Sécurité environnementale et pollution plastique des océans : genre et géopolitique en Asie du Sud-Est

Maureen Walschot

Maureen Walschot est assistante d’enseignement et de recherche à l’Université Catholique de Louvain. Elle est également doctorante en relations internationales et chercheure au Centre d’étude des crises et des conflits internationaux (CECRI, UCLouvain).

vol 6 n3, 2020

Résumé:
Le concept de sécurité environnementale étudie la relation entre la sécurité et la protection des ressources naturelles, tout en reconnaissant les conditions changeantes de l’environnement mondial. La pollution plastique des océans est l’un de ces changements environnementaux rapides. En moyenne, huit millions de tonnes de débris plastiques pénètrent dans les mers chaque année, impactant, de multiples façons, les écosystèmes marins et les populations côtières qui en dépendent. Les femmes sont particulièrement vulnérables au phénomène, à la fois pour des facteurs sociaux et biologiques. Cependant, la recherche n’a pas eu une approche sensible au genre pour résoudre le problème. À cet égard, cet article donne un aperçu de la nature genrée des politiques environnementales mondiales et des études sur la sécurité. S’appuyant sur une étude de cas sur la pollution plastique des océans dans la région de l’Asie du Sud-Est, cet article établit les failles des approches dites dominantes de la sécurité environnementale et illustre comment une approche féministe redéfinit notre compréhension du lien environnement-sécurité. Cette recherche aborde également la nécessité d’intégrer le genre dans le débat sur les études de sécurité et les questions environnementales.

Summary:
The concept of environmental security investigates the relationship between security and the protection of natural resources, while acknowledging the changing condition of the global environment. Ocean plastic pollution is one of these rapid environmental changes. On average, eight million tons of plastic debris enter the seas every year, impacting, in multiple ways, marine ecosystems and the coastal populations depending on them. Women are particularly vulnerable to the phenomenon, both for social and biological factors. However, scholarship has lacked a gender-sensitive approach in addressing the issue. In this regard, this paper provides an insight into the gendered nature of both global environmental politics and security studies. Drawing from a case-study on ocean plastic pollution in the South-East Asia region, this article establishes the flaws in so-called dominant approaches to environmental security and illustrates how a feminist approach redefines our comprehension of the environment-security nexus. This research addresses as well the necessity of integrating gender in the debate on security studies and environmental issues.

Mots-clés: pollution plastique des océans; genre; sécurité environnementale; Asie du Sud-Est

Keywords : Ocean plastic pollution; gender ; environmental security ; South-East Asia

La pollution plastique des océans est un problème croissant. D’ici 2050, des études montrent qu’il y aura plus de plastique que de poissons dans les océans (Sardon & Dove, 2018). Les scientifiques ont trouvé des débris plastiques, en particulier des micro-plastiques, dans certaines régions où aucun être humain n’avait encore mis les pieds auparavant, tel que le fond des océans. L’impact de cette pollution à grande échelle sur notre environnement marin ainsi que sur notre santé reste encore peu connu (Villarrubia-Gómez et al., 2017). L’on verra que celui-ci touche plus souvent les personnes marginalisées, telles que les femmes, ainsi que certaines aires géographiques plus que d’autres. En effet, plusieurs études ont révélé des résultats importants concernant les liens existants entre le genre et la pollution plastique des océans. Certains sont liés aux insécurités liées à la pollution plastique marine affectant les femmes, tandis que d’autres concernent le rôle des femmes dans la production de la pollution plastique marine et les solutions possibles pour lutter contre celle-ci (Lynn et al., 2017 ; Harpera et al., 2013). Ainsi, cet article s’applique à analyser les tenants et aboutissants de cette problématique qui représente donc un enjeu géopolitique et genré.

  1. Pollution plastique des océans et genre

Bien que la question du genre ait longtemps été considérée comme non pertinente en relations internationales, celle-ci est un élément crucial dans tout domaine, y compris celui de la sécurité environnementale. De fait, la dégradation de l’environnement n’est pas un phénomène neutre en termes de genre. Il est donc nécessaire d’incorporer une approche genrée si l’on souhaite parvenir à une sécurité plus globale et inclusive. Il en va de même pour l’enjeu sécuritaire que représente la pollution plastique des océans. Plus précisément, certaines études ont révélé les liens existants entre le genre et la pollution plastique des océans. Certains sont liés aux insécurités liées à la pollution plastique marine affectant les femmes (dues à des différences biologiques ou à des rôles socialement construits), tandis que d’autres concernent le rôle féminin dans la production de la pollution plastique marine et les solutions possibles pour combattre cette dernière (Lynn et al. 2017). Ainsi, certaines initiatives visant à inclure le genre dans le débat sur la santé des océans ont vu le jour ces dernières années, tel que le choix de l’Organisation des Nations Unies (ONU) de se focaliser sur le genre lors de la journée mondiale de l’océan en 2019, ou encore le projet eXXpedition[1] qui renforce la participation des femmes dans l’étude et la prévention de la pollution plastique des océans. Avec l’intégration du genre dans les discussions, de nouveaux problèmes et questions émergent au sein du domaine d’études que représente la sécurité environnementale (Detraz, 2009).

Fig. 1. L’océan à travers une optique de genre
Source: www.ocean.makesense.org 

2. Pollution plastique des océans en Asie du Sud-Est

En moyenne, 8 millions de tonnes de plastique entrent dans les mers du monde entier chaque année (Jambeck et al. 2015). Face à cette contamination accrue, une sensibilisation croissante de la société civile a conduit à un changement de comportement dans la consommation de plastique, en particulier les produits à usage unique (Schuyler et al. 2018). Certains pays et entreprises mondiales ont été prompts à prendre des mesures sur la question grâce à de nouvelles politiques et stratégies. Néanmoins, la contamination croissante des océans est un phénomène irréversible. Au fur et à mesure que la question est étudiée, de nouvelles préoccupations émergent. L’impact des micro-plastiques sur la santé des écosystèmes ainsi que des êtres humains est désormais l’une des préoccupations les plus importantes de la recherche scientifique dans le domaine. Partant de cette problématique, nous nous concentrons plus particulièrement sur la région d’Asie du Sud-Est. Alors que la pollution plastique des océans est un phénomène mondial, le cas du Sud-Est asiatique, pour la quantité de débris plastiques quittant ses côtes et entrant dans ses eaux, est particulièrement pertinent pour analyser les différentes perspectives liant sécurité et environnement.

Les enjeux sécuritaires que représente la pollution plastique des océans sont abordés par différentes approches présentes dans les études de la sécurité et de l’environnement: d’une approche plutôt centrée sur la sécurité nationale que représente le commerce des déchets plastiques entre les pays occidentaux et l’Asie du Sud-Est ou sur les modèles de dépendance aux ressources au sein des États, en passant par une approche favorisant un discours porté sur l’impact de la pollution plastique sur la sécurité alimentaire et la santé humaine, à une approche focalisée sur ​​l’insécurité des écosystèmes marins face à la contamination plastique des océans. Cependant, au-delà de ces différentes questions, et comme déjà mentionné, le genre est également un facteur à prendre en compte « en raison de son impact toujours présent sur la façon dont ce sujet est compris et ses impacts sur la façon dont l’insécurité environnementale est vécue » (Detraz, 2015 :80, traduction par l’autrice). La pollution plastique des océans est donc un problème multiforme qui nécessite également une approche genrée.

La pollution plastique des océans est le résultat de la large production et consommation de plastique dans la société d’aujourd’hui. Le plastique est utilisé à des fins diverses dans la vie quotidienne, la moitié de la quantité produite étant éliminée après une seule utilisation. Il est possible de catégoriser différents types de plastiques en fonction de leur taille. Lorsqu’ils sont supérieurs à 5 mm, les des débris de plastique sont appelés macroplastiques. Les débris plastiques sont considérés comme des microplastiques lorsqu’ils mesurent moins de 5 mm. Enfin, les nanoplastiques sont des plastiques dont la taille est inférieure à 200 nm.

Plus de 80% du plastique présent dans les océans provient de déchets terrestres, tandis que le reste provient de sources océaniques telles que la pêche et la navigation maritime (Commission européenne). Le type et l’efficacité de la gestion des déchets ainsi que l’emplacement des déchets influencent le flux des débris plastiques entrant dans les mers. Dans certaines régions du monde, 75% des déchets marins d’origine terrestre découlent de l’inexistence de stratégies de collecte des déchets. Les 25% restants sont dus à une défaillance des systèmes de collecte existants. Des études ont montré que plus de 50% des débris plastiques marins proviennent de cinq pays asiatiques : la Chine, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam (McKinsey, 2015). Ces pays sont caractérisés par des zones de population importantes concentrées sur leur littoral et des systèmes de traitement des déchets relativement faibles. Par exemple, les Philippines, qui collectent 84% de leurs déchets, observent néanmoins une contamination importante de leur littoral dû au fait que de nombreuses décharges sont adjacentes aux cours d’eau. En Chine, où seulement 40% des déchets sont collectés, une majeure partie de la pollution plastique provient des déchets non collectés des ménages vivant à proximité des cours d’eau. Malgré certains modèles récurrents dans certaines zones géographiques, la question de la pollution plastique des océans reste un phénomène mondial (Raubenheimer & McIlgorm, 2018).

Fig. 2. Sources des déchets plastiques mal gérés (mismanaged plastic waste generation)
Source: www.oceanplasticcleanup.com 

3. Les discours prédominants sur la pollution des océans

3.1. Environnement et sécurité étatique

Dans une approche stato-centrée, les changements environnementaux favorisent l’émergence de récits conflictuels. Ainsi, la question des systèmes de traitement du plastique étant un aspect clé de la pollution plastique marine, les récentes interdictions ou intentions d’interdiction de commerce de déchets plastiques dans des pays de la région Asie-Pacifique tels que la Chine, l’Indonésie et d’autres, peuvent être associées à un récit de division Nord / Sud. En outre, les discours sur la façon dont la pollution par le plastique peut nuire aux populations qui dépendent des industries océaniques s’inscrivent dans un récit de dépendance aux ressources, typiquement lié à une approche sécuritaire étatique.

L’exportation des déchets plastiques des pays à revenu élevé vers les pays à faible revenu, en particulier vers la région d’Asie du Sud-Est, est un élément important lorsque l’on examine le récit du fossé Nord / Sud. Les pays occidentaux, malgré un classement inférieur en matière de contribution directe à la pollution plastique des océans, sont parmi les pays les plus hautement classés en ce qui concerne l’exportation de déchets plastiques. La moitié des déchets plastiques provenant de l’Union européenne (UE), soit environ 3,36 millions de tonnes métriques, est exportée pour être recyclée à l’extérieur de ses frontières, dont 87% sont importés par la Chine (Brooks et al. 2018). Le rôle important joué par la Chine dans le recyclage des déchets plastiques et les accords commerciaux qui en résultent ont cependant suscité de nombreuses controverses ces dernières années. L’exposition aux substances toxiques des travailleurs chinois du secteur du recyclage, ainsi que l’impact d’une élimination inadéquate des déchets dont souffre la population chinoise autour de ces zones de recyclage ont incité les autorités chinoises à agir. Dans ce contexte, Pékin a adopté la loi chinoise de promotion de l’économie circulaire en 2008 qui met en œuvre la stratégie des 3R (réduction, réutilisation et recyclage). En 2012, le gouvernement chinois a décidé d’une réglementation stricte concernant le commerce des déchets plastiques vers la Chine, suivie d’une interdiction de 10 mois des importations de déchets en 2013. Le commerce des déchets plastiques a néanmoins repris en Chine après la fin de la restriction. En janvier 2018, la Chine a interdit l’importation de 24 catégories de déchets, avant d’interdire toutes les importations de déchets en 2019 (Carème, 2019). Cette décision prise par l’un des plus grands pays importateurs de déchets a remanié les règles du jeu de gestion des déchets plastiques dans le monde. Au niveau régional, cette décision des autorités chinoises a redirigé les flux de déchets vers les pays voisins comme la Malaisie, la Thaïlande ou le Vietnam, les accablant d’une grande quantité de déchets. Depuis lors, certains de ces gouvernements d’Asie du Sud-Est ont refusé de prendre en charge plusieurs conteneurs de déchets et ont forcé leur renvoi vers les pays occidentaux. La Thaïlande, qui a accueilli le 34e sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) en juin 2019 et au cours duquel les États membres ont discuté de la question du commerce des déchets, a exprimé son intention d’interdire également l’importation de déchets en 2020, avec le Vietnam.

Fig. 3. Sources des importations de déchets plastiques en Chine en 2016 et tonnage cumulé des exportations de déchets plastiques (en millions de tonnes) en 1988-2016 (Brooks et al. 2018)

Outre les discours conflictuels émanant du commerce des déchets, la pollution plastique marine a également un impact sur l’économie des pays, et plus spécifiquement dans les industries du tourisme, de la pêche et de la navigation. L’ONU, dans l’un des rapports du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), estime que le dommage financier global de la pollution plastique marine est d’environ 13 milliards de dollars par an (UNEP, 2014). De plus, au plus la dépendance de certains pays et zones locales vis-à-vis du tourisme côtier ou de l’industrie de la pêche est grande, au plus ils sont vulnérables (Garcia et al., 2019). Face à ce problème, le nettoyage des zones côtières et d’autres actions pour déblayer le plastique s’avèrent coûteux et d’une efficacité variable. De plus, dans un scénario où l’impact du plastique sur les écosystèmes marins conduirait à la réduction des ressources halieutiques, différents groupes se retrouveraient en compétition accrue pour une ressource en diminution, générant et/ou exacerbant les conflits d’intérêts. D’un point de vue du discours stato-centré, la dépendance aux ressources, en particulier pour les pays côtiers dépendant du tourisme et de la pêche, est à même d’impacter la sécurité des États. Il s’agit d’un scénario plausible dans la région Asie du Sud-Est où de grandes quantités de débris plastiques ont déjà un impact sur les conditions de vie de la population locale, comme cela a été observé en Chine. En outre, la relation entre les zones démographiques élevées et la consommation et la production de déchets plastiques lie également la pollution plastique marine au récit de la population du discours sur les conflits environnementaux. En outre, étant donné que les modes de production et de consommation mondiaux sont liés à la production de plastique, la mondialisation est un autre problème pertinent à prendre en compte.

En raison de la manière dont le système mondial est structuré, où les pays en développement importent des déchets du Nord, la pollution plastique des océans est une question sécuritaire croissante pour ces pays qui en souffrent le plus directement aux niveaux local et régional. Cependant, avec les récentes interdictions du commerce des déchets plastiques dans la région du Sud-Est asiatique, les pays occidentaux commencent à considérer la question sous un angle différent, non plus seulement comme une menace pour la sécurité de l’environnement mondial, mais également comme une question de sécurité nationale qui est de savoir où envoyer et recycler ces débris plastiques. Compte tenu du caractère récent de ces mesures, il n’est pas encore possible d’établir une analyse claire. Cependant, force est de constater l’émergence d’un langage plus sécurisé concernant la pollution plastique et le commerce des déchets.

3.2. Environnement et sécurité humaine  

Les discours liant sécurité humaine et pollution plastique des océans sont présents dans la littérature existante. Ils apparaissent principalement à travers des récits sur l’impact des débris plastiques sur la santé humaine et les menaces potentielles qu’ils impliquent pour la sécurité alimentaire. Compte tenu de l’impact économique sur les secteurs de la pêche, de la navigation et du tourisme, le phénomène peut également représenter un enjeu sécuritaire quant aux moyens de subsistance de certaines populations.

Face à la pollution plastique des océans, la question de la santé humaine est bien souvent l’un des discours principaux relatifs à l’approche de la sécurité environnementale. Des plastiques ont été trouvés dans le système digestif d’une grande variété d’animaux marins, allant de la toute première couche du réseau trophique jusqu’aux mammifères (Setälä et al., 2014). Que ce soit directement ou indirectement, les humains consomment de nombreuses espèces touchées telles que plusieurs espèces de poissons, de crustacés et de homards. Une étude démontre que plus de la moitié des échantillons de poissons trouvés sur les marchés indonésiens contiennent des débris plastiques (Rochman, 2015). Encore une fois, les différents types de débris trouvés dans cette région reflètent les différentes pratiques de gestion des déchets. Les débris de plastique et les produits chimiques toxiques qui leur sont associés peuvent endommager les écosystèmes. Ceux-ci ont tendance à s’accumuler dans les tissus des animaux, avec la possibilité d’un transfert selon différents niveaux de nutrition. Dans ce contexte, il existe des inquiétudes concernant le passage de ces débris aux humains à travers la chaîne alimentaire, en particulier lors de la consommation d’eau douce et de ressources marines contaminées, comme le poisson et les fruits de mer. Dans la région d’Asie du Sud-Est par exemple, une étude menée à Singapour en 2008 a révélé la présence de polluants organiques persistants (POP) dans 88 échantillons de tissus adipeux maternels à travers l’entrée de particules de plastique dans la chaîne alimentaire (Todd et al., 2010). Un autre récit lié à cette approche via la sécurité humaine est la sécurité alimentaire. Des études ont montré que la pollution plastique des océans est susceptible de réduire la population de poissons, restreignant ainsi les ressources halieutiques. Cette diminution peut avoir un impact sur l’accès à la sécurité alimentaire des populations locales dépendant du poisson pour se nourrir, ainsi que pour assurer leurs moyens de subsistance. Une étude menée en 2017 au sein d’une communauté de pêcheurs côtiers le long de la mer d’Andaman en Thaïlande a démontré que la pollution croissante des océans représentait le plus grand facteur de stress environnemental (Sea Circular, 2019).

Le nombre d’études dédiées à l’observation de la contamination plastique des océans et de son impact sur la santé humaine ne cesse d’augmenter. Au fur et à mesure que les découvertes scientifiques progressent, de nouvelles préoccupations émergent, en particulier avec les nano et microplastiques. Les impacts encore peu connus de ces débris plastiques sur la santé humaine, notamment sur le long terme, provoquent un discours relativement alarmant sur la transmission des débris plastiques à travers la chaîne alimentaire.

3.3. Environnement et sécurité écologique  

La notion de sécurité écologique dans ce cas bien précis fait référence aux conséquences de la pollution plastique marine d’origine humaine sur la santé des écosystèmes. La biodiversité marine est profondément affectée par tous les types de débris plastiques. La région d’Asie du Sud-Est, réputée pour ses écosystèmes marins uniques, est particulièrement touchée par la pollution plastique des océans. Une étude qui a analysé les différents impacts et risques auxquels sont confrontés les écosystèmes marins de la région a démontré que les débris plastiques représentaient 60 à 80% des déchets marins (Todd et al., 2010). La même étude a souligné la pertinence d’agir contre la pollution des océans, non pas pour l’impact sur la santé humaine, mais pour le bien de l’environnement de la région. L’Asie du Sud-Est comprend en effet plus d’un tiers des coraux et un tiers des mangroves de la planète. Dans ce contexte, les pays de la région ont pris des mesures pour empêcher une nouvelle dégradation de la biodiversité marine. Plusieurs conventions, telles que l’Accord de l’ASEAN sur la conservation de la nature et des ressources naturelles, la Convention sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer et la Convention sur la diversité biologique ont été signées au cours des dernières décennies. Cependant, en novembre 2019, le PNUE a souligné la nécessité pour les pays de l’ASEAN de formuler une approche globale concernant la pollution plastique.

Les écosystèmes souffrent des débris plastiques, car ceux-ci peuvent tuer et endommager les écosystèmes marins. Les nanoplastiques, microplastiques ou macroplastiques ont des impacts variés sur les animaux marins, tels que la consommation de plastique par le zooplancton, qui est à son tour consommé. De plus, les animaux marins plus gros ingèrent également des débris de plastique plus larges, causant la mort par étouffement ou par famine. Des débris plastiques de plus grande taille tels que les filets de pêche perdus ou abandonnés peuvent étrangler ou emmêler de nombreux animaux marins et endommager les récifs coralliens. De plus, le cycle reproductif de certaines espèces est également impacté par le plastique (Kaufman, 2018). En somme, les récits associés à l’approche de la sécurité écologique ont tendance à se concentrer sur l’impact de l’action humaine sur l’environnement. Outre les ressources océaniques nécessaires pour assurer la sécurité humaine et la sécurité alimentaire, un large éventail de récits associés à la pollution plastique des océans est orienté vers les insécurités causées aux écosystèmes marins avec l’entrée de débris plastiques dans les océans et en haute mer.

4. Pollution plastique des océans : de l’importance d’une approche genrée

En plus de ces trois approches sécuritaires, il est important d’inclure le genre dans l’analyse. Pour diverses raisons, les hommes et les femmes sont affectés différemment par les changements qui s’opèrent dans les écosystèmes marins. La communauté internationale a récemment mis l’accent sur l’action et l’autonomisation des femmes dans la lutte pour la conservation des océans, notamment en 2019 lors de la journée mondiale des Nations Unies sur l’océan (UN Women). Comme mentionné précédemment, plusieurs recherches ont révélé des résultats importants concernant les liens existants entre le genre et la pollution plastique des océans. Il est donc crucial de mettre en lumière ces risques et de proposer des solutions sensibles au genre.

4.1. Assurer la sécurité humaine

Des études ont démontré qu’en ce qui concerne les insécurités liées à la santé humaine ou à la sécurité alimentaire, les populations marginalisées, et en particulier les femmes, sont les premières touchées (Mehta et al. 2020). Le risque de nano et de micro-plastiques pénétrant dans le corps humain diffère en fonction du genre. Les femmes semblent en effet être plus exposées que les hommes pour des raisons biologiques, tel que la contamination plastique par le placenta dans les grossesses (Bouwmeester et al., 2015 ; Wick et al., 2010). De plus, des différences entre les sexes existent en ce qui concerne les préférences de fruits de mer et de poisson, ainsi que leurs fréquences de consommation. Ces différences de genre peuvent entraîner une exposition différente au plastique (Lynn et al., 2017). Outre la consommation de fruits de mer et de poisson, la pollution plastique marine affecte directement la population des régions côtières (Sea Circular, 2019). Or, les moyens de subsistance des populations féminines sont également plus instables que ceux des hommes en raison des activités de pêche genrées.

En somme, les insécurités humaines liées à la pollution plastique des océans sensibles au genre et doivent être traitées en conséquence. Afin de faire face à ces insécurités et de les prévenir, plus d’études sur la question de la pollution plastique des océans et son impact sur la sécurité humaine sont nécessaires. Diverses failles dans les connaissances existent et empêchent la mise en œuvre de politiques inclusives. Dans la région d’Asie du Sud-Est par exemple, le rapport Sea Circular du PNUE met en évidence les lacunes dans les connaissances sur les dimensions de genre et des droits de l’homme dans le problème de la pollution plastique des océans. En outre, des études montrant comment les rôles genrés affectent différemment les hommes et les femmes dans le contexte de la pollution plastique des océans sont également nécessaires, ainsi que des recherches sur les solutions qui peuvent être proposées compte tenu de ces rôles socialement construits.

4.2. Émancipation de genre

Dans le cas de la pollution plastique des océans, diverses vulnérabilités sont liées au genre. Les femmes constituent la moitié de l’industrie océanique et ne sont pourtant pas suffisamment représentées dans les instances de décision. Elles ne gagnent également pas autant que leur homologue masculin (Harpera et al. 2013). Il est impératif que les femmes participent aux processus décisionnels afin de refléter leurs enjeux dans la préservation des océans. Dans le secteur du tourisme dans la région d’Asie du Sud-Est, par exemple, les femmes dirigent plus de la moitié des entreprises touristiques (UNWTO, 2011). Le secteur offre deux fois plus de possibilités aux femmes d’être employeurs que dans tout autre secteur. Cependant, dans la plupart de ces pays côtiers, le tourisme dépend fortement d’un environnement marin sain (Sea Circular, 2019). De plus, les rôles genrés peuvent rendre les femmes plus vulnérables à la pollution plastique des océans, en fonction du type de pêche dans lequel les femmes ont tendance à travailler. La pollution plastique peut avoir un impact sur les activités liées au genre, comme c’est le cas par exemple dans la pêche de petite taille, où les femmes constituent la moitié de la main-d’œuvre. Par conséquent, elles doivent être intégrées à l’élaboration des solutions afin de faire face efficacement et globalement au problème de la pollution plastique des océans.

Le but d’une approche sensible au genre de la sécurité environnementale est de trouver les sources genrées de ces insécurités et de les éliminer. Il est primordial également de proposer des solutions à ces vulnérabilités. Mettre l’accent sur l’approche genrée de la question comme l’a fait la conférence des Nations Unies sur l’océan en 2019 est déjà un premier pas en avant. En outre, il existe des lacunes au niveau des connaissances sur la question du genre et de la pollution plastique des océans. Par exemple, « l’analyse des spécificités des besoins, des rôles et des vulnérabilités des femmes et des hommes dans l’industrie du plastique dans les pays d’Asie du Sud-Est fait défaut. » (Sea Circular, 2019 :37, traduction par l’autrice) Il est essentiel de combler ce manque de connaissance et d’installer des mécanismes afin que davantage de femmes participent aux instances de prise de décision.

4.3. Sécurité environnementale

Comme il a déjà été mentionné, la pollution plastique marine nuit à la sécurité de l’environnement. Chaque type de plastique a un impact différent sur les écosystèmes. Certains débris plastiques affectent par exemple les récifs coralliens. La consommation de plastique et leur mauvaise gestion sont parmi les causes premières de la dégradation des récifs coralliens. Les décideurs politiques doivent planifier et mettre en œuvre des politiques globales, car toute problématique océanique est globale (Mendenhall, 2018).

Une approche de sécurité environnementale genrée met en exergue la nécessité d’une meilleure réglementation sur la pollution plastique étant donné son caractère global. Elle souligne également la nécessité d’impliquer toutes les parties prenantes et tous les niveaux dans ce mouvement, en particulier les femmes qui ont longtemps été tenues à l’écart du cadre d’action. En outre, les modes de consommation et la sensibilisation à la pollution plastique doivent être enseignés, en particulier (mais pas seulement) aux femmes, car les rôles genrés qui leur ont été attribués les placent au premier plan de ces modes de consommation.

Conclusion

La pollution plastique des océans est un phénomène mondial qui a été abordé à travers différentes perspectives reliant la sécurité et l’environnement. Nous avons passé en revue trois discours différents : celui des conflits environnementaux, de la sécurité environnementale et de la sécurité écologique. En distinguant les récits associés à ces perspectives, nous avons pu discerner comment les problèmes de sécurité autour de la pollution plastique des océans ont été conçus. En plus de ces trois discours, une perspective genrée de la sécurité environnementale a permis de se focaliser sur l’impact de la pollution plastique des océans sur les femmes. Afin d’éviter un manque de sensibilité au genre dans les solutions mises en place pour faire face à la pollution plastique marine et afin de formuler des politiques cohérentes et efficaces, il est crucial d’adopter une perspective plus globale et sensible au genre.

Des solutions doivent être implantées à tous les niveaux. Or, la législation internationale, qui devrait déjà commencer par inclure une approche genrée, n’est pas et ne peut pas être la seule solution à un problème mondial qui affecte tous les niveaux de sécurité, national, humain et environnemental inclus. Au-delà des différentes faiblesses qu’ils révèlent, les options avancées pour combler les lacunes du cadre actuel se doivent d’inclure le genre à la discussion. Non seulement parce que les femmes souffrent différemment de la pollution plastique des océans, en raison de leurs caractéristiques biologiques et sociales, mais parce qu’elles peuvent également jouer un rôle actif dans les solutions à implanter. Tel est le cas en Asie du Sud-Est où les femmes constituent souvent une part considérable de la main-d’œuvre informelle des déchets dans ces pays. De plus, une approche genrée met également en évidence l’insécurité que ces politiques qui ne sont pas sensibles au genre peuvent créer ou renforcer, en particulier envers les individus marginalisés, tels que les femmes.

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[1] Voir https://exxpedition.com/