La définition des plateaux continentaux étendus en Arctique : le mythe de la course à l’appropriation

Regards géopolitiques, vol.9, n.2, 2023

Frédéric Lasserre

Anne Choquet-Sauvin

Camille Escudé

Frédéric Lasserre est directeur du CQEG et professeur au département de Géographie à l’Université Laval ; frederic.lasserre@ggr.ulaval.ca

Anne Choquet-Sauvin est enseignante chercheure en droit à l’UMR 6308 AMURE, Centre de droit et d’économie de la mer (Institut Universitaire Européen de la Mer- IUEM – Université de Bretagne Occidentale-UBO). Elle est aussi Présidente du Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques (CNFRAA). anne.choquet-sauvin@univ-brest.fr

Camille Escudé est docteure en Relations internationales de l’IEP de Paris et professeure agrégée de Géographie. Elle est directrice du Centre de Recherches Politiques de l’IEP Madagascar où elle enseigne également. Ses travaux portent sur les questions géopolitiques dans les régions arctiques et les océans, et elle s’intéresse en particulier aux questions de représentation politique et de définition des limites de la région.  camille.escude@sciencespo.fr

Résumé : Au cœur de l’océan Arctique, les revendications de plateaux continentaux étendus du Canada, du Danemark et de la Russie se chevauchent sur la dorsale de Lomonosov, chaîne de montagne sous-marine qui s’étend du nord du Groenland et de l’île canadienne d’Ellesmere, jusqu’à la côte sibérienne. Depuis longtemps, ces différends, souvent rapportés par les médias selon le seul prisme du conflit, suscitent commentaires et analyses. La guerre entre Russie et Ukraine depuis le mois de février 2022 et ses conséquences pourraient rendre le règlement de ces disputes plus complexe que par le passé.

Mots-clés : plateau continental étendu, Arctique, Canada, Russie, Danemark, dorsale de Lomonosov, dorsale de Mendeleïev.

Summary : In the heart of the Arctic Ocean, the extensive continental shelf claims of Canada, Denmark and Russia overlap on the Lomonosov Ridge, an undersea mountain range that stretches from northern Greenland and the Canadian island of Ellesmere to the Siberian coast. For a long time, these disputes, often reported by the media only through the prism of the conflict, have been the subject of comment and analysis. The war between Russia and Ukraine since February 2022 and its consequences could make the resolution of these disputes more complex than in the past.

Keywords : extended continental shelf, Arctic, Canada, Russia, Denmark, Lomonosov ridge, Mendeleyev ridge.

Au cœur de l’océan Arctique, les revendications de plateaux continentaux étendus du Canada, du Danemark et de la Russie se chevauchent sur la dorsale de Lomonosov, chaîne de montagne sous-marine qui s’étend du nord du Groenland et de l’île canadienne d’Ellesmere, jusqu’à la côte sibérienne. Depuis longtemps, ces différends, souvent rapportés par les médias selon le seul prisme du conflit, suscitent commentaires et analyses. La guerre entre Russie et Ukraine depuis le mois de février 2022 et ses conséquences pourraient rendre le règlement de ces disputes plus complexe que par le passé. De fait, comment interpréter les récentes revendications danoise, russe et canadienne ?

1.    Que sont les revendications sur les plateaux continentaux étendus ?

Les plateaux continentaux sont des espaces maritimes consacrés par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Cnudm), signée en 1982 et entrée en vigueur en 1994. Ils prolongent les espaces maritimes du plateau continental, dans lesquels l’État côtier n’est pas pleinement souverain, mais détient des droits souverains sur l’exploitation des richesses naturelles des fonds marins. Le plateau continental se superpose

Fig. 1. Les différents espaces maritimes prévus par la CNUDM

Source : D’après Lasserre, F. (2019). La course à l’appropriation des plateaux continentaux arctiques, un mythe à déconstruire. Géoconfluences, https://tinyurl.com/GeoconfluencesPC

La définition de ces espaces maritimes, ZEE et plateau continental étendu, diffère fortement. Si la ZEE s’étend sur au plus 200 milles marins (environ 320 km) à partir des lignes de base[1], de manière purement géométrique, en revanche, le plateau continental étendu repose sur le possible prolongement physique de la plaque continentale au-delà de la limite des 200 milles. Il appartient ainsi à l’État côtier, dans un délai de 10 ans suivant sa ratification de la Cnudm[2], de déposer un dossier de demande d’extension auprès de la Commission des limites du plateau continental (CLPC)[3], agence des Nations Unies composée de 21 experts dans les domaines du droit, de la géologie, de la géophysique ou de l’hydrographie. L’État côtier doit y documenter cette extension physique du plateau continental sur la base de preuves géomorphologiques et géologiques. A cette fin, les États mettent sur pied des expéditions scientifiques pour effectuer des sondages, prélèvements, relevés morphologiques : ces informations visent à prouver l’extension de la masse continentale en mer et à déterminer sa limite.

Ces expéditions ont donné l’impression d’une hâte des États à découvrir les indices pour étayer leurs revendications, alimentant l’idée d’une course à l’appropriation des espaces maritimes en Arctique. Il n’en est rien : si course il y a bien eu, c’était une course contre la montre car les États doivent respecter ce délai de 10 ans pour pouvoir déposer leur revendication auprès de la CLPC. Face aux difficultés rencontrées par les États pour délimiter leur plateau continental, il a été néanmoins décidé de le prolonger et de retenir la date du 13 mai 2009 pour les États qui étaient parties à la Convention de Montego Bay avant le 13 mai 1999. Pour les autres, le délai de 10 ans court à partir de la date à laquelle ils ont adhéré à la Convention. Le droit à un plateau continental est cependant imprescriptible : ce n’est pas l’ordre des demandes qui hiérarchise l’accès aux espaces maritimes. La CLPC évalue toutes les revendications qui lui sont présentées puis statue, uniquement sur la base de la validité scientifique, sur la légitimité des revendications. La CLPC ne tranchera pas le litige qui pourrait naître de revendications se chevauchant : les frontières juridiques demeurent du ressort des États. Enfin, puisque l’ordre n’importe pas, un État peut soumettre une revendication longtemps après ses voisins, mais dans le respect des contraintes de temps liées à sa ratification de la Cnudm et malgré tout avoir droit à une part du plateau continental régional. Ainsi, les États-Unis, qui ne peuvent déposer de demande d’extension du plateau continental faute d’être État partie à la Cnudm (les États-Unis n’ont ni signé, ni ratifié la Convention) conservent malgré tout leur droit potentiel sur les formations géologiques en mer des Tchouktches, car ces droits sur un plateau continental étendu ne s’éteignent pas ou ne sont pas altérés par l’ordre du dépôt des demandes.

2.  Un mouvement d’accélération récent des revendications

A l’heure actuelle, tous les États arctiques ont déposé des revendications de plateau continental étendu, sauf les États-Unis (voir tableau 1). Dès 2001, la Russie a soumis un dossier à la CLPC qui demande cependant des précisions complémentaires. Moscou dépose un nouveau dossier en 2015, assez semblable à la revendication de 2001, puis a étendu considérablement l’espace revendiqué en 2021 (Fig.  2 et 3). La CLPC a émis un avis favorable à la revendication russe de 2021 le 6 février 2023 en rejetant toutefois l’inclusion de la dorsale de Gakkei dans le plateau continental étendu russe, ce que la Russie a entériné dès le 14 février 2023 en révisant partiellement sa demande (Fig. 4).

Islande Russie Norvège Canada Danemark États-Unis
Date de ratification effective de la CNDUM 21 juin 1985 12 mars 1997 24 juin 1996 7 déc. 2003 16 nov. 2004 Non ratifiée
Date butoir de soumission du dossier de demande d’extension 13 mai 2009 13 mai 2009 13 mai 2009 7 déc. 2013 16 nov. 2014
Dépôt des revendications 29 avril 2009 20 déc. 2001

Demande révisée, 3 août 2015

Demande arctique étendue, 31 mars 2021

Demande modifiée, 14 février 2023

27 nov. 2006 6 déc. 2013, partielle, Atlantique

23 mai 2019, partielle, Arctique

Demande arctique étendue, 19 déc. 2022

Soumissions partielles:

– Nord des Féroé, 29 avril 2009

– Sud du Groenland, 14 juin 2012

– Est du Groenland, 27 nov. 2013

– Nord du Groenland, 11 déc. 2014

Avis de la Commission Acceptée, 13 avril 2016 Demande de précisions, 14 juin 2002

Demande étendue acceptée sous réserve pour la dorsale de Gakkei, 6 février 2023

Acceptée, 27 nov. 2009 Revendication au nord des Féroé acceptée, 11 mars 2014

Tableau 1. État des revendications déposées auprès de la CLPC par les États arctiques, mars 2023

Source : compilation des auteurs, d’après UN Commission on the Limits of the Continental Shelf, Submissions, https://www.un.org/Depts/los/clcs_new/commission_submissions.htm et revue de presse.

Le Danemark a procédé par étapes, d’abord en 2009 au nord des îles Féroé, puis en 2012 au sud du Groenland, en 2013 à l’Est du Groenland puis au nord de l’île en 2014 (Fig. 5). En 2019, le Canada (dont la date limite de dépôt de revendication de 2013 était suspendue grâce au dépôt d’une demande partielle en Atlantique, en raison d’une tolérance de la CLPC) a lui aussi déposé une revendication étendue dans le bassin de l’océan Arctique (Fig. 6), modifiée en 2022 (Fig. 7) Seuls les États-Unis n’ont pas encore déposé de revendication, ne pouvant se prévaloir de l’article 76 puisqu’ils ne sont pas parties à la Convention faute de ratification.

Les revendications de trois États ont été acceptées : Norvège (2009), Islande (2016) puis Russie (2023) [1], ce qui pose assez directement la question des scénarios possibles pour l’avenir.

Fig. 2. Revendication modifiée de la Russie, 3 août 2015.

Source : F. Lasserre, données compilées par l’auteur.

Fig. 3. Revendication modifiée et étendue de la Russie, 31 mars 2021.

Source : F. Lasserre, données compilées par l’auteur.

Fig. 4. Revendication modifiée par la Russie le 14 février 2023 à la suite de la publication de l’avis de la CLPC le 6 février 2023

Source : F. Lasserre, données compilées par l’auteur.

Fig. 5. Revendications du Danemark, 2009-2014.

Source : F. Lasserre, données compilées par l’auteur.

Fig. 6. Revendications du Canada, 23 mai 2019.

Source : F. Lasserre, données compilées par l’auteur.

Fig. 7. Revendication étendue du Canada, 19 décembre 2022.

Source : F. Lasserre, données compilées par l’auteur.

Ces expéditions ont donné l’impression d’une hâte des États à découvrir les indices pour étayer leurs revendications, alimentant l’idée d’une course à l’appropriation des espaces maritimes en Arctique. Il n’en est rien : si course il y a bien eu, c’était une course contre la montre car les États doivent respecter ce délai de 10 ans pour pouvoir déposer leur revendication auprès de la CLPC. Face aux difficultés rencontrées par les États pour délimiter leur plateau continental, il a été néanmoins décidé de le prolonger et de retenir la date du 13 mai 2009 pour les États qui étaient parties à la Convention de Montego Bay avant le 13 mai 1999. Pour les autres, le délai de 10 ans court à partir de la date à laquelle ils ont adhéré à la Convention. Le droit à un plateau continental est cependant imprescriptible : ce n’est pas l’ordre des demandes qui hiérarchise l’accès aux espaces maritimes. La CLPC évalue toutes les revendications qui lui sont présentées puis statue, uniquement sur la base de la validité scientifique, sur la légitimité des revendications. La CLPC ne tranchera pas le litige qui pourrait naître de revendications se chevauchant : les frontières juridiques demeurent du ressort des États. Enfin, puisque l’ordre n’importe pas, un État peut soumettre une revendication longtemps après ses voisins, mais dans le respect des contraintes de temps liées à sa ratification de la Cnudm et malgré tout avoir droit à une part du plateau continental régional. Ainsi, les États-Unis, qui ne peuvent déposer de demande d’extension du plateau continental faute d’être État partie à la Cnudm (les États-Unis n’ont ni signé, ni ratifié la Convention) conservent malgré tout leur droit potentiel sur les formations géologiques en mer des Tchouktches, car ces droits sur un plateau continental étendu ne s’éteignent pas ou ne sont pas altérés par l’ordre du dépôt des demandes.

3.    Une certaine crispation politique ?

Contrairement à une idée souvent véhiculée par la presse, les revendications maritimes dans l’Arctique n’étaient pas l’objet de vives tensions ni ne débouchaient systématiquement sur des litiges, du moins jusqu’à tout récemment. Des négociations ont lieu et aboutissent parfois à des accords (Fig. 8 et 9), notamment en 1973 entre le Danemark et le Canada, en 1990 entre les États-Unis et l’URSS, en 2006 entre le Danemark et la Norvège, en 2010 entre la Russie et la Norvège, en 2019 entre le Danemark, la Norvège et l’Islande, ou encore en juin 2022 entre le Danemark et le Canada (règlement des litiges en mer de Lincoln, sur l’île de Hans et en mer du Labrador) (Pic et al, 2023). A ce jour, aucun État arctique ne s’est formellement objecté aux revendications d’autres États riverains, même après 2014 et l’annexion de la Crimée ou 2022 et l’invasion de l’Ukraine, et depuis la déclaration d’Ilulissat de 2008, les États coopèrent parfois activement, à tout le moins échangent des données et ne s’objectent pas aux revendications des tiers arctiques (Lasserre, 2019; Lasserre et al, 2021; Bartenstein et Gosselin, 2021). Le Canada a ainsi rappelé, dans sa soumission complémentaire de 2022, que le Canada et le Danemark, et le Canada et la Russie, étaient convenus suite à des accords bilatéraux, qu’ils ne s’opposeraient pas aux soumissions de l’autre partie (Gouvernement du Canada, 2022). Les États ont uniquement indiqué à la CLPC la possibilité de risques de chevauchement des plateaux. Ce consentement peut toutefois être modifié, en témoigne la décision du Pakistan de juillet 2020 de revenir sur son consentement implicite à la soumission indienne de 2009 (Pakistan Mission, 2020 ; Permanent Mission of India, 2021 ; Kunoy, 2023). L’idée d’une course à la guerre et à l’accroissement rapide des tensions dans l’espace arctique du fait des revendications sur ces espaces maritimes est donc largement exagérée, puisque des négociations ont lieu, que des accords sont conclus et aboutissent ainsi à de nombreuses limites négociées, et que les États riverains, malgré leurs différends, voire leur animosité depuis 2022, ne s’opposent pas frontalement.

Fig. 8. Revendications de plateaux continentaux étendus en Arctique, juin 2022.

Source : F. Lasserre, données compilées par l’auteur.

Fig. 9. Revendications de plateaux continentaux étendus en Arctique, avril 2023.

Source : F. Lasserre, données compilées par l’auteur.

Il est cependant exact que de nombreux différends subsistent, dont ceux qui portent sur la dorsale de Lomonosov, objet des revendications de la Russie, du Danemark et du Canada. Dès 2001, la Russie formulait une revendication qualifiée par plusieurs observateurs occidentaux de très étendue. Elle s’arrêtait cependant au pôle Nord selon une logique semblable à celle des secteurs polaires un temps prônée par l’URSS et le Canada, et aujourd’hui tombée en désuétude. En 2014, le Danemark a surpris nombre d’analystes en déposant une revendication englobant l’ensemble de la dorsale de Lomonosov, bien au-delà du pôle Nord et jusqu’à la limite de la ZEE russe, au large de la Sibérie. Le Canada a déposé une demande partielle ne portant que sur l’Atlantique, après semble-t-il la décision du Premier ministre Stephen Harper de retenir le dossier arctique qui ne s’étendait pas assez aux yeux du gouvernement et ne comprenait pas le pôle Nord (Chase, 2013; Destouches, 2013 ; Weber, 2014). Après révision du dossier, le Canada a présenté en mai 2019 une demande étendue, englobant le pôle Nord et une partie importante des dorsales de Lomonosov et Alpha Mendeleïev. La revendication présentait une limite rectiligne du côté eurasien du bassin océanique, comme si Ottawa avait voulu faire preuve de retenue dans sa revendication. La Russie, poursuivant en cela un accord implicite entre États arctiques, ne s’était pas objectée à la revendication canadienne (Permanent Mission of the Russian Federation to the UN, 2019).

En mars 2021, dans un contexte de dégradation continu des relations entre Moscou et les Occidentaux, la Russie a décidé d’étendre sa revendication jusqu’à la limite des ZEE canadiennes et danoises (Fig. 3), réponse possible du berger à la bergère.

Le 19 décembre 2022, dans un contexte politique considérablement altéré avec l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, le Canada a annoncé une extension significative de sa revendication de plateau continental étendu, portant celle-ci le long des dorsales de Lomonosov et d’Alpha-Mendeleïev jusqu’à la limite de la ZEE russe (fig. 7). Si en 2019 Ottawa avait choisi de modérer l’extension de sa revendication à travers le tracé d’un long segment droit limitant l’extension de l’espace maritime revendiqué, il semble qu’en décembre 2022 la retenue n’était plus de mise, aboutissant à la décision d’étendre la revendication canadienne jusqu’à la limite de la ZEE russe, imitant en cela le Danemark puis la Russie. L’évolution récente des revendications aboutit ainsi à un complexe chevauchement d’espaces maritimes revendiqués, laissant la portion congrue à la zone internationale.

Il est difficile de ne pas voir dans ces extensions, russe de 2021 et canadienne de 2022, des gestes davantage politiques que fondés sur l’évaluation géologique et géomorphologique des fonds marins… Il importe cependant de souligner que malgré ces chevauchements croissants et une apparence de politisation des décisions d’extension des revendications, aucun État ne s’est objecté aux revendications des autres parties en Arctique, reflet de l’engagement pris en 2008 par les cinq États côtiers, à travers la déclaration d’Ilulissat, de respecter les principes de la Cnudm et de négocier les limites maritimes de bonne foi (Commission sur les Limites du Plateau Continental, 2021).

Une autre explication a ainsi été avancée pour rendre compte de l’étendue des espaces revendiqués par le Danemark (2014), puis des extensions russe (2021) et canadienne (2022) : selon E. Antsygina, il est possible que des éléments d’appréciation des demandes de la part de la CLPC aient pu filtrer, laissant entendre que la dorsale de Lomonosov puisse être reconnue comme faisant géologiquement partie des plaques continentales eurasienne et nord-américaine – reconnaissance rendue publique en février 2023 dans le cas de la Russie. Que ce soit vérifié ou pas, il est possible que les États se soient préoccupé des futures négociations en cas de double validation du rattachement de la dorsale aux plaques eurasienne et nord-américaine. L’assiette des négociations porterait alors sur l’ensemble des espaces maritimes revendiqués – et validés par la CLPC – ainsi la Russie a-t-elle rapidement entérine la réserve formulée le 6 février 2023 par la CLPC à l’endroit de sa demande étendue de 2021, réserve quant à la nature de la dorsale de Gakkei qui a conduit Moscou à retirer sa revendication sur ladite dorsale en 8 jours.

L’idée aurait ainsi cheminé, à Copenhague comme à Moscou et Ottawa, qu’il était dans l’intérêt des États, non de modérer leurs revendications dès lors que prévalait le principe de la coopération et de l’absence d’obstruction au dépôt des revendications des tiers, mais au contraire de maximiser les espaces revendiqués comme levier de négociation et comme option pour obtenir un espace plus conséquent (Antsygina, 2022). Ce scénario accréditerait l’idée qu’une coopération minime mais tacite pourrait perdurer en Arctique malgré la suspension des mécanismes de coopération depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 (Koivurova et Shibata, 2023).

Dans la même veine, la recherche destinée à documenter les dossiers de revendication de plateaux continentaux étendus aboutit parfois à la collaboration entre États riverains, pourtant a priori rivaux. On a ainsi pu relever des campagnes conjointes Danemark-Canada en 2006 puis 2009, Canada-États-Unis en 2008 et 2009, Danemark et Russie en 2007 et 2009. Cette mutualisation des moyens permet de réduire les coûts très élevés des campagnes océanographiques arctiques, le seul coût quotidien de la mobilisation d’un brise-glace pouvant dépasser les 100 000 $ par jour. Par ailleurs, elle présente aussi l’avantage de réduire le risque de contestation politique des données scientifiques – en effet, comment remettre en cause la validité de données collectées ensemble ?

La Commission sur les Limites du Plateau Continental va donc se pencher, dans l’ordre des soumissions normalement, sur les revendications des États. A ce jour (mars 2023), la Commission a publié 36 avis sur 93 demandes, 57 sont donc encore en cours d’examen : on parle d’un délai de 10 à 15 ans avant que les revendications des trois États concernés ne soient examinées – mais des surprises peuvent arriver, comme l’avis favorable global de février 2023 de la CLPC en faveur des revendications russes, y compris l’extension de 2021, à la réserve près exprimée sur la dorsale de Gakkei et très rapidement acceptée par Moscou.

La Commission a donc largement accepté la revendication russe, non pour en formaliser les limites – elle ne trace pas de frontière – mais pour en valider les fondements géomorphologiques – la zone revendiquée présente un lien avec la plaque eurasienne. Il reste donc à voir quelle sera son avis concernant les revendications du Danemark et du Canada – la dorsale de Lomonosov serait-elle aussi le prolongement de la masse continentale nord-américaine, auquel cas elle constituerait un morceau de croûte continentale, étiré lors de l’ouverture du bassin de l’océan Arctique et reliant les deux masses continentales. En fonction de ces avis que prononcera la CLPC, ce sera à la charge des États de négocier les limites de leurs espaces maritimes respectifs. A défaut, il pourrait être fait appel à la Cour Internationale de Justice (ONU) qui a étudié différentes affaires de délimitation de plateaux continentaux, comme l’affaire du Plateau de la Mer du Nord (1969) [5].

Ce n’est donc pas l’effet d’une course à l’appropriation des espaces maritimes, sur la base du premier arrivé, premier servi, qui a poussé les États à déposer ces revendications, ni même les impacts des changements climatiques avec la fonte de la banquise, encore très épaisse et bien présente toute l’année au cœur de l’océan Arctique; mais bien un principe de prudence national lié à cette échéance de 10 ans : puisque l’État a droit à ce plateau continental étendu et qu’il ne sera plus possible de le revendiquer après ce délai de 10 années, alors autant aller de l’avant.

4.     Des ressorts économiques ?

Les États caressent cependant, bien entendu, l’espoir d’y trouver, un jour, des ressources, même si la probabilité d’y trouver des hydrocarbures est faible : les dépôts sédimentaires le long de la dorsale semblent limités. Hydrocarbures peut-être donc, ou plus probablement hydrates de méthane, ces dépôts de clathrates (réseau cristallin de glace d’eau emprisonnant des dépôts de gaz) qui se forment à très forte pression et basse température, ou encore nodules polymétalliques des grands fonds marins, ou minerais de la dorsale elle-même – faute de prospection, on ne parle que de possibilités, et donc certainement pas de gisements évalués. Pour les hydrates de méthane, la littérature évoquait un large éventail d’estimations, de 500-900 Gt à 10 000 Gt (Dyupina et van Amstel, 2013). Découverts pour la première fois précisément dans l’océan Arctique en 1868, en mer de Kara, les nodules polymétalliques arctiques ne sont même pas l’objet d’estimations spécifiques en Arctique. Plusieurs auteurs soulignent que des gisements semblent plus prometteurs en Atlantique et dans le Pacifique (Mizell et al, 2022). Leur exploitation, complexe par définition du fait des grandes profondeurs où ratisser ces nodules, serait par ailleurs plus ardue dans l’Arctique où les conditions de glace demeurent sévères au cœur de l’océan, malgré la fonte rapide de la banquise marginale en été et la disparition progressive de la banquise pluriannuelle, plus épaisse et plus dure. La tendance est au retrait rapide, en été, de la glace au large de la Sibérie et le long des côtes est et ouest du Groenland, mais la glace se maintient au cœur du bassin arctique à l’aplomb de la dorsale de Lomonosov (fig. 10).

Fig. 10. Étendue de la banquise à son minimum de septembre, 2022.

Source : NSIDC (2022), Arctic sea ice minimum ties for tenth lowest, Arctic Sea Ice News and Analysis, 22 sept., https://nsidc.org/arcticseaicenews/2022/09/

Conclusion

Le 13 octobre 2021, dans une communication conjointe intitulée « Un engagement renforcé de l’UE en faveur d’une région arctique plus verte, pacifique et prospère », le Haut représentant et la Commission européenne précisent que l’Union européenne va « faire pression pour que le pétrole, le charbon et le gaz restent dans le sol, y compris dans les régions arctiques, en s’appuyant sur des moratoires partiels sur l’exploration des hydrocarbures dans l’Arctique ». Il reste à voir dans quelle mesure cette déclaration d’intention qui traduit la volonté de l’UE d’énoncer des normes de gouvernance en Arctique (Gricius et Raspotnik, 2023), va orienter les efforts des États arctiques dans leur volonté d’explorer les espaces maritimes, sachant que la conjoncture économique est également un facteur déterminant : des cours élevés des matières premières sont cruciaux car l’exploration des grands fonds dans un milieu arctique suppose des coûts très élevés. Par ailleurs, quelle que soit l’abondance des ressources à découvrir dans les fonds marins arctiques, il est peu probable que les États renoncent à la possibilité d’étendre leur plateau continental, par simple opportunisme et principe de précaution – ne souhaitant pas renoncer à la possibilité que des générations futures puissent un jour possiblement y découvrir des ressources exploitables.

Après l’avis favorable de la CLPC au sujet de la revendication russe, l’évaluation des extensions danoises et canadiennes demeure en cours. Lorsque les recommandations seront rendues publiques, il demeure incertain si les relations entre Russie, Canada et Danemark, teintée par la guerre en Ukraine, permettront de négocier les limites des espaces maritimes respectifs.

Références

Antsygina, E. (2022). The Interplay between Delineation and Delimitation in the Arctic Ocean. Ocean Yearbook Online36(1), 381-415.

Bartenstein, K., & Gosselin, L. (2021). Le “prolongement naturel” et le plateau continental étendu arctique du Canada: coopérer pour donner sens au droit, à la science et aux faits. Canadian Yearbook of International Law/Annuaire canadien de droit international58, 48-77.

Chase, S. (2013). Harper orders new draft of Arctic seabed claim to include North Pole. The Globe and Mail, 4 déc., https://www.theglobeandmail.com/news/politics/harper-orders-new-draft-of-arctic-seabed-claim-to-include-north-pole/article15756108/

Choquet, A. (2021). L’extension du plateau continental au large de l’Antarctique : entre volonté de ménager les susceptibilités et défendre ses intérêts. VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Hors-série 33 |, doi : https://doi.org/10.4000/vertigo.29658

Commission sur les Limites du Plateau Continental (2021). Submissions to the Commission: Partial revised Submission by the Russian Federation, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/submission_rus_rev1.htm

Commission sur les Limites du Plateau Continental (2023). Recommendations of the Commission on the Limits of the Continental Shelf in Regard to the Partial Revised Submission made by the Russian Federation in Respect of the Arctic Ocean on 3 August 2015 with Addenda Submitted on 31 March 2021. UN, https://www.un.org/Depts/los/clcs_new/submissions_files/rus01_rev15/2023RusRev1RecSum.pdf

Destouches, V. (2013). Le Père Noël et la bataille du pôle Nord Le Père Noël est au cœur d’une âpre dispute concernant son lieu de vie : le pôle Nord. L’Actualité, 24 déc., https://lactualite.com/monde/le-pere-noel-et-la-bataille-du-pole-nord/

Dyupina, E. & van Amstel, A. (2013). Arctic methane. Journal of Integrative Environmental Sciences10(2), 93-105.

Gouvernement du Canada (2022). Addendum à la Demande partielle du Canada `la Commission des limites du plateau continental concernant son plateau continental dans l’océan Arctique. Résumé. Ottawa, https://www.un.org/Depts/los/clcs_new/submissions_files/can1_84_2019/cda1esfra.pdf

Gricius, G. & Raspotnik, A. (2023): The European Union’s ‘never again’ Arctic narrative, Journal of Contemporary European Studies, doi: 10.1080/14782804.2023.2193735

Koivurova, T. et A. Shibata (2023). After Russia’s invasion of Ukraine in 2022: Can we still cooperate with Russia in the Arctic? Polar Record59(e12), 1-9.

Kunoy, B. (2023). Recommendations on the Russian Federation’s Proposed Outer Continental Shelf in the Arctic Area. European Journal of International Law Blog, 3 mars, https://www.ejiltalk.org/recommendations-on-the-russian-federations-proposed-outer-continental-shelf-in-the-arctic-area/

Lasserre, F. (2019). La course à l’appropriation des plateaux continentaux arctiques, un mythe à déconstruire. Géoconfluences, 18 sept., http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/arctique/articles-scientifiques/la-course-a-l-arctique-un-mythe.

Lasserre, Frédéric; A. Choquet, C. Escudé-Joffres (2021). Géopolitique des pôles. Vers une appropriation des espaces polaires ? Paris : Le Cavalier Bleu.

Mizell, K., Hein, J. R., Au, M., & Gartman, A. (2022). Estimates of Metals Contained in Abyssal Manganese Nodules and Ferromanganese Crusts in the Global Ocean Based on Regional Variations and Genetic Types of Nodules. Dans R. Sharma (dir.), Perspectives on Deep-Sea Mining (pp. 53-80). Springer, Cham.

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Pic, P. ; Landriault, M. et Lasserre, F. (2023). Beyond Hans Island: the Canada-Denmark agreement possible impact on mobility and continental shelves. International journal, à paraitre.

Weber, B. (2014). Stephen Harper’s North Pole bid caught bureaucrats by surprise. CBC, 9 nov., https://www.cbc.ca/news/politics/stephen-harper-s-north-pole-bid-caught-bureaucrats-by-surprise-1.2829243

[1] La ligne de base suit le tracé de la laisse de basse mer (au large de la côte) pour la ligne de base dite normale ; l’État peut aussi, en cas de côte très découpée ou en présence d’un chapelet d’îles, simplifier le tracé de celle-ci en traçant une série de lignes de base droites.

[2] Article 4 de l’Annexe II de la Convention de Montego Bay relative à la Commission des limites du plateau continental (Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, Annexe II – Commission des limites du plateau continental, 1982, https://jusmundi.com/fr/document/treaty/fr-annexe-ii-commission-des-limites-du-plateau-continental; Choquet, 2021).

[3] Site de la CLPC : https://www.un.org/Depts/los/clcs_new/clcs_home.htm

[4] Sauf pour la dorsale de Gakkel, que la Commission considère ne pas faire partie de la marge continentale au vu des éléments du dossier russe (CLPC, 2023, p.24).

[5] Cour Internationale de Justice, Arrêt du 20 février 1969, Affaire du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark), Recueil de la Cour Internationale de Justice, 1969.

Les politiques indo-pacifiques du Canada et du Québec : réflexions croisées

Regards géopolitiques vol.9, n.2, 2023

Frédéric Lasserre, Directeur du CQEG

Résumé : En novembre 2022, le Canada publiait sa Stratégie pour l’Indo-Pacifique. Cette stratégie suivait de quelques mois celle du Québec, publiée en en décembre 2021. Ces documents d’orientation politique suivent plusieurs documents similaires publiés par le Japon, l’Australie, les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni, dans un contexte international de changement des paradigmes réflexifs pour aborder les relations régionales et internationales en Asie. Quels sont les principaux éléments mis de l’avant dans ces stratégies ?  Proposent-elles des lectures et des approches convergentes envers la région indo-pacifique ?

Mots-clés : Indo-Pacifique, stratégie, Canada, Québec, Chine, Japon, Inde.

Summary : In November 2022, Canada published its Indo-Pacific Strategy. This strategy followed by a few months a similar document from Quebec, published in December 2021. These policy documents follow several similar documents published by Japan, Australia, the United States, France or the United Kingdom, in an international context of changing reflexive paradigms for addressing regional and international relations in Asia. What are the main elements put forward in these strategies?  Do they propose convergent readings and approaches for the Indo-Pacific region?

Keywords : Indo-Pacific, strategy, Canada, Quebec, China, Japan, India

En novembre 2022, le Canada publiait sa Stratégie pour l’Indo-Pacifique (Gouvernement du Canada, 2022). Cette stratégie suivait de quelques mois celle du Québec, publiée en en décembre 2021 (Gouvernement du Québec, 2021). Ces documents d’orientation politique suivent plusieurs documents similaires publiés par le Japon, l’Australie, les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni, pour n’en citer que quelques-uns, dans un contexte international de changement des paradigmes réflexifs pour aborder les relations régionales et internationales en Asie (Nagao, 2019; Berkofsky et Miracola, 2019). Lancé en 2007 par le premier ministre japonais Shinzo Abe, le concept d’Indo-Pacfique, pendant longtemps peu relayé, connait depuis quelques années un engouement marqué. Il ne s’agira pas ici de considérer les raisons de cet intérêt – ou de cet effet de mode – mais plutôt de s’interroger sur les caractéristiques des stratégies indo-pacifiques du Canada et du Québec. Quelles en sont les principales idées, alors que se singularisent deux grandes orientations dans la plupart des stratégies indo-pacifiques publiées à ce jour : la plupart accordent une place très importante à la Chine, dont l’ascension économique et politique bouscule les intérêts de nombreux États, voire les inquiète dans ce qu’Isabelle St-Mézard qualifie d’anxiété géopolitique (Saint-Mézard, 2023) ; en réaction, toutes oscillent entre des positions visant à contrer la Chine et son ascension, ou au contraire à maintenir un espace régional inclusif afin de ménager le dialogue avec Beijing (Martin 2019; Heiduk et Wacker, 2020; Goin, 2021).

1. La notion de paradiplomatie

Cette comparaison des stratégies indo-pacifiques du Canada et du Québec pourrait prêter le flanc à l’argument que le Québec n’est pas un État souverain, et que donc il ne peut ni définir de stratégie diplomatique, ni être pertinent dans une analyse de stratégies définies par des États indépendants. Formellement, cela est exact, mais très réducteur. Un champ important des sciences politiques et des relations internationales étudie depuis plusieurs années ce que l’on appelle la paradiplomatie, soit l’action internationale d’entités politiques de rang 2, à savoir des États fédérés ou des administrations qui se sont dotés d’outils de relations internationales. On oublie ainsi qu’au sein de la très jacobine et centralisatrice République française, les collectivités d’outre-mer du Pacifique, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie, ont constitutionnellement la latitude de développer des relations autonomes avec des gouvernements étrangers tant que cela n’interfère pas avec la défense ou les douanes.

Le Canada est un État fédéral, dans lequel les administrations de rang 2 (les provinces) sont juridiquement des États. Dans le cadre de la Révolution tranquille, mouvement socio-politique majeur qui a bouleversé la société québécoise des années 1960, la volonté d’affirmation de l’autonomie du Québec s’est notamment traduite par un souci d’affirmation à l’étranger également, même si les affaires étrangères sont de compétence fédérale. Dès 1961, le Québec inaugure à Paris une Délégation générale, première d’une série de plusieurs qui structure aujourd’hui le réseau des représentations politiques du Québec à l’étranger. Depuis 1965, la doctrine Gérin-Lajoie est le fondement de la politique internationale du Québec ; elle affirme que la souveraineté d’une province canadienne dans ses champs de compétence devrait s’appliquer également dans ses relations internationales. Tous les partis politiques au Québec, souverainistes comme fédéralistes, ont poursuivi cette politique, que le gouvernement canadien tolère.

Panayotis Soldatos a défini la paradiplomatie comme « la poursuite directe, à des degrés variables, d’activités internationales de la part d’un État fédéré » (Soldatos, 1990). Le concept est largement répandu aujourd’hui (Paquin, 2004) et appliqué à des États quasi-fédéraux également. Ce concept demeure à géométrie variable : tous les États fédérés ne mènent pas forcément une action internationale/politique étrangère. On observe également une diversité de l’engagement de l’État dans sa paradiplomatie, entre Québec, Écosse, Flandre, Catalogne, Groenland… Le Québec n’est pas souverain et ne définit donc pas de politique étrangère pleine et entière – donc son action ne couvre pas tous les domaines : c’est à garder à l’esprit dans la comparaison des cadres politiques du Québec et du Canada.

2. La politique indo-pacifique du Canada

La stratégie canadienne définit l’Indo-Pacifique comme l’Asie orientale, l’Asie du Sud-est, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les 14 pays insulaires du Pacifique, le sous-continent indien et les Maldives. Les Seychelles, l’Asie centrale, la Russie d’Asie, le Moyen-Orient en sont ainsi exclus. La pertinence de ce régionyme nouveau d’Indo-Pacifique n’est pas justifiée ; le document explique cependant que la région ainsi définie représente une part importante de l’économie mondiale, la moitié en 2040. C’est une région qui connait globalement une grande vitalité démographique mais aussi économique. C’est une région qui suscite des « défis stratégiques » majeurs, essentiellement du fait de l’ascension de la Chine; une région qui implique le Canada de par sa façade Pacifique, et qu’il importe d’engager dans la voie du développement durable « si nous voulons relever les grands défis mondiaux », dont « la lutte contre les changements climatiques » et le développement durable (p.3).

La politique vise donc à approfondir les partenariats régionaux, pour promouvoir la paix, le développement durable, les échanges commerciaux et les investissements. Le Canada « entretient des relations étroites avec ses partenaires et amis », mais « il y a aussi des pays dans la région avec lesquels le Canada est fondamentalement en désaccord; le Canada doit être lucide quant aux menaces et aux risques que ces pays représentent ». Certes, il faut « maintenir le dialogue » (p.6), « il est nécessaire de coopérer » (p.8), mais la stratégie énonce clairement que certains pays constituent des menaces. La Chine est clairement visée : elle est une « puissance mondiale de plus en plus perturbatrice », qui peut faire preuve d’« arrogance » et déployer une « diplomatie coercitive » (p.7). On est loin des discours lénifiants des cadres généraux de politique du Canada qui prévalaient dans le passé, dans lesquels la confiance en l’attrait du modèle occidental et la perception de la maitrise des enjeux de sécurité ne conduisaient pas le Canada comme les États-Unis ou l’Australie ou le Japon, à nourrir cette anxiété géopolitique qui les conduit maintenant à incriminer directement le gouvernement chinois. Entendons-nous : il ne s’agit pas ici de défendre la Chine, mais simplement de souligner le changement de ton à Ottawa, changement très officiellement consacré dans la Stratégie régionale en 2021.  L’objectif est clairement de soutenir une approche « fondée sur des règles » (p.9) et de repousser toute action unilatérale, implicitement de la Chine, envers Taiwan ou dans les mers de Chine du Sud et de l’Est.

Trois pages sont ainsi consacrées à la Chine, puis une page sur l’Inde, deux pages pour le Pacifique Nord (Japon et Corée), une page (2 avec des figures) pour l’ANASE (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, ASEAN en anglais) avec des axes politiques très généraux. La Chine est mentionnée 53 fois dans le document, l’Inde 22 fois, la Corée 27 fois, le Japon 18, l’ANASE 22 fois : le document s’efforce de parvenir à un certain équilibre, mais, reflet de l’énoncé de politique générale dans lequel la réaction face au rôle perturbateur de la Chine est clairement soulignée, la place accordée à la Chine est dominante – plus de deux fois plus que le 2e pays mentionné le plus souvent, la Corée.

Le document articule par la suite les 5 axes prioritaires : Promouvoir la paix, la résilience et la sécurité ; accroitre les échanges commerciaux et les investissements, et renforcer la résilience des chaines d’approvisionnement; investir dans les gens et tisser des liens entre eux ; bâtir un avenir durable et vert ; demeurer un partenaire actif et engagé.

La tonalité du premier axe montre qu’ici encore, le raisonnement implicite vise la Chine : seule la modernisation de l’armée chinoise est mentionnée parmi tous les pays de la région, comme menace implicite. La tonalité très défensive se poursuit avec un paragraphe sur l’Arctique : « le Canada est conscient que les puissances de l’Indo-Pacifique considèrent l’Arctique comme une région offrant des débouchés », constat qui semble signifier que cet intérêt est lourd de menaces puisque la phrase suivante explique que « Le Canada est déterminé à maintenir la paix et la stabilité dans la région » (p.16). Si ce premier axe est développé sur trois pages, comme la seconde section sur l’économie. Les axes suivants s’appuient sur des passages plus courts, mais articulent des objectifs de politique générale (développement durable( parfois originaux (investir dans les gens et les liens entre populations. Le document présente pour chaque axe les façons d’atteindre les objectifs retenus : ces aspects pratiques représentent 9 pages et demie (35%) sur les 27 du document.

3. La Stratégie territoriale pour l’Indo-Pacifique du Québec

Pas plus que la Stratégie canadienne, la Stratégie québécoise ne cherche vraiment à justifier le terme d’indo-pacifique. Le document mentionne un objectif de relance économique dans un contexte de fin de pandémie de covid-19, soulignant d’emblée une lecture de la région nommée Indo-Pacifique en des termes résolument économiques. La région constitue un « nouveau centre de gravité de l’économie mondiale » (p.3); on le disait déjà de l’Asie-Pacifique en 1997 lors de la première mission commerciale Québec Chine et, de manière générale, dans les années 1990 avec le succès du concept d’Asie-Pacifique. Constater le poids économique dominant d’une région rassemblant 35% des terres et 65% de la population n’a rien de novateur. En revanche, au-delà du cliché du poids économique majeur de l’Indo-Pacifique, le document souligne deux points : cette région est marquée par un fort dynamisme économique – comme pour la stratégie canadienne – mais elle est aussi traversée de rivalités. Rivalité entre la Chine et les États-Unis, présentée comme un paramètre et non comme une prémisse politique engageant la vigilance du Québec, mais une rivalité qui a des impacts sur les partenaires de ces deux pôles économiques. Rivalité également entre Inde et Chine, deux géants démographiques, politiques et économiques. On observe donc un monde en recomposition, avec des risques, mais aussi des occasions. Le document relève que certains lisent la région sous un prisme sécuritaire (QUAD, AUKUS) ; qu’on y observe le déploiement des nouvelles routes de la soie et de contre-projets indiens ou japonais, et que ces rivalités se traduisent aussi à travers de nombreux accords commerciaux à géométrie variable.

La Stratégie se place résolument dans le domaine du commercial. Le premier axe stratégique concerne le commerce international et les investissements. Le second cherche à renforcer la recherche, l’innovation et la formation, non seulement pour maintenir la compétitivité des entreprises québécoises, mais aussi pour favoriser la collaboration avec des laboratoires asiatiques et pour développer le marché de la formation offerte au Québec aux chercheurs et étudiants asiatiques – « Développer une intelligence d’affaires en éducation et enseignement supérieur » (p.18).

Le 3e axe porte sur l’économie verte et le développement durable. Il s’agit de renforcer l’engagement du Québec en matière de développement durable, tout comme dans la stratégie canadienne. Il s’agit donc d’un engagement politique certes, mais aussi économique : des efforts seront ainsi déployés pour promouvoir « l’offre et le savoir-faire du Québec en matière de développement durable et de tourisme responsable » (p.19) ; un engagement politico-social également : on souhaite « favoriser le partage d’expertise sur la dimension sociale du développement durable » (p.19). Le concept de valeur intervient ici : liberté, démocratie, justice, durabilité, mais sans qu’aucun État ne soit stigmatisé. Le document reconnait du même souffle le potentiel de coopération dans ce domaine : plusieurs sociétés de la région ont développé des expertises potentiellement bénéfiques pour le Québec, Australie, Nouvelle-Zélande, Chine, Corée, Japon… dans une optique de partage (pas seulement de vente) et de coopération.

Le 4e axe porte sur la main-d’œuvre ; le 5e sur la culture, et un 6e axe transversal porte sur la jeunesse, atout commun aux sociétés de la région dont il faut renforcer la curiosité, la formation, les contacts pour forger des liens trans-océaniques.

À travers l’analyse de cette stratégie, on relève :

  • L’expression de principes politiques certes, mais formulés de façon modérée – droits de la personne ; développement durable – une demi-page
  • La présence d’objectifs politiques – développer l’influence du Québec et le développement durable – pour soutenir les valeurs certes, mais surtout pour favoriser la coopération et les objectifs socio-économiques.
  • Une approche résolument pragmatique – de nombreuses pistes d’action sont exposées. Sur 19 pages de texte, un total d’environ 9 pages (47%) présentent les actions à mener.
  • Une approche intégrée : le document expose les liens qui associent les différents axes de la stratégie, le développement durable, la formation de la main-d’œuvre, la recherche, la culture permettant certes d’envisager des développements économiques, mais aussi de renforcer le pouvoir d’influence du Québec, dont le rôle crucial en Asie est rappelé dans le document, dont on espère indirectement pouvoir récolter les fruits économiques à terme. Les axes de cette stratégie ne sont pas disjoints, mais bien au contraire proposent un plan d’action pensé comme cohérent et articulant l’ensemble des actions proposées.
  • Aucun État n’est directement incriminé dans cette stratégie, au-delà du constat très factuel de la rivalité sino-américaine. L’approche politique demeure modérée, non militante : le concept de valeurs est mentionné 2 fois ; mais celui de coopération 12 fois. Ce discours parait similaire à celui du Canada, mais la stratégie québécoise ne propose pas d’action spécifique visant à répondre à une quelconque menace chinoise.
  • On y découvre une approche géographique équilibrée : certes la Chine fait l’objet de 30 mentions ; mais le Japon 25 ; la Corée du Sud 24 ; l’Inde 22 ; l’Australie 14 ; le Vietnam 11 ; l’Indonésie et l’Asie du Sud-Est, 6 chacun.

4. Deux stratégies convergentes ?

Toute comparaison des deux stratégies canadienne et québécoise doit rappeler un paramètre de taille : le Québec n’étant pas un État souverain, il ne peut développer d’éléments forts de politique étrangère, a fortiori en matière de défense ou d’accords commerciaux. De fait, il ne peut développer de lien avec l’institution qu’est l’ASEAN, ni tenir de discours à fort contenu diplomatique ou de sécurité. Cela explique en partie l’absence de place importante consacrée aux enjeux politiques en Asie – en partie seulement, on y reviendra.

Des convergences se dessinent : les deux stratégies font la part belle aux enjeux économiques (commerce, investissements) ; aux questions de développement durable ; à la main-d’œuvre, à l’immigration, à la formation et à la jeunesse, des aspects qu’on retrouve peu souvent dans les stratégies indo-pacifiques.

Mais des différences importantes se dessinent. Sur la forme tout d’abord : la stratégie québécoise a réussi à proposer une série d’orientations et d’actions qui présentent un fort degré d’intégration et de synergie, ce qu’on observe nettement moins du côté de la stratégie fédérale canadienne.

Sur le fond ensuite : certes le Québec n’a pas à se prononcer sur une posture politique à l’endroit de la Chine ; mais il aurait néanmoins pu développer un propos plus incisif sur la question des valeurs et de la trajectoire politique de celle-ci, ce qu’il a choisi de ne pas faire. Le portrait politique de la dynamique politique dans la région est lucide – on observe l’émergence de vives tensions – mais ce constat demeure factuel et ne suscite pas de critique même si l’attachement aux valeurs démocratiques est formulé. La stratégie québécoise se veut un document résolument pragmatique pour permettre le développement de la coopération en Indo-Pacifique. À l’inverse, la stratégie canadienne, en rupture avec les discours relativement idéalistes sur l’Asie que développaient les administrations libérales précédentes, souligne l’importance d’une certaine résilience face à l’émergence d’une Chine perçue comme une menace potentielle. La main demeure tendue ,mais le discours n’en demeure pas moins incriminant, polémique voire vindicatif pour un document de politique régionale. Fin de l’innocence et de la croyance candide dans la vertu de l’ouverture économique envers la Chine, qui conduirait nécessairement celle-ci à réformer son régime politique ? Car telle était pendant longtemps la croyance inébranlable des Occidentaux, et des gouvernements libéraux de Jean Chrétien (1993-2203) à Paul Martin (2003-2006) (The Economist, 2018; Sampson, 2020). Ou angoisse géopolitique ?  Sans doute un peu des deux. Il reste à savoir si la politique menée sur la base de cette stratégie pourra demeurer proactive et non réactive, et favoriser la coopération et l’engagement du Canada envers non seulement ses partenaires, Japon, Corée, Australie et Inde principalement, mais également à l’endroit de la Chine (Paikin, 2023).

Frédéric Lasserre

Références

Berkofsky, A. et S. Miracola (2019). Geopolitics by Other Means : the indo-pacific reality. Milan : ISPI, https://www.ispionline.it/en/publication/geopolitics-other-means-indo-pacific-reality-22122

Goin, V. (2021). L’espace indopacifique, un concept géopolitique à géométrie variable face aux rivalités de puissance. Géoconfluences, 4 oct., http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/oceans-et-mondialisation/articles-scientifiques/espace-indopacifique-geopolitique

Gouvernement du Canada (2022). La Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique. Ottawa, https://www.international.gc.ca/transparency-transparence/indo-pacific-indo-pacifique/index.aspx?lang=fra

Gouvernement du Québec (2021). Cap sur la relance : des ambitions pour le Québec. Stratégie territoriale pour l’Indo-Pacifique. Québec,  https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/relations-internationales/publications-adm/politiques/STR-Strategie-IndoPacifique-Long-FR-1dec21-MRIF.pdf

Heiduk, F. et Wacker, G. (2020). From Asia-Pacific to Indo-Pacific. Significance, Implementation and Challenges. SWP Research Paper 9, Berlin, juillet, https://www.swp-berlin.org/publications/products/research_papers/2020RP09_IndoPacific.pdf

Martin, B. (2019). Cartographier les discours sur l’Indo Pacifique. Carnets de Recherche, Sciences-Po, 18 déc., https://www.sciencespo.fr/cartographie/recherche/cartographier-les-discours-sur-lindo-pacifique/

Nagao, S. (2019). Strategies for the Indo-Pacific: Perceptions of the U.S. and Like-Minded Countries. Washington, DC : Hudson Institute, décembre, https://www.hudson.org/national-security-defense/strategies-for-the-indo-pacific-perceptions-of-the-u-s-and-like-minded-countries

Paikin, Z. (2023). La “doctrine Freeland” et la stratégie Indo-Pacifique du Canada : entre isolement et confusion, Note politique 26, Réseau d’analyse stratégique, 2 janvier, https://ras-nsa.ca/fr/la-doctrine-freeland-et-la-strategie-indo-pacifique-du-canada/

Paquin, S. (2004). Paradiplomatie et relations internationales, Bruxelles: Peter-Lang.

Saint-Mézard, I. (2022). Géopolitique de l’Indo-Pacifique. Paris : PUF.

Sampson, X. (2020). Quelle marge de manoeuvre a l’Occident face à la Chine?. La Presse, 7 juillet, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1717514/chine-commerce-expansion-economie-politique-puissance

The Economist (2018). How the West got China wrong. The Economist, 1er mars, https://www.economist.com/leaders/2018/03/01/how-the-west-got-china-wrong

Les routes maritimes arctiques

Regards géopolitiques, v8n3

Hervé Baudu (2022). Les routes maritimes arctiques. Paris : L’Harmattan, 155 p.

Avec le réchauffement climatique trois fois plus important aux pôles que sur le reste de la planète, les eaux polaires arctiques sont en théorie de plus en plus accessibles au trafic maritime, et ce sur de plus en plus longues périodes estivales. Cette ouverture accroit également l’accès aux ressources naturelles en mer et dans les espaces côtiers. La construction de brise-glaces russes, les projets gigantesques d’extraction d’hydrocarbures du côté russe, et dans une moindre mesure du côté norvégien, n’ont jamais été aussi importants que dans cette décennie et viennent faire écho à l’exploitation pétrolière en Alaska active depuis les années 1970. Les routes maritimes arctiques plus courtes sont-elles appelées à concurrencer les routes classiques par les canaux de Panama et de Suez ? L’augmentation du trafic maritime est-elle source de tension dans cette zone de plus en plus soumise à son exploitation ? Cet ouvrage entreprend de mieux cerner les enjeux maritimes, environnementaux, économiques et géopolitiques liés à l’exploitation de cet espace arctique en décrivant les principes qui les régissent.

Membre de l’Académie de Marine, Hervé Baudu est professeur de sciences nautiques à l’École Nationale Supérieure Maritime. Ses travaux sur la navigation dans les glaces l’ont conduit à naviguer à de nombreuses reprises en Arctique et en Antarctique. Il est expert des sujets maritimes polaires auprès du ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères. Son expertise est donc précieuse pour permettre de départager la réalité des clichés, encore trop nombreux, sur l’avènement de futures autoroutes polaires du seul fait de la fonte estivale de la banquise – car cela est déjà un point important : la glace sera toujours présente en Arctique en hiver et imposera donc aux armateurs une saisonnalité marquée entre un hiver très froid, dans la nuit polaire et avec des glaces annuelles conséquentes, et un été au cours duquel effectivement la tendance est au déclin rapide de la banquise, en épaisseur comme en extension.

Le plan de l’ouvrage suit une démarche analytique claire. La 1ere partie présente l’environnement dans lequel se déploie la navigation arctique, en croissance effectivement. Quelles sont les caractéristiques environnementales de l’espace arctique et comment les changements climatiques l’ont-ils marqué ? Quelles sont les routes maritimes développées, en soulignant bien la différence entre trafic de destination, en croissance – les navires qui viennent dans l’Arctique pour y effectuer une activité économique, desserte des communautés, pêche, tourisme ou extraction des ressources – et le trafic de transit, les navires qui s’efforcent de mettre à profit la distance plus courte entre Asie et Europe via les eaux arctiques, un trafic encore fort limité.  L’auteur présente également les infrastructures de la Route maritime du Nord, côté russe donc, soulignant la faiblesse des équipements côté canadien.

La seconde partie organise une discussion des conditions de navigation en Arctique. Quels sont les navires qui peuvent y circuler ? Quelle est la réglementation concernant l’architecture des navires et les normes en matière de coque ?  Quels sont les brise-glace en service destinés à faciliter la circulation des navires, ces brise-glace tout comme des navires à forte capacité de navigation arctique étant de plus en plus puissants, tant il est vrai que la navigation arctique n’est pas une question de technologie, mais de coûts et d’opportunité stratégique pour les entreprises, qui ne raisonnent pas qu’en termes de distance plus courte.

La troisième partie décrit la réglementation et la gouvernance de cette région : comment sont définis les espaces maritimes et comment ceux-ci encadrent-ils la navigation ou l’exploitation des ressources naturelles ? Quelles sont les institutions arctiques (notamment de Conseil de l’Arctique) et quel rôle joue-t-il ? Que peut-on dire de la militarisation de ;la région arctique, avec la tendance réelle du pouvoir russe à renforcer ses capacités de défense côtière, mais après de nombreuses années de déclin accéléré suite à l’implosion de l’Union soviétique en 1991 ?

La Russie est l’acteur qui imprime le plus sa marque dans la région, du fait d’un volontarisme d’État qui conduit la Russie à rouvrir de vieilles bases militaires, à construire de nouveaux ports, de nouveaux brise-glace, à explorer le potentiel économique des régions arctiques sans la retenue que la rentabilité fragile de tels projets impose aux autres acteurs arctiques, en Europe (Norvège, Islande, Suède, Finlande) ou en Amérique du Nord (Canada et États-Unis). Les résultats décevants de nombreuses campagnes de prospection pétrolière et gazière au Groenland, en mer de Beaufort on relativisé l’attrait de la région arctique pour les entreprises pétrolière, tandis que les compagnies minières évaluent avec attention chaque projet tant les coûts d’extraction demeurent élevés. Le trafic de transit attire peu d’armateurs et c’est essentiellement la navigation de destination qui tire la croissance du trafic maritime arctique. Certes, l’Arctique est une région stratégique pour la Russie qui entend bien mettre en valeur, quoi qu’il en coûte, son potentiel minier, en hydrocarbures et en matière de transport. La poursuite de la fonte des glaces pourrait permettre la poursuite de la croissance du trafic dans les décennies à venir. Mais on est loin, nous rappelle l’auteur, des scénarios grandioses du tournant du 21e siècle, des autoroutes maritimes et de l’eldorado arctiques. En ce sens, cet ouvrage clair et bien structuré constitue un rappel qu’il est toujours risqué de se laisser emporter par l’enthousiasme d’analyses à courte vue.

Frédéric Lasserre

Directeur du CQEG

Le passage du Nord-Ouest : enjeux de la revendication canadienne

Alexia Marchal

Alexia Marchal est diplômée en Sciences politiques de l’Université catholique de Louvain[1].
alexia.marchal@gmail.com

Résumé : Le Canada connaît un différend territorial avec les États-Unis au sujet du passage du Nord-Ouest. Le Canada considère en effet que les eaux du passage sont des eaux intérieures alors que les États-Unis affirment que le passage est un détroit international. Cet article analyse ainsi les enjeux derrière ces revendications canadiennes, c’est-à-dire l’identité, la sécurité, l’environnement ainsi que les intérêts commerciaux et économiques.

Mots-clés : Canada, Arctique, passage du Nord-Ouest, revendication territoriale, souveraineté

Summary : Canada has a territorial dispute with the United States concerning the Northwest Passage. Canada indeed considers that the waters of the passage are internal waters, while the United States claims that the passage is an international strait. This article analyses the stakes behind these Canadian claims, namely identity, security, environment as well as commercial and economic interests.

Keywords : Canada, Arctic, Northwest Passage, territorial claim, sovereignty

Introduction

Le passage du Nord-Ouest est composé de différentes voies maritimes situées dans l’archipel arctique canadien (Byers, 2013). Il comporte sept routes situées entre le détroit de Béring et le détroit de Davis (Headland, 2020). Le Canada connaît un litige à son sujet, l’opposant principalement aux États-Unis, mais également à l’Union européenne. Le différend ne porte pas sur la souveraineté des îles de l’archipel, qui sont canadiennes, mais concerne uniquement le statut juridique des eaux (Byers, 2013). Le Canada estime que le passage du Nord-Ouest constitue des eaux intérieures et est donc sous sa pleine et entière souveraineté, selon l’article 2 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Lasserre, 2017). Cela implique que l’accès à ces eaux est soumis à la permission de l’État côtier et que le droit interne canadien s’y applique. Les États-Unis affirment cependant que le passage est un détroit international, les navires étrangers pouvant y accéder librement et bénéficiant d’un droit de passage en transit, selon l’article 38 de la Convention sur le droit de la mer (Byers, 2013).

En 1969, un évènement a incité le Canada à renforcer sa position. En effet, le pétrolier américain S.S. Manhattan a traversé le passage du Nord-Ouest sans demander l’autorisation du Canada. Cela a entraîné des tensions entre les deux États. Depuis cet incident, le Canada et les États-Unis sont en désaccord sur le statut des eaux du passage (Lalonde, 2007 ; Plouffe, 2010). En 1985, des tensions entre les deux pays sont à nouveau apparues suite à la traversée du passage par le brise-glace américain Polar Sea. L’autorisation canadienne n’avait pas non plus été accordée au préalable, mais les autorités canadiennes avaient été prévenues du transit (Lasserre et Roussel, 2007 ; Byers cité par van Duyn et Nicol, 2015). La même année, le Canada a défini des lignes de base droites entourant les îles arctiques, ce qui implique que les eaux situées à l’intérieur de ces lignes sont des eaux intérieures selon les articles 7 et 8 de la Convention sur le droit de la mer (Lasserre et Roussel, 2007). Les États-Unis considèrent que ces lignes de base ne respectent pas les principes du droit international (Roach et Smith cités par McDorman, 2009). L’État canadien estime également que ces eaux sont des eaux historiques (Lasserre et Roussel, 2007). Le différend n’implique pas un conflit ouvert entre les deux États. Une entente n’a néanmoins pas encore été trouvée et peu d’évolutions sont observées à cet égard (van Duyn et Nicol, 2015).

Par ailleurs, avec le changement climatique, la projection de l’ouverture du passage du Nord-Ouest a de nouveau mis en avant le différend entre le Canada et les États-Unis (Lasserre et Roussel, 2007). En septembre 2007, un record de la fonte de la banquise a été observé en termes de surface. Le passage du Nord-Ouest est devenu pour la première fois temporairement libre de glace et donc accessible aux navires autres que des brise-glaces. Cela fut encore plus important en 2012 selon l’United States National Snow and Ice Data Center (Byers, 2013). Depuis 2006, une augmentation du trafic est d’ailleurs observée dans l’Arctique canadien, même si cela reste faible (Lasserre, 2011 ; Lasserre, 2020a). Le statut du passage n’était pas une préoccupation très importante lorsque celui-ci était difficile d’accès et que seuls d’imposants brise-glaces pouvaient le traverser. Cependant, avec le changement climatique et la fonte des glaces qu’il entraîne, la navigation augmente et le statut juridique importe donc davantage (Byers, 2013). Le passage pourrait en effet devenir une route commerciale et permettre le transit de navires militaires, notamment américains. Les variations climatiques remettent donc à l’avant-plan les interrogations relatives à la souveraineté du Canada sur le passage (Lasserre, 2010 ; Pic, 2020). Considérant ces différents éléments, cet article a pour but de répondre à la question : « quels sont les différents enjeux liés à la revendication canadienne sur le passage du Nord-Ouest ? ». Quatre principaux enjeux ont ainsi été identifiés et analysés : la dimension identitaire, l’enjeu sécuritaire, l’environnement ainsi que les intérêts commerciaux et économiques.

Fig.1. Le passage du Nord-Ouest

Source : Lasserre, 2011 :3

  1. La dimension identitaire

Une dimension identitaire intervient dans le différend concernant le passage du Nord-Ouest (Lasserre, 2010). Pour les Canadiens, « l’Arctique fait, en effet, partie de leur imaginaire collectif et de l’image qu’ils veulent projeter à l’étranger », l’Arctique étant également un élément qui permet de rallier l’opinion publique (Lasserre et Roussel, 2007 :275-276). En outre, la « nordicité contribue à faire ce que sont les Canadiens, et à définir qui ils sont, tant comme individus que comme nation », cette nordicité apparaît d’ailleurs de manière importante dans la culture et la littérature mais également en politique (Arnold, 2010 :120).

Cependant, ce lien qu’ont les Canadiens avec le Nord est ambigu car la plupart ne s’y sont jamais rendus et n’ont pas beaucoup de connaissances sur la région. Définir le Nord et le situer géographiquement font également l’objet de multiples réponses en raison des différents critères de définition adoptés (climatiques, géographiques …). La nordicité reste néanmoins unificatrice, notamment parce que la notion est floue et a plusieurs sens. Cette caractéristique en fait alors un élément utilisé en politique pour de nombreuses causes (Arnold, 2010). Le premier ministre Stephen Harper avait par exemple développé un discours sur la souveraineté canadienne (Lackenbauer, 2017). Le gouvernement conservateur mettait en évidence le lien entre l’identité et la souveraineté du Canada (Genest et Lasserre, 2015). En 2007, le premier ministre Harper (cité par Genest et Lasserre, 2015 :65) avait déclaré dans un discours au sujet de la souveraineté canadienne en Arctique « soit nous l’utilisons, soit nous la perdons ». L’Arctique a été présentée comme primordiale pour l’identité canadienne et cela a été instrumentalisé dans les discours du gouvernement (Genest et Lasserre, 2015). Genest et Lasserre (2015) ont d’ailleurs montré que l’aspect identitaire est celui qui apparaissait le plus dans les discours du gouvernement de Stephen Harper, par rapport à d’autres tels que les aspects économique, environnemental et sécuritaire. Cet accent mis sur l’identité a été utilisé pour construire la souveraineté canadienne en Arctique, justifier certaines politiques telles que des investissements militaires et les positions du gouvernement au sujet de l’Arctique ainsi que pour façonner la représentation qu’ont les Canadiens de la région arctique (Genest et Lasserre, 2015). Le changement de gouvernement a cependant amené un nouveau discours politique sur l’Arctique (Lackenbauer, 2017). Le premier ministre actuel, Justin Trudeau, met davantage l’accent sur la réconciliation avec les populations autochtones et la « santé socio-culturelle » de ces peuples [traduction] (Lackenbauer, 2017 :309).

De plus, cette identité nordique canadienne est exprimée dans la politique étrangère de l’État. Le Canada utilise en effet cette image de la nordicité dans ses relations avec les autres États (Arnold, 2010). Selon Arnold (cité par Arnold, 2010), la politique étrangère participe à la construction de l’identité nationale à l’intérieur du pays mais est également une projection de cette identité. C’est ainsi le cas de la « nordicité inuite » qui est utilisée par l’État canadien dans sa politique étrangère mais celle-ci participe aussi à la structuration de son identité (Arnold, 2010 :135).

L’aspect identitaire de l’Arctique est également lié à la présence d’Inuits, un peuple autochtone, dans la région (Lasserre et Roussel, 2007). Cette présence est notamment utilisée par le Canada pour justifier sa revendication (Pic, 2020). En effet, les populations inuites occupent les territoires arctiques depuis des milliers d’années et utilisent les eaux ainsi que la glace pour le transport et la chasse (van Duyn et Nicol, 2015 ; Byers, 2013). De même, « la glace couvrant les voies navigables entre les îles a été traitée de la même manière que les terres » [traduction], certains affirmant que cette caractéristique fait que l’archipel arctique canadien doit être considéré différemment dans les discussions sur la souveraineté (Gerhardt et al. cités par van Duyn et Nicol, 2015 :753).

De plus, les Inuits ont contribué à renforcer la souveraineté du Canada en Arctique. Lorsque le Canada a tracé des lignes de base droites autour de l’archipel canadien en 1985, diverses organisations inuites ont soutenu cette initiative (Arnold, 2010). Les Inuits estimaient en effet que « les revendications canadiennes pouvaient être fondées sur l’usage historique de ces territoires terrestres et maritimes par les peuples inuits » (Arnold, 2010 :128). De même, les accords sur les revendications territoriales de ces peuples ont servi à soutenir les revendications canadiennes en Arctique. C’est par exemple le cas de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, même si celui-ci a avant tout été conclu dans le cadre de la politique sur les nouvelles relations et le partenariat entre les peuples autochtones et l’État. Ces accords internes ont donc également une dimension de politique étrangère. Pour les Inuits, cela leur permettait de participer à la gestion de leur territoire et de donner leur avis à cet égard (Arnold, 2010).

Enfin, un autre aspect identitaire du différend est la relation entre le Canada et les États-Unis (Lasserre, 2010). La culture autochtone canadienne est d’abord utilisée par l’État pour se construire une identité nationale différente des Américains (Pupchek, 2001 ; Mackey citée par Arnold, 2010). Par ailleurs, les contestations concernant la souveraineté canadienne sur les eaux de l’archipel proviennent principalement des États-Unis depuis le XXe siècle. Ainsi, la protection de la région est utilisée par les Canadiens pour se distinguer des Américains, ceux-ci se préoccupant parfois moins de l’environnement, notamment sous l’administration de George W. Bush. Le fait que les États-Unis rejettent la souveraineté canadienne sur le passage du Nord-Ouest contribue à accroître le nationalisme canadien (Lasserre et Roussel, 2007 ; Roussel, 2010). Celui-ci se définit principalement « face aux États-Unis dont l’influence politique, économique et culturelle exerce une pression sur l’identité de la société canadienne » (Roussel, 2010 :180-181). Le litige est ainsi perçu par l’opinion publique comme étant une contestation d’une partie du territoire par « l’État qui constitue la plus grande menace identitaire pour le Canada », contester la position américaine représentant alors « un geste d’affirmation nationale » (Lasserre et Roussel, 2016, para. 69). Cette construction identitaire opposée aux Américains est une des raisons pour laquelle le Canada ne parvient pas trouver un compromis avec les États-Unis au sujet du statut du passage du Nord-Ouest. Ces derniers tiennent également à la libre circulation de leurs navires (Lasserre, 2010).

  1. L’enjeu sécuritaire

Si le passage du Nord-Ouest devenait une route maritime plus empruntée, cela pourrait avoir des conséquences sur la sécurité du Canada (Lalonde, 2007). Les trafics d’armes et de drogue, l’immigration clandestine ainsi que le terrorisme sont des risques potentiels. Le fait que le passage soit libre de glace le rend en effet plus accessible et potentiellement utilisable pour transporter des marchandises de contrebande ou des personnes vers l’Europe, l’Amérique ou entre les océans Pacifique et Atlantique (Byers, 2010). Ces risques sont d’autant plus probables puisque le passage du Nord-Ouest est moins surveillé que le canal de Panama, par exemple. Cela rend le passage plus attractif pour de potentiels trafiquants (Byers et Lalonde, 2009).

De plus, les communautés locales n’effectuent pas de contrôles d’immigration alors que des ressortissants étrangers sans papiers y accèdent grâce aux bateaux de croisière accostant dans la région (Byers, 2009). Ainsi, si les eaux du passage du Nord-Ouest étaient reconnues en tant qu’eaux intérieures, des contrôles au niveau des entrées des personnes et des biens pourraient être facilités. En effet, dans ce cas, les navires étrangers, leurs passagers et les cargaisons peuvent être examinés par le Canada. Cela permettrait d’arrêter d’éventuels trafiquants (Byers et Lalonde, 2009 ; Lasserre, 2010). À cet égard, Paul Cellucci, l’ambassadeur des États-Unis au Canada de 2001 à 2005, estime que les Américains auraient plus d’intérêt à reconnaître la souveraineté du Canada sur le passage du Nord-Ouest pour des raisons sécuritaires (La Presse cité par Gagnon, 2009)

En outre, l’Arctique canadien est régulièrement présenté comme étant assiégé, sujet à des menaces en termes de sécurité et où la souveraineté du Canada est remise en question (Sneyd et Charron, 2010 ; Roussel, 2010). Ce discours sécuritaire a été développé par certains gouvernements canadiens, tels que celui de Paul Martin ou de Stephen Harper (Roussel, 2010). Cela se traduit notamment par une augmentation de la présence militaire dans la région, dans le but d’y accroître la présence officielle canadienne (Sneyd et Charron, 2010 ; Lasserre, 2010). Le nombre de patrouilles a donc augmenté et divers investissements en termes d’infrastructures et de matériel ont été annoncés (Sneyd et Charron, 2010 ; Roussel, 2010). Certains de ces projets n’ont néanmoins pas toujours été menés à terme (Roussel, 2010).

Cependant, tous ces risques mentionnés précédemment ne sont pour l’instant que des anticipations. Il n’y a pas eu d’augmentation importante de la criminalité. De même, pour les communautés autochtones, la préoccupation est surtout tournée vers les trafics venant du sud du pays, qui ont des impacts chez eux, que de potentiels trafiquants qui pourraient entrer au Canada par l’Arctique. En effet, les conditions climatiques et les défis logistiques associés à la navigation dans l’Arctique font que la région reste dangereuse, reculée et imprévisible, y compris pour des trafiquants ou des terroristes, et ce, malgré la fonte de la banquise (Roussel, 2010).

Les risques identifiés dans certains discours sécuritaires ne sont donc pas encore observables à l’heure actuelle. Néanmoins, ce manque de faits observables dans la réalité a une certaine utilité politique (Roussel, 2010). En effet, « le discours peut alors justifier n’importe quelle mesure et s’insérer dans n’importe quelle logique » (Roussel, 2010, :174). De plus, si une menace sur l’Arctique est annoncée, cela mobiliserait la population qui est plutôt favorable aux mesures, incluant des mesures militaires, visant à protéger l’Arctique. Par ailleurs, ce discours sécuritaire sert à démontrer aux États-Unis que le Canada prend en considération leurs préoccupations en termes de sécurité (Roussel, 2010). Sur ce point, Sneyd et Charron (2010) expliquent que le Canada collabore considérablement avec les États-Unis en matière de protection de l’Amérique du Nord au sein du NORAD (North American Aerospace Defense Command), alors que ceux-ci sont les principaux opposants à la souveraineté canadienne.

Il existe également un autre aspect à cet enjeu sécuritaire. Comme le soulignent Lasserre et Roussel (2007 :274), « l’augmentation généralisée (actuelle et appréhendée) des activités touristiques, économiques et scientifiques dans l’Arctique a pour conséquence d’alourdir les responsabilités des Forces canadiennes ». La surveillance doit être plus importante et les missions de protection environnementale et de dessertes des populations locales sont appelées à augmenter (Lasserre et Roussel, 2007).

Des accidents peuvent aussi se produire, ce qui implique des opérations de sauvetage difficiles et coûteuses (Lalonde, 2007). La brume et les glaces dérivantes constituent en effet des risques. La région arctique n’est également pas entièrement cartographiée de manière fiable et l’étendue des connaissances varie en fonction des endroits. La disponibilité de cartes bathymétriques n’est pas suffisante (Dupré, 2010 ; Dawson, 2018). De plus, des infrastructures, notamment portuaires, manquent dans le passage et les brise-glaces canadiens doivent être renouvelés. Les moyens en matière de sauvetage ne sont donc pas suffisants dans le cas d’accidents ou de développement important de la navigation dans cette région (Grenier, 2018).

  1. L’environnement

L’Arctique est l’une des régions les plus touchées par le changement climatique, elle se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la Terre (Lasserre, 2020b ; Dawson, 2018). La survie des espèces y est menacée ainsi que la subsistance des peuples arctiques (Halley et al., 2010). La qualité des ressources récoltées, que ce soit au niveau de la faune ou de la flore, est altérée. De plus, les populations autochtones sont impactées par l’amincissement et le rétrécissement de la banquise. Cela affecte les activités de chasse et les habitants deviennent plus exposés aux tempêtes. L’augmentation des températures est également susceptible de faire disparaître les lacs, fragilise les habitations ainsi que les infrastructures de transport. Les infrastructures, telles que les routes ou les pistes d’atterrissage, sont en effet affaiblies par le réchauffement (Pelletier et Desbiens, 2010).

Au changement climatique en lui-même s’ajoutent les risques associés à l’augmentation du trafic maritime. Une navigation plus importante dans le passage du Nord-Ouest, dont les eaux restent peu connues et reculées, peut augmenter le risque d’accidents et causer notamment des marées noires (Lalonde, 2007). Cela aurait des conséquences importantes sur l’environnement arctique ainsi que sur la santé des Inuits (Lalonde, 2007 ; Corell, 2006). Les causes de ces possibles accidents sont multiples : la navigation près des côtes, les conditions climatiques pouvant mener à des collisions et des croisements ainsi que les causes humaines, c’est-à-dire le manque de contrôle, de qualification, de connaissance ou encore le non-respect des règles (Pelletier cité par Dupré, 2010). En ce qui concerne les marées noires, outre les collisions, celles-ci peuvent être causées par un échouage. La brume, la glace ainsi que les icebergs peuvent également provoquer une rupture dans la coque des navires (Dupré, 2010). Par ailleurs, la région étant isolée et les conditions climatiques y étant extrêmes, en cas d’incident comme une marée noire, une intervention serait plus difficile. À ces températures, le pétrole se dissipe lentement. Les tentatives de nettoyage pourraient ainsi s’avérer inefficaces, longues et coûteuses. Le transit de pétroliers dans la région arctique est donc particulièrement risqué en raison de la fragilité de l’environnement (van Duyn et Nicol, 2015 ; Byers, 2010).

Qui plus est, des navires peuvent amener des espèces nuisibles, telles que des algues toxiques, qui causeraient également des dommages à la faune et à la flore de la région (Lalonde, 2007). De plus, un trafic maritime accru peut perturber les espèces de la région, notamment les baleines et leur reproduction (Jessen, 2007 ; Cosens et Dueck cités par Lalonde, 2007). La pollution sonore impacte aussi certains animaux marins, tels que les bélugas et les narvals, dont les Inuits se nourrissent (Grenier, 2018). L’augmentation du trafic maritime dans le passage du Nord-Ouest est donc une préoccupation pour les Inuits en raison des possibles conséquences sur leur environnement et les espèces dont ils dépendent pour subvenir à leurs besoins (Lalonde, 2007 ; Dawson, 2018).

Selon Lalonde (2007), le passage du Nord-Ouest sous souveraineté canadienne permettrait donc une protection de l’environnement arctique et des populations qui y habitent. Le Canada a en effet un devoir de protection envers ses citoyens et leur environnement (Lalonde, 2007). Des eaux intérieures peuvent faire l’objet d’une réglementation plus stricte en matière de protection environnementale qu’un détroit international (Pic, 2020). Étant souverain, le Canada pourrait ne pas autoriser certains navires non-équipés pour la traversée dans les eaux arctiques à emprunter le passage (Lasserre, 2010). L’État canadien a d’ailleurs expliqué qu’il ne voulait pas interdire la navigation mais la réguler en raison de l’environnement fragile (Lasserre, 2017).

Cependant, la protection environnementale a également « le potentiel de renforcer l’expression de la souveraineté de l’État » (Halley et al., 2010 :331). Ainsi, la protection de l’environnement, de la faune et de la flore arctiques permet au Canada de justifier sa souveraineté auprès des autres États. Le fait de gérer correctement le territoire et de répondre à ses responsabilités, notamment vis-à-vis des populations autochtones, donne en effet une légitimité supplémentaire à la souveraineté du Canada (Halley et al., 2010). Le fait que l’environnement arctique soit fragile a été utilisé par certains gouvernements pour démontrer l’importance de la pleine souveraineté du Canada en Arctique afin de protéger cet environnement. Cela peut être expliqué par le fait que le Canada estime que sa souveraineté sur le passage du Nord-Ouest serait mieux acceptée si cela était justifié par la cause environnementale (Genest et Lasserre, 2015).

  1. Les intérêts commerciaux et économiques

Avec la fonte de la glace, la période de navigation est plus longue et le trafic maritime dans le passage du Nord-Ouest pourrait donc augmenter (Lasserre, 2017 ; Lasserre, 2010). En effet, le passage permettrait de raccourcir le trajet entre l’Europe et l’Asie de 7000 kilomètres par rapport au canal de Panama, réduisant ainsi les coûts de transport. De plus, contrairement au canal de Panama, certaines routes du passage du Nord-Ouest permettraient le transit de navires sans limites de taille ou de tirant d’eau (Plouffe, 2010 ; Lasserre et Roussel, 2007). La réduction de la distance des trajets est particulièrement valable si les destinations de départ et d’arrivée se situent dans l’hémisphère nord. Cependant, plus les destinations de départ et d’arrivée des navires de transport se situent dans l’hémisphère sud, moins l’avantage de réduction de la distance est important (Lasserre, 2011 ; Lasserre, 2020a). Entre 2009 et 2019, le trafic a été multiplié par 1,92 dans l’Arctique canadien. Néanmoins, le trafic de destination reste la principale source de navigation en Arctique. Le trafic commercial de transit reste peu développé dans le passage du Nord-Ouest. Celui-ci est de zéro à deux cargos par an, à l’exception de 5 en 2019. Les bateaux de plaisance constituent la part la plus importante du trafic de transit. (Lasserre, 2020b ; Lasserre, 2021). Depuis 2005, les bateaux de plaisance ont augmenté de 400% dans l’Arctique canadien et les navires de croisière de 75% (Dawson, 2018).

Par ailleurs, les conditions climatiques de la région font que la navigation est encore difficile. Les glaces dérivantes constituent des contraintes et peuvent ralentir la navigation. Des parties de la banquise se détachent et bloquent certaines routes maritimes. Cela peut donc mener à un trajet plus long, malgré une distance plus courte, ainsi que des pertes financières. Un transit dans la région arctique implique dès lors des coûts supplémentaires, notamment en termes d’assurance, d’investissements et d’équipements (Lasserre, 2010 ; Dawson, 2018). De même, en hiver, le passage du Nord-Ouest n’est pas ouvert à la navigation. Le trajet doit donc être modifié deux fois par an, ce qui engendre des coûts et une complexité supplémentaire. Les compagnies maritimes dans le domaine des conteneurs travaillent aussi sur base du principe du juste-à-temps. Les délais de livraison doivent ainsi être respectés (Lasserre, 2020b). Les retards que pourraient avoir des navires de transport face à des glaces dérivantes, qui les obligeraient à ralentir, contrebalancent donc les gains en carburant et ces coûts pourraient même être supérieurs aux bénéfices. L’absence de ports le long du passage du Nord-Ouest réduit également la taille du marché pour les compagnies (Lasserre, 2010).

En outre, la Route maritime du Nord (aussi appelée passage du Nord-Est) est une concurrente du passage du Nord-Ouest pour le trafic commercial. En effet, la présence de ports en eau profonde est plus significative le long de la Route maritime du Nord que dans le passage du Nord-Ouest, cette lacune fut soulignée précédemment. La route au nord de la Russie bénéficie également d’une plus grande flotte de brise-glaces, incluant des brise-glaces nucléaires, et d’une fonte des glaces en été relativement plus importante que du côté du Canada (Lasserre, 2021). La Russie demande un droit de péage, mais les transits sont escortés et des ports sont opérationnels, ce qui n’est pas le cas pour le passage du Nord-Ouest (Lasserre, 2010).

Des ressources pétrolières et gazières sont également situées dans la région arctique et notamment dans l’archipel canadien. Des minerais, par exemple du plomb, de l’or et de l’uranium, sont présents. Ces réserves sont moindres du côté canadien que du côté russe mais la géologie de la zone n’est pas entièrement connue (Lalonde, 20007 ; Lasserre et al., 2020). L’United States Geological Survey a d’ailleurs estimé en 2008 que 13% des réserves pétrolières et 30% des réserves gazières non découvertes se trouvaient au nord du cercle arctique (USGS, 2008). Avec la fonte des glaces, ces ressources seraient plus faciles d’accès. Leur exploitation contribuerait donc à l’augmentation de la navigation commerciale dans le passage du Nord-Ouest (Lalonde, 2007). Cette exploitation pourrait en effet être optimisée avec un transport maritime rendu possible plus longtemps (Lasserre, 2010). Elle pourrait, dans ce cas, être effectuée pendant une plus longue période. De plus, cela permettrait de réduire les coûts matériels et de transport. Avec des destinations aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe ou en Asie, ces compagnies pourraient également acquérir de nouveaux acheteurs (Lasserre et al., 2020).

Cependant, le coût d’exploitation de ces ressources présentes en Arctique est élevé (Lasserre, 2017). Les cours du pétrole font également que l’exploitation est peu rentable et la fonte du pergélisol rend le transport difficile car le sol est moins stable. Les routes se déforment avec l’affaissement du sol et leur construction est très coûteuse (Lasserre, 2020b). De plus, tout comme pour la navigation, l’exploitation est compliquée dans la région en raison du climat défavorable (Lasserre et al., 2020). Par ailleurs, les eaux du passage du Nord-Ouest font partie de la zone économique exclusive du Canada, même dans le cas où le passage serait un détroit international. L’exploitation des ressources naturelles serait donc toujours sous le contrôle du Canada et dès lors, ne constitue pas un enjeu dans ce différend (Lasserre, 2010).

Conclusion

Le statut juridique des eaux du passage du Nord-Ouest est contesté. Le Canada considère ainsi que celles-ci constituent des eaux intérieures, soumises à sa souveraineté, tandis que les États-Unis estiment que le passage est un détroit international, soumis au droit de passage en transit. Derrière ces revendications canadiennes, différents enjeux peuvent être identifiés. L’identité, la sécurité, l’environnement ainsi que les intérêts commerciaux et économiques en sont les principaux.

La dimension identitaire est importante dans le différend territorial. Même si la plupart des Canadiens n’y sont jamais allés, l’Arctique fait partie de l’identité canadienne. Cet argument a été principalement mis en avant par le gouvernement de Stephen Harper. La présence de communautés autochtones est également un élément qui intervient et celles-ci contribuent à renforcer la souveraineté canadienne. De plus, le différend est ancré dans la relation entre les États-Unis et le Canada, ce dernier désirant distinguer son identité de celle des Américains.

Un enjeu sécuritaire entre aussi en ligne de compte. Une navigation accrue dans le passage du Nord-Ouest présente des risques en termes de sécurité. Cependant, ceux-ci ne sont que potentiels et ne représentent pas des faits observables. Cet aspect sécuritaire est néanmoins utilisé pour justifier les revendications canadiennes, notamment face aux États-Unis, ainsi que certaines mesures politiques, telles que des mesures de protection de l’Arctique.

En outre, la prise en compte de l’environnement est importante dans le cas du passage du Nord-Ouest. Le changement climatique impacte la région et ses habitants. De même, une augmentation de la navigation dans le passage aurait des conséquences néfastes pour l’environnement, les espèces et donc, les populations locales. La souveraineté canadienne permettrait ainsi une protection environnementale plus importante. Cela constitue une manière additionnelle de justifier les revendications sur le passage.

Enfin, les intérêts commerciaux et économiques du passage du Nord-Ouest peuvent être nuancés. Il ne constitue pas encore une route maritime, malgré la fonte des glaces. Le trafic de transit est encore limité et les conditions climatiques restent difficiles, ce qui engendre des contraintes. La Route maritime du Nord est également une concurrente. Par ailleurs, si des ressources sont présentes en Arctique et leur exploitation pourrait devenir plus facile avec la fonte des glaces, cela n’intervient pas dans le différend étant donné que le passage du Nord-Ouest restera dans la zone économique exclusive du Canada, même s’il est défini en tant que détroit international.

Au vu de ces différents éléments, l’identité et l’environnement semblent être les enjeux qui interviennent le plus dans les revendications canadiennes sur le passage du Nord-Ouest. Les risques sécuritaires ne sont en effet pas confirmés. De plus, les intérêts commerciaux et économiques sont modérés, du moins pour l’instant. Dans tous les cas, ces différents enjeux sont utilisés par le Canada pour justifier ses revendications sur le passage du Nord-Ouest.

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[1] Cet article est en partie basé sur son mémoire intitulé « Les revendications territoriales du Canada en Arctique : enjeux et perspectives ».