratégies protectionnistes de Trump

Pour honorer ses propos relatés dans la National Security Strategy of the United States of America, le président a exigé l’augmentation des taxes douanières sur les importations chinoises pour cesser les pratiques commerciales qui engendrent un déséquilibre commercial. Théoriquement, les mesures protectionnistes visent à protéger les entreprises nationales de la concurrence étrangère, dissuader la population de consommer des produits étrangers et ainsi, potentiellement diminuer le taux de chômage du pays. D’autres défis économiques à l’intérieur du pays, et qui ont entraîné l’exportation des entreprises et des emplois américains, ont motivé la nouvelle politique :

Economic growth has been anemic since the 2008 recession […] gross domestic product growth hovered barely above two percent […] taxes increased, and health insurance and prescription drug costs continued to rise […]. Education costs climbed at rates far above inflation, increasing student debt. Productivity growth fell to levels not seen in decades (2017 : 18)

C’est dans cette lignée que Trump a favorisé sa politique protectionniste et la promotion de la manufacture domestique pour assurer la survie des compagnies et des emplois dans le but de diminuer les déséquilibres commerciaux qui défavorisaient les entreprises américaines face à leurs concurrents. De cette façon, le pays peut recouvrer de la puissance au niveau interne en renouvelant le développement de son économie, mais aussi au niveau externe, en limitant la puissance chinoise et restreindre ses activités sur le territoire américain. Donald Trump réalise que les États-Unis deviennent vulnérables, que ses gains absolus et relatifs diminuent et qu’il doit prendre les mesures nécessaires pour y remédier et rétablir le statu quo. Il s’agit d’une véritable lutte pour le regain de puissance et pour assurer la prospérité du pays.

2.3. La vulnérabilité américaine au profit du leadership chinois

            La manière dont la Chine a géré la crise sanitaire mondiale illustre fortement sa volonté de propager son influence et son modèle de développement dans le but d’incarner un rôle de leader, et, à l’instar des États-Unis, d’hegemon. Sa formule de diplomatie du masque l’aide à alimenter un portrait d’acteur international responsable et efficace. Le soft power est ainsi instrumentalisé pour générer des gains relatifs. Xi Jinping a adopté une attitude complètement contraire à celle de Donald Trump face à la pandémie et a profité de l’absence d’un leader sur la scène mondial pour offrir de l’assistance aux quatre coins du monde, démontrant ainsi un exemple flagrant de volonté de coopération. Une fois trouvé, Xi Jinping a promis qu’il rendrait le vaccin accessible pour toute la communauté internationale, en contraste avec « Donald Trump’s alleged attempt to purchase a vaccine developed in Germany to be first used in America. […] it can be argued that countries benefitting from China’s assistance will not forget the deed » (Carminati, 2020). La communauté internationale attendait des États-Unis qu’ils s’engagent à soutenir un effort mondial et solidaire en se montrant responsables. Or, Trump a enchaîné les décisions décevantes : retrait de l’Ordre Mondial du Commerce, rejet de la participation à COVAX. Les professionnels affirment que les mesures prises par les pays asiatiques pour limiter la propagation du virus ont eu des résultats plus positifs qu’en Occident. Aussi, ces pays ont mieux réussi à maintenir leurs économies tout en gardant un mode de vie relativement normal, comparativement aux États-Unis, pour qui le confinement a eu des conséquences économiques graves (Cha, 2020).

            Le maintien de la stabilité socio-économique en temps de pandémie a engendré un gain de confiance considérable envers l’État au sein de la population chinoise. Cette reconnaissance est très avantageuse pour la Chine qui est désormais « en mesure de remodeler les institutions et de fixer des normes à [sa] guise » [traduction libre] (Nye, 2020). La période cruciale de vulnérabilité occidentale sur la scène mondiale a donné l’opportunité à la Chine de mettre à profit son soft power et de prendre le contrôle de son environnement. Ainsi, en prenant l’initiative d’envoyer de l’équipement et des équipes médicales dans certains pays en développement, elle tente de devenir « a benign global leader, at a time when the US is turning inwards » (Extraordinary and Plenipotentiary Diplomatist, 2020). De ce fait, en plus de promouvoir le partage de technologies et d’expertise, le pays fait preuve de compassion envers la communauté globale. Nombreux sont les pays qui ont pris exemple sur la Chine dans la gestion de la pandémie, ses mesures « were replicated worldwide […] these will all ultimately play into China’s soft power » (Santos, 2020).  La Chine semble déterminée à exporter son assistance technique et médicale puisque « with the US withdrawal from the international commitments, the world is facing a leadership void which China is trying to fill » (Extraordinary and Plenipotentiary Diplomatist, 2020).

 

  1. Une opportunité de rétablir son image

Le rôle que les puissances incarnent lors de crises globales a un effet décisif sur l’opinion populaire. Les décisions de Trump n’ont malheureusement pas étonné. Il fait comprendre une rupture décisive avec l’interventionnisme et les idées libérales de ses prédécesseurs. Or, sa rhétorique semble contradictoire sur certains points. Pourquoi n’a-t-il pas profité de la situation sanitaire pour poursuivre les intérêts de la puissance américaine de retrouver sa place au sein de l’ordre mondial et chasser de la scène internationale tout potentiel rival ? A contrario, l’analyse de la situation révèle qu’il n’a pas perçu cette opportunité comme une porte ouverte propice au renouvellement de la grandeur des États-Unis par l’utilisation de son soft power. Par le fait même, ce revirement de situation aurait potentiellement montré l’incapacité de la Chine à promouvoir ses intérêts lorsque le terrain ne lui est pas favorable.

Certes, l’administration Trump s’est efforcée d’accuser la Chine de manque de transparence concernant ses données statistiques et continue d’appeler la pandémie le « Chinese virus ». Depuis les débuts de la crise sanitaire, le président Trump ne cesse de critiquer la façon de faire de la Chine et a même blâmé l’Organisation mondiale de Santé d’être trop China-centrist. En réalité, l’attitude de Trump prouve bel et bien qu’il a saisi la chance de miner l’influence de la Chine sur la scène mondiale. En revanche, il ne s’agit pas là d’une situation qui a engendré un gain de puissance relative pour les États-Unis, car la réponse de Trump face à la pandémie a été considérée pire que celle de tout autre État dans le monde. Les États-Unis n’ont pas de quoi se vanter, l’année 2020 n’a que projeté chaos et polarisation au sein de la population américaine et alimenté le déclin de leur influence.

On remarque que les deux puissances tentent toutes deux de tâcher l’image de l’autre puisque l’État chinois a riposté aux accusations sur les médias sociaux en essayant de convaincre que le virus provenait d’Amérique. En contrepartie, malgré les visions pessimistes adressées sur les techniques chinoises depuis plusieurs années, Xi Jinping a quant à lui largement profité de la pandémie pour rétablir une image digne de son pays et la confiance de ses pairs du local au global. À ce sujet, Marcus (2020) explique qu’il s’agit là d’un

moment of huge symbolism. And it was an indication of the information battle that is being waged behind the scenes, with China eager to emerge from this crisis with renewed status as a global player. Indeed, it is a battle which the US – at the moment – is losing hands down. And the belated dispatch of a small mobile US Air Force medical facility to Italy is hardly going to alter the equation. […] Existing political leaders will ultimately be judged by how they seized the moment; the clarity of their discourse; and the efficiency with which they marshalled their countries’ resources to respond to the pandemic.

Le fait d’apporter de l’aide aux plus vulnérables augmente la confiance et facilite le maintien de bonnes relations diplomatiques avec ses alliés qui prioriseront certainement l’aide chinoise à celle américaine dans le futur. Le ministre iranien, par exemple, après avoir refusé l’aide des États-Unis pendant la pandémie, a publiquement remercié le géant asiatique et a déclaré que « China is undoubtedly the most experienced in the fight against coronavirus and is determined to help us » (Extraordinary and Plenipotentiary Diplomatist, 2020).

Alors qu’ils devraient eux-aussi profiter de la situation pour renforcer leur image, les États-Unis s’en tiennent à rabaisser celle de leur rivale, comme le prévoient les théories réalistes, pour lesquelles, ce ne sont pas les gains absolus qui comptent le plus mais bien les gains relatifs. Les erreurs successives qu’ont commises les États-Unis ont coûté cher à leur rôle de leader, alors qu’ils voyaient initialement en la pandémie une opportunité d’affirmer leur slogan « America First » et leur supposée supériorité au sein du système. En réalité, c’est une toute nouvelle version de la crise du canal de Suez qui sévit sur les États-Unis puisque la pandémie a dépouillé toute prétention d’un leadership mondial américain, à l’instar de l’intervention inefficace et irresponsable de l’empire anglais en Égypte en 1956 qui a marqué la fin de la puissance mondiale britannique. À la vue de leurs comportements respectifs, la Chine pourrait bien incarner le rôle du nouveau essential power.


4. Consensus de Beijing : un modèle de développement alternatif ?

Les divergences dans la gestion de la pandémie s’expliquent par l’utilisation de technologies et le devoir de fournir des informations personnelles en Chine dès le début de la crise. Aux États-Unis, les américains voient ces pratiques « as contrary to their freedom and values, even in these disruptive times » (Cha, 2020) en raison des données personnelles dévoilées et des libertés compromises. En revanche, les Chinois « shifted in the direction of treating these technologies as contributing to a public good that is well worth the temporary and necessary incursions of privacy » (Ibid.). La différence entre les deux régimes politiques peut certainement expliquer ce phénomène. La mise en place de contraintes sur les libertés civiles et privées pose moins d’inconvénients pour les populations des pays non-démocratiques, tandis que la population américaine, individualiste, porte une importance marquée et prioritaire à ses droits et libertés.

Les succès consécutifs de la Chine qui a su écarter certains principes fondamentaux de la démocratie sans freiner son processus de développement, remettent directement en question l’universalité du Consensus de Washington. Imbert (2010) souligne que « l’Occident est endetté, divisé et voit décliner son influence mondiale. La Chine, collectiviste, pragmatiste et toujours unitaire voit la sienne rayonner ». En effet, le parcours historique des deux pôles est très contrasté, chacun ayant respectivement embrassé un modèle de développement bien différent (Ayaan Hirsi, 2010). La capacité à gérer la pandémie, comme nous l’avons décrit, s’inscrit directement au sein du modèle de développement chinois. Le Consensus de Beijing serait peut-être plus favorable et approprié là où le Consensus de Washington n’a pas porté ses fruits, et dans les pays en développement qui voudraient acquérir une capacité similaire à celle de la Chine, d’ailleurs « it is increasingly common to hear people contrast Washington’s debilitating partisanship and gridlock with the ruthless efficiency of Beijing’s authoritarian rule » (Power, 2021 : 10).

La Chine offre un nouvel espoir de développement qui entre en opposition avec les idéologies imposées lors des ajustements structurels, à savoir, le libre-échange, des institutions démocratiques et l’ouverture des frontières aux capitaux. La complémentarité de l’autoritarisme politique et du libéralisme économique a su prouver leur efficacité au fil des années et a gagné en légitimité ; de plus en plus de pays s’en inspirent en Asie et en Afrique. Comparé au modèle démocratique, ce-dernier semble être une alternative plus attrayante aux besoins et intérêts nationaux desdites régions, qui constituent des enjeux importants pour l’instauration de structures économiques et sociales aspirant au développement. L’absence de la reconnaissance de ces enjeux a d’ailleurs été l’une des principales critiques du Consensus de Washington. L’idéologie chinoise, quant à elle, repose sur une approche opposée à l’unilatéralisme américain par un nouvel ordre mondial multilatéral au sein duquel les États reposent sur l’interdépendance économique, ainsi que le respect des différences politiques et culturelles (Beaudet et al., 2019).

Les stratégies chinoises passent particulièrement par le financement d’infrastructures et l’investissement dans la création de réseaux entre les États. Elles sont toutefois fortement critiquées par les pays occidentaux, qui y voient une stratégie de domination géopolitique du parti communiste chinois. Par ces nouveaux réseaux, il va sans dire que la Chine tente également d’augmenter son influence, son soft power, en investissant des capitaux dans des pays moins développés.

 
Conclusion

Le déclin de l’importance donnée au hard power et l’émergence de celle du soft power ont-t-ils annoncé la fin de la Pax Americana et l’ébauche de la Pax Sinica ? Les sources de soft power aux États-Unis ont toujours intéressé la communauté internationale : culture, valeurs politiques, diplomatie. Elles ont longtemps reflété l’idée de supériorité et d’exceptionnalisme américain. Aujourd’hui, les faux pas de la puissance à l’international ont propagé un scepticisme vis-à-vis de ses politiques interventionnistes et de l’exportation de ses valeurs. L’État a tout à fait intérêt de promouvoir son soft power, mais il s’agit de capacités visiblement sensibles à manipuler.

Les mesures mises en place par Trump pour ralentir la Chine dans son élan de puissance, ont sensiblement alimenté les opinions pessimistes à son sujet. Au même moment, Xi Jinping démontre ses efforts dans le domaine de la diplomatie et saisit l’opportunité de combler le présent vide de leadership dans le système international. Il faut comprendre que la Chine ne dispose pas d’un soft power important comparativement aux États-Unis, d’ailleurs « it is fair to say that China’s soft power heavily relies on its economic clout » (Carminati, 2020). Elle mise alors sur le maintien de bonnes relations et la démonstration de sa volonté de coopération pour gagner la confiance des autres États et se faire de nouveaux alliés. De cette façon, la vulnérabilité des Américains et leur retrait de la scène mondiale offre une porte d’entrée pour l’émergence d’une nouvelle puissance. Dans ce cas-ci, les mesures positives de la Chine auprès des pays en développement lui ont créé une réputation avantageuse. Cela lui permet également d’affaiblir davantage les États-Unis, alors que les alliés qu’ils perdent se rangent du côté chinois. Cette situation dresse le portrait détaillé d’une véritable course à la puissance et aux gains relatifs.

Finalement, l’analogie du Péloponnèse est vraie, la situation pourrait entraîner une seconde version de la guerre froide sous la bipolarité des États-Unis et de la Chine, certains individus se préparent déjà à un conflit imminent entre les deux puissances. Le soft power de Xi Jinping se caractérise principalement par la propagation de l’idée de l’interconnectivité, une communauté globale au destin partagé au sein de laquelle les États choisissent eux-mêmes leurs processus de développement prioritaire : « you don’t have to want to be like us, you don’t have to want what we want; you can participate in a new form of globalization while retaining your own culture, ideology, and institutions » (Li, 2018). De cette façon, l’État chinois base son pouvoir d’attraction sur le développement de son soft power, il conjugue ainsi la diplomatie publique et la cultivation d’un sentiment international positif vis-à-vis de la Chine.

La gestion de la situation sanitaire actuelle est un exemple marquant de la diplomatie économique douce de la Chine. En admettant que peu de pays peuvent se permettre la mise en place de centres de partage d’informations et d’expertise, la Chine profite de son poids économique dans le monde pour faire valoir son mérite, étendre son influence et réformer l’opinion globale. La Chine a également adopté le concept de la Health Silk Road, en lien avec son projet récent de la Belt and Road, ou la nouvelle route de la soie, qui s’inscrit tout autant dans cette stratégie de economic soft power par l’interconnectivité des États et les avantages diplomatiques que tire la Chine en gagnant la confiance populaire, qui se détériore aux États-Unis.

Il serait finalement intéressant de poursuivre la réflexion en se questionnant sur le destin réservé à la relation critique des deux puissances, si la seule fin est la co-destruction, les États-Unis et la Chine sont-ils condamnés à se prêter au jeu du réalisme ?

 

Références 

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Beaudet, Pierre ; Haslam Paul ; Caouette Dominique et Abdelhamid, Benhamade (2019). Enjeux et défis du développement international. Les Presses de l’Université d’Ottawa, Ottawa.

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Lord, Carnes (2005). Diplomatie publique et soft power. Politique américaine, 3(3), 61-72. https://doi.org/10.3917/polam.003.0061, c.  5 février 2021.

Imbert, Clément (2010). À l’aube du siècle chinois. Le point, no. 1984, https://www.lepoint.fr/editos-du-point/claude-imbert/a-l-aube-du-siecle-chinois-23-09-2010-1240226_68.php, c. le 26 décembre 2020.

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