Ève Harbour Marsan1
1Étudiante à la maîtrise en sciences géographiques
Département de géographie, Université Laval, Québec, Canada
Eve.harbour-marsan.1@ulaval.ca
RG v1 n2, 2015
Résumé : L’Institut des hautes études internationales (HEI), en collaboration avec le Forum d’analyses géopolitiques sur les ressources naturelles (FORAGE) et le Conseil québécois d’études géopolitiques (CGEG) ont présenté un colloque d’une journée sur la géopolitique du secteur minier dans le Nord québécois, le 13 mars dernier. Bien que sporadiquement médiatisés, peu d’échanges avaient eu lieu sur la dimension géopolitique du secteur extractif et son influence sur la dynamique provinciale.
Abstract: The Institute for Advanced International Studies (HEI), in collaboration with the Forum for Geopolitical Analysis on the Natural Resources (FORAGE), and the Quebec Center for Geopolitics Studies (QCGS) presented a one day colloquium on the geopolitics of the mining sector in Northern Quebec, March 13th. Although the mining activity is time to time reported in the Quebec’s media, there has been few significant thinking on his geopolitical dimension, specifically on the international scale and how this influences the province of Quebec.
Mots clés: industrie minière, économie mondiale, minerais stratégiques, Nord du Québec, Plan Nord
Keywords: Mining industry, global economy, strategic minerals, Northern Quebec, Plan Nord
LES STRATÉGIES ÉTATIQUES
David Haglund
The new configuration of international relations for strategic minerals[1]
Lorsqu’on analyse les relations internationales, « You know that we are living in a material world » (Madonna, 1984) propose David Haglund avec humour. Selon lui, les structures des relations internationales passées sont appelées à se répéter, notamment les enjeux de sécurité internationale « dans l’approvisionnement des ressources minérales, les gens oublient parfois qu’il y a une dimension politique qui va au-delà de la réalité des marchés ». « Est-ce que Alphonse Karr avait raison lorsqu’il affirmait que plus ça change, plus c’est la même chose? […] nous pouvons tirer des leçons de l’histoire des minerais stratégiques ». Il a surtout abordé la période d’entre-deux-guerres sur laquelle se trouve une importante quantité de travaux sur les besoins de ressources premières, la paix et la stabilité internationale.
Les « minerais stratégiques » durant cette période ont été définis comme essentiels ou critiques pour le fonctionnement de la société, spécialement pour répondre aux besoins militaires. On ne parlerait pas de minerais stratégiques si le commerce mondial était dépourvu de tensions politiques, ou si les ressources minérales étaient réparties équitablement à tous les États. Partant, se trouvaient les pays « chanceux » les Have countries (Union soviétique, États-Unis, Canada) et les « malchanceux », les Have not (Allemagne, Italy, Japon). Ces derniers cherchant perpétuellement à s’approvisionner, craintifs d’être restreints par les Have countries, comme ce fut le cas de l’Allemagne, privée des ressources premières par le blocus de l’Empire britannique. David Haglund propose qu’ils se trouvent aujourd’hui des échos de cette période, alors que plusieurs voient un bouleversement latent dans l’appétit vorace de la Chine pour les ressources premières. La Chine qui domine l’oligopole des terres rares a par ailleurs manifesté son pouvoir dans la configuration géopolitique des minerais stratégiques lorsqu’elle a coupé son approvisionnement au Japon.
Petra Dolata
Strategizing ressources? Canada’s national and international policies[2]
Petra Dolata a présenté sommairement la stratégie canadienne pour la gestion des ressources minérales. Selon Dolata, le pays se présente comme un « géant minier » dont les perspectives sont favorables à long terme, comme un environnement sécuritaire pour les investissements en regard des pays beaucoup plus instables. Le Canada cherche d’abord à être compétitif économiquement, considérant l’intérêt mondial pour ses ressources minérales, en particulier nordiques. Sa stratégie vise à affirmer clairement que le « Canada is open for business ». Il présente l’Arctique comme ouvert aux occasions d’affaires tout en priorisant les communautés nordiques. Le Canada hésite à s’engager dans une gouvernance globale des ressources naturelles, en comparaison à d’autres pays du G20, étant surtout un pays producteur et non importateur, selon P. Dolata. Appartenant aux « Have countries », le Canada a plus en commun avec les pays n’appartenant pas au G20 en termes de gouvernance des minerais stratégiques. Dans la perspective canadienne, les minerais stratégiques ont une importance significative pour le développement socioéconomique des régions, en particulier nordiques. Pour les pays du G20, la criticité des minerais équivaut plutôt à leur rareté, d’où le difficile rapprochement des intérêts des pays.
FORCES ET ACTEURS ÉCONOMIQUES
Andrew Perchard
The mining industry from past to present : evolution and revolution in market structures[3].
Perchard a débuté sa lecture en citant l’économiste en chef de Rio Tinto, David Humphreys, selon lequel les gouvernements producteurs de ressources minérales favoriseraient à nouveau les politiques économiques nationalistes, ce qu’il nomme « le nouveau mercantilisme ». Historien, A. Perchard a présenté différentes phases de l’histoire canadienne et québécoise marquées par le mercantilisme, mettant l’accent sur la période de 1850 à 1960. Sa présentation appelait à une réflexion sur l’implication actuelle des gouvernements dans le secteur minier, au regard des modèles passés. A. Perchard rappelle que les investissements dans les minerais et l’exploitation minière étaient centraux pour l’impérialisme de l’Empire britannique post1850. Les compagnies de métallurgie comme Alcan et les entreprises minières étaient considérablement encouragées par les gouvernements américains et britanniques, en considération des temps de guerre favorables à ces économies. En 1936, la production canadienne de minerais équivalait approximativement à 34 % du PIB. Central pour son économie, le Canada a par ailleurs déjà contrôlé près de 85 % de la production de nickel mondial, excluant l’Union soviétique. Le pays a jadis aussi été un leader mondial dans la production d’uranium, de cobalt, de titane, platine, aluminium, de plomb et de cuivre. Or, ces entreprises étant détenues par des intérêts privés, leur rendement ne participait pas à la diversification de l’économie.
Normand Champigny
Les risques et les opportunités des sociétés minières privées dans le contexte mondial[4]
Professionnel de l’industrie, il soulignera d’abord qu’il y a très peu de succès dans le secteur minier. Contrairement à la croyance populaire que les compagnies minières « font beaucoup d’argent », le secteur est excessivement risqué, cyclique, et les opportunités sont des fenêtres qui parfois ne reviendront jamais. En moyenne, il y a une découverte par chaque 127 millions d’investissements, et une découverte sur 10 deviendra une mine. Au regard de ces probabilités, « il faut connaître ce qu’il y a dans le sous-sol avant de sécuriser les aires de biodiversité, car faire autrement pourrait avoir des conséquences importantes sur l’industrie, mais également pour la viabilité économique de la société québécoise », affirme N. Champigny en référence aux ambitions du Plan Nord de protéger 50 % du territoire. Au-delà des risques techniques en dessous du sol, il y a également des risques au-dessus du sol. Obtenir de la main-d’œuvre qualifiée demeure un grand enjeu, de même que les infrastructures. À ce sujet, N. Champigny affirme que l’industrie minière permet d’accélérer la valorisation du territoire, tout en rendant les mines plus compétitives en permettant de profiter de la « fenêtre » du cycle minier « en Chine, ils font les infrastructures, et après un projet de développement ». L’acceptabilité sociale est aussi d’une importance primordiale. Pour chaque 3 $ investis, 2 $ sont investis pour le travail avec les communautés. Par ailleurs, un fonds de communication mis sur pied par l’industrie (minesqc.com) vise à répondre aux questions et préoccupations concernant le secteur minier. Ainsi, en tenant compte des très grands risques, pour qu’un projet voie le jour, les opportunités doivent être d’un très haut rendement. De plus, il a besoin d’être appuyé par le gouvernement et les enjeux au-dessus du sol doivent être bien gérés.
Pascale Massot
Acquisition de ressources naturelles : perspectives chinoises[5]
En cherchant à mieux comprendre le comportement de la Chine dans les différents marchés miniers, Pascale Massot a remarqué que l’attitude chinoise varie grandement d’un marché à l’autre. Dans celui du fer et de la potasse, la Chine est très affirmative et fait peu de concessions, tandis que la Chine est très conciliante sur le marché de l’uranium. Ses résultats préliminaires révèlent que le degré de collaboration des acteurs chinois serait lié au degré d’asymétrie dans la structure des marchés entre les acteurs chinois et internationaux. Ainsi, dans le cas d’une grande asymétrie des pouvoirs – soit en position de vulnérabilité – la Chine serait beaucoup moins susceptible de coopérer que dans un contexte où elle contrôlerait une grande part du marché. Ainsi, les comportements d’acquisition chinois varieraient selon la distribution des pouvoirs dans les différents marchés. De plus, l’interaction entre les marchés domestiques et internationaux influence aussi le comportement chinois, selon la production et la consommation chinoise d’une ressource. Enfin, un regard sur les marchés domestiques chinois permettrait de comprendre le comportement de la Chine à l’étranger. « Bien que cela soit contre-intuitif, une analyse préliminaire suggère que de donner à la Chine une plus grande marge de manœuvre dans les marchés pourrait être une stratégie pour obtenir une plus grande collaboration des acteurs chinois », conclut-elle.
LE NORD QUÉBÉCOIS SUR L’ÉCHIQUIER MONDIAL
Georges Beaudoin
Le potentiel minéral du Nord du Québec[6]
Cette conférence différenciait le potentiel et les connaissances d’un gisement minéral. L’absence de dépôts confirmés ne signifie pas qu’il n’y a pas de ressources, mais plutôt que cette zone n’a pas encore été explorée. On trouve au Québec la majorité des substances du tableau périodique, mais la quantité s’estime difficilement. D’ailleurs, bien que des gisements soient connus, l’absence d’infrastructures et l’envergure du territoire complexifient les travaux d’exploration et d’exploitation. En effet, le « Nord » du Plan Nord – représentant 70 % du territoire – a d’importants espaces toujours non explorés, explique G. Beaudoin. Qui plus est, les découvertes nordiques sont des découvertes de surface, alors qu’il est possible d’aller à 1000 m de profondeur. Chaque découverte motive des investissements d’exploration puisque l’aventure semble moins risquée. Or, « on découvre parfois des gisements très importants dans des lieux inattendus […] Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de potentiel, mais les zones ne sont pas explorées », comme ce fut le cas pour le Ring of Fire au nord de l’Ontario, un gisement de classe mondiale. G. Beaudoin va dans le sens d’autres conférenciers : les projets sont étroitement associés aux infrastructures, et les gisements doivent être suffisamment importants pour justifier les investissements.
Pierre Louis Têtu
La Chine à la conquête des ressources minières de l’Arctique canadien?
Géographie de l’approvisionnement chinois en minerai de fer[7]
Monsieur Têtu initie sa réflexion par la perception négative de la Chine dans l’opinion publique selon laquelle la Chine pourrait s’emparer de toutes les ressources canadiennes et arctiques. Ainsi, sa présentation consistait à interroger les acquisitions chinoises de fer dans l’Arctique canadien. Selon le chercheur, le Canada est bien loin d’être en tête de liste des pays ciblés par la Chine. S’il est vrai que la Chine représente 50 % de la production et de l’importation de fer, la teneur de sa production est beaucoup moindre que l’Australie par exemple. De plus, les importations chinoises de fer viennent principalement de l’Australie, du Brésil et de l’Inde; ses investissements sont surtout en Amérique du Sud, en Océanie et en Afrique. Dans les deux cas, c’est dans une proportion nettement supérieure qu’au Canada. Entre 2009 et 2014, la Chine a importé plus de 250 000 millions $ de minerais de fer de l’Australie, et seulement près de 5 600 millions $ au Canada. Cet écart s’explique notamment par les coûts de transport considérablement plus élevés au Québec. Par ailleurs, P-L. Têtu nous apprend qu’à ce jour aucune mine de fer détenue par des intérêts chinois n’est en activité dans l’Arctique canadien. Qui plus est, le Canada représentait à peine 1 % des importations totales chinoises de minerais de fer pour la période de 2009 à 2013. Enfin, bien que le passage du Nord-Ouest laisse présager une nouvelle route maritime, les scénarios restent hypothétiques et plusieurs contraintes n’en font pas une option avantageuse pour la Chine.
Charles Riopel
L’investissement comme vecteur de partage de la rentabilité associée au développement des ressources naturelles[8]
Directeur principal des investissements chez le Groupe Sentient, Charles Riopel a fait connaître les enjeux des investisseurs dans le secteur minier. A priori, il faut savoir que les parties qui investissent recherchent un rendement de 20 % à 30 % sur le cycle de vie des fonds de 10 ans, et que seulement 0,5 % des investissements sont rentables. Selon C. Riopel, pour atteindre ce rendement, le meilleur modèle d’investissement consiste à investir très tôt dans les projets. Moteur économique mondial, la Chine a engendré dans les récentes années un supercyle au niveau des ressources naturelles. « Le Québec a manqué cette fenêtre » et les prochains cycles – généralement dus à l’industrialisation, sont difficilement prévisibles. La mondialisation a par ailleurs entraîné des cycles plus courts et plus intenses. Plaidant pour un rôle prépondérant des gouvernements pour la réalisation de projets miniers, le professionnel affirme que les investissements doivent être planifiés dans une perspective à long terme, de 10 à 20 ans, à travers les cycles miniers, et non pas seulement dans la phase profitable. Seulement, il reconnaît que soutenir une industrie non profitable est une décision politique impopulaire difficile à conjuguer avec un gouvernement dont l’objectif est d’être réélu pour un second mandat. À cet égard, il cite comme exemple les investissements du gouvernement australien dans les infrastructures « Aujourd’hui, l’Australie produit à 30-35 $ la tonne, et le cours est à 58 $ seulement, mais à ce prix, c’est rentable pour eux. Pour un rendement dans la Fosse du Labrador, le cours devra être à 120 $ » explique C. Riopel. Le Québec est pour le moment perçu comme un « swing state » par les investisseurs parce qu’il se retire quand les projets ne sont pas rentables, et investit en haut de cycle. Ce comportement entraîne l’exode des investissements et de l’expertise nécessaires pour profiter du haut de cycle, explique C. Riopel. Il conclut que le Québec doit partager les risques avec l’industrie en mettant en place un cadre qui lui est favorable pour avoir un « bout de la tarte ».
Notes de bas de page
[1]. Professeur de science politique, Queen’s University
[2]. Associate Professor, Canada Research Chair in the History of Energy, Université de Calgary
[3]. Senior Research Fellow at the Center for Business in Society (CBiS) at Coventry University (UK), and co-founder of the History and Strategic Raw Materials Initiative
[4]. Président et chef de la direction de Sphinx Resources Ltd.
[5]. Doctorante en science politique à l’Université de British Colombia
[6]. Professeur au Département de géologie et de génie géologique, Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche industrielle CRSNG – Agnico – Eagle en exploration minérale
[7]. Doctorant en sciences géographiques à l’Université Laval
[8]. Membre du groupe d’investissements The Sentient Group