Les organismes de bassins versants au Québec (OBV): regard sur la problématique du financement, obstacle à la réalisation de leurs mandats

Aurélie Blondeau1 et Annye Boutillier2 

1Étudiante à la maîtrise en Études internationales, Université Laval.  Aurelie.blondeau.1@ulaval.ca

2Étudiante à la maîtrise en géographie, Université Laval
Annye.boutillier.1@ulaval.ca

Vol 3, n 3, 2017


À propos des auteures

Aurélie Blondeau est en voie de compléter une maîtrise en Études internationales à l’Université Laval. Fascinée par les questions de développement, elle s’intéresse à la conservation des ressources génétiques et à la participation des peuples autochtones et communautés locales sous l’égide de la Convention sur la diversité biologique.

Annye Boutillier a terminé un baccalauréat intégré en études internationales et langues modernes en concentration environnement en 2015. Elle fait actuellement sa maîtrise en géographie à l’Université Laval. Elle s’intéresse à la gestion des eaux et à la gouvernance participative.


Résumé : Le bilan de la situation des organismes de bassins versants (OBV) du Québec démontre qu’ils sont largement dépendants du financement accordé par le gouvernement provincial. L’absence d’un mécanisme de redevances ne leur permet pas de réaliser pleinement les trois mandats qu’ils se sont vus confiés, soit la concertation, la sensibilisation et la mise en oeuvre du Plan directeur de l’eau. Trois études de cas ici étayées permettent de rendre compte de leurs difficultés financières et de leurs défis au quotidien.

Summary: The assessment of Watershed Organizations of Québec’s situation shows that they are heavily depending on the provincial government financing. The absence of a tax mechanism doesn’t allow them to simultaneously achieve their three mandates which are consultation, mobilization, and implementation of the “Plan directeur de l’eau”. To this end, three case studies report the financial difficulties and other challenges they must face daily.

Mots-clés : gestion intégrée des ressources en eau, organismes de bassins versants Politique nationale de l’eau, financement, gouvernance de l’eau

Keywords: watershed-based management, watershed organizations, Quebec water policy, financing, water governance


Introduction

La Directive-Cadre européenne sur l’eau (DCE), adoptée en 2000, propose un cadre normatif pour la gestion de l’eau. Elle met de l’avant la gestion par bassin versant qui est de ce fait devenue le mode de gestion des eaux favorisé dans plusieurs pays. Elle implique de gérer l’eau non plus selon des limites administratives mais en fonction des limites des bassins versants. Ces derniers constituent des unités territoriales regroupant l’ensemble des eaux de surfaces et des eaux souterraines drainées par un même cours d’eau principal et délimitées par les lignes de partage des eaux (GROBEC, 2017).

Le Québec, qui voit 10 % des 1 667 000 km2 de son territoire recouverts d’eau douce, a mis en place ce type de gestion intégrée de l’eau à comp-ter de 2002 (Brun et Lasserre, 2010-B). Très rapidement, les travaux d’Alexandre Brun et de Frédéric Las-serre (2010 et 2012) ont soulevé la problématique « névralgique » du financement, affectant considéra-blement l’activité des organismes de bassins versants (ci-après OBV) du Québec (Emond, 2015). En ce sens, trois études de cas abordant respec-tivement le Comité de bassin de la ri-vière Chaudière (COBARIC), l’OBV Charlevoix-Montmorency (OBV-CM) et l’OBV Duplessis (OBVD), permet-tront de démontrer concrètement les implications du bilan de l’état ac-tuel des OBV et leur dépendance financière vis-à-vis du gouverne-ment qui nuit toujours, en temps réel, à l’accomplissement de leurs trois mandats. Des discussions télé-phoniques entretenues auprès des directeurs respectifs de l’OBV-CM et de l’OBVD, ainsi que des courriels échangés avec la directrice de COBA-RIC et le directeur adjoint du Regrou-pement des Organismes de Bassins Versants (ci-après ROBVQ), mon-sieur Antoine Verville, ont rendu possible la cueillette d’informations de première main.

1. Présentation de la gestion intégrée par bassin versant au Québec

En 2002, le Premier ministre Bernard Landry et le ministre de l’Environnement André Boisclair, désireux d’instaurer la gestion intégrée par bassin versant, ont adopté la Politique Nationale de l’Eau (ci-après PNE). Certains comités de bassins existaient déjà au
Québec, or avec l’avènement de la PNE, 33 bassins versants ont été désignés et jugés prioritaires (Emond, 2015). Pour chacun d’eux a été créé un OBV. En 2009, le gouvernement Charest a adopté la Loi affirmant le caractère collectif de la ressource en eau et visant à sa protection (ci-après Loi de 2009) qui visait à réaffirmer la PNE. Le ministère du Développement durable, de l’environnement et des parcs (ci-après MDDEP) a dès lors orchestré un redécoupage des territoires gérés par les OBV, passant ainsi de 33 à 40 OBV dans la province (Brun et Lasserre, 2010a). Certains des anciens OBV ont vu une nouvelle section territoriale être incluse dans leur gestion. Partant de là, le MDDEP a pu « fixer des règles applicables au fonctionnement et au financement » de ces organismes nouvellement constitués ou désignés (Loi de 2009, §14.5). Le MDDEP, devenu le ministère du Développement durable, de l’environnement et de la lutte contre les changements climatiques (ci-après MDDELCC), a élaboré en 2012 le Cadre de référence qui fait aujourd’hui état de ces règles.

FIGURE 1. Localisations géographiques et étendues des bassins versants à l’étude

Source: Regroupement des Organismes de Bassins Versants du Québec (ROBVQ), (En ligne)  https://robvq.qc.ca/obv

La Loi de 2009 a confirmé le concept de gestion de l’eau par bassin versant en lui octroyant un caractère légal. Cette concrétisation s’est révélée une avancée considérable pour la gestion de l’eau dans la législation provinciale. Les OBV ont également été reconnus en tant que « catalyseurs des forces vives du milieu » (ROBVQ et autres, 2016). Ces derniers détiennent le statut d’organismes à but non lucratif (ONBL) en conformité avec la Loi 101, au même titre que les clubs de sport ou les associations de pêche (Brun et Lasserre, 2010b). À l’opposé des agences de l’eau françaises, leurs moyens financiers sont limités. Contrairement aux Établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), qui se voient attribuer certaines compétences en France, les OBV au Québec doivent chevaucher entre les autorités publiques, locales, régionales et provinciales qui conservent leurs compétences exclusives (Payette, 2014). Il leur revient donc un rôle de sensibilisation des différents acteurs et d’émission de recommandations aux décideurs de ces paliers décisionnels (ibid.). Incorporant ces dernières fonctions, ils agissent comme de véritables « porteurs de projets » au fait des réalités locales qui affectent les zones des bassins qui les concernent (Brun et Lasserre, 2010b).

Pour encadrer les OBV, le ROBVQ a été créé en 2001. À titre d’OBNL, il constitue le partenaire privilégié du gouvernement du Québec en matière de gestion intégrée de l’eau par bassin versant. Il représente, défend, développe des collaborations, des partenariats, des services, des projets et des programmes dans l’intérêt de ses membres et de la gouvernance de l’eau au Québec (https://robvq.qc.ca). Il organise plusieurs rendez-vous et galas afin de réunir les différents acteurs de l’eau et d’offrir des formations. Au travers de différents répertoires et plateformes, il assure de surcroît la diffusion d’information sur divers sujets essentiels aux OBV.

2. Bilan de la situation des OBV

Les trois mandats des OBV, tels qu’énoncés dans le Cadre de référence élaboré par le MDDELCC (2012, p.3), sont les suivants : 1) favoriser la concertation des intervenants régionaux concernés par les enjeux de l’eau sur leur territoire respectif; 2) informer, mobiliser, consulter et sensibiliser les populations ainsi que promouvoir la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) sur leur territoire respectif; 3) élaborer un document de planification de la GIRE, soit un Plan directeur de l’eau (PDE), représentatif des préoccupations et de la vision d’avenir du milieu. Dans le cadre du Programme Interactions OBV, le ROBVQ a rencontré chacun de ses membres entre les mois de mars et de septembre 2010 afin de mettre à jour ses connaissances se rapportant aux réalisations des OBV à la suite du redécoupage. Cet énorme sondage a mené au « Bilan de l’état de situation des OBV en 2010 ». Toutefois, une initiative aussi coûteuse n’a pu être reconduite. Aux dires de monsieur Antoine Verville (2017), directeur général adjoint du ROBVQ, les statistiques sont désormais conservées à des fins internes.

Trois OBV ont été retenus en fonction de leur date de création et de leur dispersion géographique sur le territoire québécois, afin d’illustrer les actions concrètes qui peuvent être mises en oeuvre par les OBV pour remplir leurs trois mandats. D’abord, le Comité de Bassin de la Rivière Chaudière (COBARIC), fondé en 1994, s’avère l’un des premiers OBV au Québec. Ensuite, le Comité de bassin de la Rivière Montmorency (CBRM) a été créé en 2000 et reconnu officiellement en 2002. À la suite du redécoupage, l’OBV-Charlevoix-Montmorency (OBV-CM) a été créé pour prendre en son sein le CBRM de même que six autres comités de bassins indépendants, soutenus par des bénévoles (OBV-CM, 2017). Finalement, l’OBV Duplessis (OBVD) est apparu en 2010 et s’est vu octroyé la charge de 105 bassins versants de la Côte-Nord.

2.1 Favoriser la concertation

S’il y a contentieux, les associations et autres acteurs du milieu peuvent faire appel au service des OBV. Ces derniers rassemblent alors toutes les informations et données nécessaires pour la mise en place d’une table de concertation qu’ils animeront et lors de laquelle ils pourront émettre des recommandations aux différentes parties. Considérant que les acteurs connaissent de plus en plus l’OBV-CM, celui-ci reçoit davantage de demandes de ce type, explique son directeur, monsieur Jean Landry (2017). Quant à lui, le COBARIC participe à de nombreuses tables de concertation, telles la rencontre annuelle des associations de riverains, le regroupement des OBV de la Chaudière-Appalaches et le Forum régional sur l’eau en Chaudière-Appalaches. Le rôle de concertation est mis au centre des actions de COBARIC et est reconnu par les différents acteurs de l’eau de son bassin versant. « Nous nous devons d’être à l’avant-garde des dossiers environnementaux et guider les décideurs vers le meilleur compromis », précise à cet effet madame Brochu, directrice de l’OBV (2017). Bien que la concertation soit la force de l’OBV, elle demeure tout de même un travail de longue haleine, car la cohabitation des différents acteurs oscille continuellement entre conflits et collaborations (COBARIC, 2014). Selon Ghassen Ibrahim, directeur de l’OBVD, la concertation n’est pas infaillible dans le contexte territorial qui le concerne. Par exemple, pour les entreprises minières, la concertation s’avère plutôt contraignante, à l’opposé des citoyens, des petits commerces et des agriculteurs pour qui « l’eau est en quelque sorte leur fonds de commerce » (Ibrahim, 2017). C’est la science, puisqu’elle offre à l’OBV une expertise considérable, qui permet de capter l’intérêt des entreprises minières qui l’emploient comme solution peu coûteuse pour s’adapter à de nouvelles réglementations (Ibrahim). Il semble de la sorte que les OBV sont de plus en plus en mesure de faire connaître leur expertise en matière de concertation bien que celle-ci reposera toujours et ultimement sur la bonne volonté des acteurs.

2.2 Informer, mobiliser, consulter et sensibiliser

En termes de mobilisation, le COBARIC s’est affilié avec le Partenariat Action Jeunesse en Environnement (PAJE) pour la plantation de bandes riveraines et des activités d’échantillonnage (COBARIC, 2017). Il a également participé à la création d’un atlas de données géoréférencées sur des informations spécifiques aux poissons vivant sur le territoire des collaborateurs, soit le Conseil de bassin de la rivière Etchemin et le Regroupement des organismes de bassins versants de la Chaudière-Appalaches qui comprend neuf OBV. Aux dires de la directrice madame Brochu, lorsqu’une relation de collaboration est construite avec les acteurs du bassin, elle s’inscrit souvent dans la pérennité. En outre, l’OBV-CM a organisé en 2016 des activités de sensibilisation (projet d’aquaculture); a effectué des échantillonnages pour surveiller la qualité de l’eau avec l’aide de son mini laboratoire; a procédé à la caractérisation du terrain pour prévoir les accès aux cours d’eau et pistes de VRH; a offert des services-conseils pour faire la différenciation entre fossés agricoles et cours d’eau (pour une réglementation adéquate); a travaillé à l’instauration d’un nouveau programme pour parer aux changements climatiques (inondations); et a émis des recommandations dans le cadre de l’entente de conservation volontaire (non-contraignante) conclue en 2015 avec les propriétaires de milieux humides forestiers.

Aux dires de monsieur Verville, la notion de consultation publique a évolué. Ainsi, « les OBV ne sont plus tenus de faire des consultations publiques, mais bien d’impliquer la société civile par les moyens qu’ils jugent appropriés (…) ». Les stratégies comprennent donc « des consultations publiques, de l’accompagnement individuel, des focus groupes, des comités techniques, des comités sectoriels, des forums, etc. » (Verville, 2017).

En ce qui a trait au niveau d’implication et d’influence des OBV dans les différents milieux, le milieu municipal a été ciblé comme partenaire prioritaire en raison de ses compétences en matière de réglementation et d’aménagement du territoire (Verville). Les municipalités possèdent des compétences légales et des pouvoirs dans le but d’adopter des règles pour combler les besoins en eaux de leurs habitants (assainissement et distribution des eaux, construction des installations nécessaires tels les aqueducs, les puits de captage et les stations d’épuration) (Brun et Lasserre, 2010b). C’est pour ces raisons que les OBV travaillent en étroite collaboration avec celles-ci. D’autre part, beaucoup d’actions sont aussi déployées en milieu agricole (Verville, 2017). Les OBV détiendraient donc plus de poids dans les milieux municipaux et agricoles. Il convient de rappeler à ce stade-ci que, bien qu’ils soient davantage considérés dans les processus décisionnels, les OBV ne détiennent aucune compétence en la matière. Au final, leur action a tout le mérite de se concentrer dans le local pour solutionner des problèmes qui échappent aux instances plus englobantes.

2.3 Assurer l’élaboration du PDE

Le Plan directeur de l’eau comprend trois principales sections : le Portrait, le Diagnostic et le Plan d’action. Les deux premières sections constituent l’analyse du bassin versant. D’abord, le Portrait sert à décrire les différentes caractéristiques physiques, humaines, biologiques et socioéconomiques du bassin versant. Ensuite, le Diagnostic permet de faire ressortir les problèmes liés à l’eau pouvant affecter la santé humaine et l’intégrité des écosystèmes (OBV Duplessis). Après avoir déterminé les principaux enjeux, il revient à l’OBV de cibler des objectifs afin d’élaborer le Plan d’action. Par la suite, il doit s’assurer de la mise en oeuvre de celui-ci.

Le PDE constitue la réalisation majeure des OBV jusqu’à présent. Le processus d’approbation ministériel est long – au moins un an – puisqu’il doit être approuvé par les onze ministères impliqués dans la gestion de l’eau (Chouinard, 2017). Le processus de révision devait se faire aux cinq ans, mais le délai n’étant jamais respecté, l’exigence a été retirée (Verville, 2017).

Certains OBV avaient déjà un PDE actif avant le redécoupage de 2009. Ceux-ci se sont vus contraints d’en formuler un nouveau. En somme, les PDE, qui constituent une deuxième version pour certains OBV, ont tous été rédigés. Seuls ceux de l’OBV Matapédia-Restigouche et du Conseil de l’eau – Gaspésie Sud restent à être attestés par le MDDELCC (Chouinard, 2017).

Les contrats de bassin ont jadis été conçus comme principal « outil opérationnel » des PDE de manière à mettre en application les actions définies dans ce dernier (Brun et Lasserre, 2010b). Initialement, le contrat de bassin consistait en la formalisation d’un engagement volontaire entre les acteurs impliqués dans la protection ou la revalorisation d’un bassin (Brun et Lasserre, 2010b). Ainsi, énonçait-il les actions à entreprendre, les coûts, les maîtres d’oeuvre, un échéancier, etc. Toutefois, la notion de contrat de bassin, empruntée à la France, n’est pratiquement plus utilisée puisqu’elle se prêtait mal au contexte québécois et freinait l’engagement des volontaires de par son caractère légal et contraignant (Verville, 2017). De ce fait, l’engagement légal, financier ou réglementaire qu’il implique en territoire français n’est pas cohérent avec le statut des OBV en tant qu’OBNL au Québec (ibid.), car les OBV ne possèdent pas de compétences politiques ou administratives reconnues. Chaque OBV décide désormais des moyens qu’il utilise pour valoriser l’engagement des acteurs, soit par des bulletins d’information, des ententes volontaires, des galas ou encore via un répertoire provincial de bonnes pratiques municipales en gestion de l’eau (ibid.; voir http://www.reperteau.info). Le PDE permet la valorisation des priorités à cibler dans un milieu détenant ses propres particularités. Faut-il encore qu’un financement adéquat permette la mise en oeuvre des actions pour l’accomplissement de ses objectifs…

3. Problématique du financement
3.1 Sources de financement

Tous les ans, chaque OBV reçoit un financement statutaire du MDDELCC de l’ordre approximatif de 125 000 $. En 2016, cette allocation avait été réduite d’environ 10 %, soit de 12 350 $. Or, l’équipe de la subvention de la politique de l’eau du MDDELCC a été en mesure de compenser la perte à l’aide du Fonds vert (Chouinard, 2017). L’OBV doit ensuite se tourner vers d’autres sources de financement s’il veut parvenir à mettre en place ses multiples projets. En 2010, le financement moyen avec partenaires des OBV était de 217 000 $ (ROBVQ, 2010). Il s’est élevé en 2016 à 236 000 $. Outre le MDDELCC, les autres principaux bailleurs de fond sont le gouvernement du Québec via d’autres programmes (ex. : Programme Interaction Communautaire), le gouvernement du Canada (ex. : Programmes sur les espèces menacées) et, surtout, le secteur municipal pour des projets concrets répondant à des besoins locaux (Verville). Le Fonds québécois pour le développement durable (FQDD) peut également s’imposer en tant qu’alternative de financement, à raison optimale de 150 000 $ par an. Toutefois, la conception du dossier à soumettre au FQDD pour acceptation requiert certaines aptitudes et compétences dont plusieurs OBV ne disposent pas, faute d’un manque d’expérience des employés et d’effectifs (Brun et Lasserre, 2010b).

En 2016, le gouvernement a mis fin abruptement à l’Opération Bleu-vert pour lutter contre les cyanobactéries. Corrélativement, son financement annuel, variant de 5 000 à 25 000 $ pour chaque OBV et totalisant 770 000 $, a été interrompu (ROBVQ, 2017). En 2009, pour 75% des OBV, l’élaboration du PDE accaparait tout le financement statutaire du MDDEP en plus de 50 000 $ supplémentaires (Laberge, 2009). La répartition du financement acquis vient donc supposer d’autres difficultés. Une bonne partie du financement doit d’abord être investi à la paie des employés, à la mise en oeuvre du PDE puis à la recherche de partenaires, réduisant du coup la capacité financière des OBV pour la réalisation de projets relatifs à la concertation, la sensibilisation, la consultation, la mobilisation et l’information.

Concrètement, l’OBV-CM a pu recueillir 250 000 $ en 2016, avec l’inclusion du montant statutaire du MDDELCC (Landry, 2017). Ses principaux partenaires sont les municipalités. L’OBV multiplie également les demandes de financement dans le cadre de programmes déjà en place dans les différents ministères (transport, agriculture…) destinés à l’environnement. Aussi, des associations de riverains peuvent venir prêter main forte en offrant de leur temps (ibid.). Deux obstacles sont ici à considérer. D’une part, chaque année, l’OBV doit renouveler ses demandes de financement auprès des différents ministères. Monsieur Landry (2017) estime que 50 % des efforts de son équipe sont consentis à la recherche de partenariats à des fins de financement. Seul le 50 % restant peut-être consacré à la mise en oeuvre des projets en vue de réaliser les objectifs ciblés dans le PDE. D’autant plus, considérant l’incertitude relative à la pérennité des sources de financement, il devient ardu de mettre en place des projets à long terme. D’autre part, l’équipe est composée de trois membres qui travaillent à temps plein et d’un contractuel, engagé d’avril à septembre. Ce sont donc peu de ressources humaines pouvant être dirigées à la création de projets. Dans le même ordre d’idées, la directrice de COBARIC met l’accent sur la surcharge de travail que connaît actuellement sa petite équipe (Brochu, 2017).

Parlant du financement statutaire de l’OBV en provenance du MDDELCC, monsieur Ibrahim de l’OBVD a, quant à lui, spécifié l’importance de se questionner sur la corrélation entre le montant accordé et la superficie de bassins versants à gérer. Selon lui, considérant ce fait, le financement est plus qu’insuffisant. Il affirme même avoir le vertige en pensant à l’ampleur de la problématique qui s’impose, soit 105 bassins versants avec leurs enjeux distincts et des acteurs en leur sein qui sont confrontés à des réalités divergentes dans les domaines climatique, socio-économique, géologique, humain et biologique. En ce sens, il est manifeste que les efforts et l’influence des OBV, qui doivent s’en tenir à une équipe réduite engagée à toute heure dans la recherche de partenariats, sont limités par le manque flagrant de financement.

3.2 Principe du pollueur-utilisateur-payeur : solution au financement?

En 2002, le ministère de l’Environnement, de l’eau et des affaires municipales, sous la direction d’André Boisclair, a créé le Fond monétaire de l’eau (FME) en vertu de la Loi instituant le Fonds national de l’eau LRQ (chapitre F-4002) (Brun et Lasserre, 2004). Ce dernier devait être alimenté par les crédits de l’État et les redevances (Brun et Lasserre, 2010b). Dans une perspective de développement
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durable, c’est suivant le principe utilisateur-payeur, énoncé dans le paragraphe 4 de la Loi de 2009, que l’on voulait mettre en place ces redevances. Le paragraphe 4 précise également que le principe précédent doit être appliqué en tenant compte de son principe frère pollueur-payeur. La Loi instituant le Fonds national de l’eau a été abrogée en 2006 et depuis, aucun gouvernement n’a cherché à intégrer les redevances dans la dynamique de financement des OBV. Les gouvernements successifs ont repoussé sans cesse cette question mitigée en soutenant ne pas vouloir alourdir la charge des ménages et des industries.

Le fait que la Stratégie québécoise de l’eau de 2017-2032 tarde à voir le jour témoigne d’une certaine passivité du gouvernement Couillard en matière de gestion de l’eau. Quinze ans après l’adoption de la Politique nationale de l’eau (PNE-2002), une mise à jour ainsi que la prise en compte de nouveaux défis en ce qui concerne l’adaptation aux changements climatiques et l’aménagement du territoire s’imposent (MDDELCC, 2017). En réaction à l’élaboration de la Stratégie québécoise de l’eau, le ROBVQ, en collaboration avec de nombreux partenaires et scientifiques, a fait paraître en 2016 dans le journal La Presse la lettre ouverte « Pas d’engagement sans investissement » (ROBVQ et autres, 2016).

Le financement, ont soutenu les signataires, doit être « guidé par le principe que l’eau paie l’eau ». Le financement de l’eau, pour être viable, doit provenir des 3 “ t ” : taxes, tarifs et transferts » (ROBVQ et autres). Finalement, dans son communiqué de presse du 29 mars 2017, le ROBVQ a transmis sa déception vis-à-vis du nouveau budget provincial annoncé la veille par le ministre québécois des Finances, Carlos Leitao. Il a déploré que le financement statutaire octroyé aux OBV soit sans augmentation pour la réalisation des actions des PDE, ni ajustement au coût de la vie depuis sept ans. Dans le communiqué, madame Marie-Claude Leclerc, directrice générale du ROBVQ, s’est indignée du fait que la survie des OBV dépende aujourd’hui trop souvent des sacrifices des employés et administrateurs qui appuient leur organisme sur leurs propres fonds. Elle y a souligné les heures de travail non payées et les frais de déplacement non remboursés. C’est pour ainsi dire que le gouvernement confie un mandat aux OBV, « mais ne leur en donne pas les moyens », a renchéri madame Leclerc.

Conclusion

Les OBV ont consacré une partie considérable de leurs ressources dans l’élaboration de leur PDE. Maintenant que leurs objectifs ont été ciblés, ils peinent à mettre en oeuvre leurs projets pour favoriser la concertation, et pour informer, mobiliser, consulter et sensibiliser la population. L’absence d’un mécanisme de redevances, qui aurait permis de contenir leur dépendance financière vis-à-vis du MDDELCC, continuera de nuire à la réalisation de leurs trois mandats considérant que les efforts du personnel devront être voués sans relâche à la recherche de partenaires. Si le bilan des activités mises en place par les OBV n’est pas catastrophique, c’est que le travail des individus qui oeuvrent en leur sein relève pratiquement du miracle. Les OBV doivent agir à titre de cadre de référence et de promoteurs des connaissances scientifiques se rattachant à une réalité locale, hydrologique, sociale et biologique afin de ravitailler l’état sur les priorités et les orientations à être déterminées. Ils élaborent en ce sens de multiples projets, et rassemblent, dans la mesure du possible, les acteurs de l’eau dans un effort de concertation dans le but de sensibiliser la population et de permettre l’adoption de meilleures pratiques. Si les OBV pouvaient bénéficier d’un financement adéquat, ne serait-ce que pour l’accomplissement de leurs mandats, la gestion de l’eau au Québec s’en trouverait nettement améliorée.


Bibliographie

Ibrahim, Ghassen, 2017, Communication personnelle (discussion téléphonique) avec M. Ibrahim, directeur de l’OBV Duplessis, 4 avril

Laberge, B., 2009, Portrait des organismes de bassin versant du Québec et évaluation du plan directeur de l’eau, Mémoire de maîtrise en Sciences de l’eau, Québec: Université du Québec, Institut international de la recherche scientifique, 208 pages.

Landry, Jean, 2017, Communication personnelle (discussion téléphonique) avec M. Landry, directeur de l’OBV-CM, 3 avril.

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MDDELCC, 2017, « Stratégie québécoise de l’eau 2017-2032 », Consulté le 28 mars 2017 sur : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/eau/consultation/strategie-quebecoise-eau/index.htm

OBV Charlevoix – Montmorency, 2014. Plan directeur de l’eau de la zone hydrique Charlevoix – Montmorency, 903 pages.

OBV Duplessis, 2015, « Plan Directeur de l’Eau de Duplessis. Analyse des bassins versants. Portrait préliminaire de la zone de gestion intégrée de l’eau par bassin versant Duplessis », 93 pages.

Payette, F., 2014, Évaluation de l’utilisation du principe de causalité dans la gestion de la villégiature sur les plans d’eau québécois. Essai de maîtrise en environnement, Sherbrooke: Université de Sherbrooke, Centre universitaire de formation en environnement et développement durable, 75 pages.

ROBVQ, 2010, Bilan de l’état de situation des OBV en 2010. Consulté le 23 mars 2017 sur : https://robvq.qc.ca/documentation/followme/9194, c. le 29 mai 2017

ROBVQ, 29 mars 2017, « Communiqué de presse : Le gouvernement du Québec n’investit pas en soutien aux organismes de bassins versants », Consulté le 7 avril 2017 sur : https://robvq.qc.ca/communiques/details/35

ROBVQ et autres, 29 mai 2016, « Pas d’engagement sans investissement », La Presse +, Consulté le 14 avril 2017 sur : http://plus.lapresse.ca/screens/ec7961c1-13e0-48c2-a2d8-e14eab2e3253%7C_0.html

Verville, Antoine, 2017, Communication personnelle (échanges de courriels) avec monsieur Verville, directeur général adjoint du ROBVQ, 28 et 31 mars et 18 avril.