Maureen Walschot1
1 Candidate au doctorat et assistante d’enseignement, Université Catholique de Louvain. maureen.walschot@uclouvain.be
Vol 6 n1, 2020
Résumé : Le nord du Chili fait face à de nombreux conflits d’usage d’eau entre communautés autochtones et compagnies minières. Face à une rareté de l’eau croissante, l’industrie minière se tourne vers le dessalement de l’eau de mer. Au travers de notions telles que la sécurité hydrique et la flexibilité, cet article analyse l’impact de la technologie sur les interactions entre les différents acteurs concernés.
Mots-clés :Sécurité hydrique, dessalement, conflits d’usage, industrie minière, communautés indigènes, Chili
Summary : The North of Chile is facing numerous conflicts on water use between mining companies and indigenous communities. Confronted with growing water scarcity, the mining industry is turning to seawater desalination. Through notions such as water security and flexibility, this article analyses the impact of the technology on interactions between the concerned actors.
Keywords :Water security, desalination, conflicts of use, mining industry, indigenous communities, Chili
La demande croissante en eau notamment due au développement économique, à la croissance démographique et au changement climatique, entraîne une surexploitation, ainsi qu’une pollution accrue, des eaux de surface et souterraines. Certains acteurs, publics ou privés, se tournent alors vers d’autres sources afin de garantir une pérennité de leurs activités (que ce soit par exemple d’assurer le développement d’une activité économique ou de répondre aux besoins d’une population). Dans ce contexte, la technologie du dessalement de l’eau de mer représente une solution de plus en plus accessible pour faire face à la rareté de l’eau potable et au stress hydro-politique (Aviram et al. 2014). Avec la production d’eau dessalée, l’approvisionnement ne dépend plus uniquement de sources naturelles d’eau douce, ce qui réduit considérablement les incertitudes en termes de quantité et de qualité de ces sources. La technologie crée ainsi une plus grande flexibilité dans la gestion des ressources hydriques et influence les processus de partage entre les différents acteurs riverains. Alors qu’une majeure partie des études sur les conflits et la coopération analysent la question des eaux transfrontières (Wolf, 2007), la gestion conjointe de ressources hydriques au niveau local est également un sujet pertinent, en particulier lorsqu’il existe différents types d’usage et d’intérêt entrant en conflictualité (Swyngedouw, 2004).
Au Chili, la répartition des ressources en eau n’est pas équitablement répartie entre les différentes régions. La grande majorité des ressources hydriques du pays est située dans le sud, en Patagonie chilienne, alors que certaines régions du nord font face à une situation de stress hydrique (Larraín, 2010). Ainsi, dans le nord du Chili, les conflits d’usage entre les compagnies minières et les populations locales – pour la plupart indigènes – se multiplient au fur et à mesure que l’eau se raréfie (Morales, 2016 ; Carrasco, 2016 ; Camacho, 2012). L’extraction de ressources minières est une activité avide d’eau. De ce fait, les mines exercent une forte pression sur les ressources hydriques de surface et souterraines, en particulier dans le nord du pays où ces ressources sont plus limitées. En outre, le cadre juridique chilien, qui favorise la privatisation des ressources en eau du pays, facilite l’exploitation intensive de ces ressources par le secteur minier. Ce processus de privatisation a été accéléré par la loi sur l’eau de 1981, promulguée pendant les années de dictature (Bauer, 1998 ; Budds, 2009). Ainsi, au Chili, la situation hydro-conflictuelle ne peut être analysée en dehors du cadre juridique en vigueur.
Fig. 1. Carte des régions du Chili
Source : EphotoPix, https://www.ephotopix.com/political-maps/chile-regions-map/
Fig. 2. Zones climatiques par région au Chili
Source : Aitken et al., 2016
À partir d’une revue de la littérature et de données empiriques, cet article propose un cadre analytique basé sur les théories de la sécurité hydrique et des processus de coopération et de conflit dans le contexte du dessalement. Ce cadre reflète le lien entre les conflits d’usage d’eaux partagées, le dessalement et la coopération. L’article pose la question suivante : le dessalement de l’eau de mer a-t-il un impact sur les conflits d’usage entre le secteur minier et les populations locales, notamment autochtones, dans le nord du Chili ?
Sécurité hydrique, coopération et conflits
Une grande partie de la littérature portant sur les processus de coopération et de conflit liés à l’eau traite des aspects conflictuels autour de l’approvisionnement. La concurrence entre les acteurs riverains pour s’assurer de répondre à leurs besoins en eau est bien souvent considérée comme un jeu à somme nulle. Au niveau de l’État, de nombreux auteurs ont abondamment écrit sur le sujet des fameuses « guerres de l’eau » (Wittfogel, 1956 ; Homer-Diwon, 1999 ; Gleick, 1993). Contrairement à cette approche, d’autres ont contesté l’aspect conflictuel lié à la gestion de l’eau et ont souligné l’opportunité de coopérer sur les questions hydriques (Allan, 1999 ; Lasserre, 2007 ; Turton, 2000 ; Wolf, 2007). Les acteurs riverains seraient ainsi plus enclins à coopérer sur ces questions, telles que la gestion d’une rivière ou d’un aquifère commun. Cependant, Wolf (2007) estime que l’augmentation de la demande en eau, la baisse des niveaux des aquifères, l’augmentation de la pollution des bassins de surface et souterrains, le vieillissement des canaux de distribution et les problèmes de traitement favorisent la prise de mesures unilatérales en matière de gestion des ressources hydriques partagées.
Le terme de sécurité hydrique est sujet à de nombreuses interprétations. Bien qu’il soit de plus en plus utilisé au cours des dernières décennies, il reste cependant peu clair (Zeitoun et al., 2013). Plus précisément, l’interdépendance hydrique entre certains acteurs, résultat d’une souveraineté partagée ou de droits octroyés sur des ressources en eau dépassant les frontières politiques, représente une particularité dans le domaine de la sécurité hydrique. Leb et Wouters (2013) mettent l’accent sur la nécessité de stratégies de cogestion et de coopération comme préalable à une véritable sécurité hydrique. Le contexte politique, juridique et social est donc un élément primordial. Dans le cas chilien, le dessalement apparaît comme un moyen favorisant une plus grande flexibilité dans la gestion de l’eau, dans un contexte juridique qui favorise pourtant une gestion unilatérale des ressources. Sur base de ces réflexions, la section suivante analyse l’impact du dessalement sur les relations entre les différents usagers des ressources en eau dans le nord du Chili.
Accès à l’eau, territoires autochtones et disparités au Chili
En 2018, pas moins de 100 mines ont été répertoriées au Chili, dont 84 dans le nord, de la région IV de Coquimbo à la région XV d’Arica et Parinacota. Dans ces régions, l’Institut national des droits de l’homme (INDH) a identifié 42 conflits dits socio-environnementaux, dont 62% sont liés au secteur minier et 34,6% ont lieu sur des terres indigènes.[1] La topographie chilienne explique en partie ce déséquilibre entre le Nord chilien et le reste du pays. La plupart des minerais se trouvent en effet au Nord tandis qu’une majorité des ressources hydriques se situent dans le Sud du pays. En outre, dans certaines régions, ces tensions sont également caractérisées par la présence importante de communautés autochtones andines. Celles-ci défendent leurs droits ancestraux d’accès à l’eau, et dont la valeur qu’elles accordent à cette dernière entre en contradiction avec celle du secteur minier.
Fig. 3. Carte des mines de cuivre et des usines de dessalement opérationnelles et en construction
Source : Stratfor, 2017
Le contexte juridique chilien : néolibéralisme et privatisation de l’eau
Le Code de l’eau chilien de 1981, mondialement connu pour son approche néolibérale, sépare les droits de l’eau de la propriété foncière, ce qui favorise la privatisation des ressources hydriques du pays. De cette façon, le code donne la priorité au secteur minier, au détriment des droits territoriaux ancestraux des communautés autochtones. Ainsi, la législation chilienne a un impact direct sur les pénuries d’eau dans l’Altiplano chilien. En permettant des pratiques d’usage intensif de la part des compagnies minières, le cadre juridique en vigueur affecte les communautés autochtones andines du pays.
Selon Bauer (2015), ces dernières années au Chili, les conflits d’intérêts ont augmenté entre les différents usagers, notamment au sujet des eaux de surface et des aquifères. Selon l’auteur, le modèle juridique chilien n’est pas adapté pour faire face à la complexité qu’implique une gestion conjointe des ressources hydriques, ni pour résoudre les conflits d’usage. De plus, il n’est également pas en mesure d’assurer la protection de l’environnement. Par conséquent, en raison de cette législation, les conflits liés à l’eau au Chili se sont largement répandus à travers le pays. En outre, au fur et à mesure que les conflits d’usage en eau se croisent avec des problématiques liées à d’autres secteurs tels que l’énergie et l’environnement, leur complexité augmente. Or, bien souvent, les réformes juridiques sont prises sans consultation entre les différents secteurs, renforçant l’inefficacité d’un système déjà inadapté (Bauer, 2004).
Dans ce contexte, certaines décisions juridiques ont néanmoins été prises en vue de pallier ce problème. En 1992, le gouvernement chilien a modifié les articles 58 et 63 du Code de l’eau, interdisant l’exploitation et l’exploration des bassins souterrains qui alimentent les plaines et les zones humides des régions I et II. Ces territoires sont en effet essentiels aux activités des communautés andines dans ces régions (COCHILCO, 2007). En 1993, la Direction générale des eaux (DGA) a entamé l’identification et la localisation de ces zones humides et de ces plaines pour délimiter les aquifères d’alimentation auxquels se réfèrent les modifications légales. En 1996, la Résolution n°909 a été adoptée. Celle-ci interdit l’exploration et l’exploitation de ces aquifères. En outre, en 1997, la DGA a signé un accord avec la Société nationale de développement indigène (CONADI) pour protéger, constituer et restaurer les droits d’accès à l’eau des biens ancestraux des communautés autochtones Aymara et Atacama. Or, ces dispositions n’ont pas empêché la pénurie d’eau d’alimenter les conflits d’usage entre les communautés autochtones andines et les compagnies minières dans le nord du Chili.
En conclusion, les rationalités divergentes des compagnies minières et des communautés autochtones sont renforcées par le système juridique plus larges, en particulier le Code de l’eau de 1981.[2] Les relations conflictuelles entre les exploitations minières et les communautés autochtones andines ne peuvent donc être analysées séparément du statut juridique de l’eau au Chili (Camacho, 2012).
Secteur minier et gestion de l’eau au Chili
Le rapport de 2007 de la Commission chilienne du cuivre (COCHILCO) sur la gestion des ressources hydriques et de l’exploitation minière du cuivre au Chili prévoyait déjà une augmentation conséquente de l’utilisation des ressources hydriques par ce secteur au cours des 25 prochaines années.[3] La grande quantité d’eau nécessaire à la technique dite de flottation, indispensable dans les procédés métallurgiques, ne peut qu’être difficilement réduite. De cette façon, l’impact du secteur minier sur les ressources en eau du Chili augmente au fur et à mesure que l’industrie se développe. Le rapport démontre également qu’il existe une concurrence croissante entre les différents utilisateurs des ressources en eau, qui diffère selon les régions concernées. Ainsi, le secteur minier doit composer avec d’autres secteurs tels que l’agriculture et l’usage domestique (COCHILCO, 2007).
Fig. 4. Demande en eau par secteur et par région dans le nord du Chili
Source : Aitken et al. 2016
Cependant, certains experts soulignent que la quantité d’eau consommée par l’industrie minière n’est pas l’unique facteur à prendre en compte. Selon Peña et Huijbregts (2013), si l’empreinte hydrique dite bleue correspond à l’utilisation nette des ressources en eaux souterraines et de surface par l’ensemble des activités humaines, les auteurs préconisent d’ajouter l’indice de stress hydrique à cette empreinte. Ainsi, celle-ci reflèterait l’impact réel de la consommation d’eau dans des régions confrontées au stress hydrique en comparaison avec d’autres qui ne le sont pas. Peu d’études portent sur l’eau utilisée par le secteur minier et dans la production de métaux primaires (Moran et al., 2008 ; Mudd, 2008). Or, le cuivre est actuellement l’un des métaux les plus utilisés, dont les plus grandes réserves mondiales (28%, soit 150 millions de tonnes métriques de cuivre) se trouvent dans le désert d’Atacama, au nord du Chili (USGS, 2010). Bien que la situation dans cette région soit extrêmement critique, il existe peu de recherche sur l’empreinte hydrique bleue concernant la production de cuivre au Chili. Selon une étude de Servert et al. (2016), entre 2013 et 2020, la demande en eau dans le secteur minier au Chili aurait atteint 40% de la demande globale. Dans ce contexte, certaines compagnies minières de cuivre ont commencé à utiliser de l’eau de mer dessalée dans les opérations de flottation (Moreno et al., 2011). Si ce processus continue à se développer, l’empreinte hydrique bleue de l’industrie pourrait être réduite jusqu’à 70% dans le processus d’extraction du cuivre. Dans ce contexte, la société minière BHP a annoncé en 2017 qu’elle prévoyait d’utiliser principalement le dessalement pour assurer son approvisionnement en eau, mettant fin à l’exploitation des eaux souterraines chiliennes pour approvisionner ses mines d’ici 2030.
En 2020 au Chili, il y a vingt-trois stations de dessalement en opération et douze en construction. Sur ces vingt-trois usines opérationnelles, quatorze sont liées au secteur minier. Le premier projet à grande échelle a été lancé en 2003, dans la région de Chimba (Cabrera, 2020). Il existe également de nombreux autres projets à plus petite échelle. Dès le début de son implantation au Chili, l’industrie minière a été confrontée à la problématique des conflits d’usage autour des ressources hydriques dans le nord du pays. En plus de répondre à la demande en eau du secteur minier, le dessalement permettrait également de ne pas accroître la pression exercée par le secteur sur les ressources sur les eaux partagées. En créant plus de flexibilité au niveau de la gestion des ressources hydriques entre les différents usagers, la technologie faciliterait donc les interactions entre ceux-ci (Fragkou et McEvoy, 2016). Outre le secteur minier, d’autres acteurs chiliens choisissent également de recourir au dessalement pour assurer leur approvisionnement en eau. Ainsi, Antofagasta, au nord du Chili, prévoit de devenir la première ville au monde à fonctionner sur un réseau d’approvisionnement fonctionnant à 100% sur l’eau dessalée (Revista Técnicos Mineros, 2016).
Fig. 5. Projection de la demande en eau dans l’industrie minière du cuivre au Chile 2018-2029[4]
Source : COCHILCO 2018
Tableau 1. Usines et projets de dessalement dans l’industrie minière du cuivre au Chili
Lancement | Etat | Propriétaire | Nom | Région | Capacité de dessalement (l/s) | Capacité d’extraction d’eau de mer (l/s) |
/ | En opération | Haldeman | Michilla | Antofagasta | 75 | 25 |
/ | En opération | ENAMI | Station J.A. Moreno (Taltal) | Antofagasta | / | 15 |
/ | En opération | Las Cenizas | Las Cenizas Taltal | Antofagasta | 9 | 12 |
/ | En opération | Mantos de la luna | Mantos de la luna | Antofagasta | 5 | 20 |
/ | À l’arrêt | Pampa Camarones | Pampa Camarones | Arica y Parinacota | / | 25 |
/ | En opération | BHP Billiton | Escondida – Station Coloso | Antofagasta | 525 | / |
/ | En opération | AMSA | Distrito Centinela (Esperanza + El Tosoro) | Antofagasta | 50 | 1500 |
/ | En opération | AMSA | Antucoya | Antofagasta | 20 | 280 |
/ | En opération | Mantos Copper | Mantoverde | Atacama | 120 | / |
/ | En opération | Lundi Mining | Candelaria | Atacama | 300 | / |
/ | En opération | HKGHM Int. | Sierra Gorda | Antofagasta | / | 1315 |
/ | En opération | BHP Billiton | Escondida EWS | Antofagasta | 2500 | / |
2018 | Faisabilité | Lundi Mining | Candelaria | Atacama | 200 | / |
2020 | Faisabilité | AMSA | Desarollo minera Centinela-Etape 1 | Antofagasta | / | 850 |
2020 | Faisabilité | AMSA | Los Pelambres -Elargissement marginal I et II | Coquimbo | 400 | / |
2020 | Faisabilité | COPEC | Diego de Almagro | Atacama | / | 315 |
2020 | Faisabilité | BHP Billiton | Spence Growth Option | Antofagasta | 1000 | / |
2020 | Faisabilité | Mantos Copper | Développement de Mantoverde | Atacama | 260 | / |
2020 | Faisabilité | Codelco | Adéquation station de dessalement RT Sulfure-Etape 1 | Antofagasta | 630 | / |
2021 | Faisabilité | Teck | Quebrada Blanca Hipógeno | Tarapacá | 1300 | / |
2021 | Pas d’EIE | Goldcorp et Teck | Nueva Unión | Antofagasta | 740 | / |
2023 | Faisabilité arrêtée | Capstone Mining | Santo Domingo | Antofagasta | 30 | 400 |
2024 | Faisabilité | AMSA | Développement mine Centinela – Etape 2 | Antofagasta | / | 1650 |
2025 | Pas d’EIE | Freeport McMoran | El Abra Mill Project | Antofagasta | 500 | / |
Source : Montes, 2019
En résumé, l’utilisation de la technologie du dessalement de l’eau de mer augmenterait la flexibilité du secteur minier envers les ressources hydriques naturelles partagées avec les communautés autochtones. En modifiant la logique de jeu à somme nulle entre les différents usagers, celui-ci diminuerait les risques de conflit. De cette façon, la technologie serait à même de renforcer la sécurité hydrique des acteurs impliqués dans la gestion partagée de l’eau.
Le dessalement, facteur réel d’atténuation des conflits ?
Afin de répondre à cet question, cet article se focalise sur la compagnie BHP qui possède trois mines sur le territoire chilien (Escondida, Spence et Cerro Colorado). Les chiffres de l’INDH, couplés à une revue de la littérature disponible, permettent de formuler plusieurs observations. Premièrement, dans la mine Escondida, où la compagnie a fait construire une station de dessalement, le conflit entre la mine et les communautés autochtones locales qui avait été répertorié par l’INDH a été classé comme terminé. La technologie a fonctionné comme agent d’atténuation des conflits. Deuxièmement, dans le cas de la mine Spence, bien que la construction de la station de dessalement n’ait commencé qu’en 2017 et n’est donc toujours pas opérationnelle, les données de l’INDH indiquent que les relations avec les communautés autochtones n’ont jamais été réellement conflictuelles, contrairement aux deux autres mines. Certains facteurs peuvent bien évidemment expliquer cette situation, tel qu’un accueil différent de la mine auprès de la population locale. Les compagnies minières mettent en effet parfois en place certaines stratégies visant à compenser financièrement les communautés avoisinantes ou à fournir un emploi à celles-ci dans les mines. De telles stratégies tempèrent donc l’image de la compagnie, créant bien souvent des positions divergentes et des relations conflictuelles à l’intérieur des communautés elles-mêmes. Enfin, dans le cas de la mine Cerro Colorado, contrairement aux deux autres mines BHP, le conflit est toujours actif. BHP a fait savoir qu’aucune station de dessalement ne serait construite dans cette mine, étant donné que les contrats d’exploitation arrivent à expiration. Il est donc possible que les conflits continuent jusqu’à ce que celle-ci soit fermée ou vendue (dans quel cas, le conflit risque de continuer avec une autre entreprise minière).
Bien que ce soit dans une logique économique, BHP voit dans le dessalement un moyen d’atténuer les relations conflictuelles entretenues avec les communautés autochtones locales. L’annonce de la compagnie minière de cesser l’exploitation des ressources hydriques souterraines chiliennes d’ici 2030 s’inscrit dans cette vision. Or, même si l’ensemble du secteur minier en venait à suivre la décision prise par BHP (ce qui est d’ailleurs peu probable), cela ne résoudrait pas les nombreux autres conflits socio-écologiques qui existent au Chili entre l’industrie minière et les populations autochtones, tels que la lutte contre la contamination des terres, de l’air et de l’eau.
Pour une gouvernance durable des ressources hydriques
Les ressources hydriques naturelles étant limitées au Chili, notamment dans le nord du pays, certaines sociétés minières ont donc recours au dessalement de l’eau de mer pour maintenir leur approvisionnement. Cependant, la technologie n’est pas sans limites ni coûts. Malgré les progrès technologiques, la construction et l’entretien des stations de dessalement restent importants et représentent un investissement conséquent que toute compagnie minière n’est pas prête à financer. En outre, la distance depuis le littoral et l’élévation au-dessus du niveau de la mer sont d’autres facteurs contraignants. Ainsi, pour un gisement qui se situerait à 3 000 mètres d’altitude, le coût du transport est estimé à 5 dollars américains le m3, ce qui augmenterait le coût de production de 8% (Minería chilena, 2018). Le dessalement reste donc une alternative technologiquement complexe et coûteuse, fortement dépendante en énergie, nécessaire au traitement et à la transportation de l’eau dessalée jusqu’au lieu d’utilisation. Une telle dépendance augmente la facture énergétique tout en générant des problèmes environnementaux, auxquels s’ajoutent également la salinisation des sols où la saumure est stockée.
En outre, solutionner uniquement la question de l’approvisionnement en eau n’est pas suffisant. Ainsi, en 2000, le Partenariat mondial de l’eau (GWP) avait déclaré que la crise de l’eau était avant tout une crise de gouvernance (Global Water Partnership GWP, 2000). Par gouvernance, il faut entendre les processus et institutions juridiques et politiques qui sont nécessaires à la résolution des conflits liés à l’eau, en particulier ceux qui existent entre de différents droits, usages et valeurs associés à la ressource. La crise actuelle serait donc due au fait que les acteurs impliqués n’arrivent pas à concilier leurs différents besoins et usages. Une gouvernance durable des ressources hydriques se trouve donc dans l’équilibre entre les différents usages de l’eau tout en incluant les intérêts de tous les acteurs concernés.
Dans les régions où le stress hydrique pourrait accroître les tensions entre les différents usagers, les nouvelles technologies, telles que le dessalement, peuvent créer de nouvelles sources d’approvisionnement en eau et accroître la flexibilité des acteurs concernés. Le concept de sécurité hydrique représente un outil inclusif pour analyser l’incidence du dessalement sur les interactions portant sur les ressources en eau partagées, et ce à n’importe quel niveau d’analyse. Il est également intéressant de relier ce concept à la notion de flexibilité qui apparaît notamment avec le dessalement de l’eau de mer. Cependant, la technologie de dessalement ne peut être l’unique réponse à la pénurie d’eau, surtout lorsqu’il est clair que d’autres composants entrent en jeu dans une gestion durable de l’eau. Le dessalement de l’eau de mer, plutôt que de représenter une transition dans l’approvisionnement en eau, doit partie d’un plan de diversification des ressources hydriques stratégique, aux niveaux local, national comme régional.
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Notes
[1] Pour plus d’information, voir le site « Mapa de conflictos socioambientales » de l’INDH, https://mapaconflictos.indh.cl/#/, consulté le 25 mars 2020.
[2] Le Code de l’eau est disponible en ligne sur le site du Ministère de la justice chilien, www.leychile.cl/Navegar?idNorma=5605, consulté en mars 2020.
[3] La métallurgie extractive du cuivre ne représente que l’une des différentes activités d’extraction du secteur minier au Chili qui comprend également l’extraction d’autres minerais métalliques (comme l’or, l’argent ou le plomb par exemple, et dont le cuivre fait partie) et de roches et minerais industriels (tels que le nitrate, le potassium ou le lithium).
[4] Selon COCHILCO, « la méthodologie utilisée dans la réalisation de l’étude est basée sur la consommation unitaire de chaque tâche dans chaque processus ; les profils de production maximaux déterminés par le cadastre d’investissement minier et la probabilité de matérialisation d’un tel portefeuille en fonction du contexte historique. » (COCHILCO, 2018 :1, traduction de l’auteure).