Alexandre Brun1, Jean-Paul Haghe2, Dominique Ganibenc1 et Stéphane Coursière3
1 Université Paul Valéry Montpellier 3, (Montpellier, France).
2 Unité Mixte de Recherche (UMR) Prodig (Paris, France)
3 Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (Montpellier, France)
Vol 3 n 1, 2017
À propos des auteurs
Alexandre Brun est géographe, maître de conférences à l’université Paul Valéry Montpellier‑3, membre du laboratoire ART-Dev (Acteurs-Ressources-Territoires-Développement). Ses travaux portent sur les rapports ville-eau. Il dirige actuellement un programme de recherche sur l’adaptation du littoral du sud biterrois au risque de submersion marine pour la Fondation de France dans le cadre de l’APR (Quels littoraux pour demain ?).
Jean-Paul Haghe est géographe, ancien maître de conférences à l’université de Rouen, membre du laboratoire PRODIG à Paris. Ses recherches sont centrées sur l’ingénierie et la gestion des eaux. Il participe au programme sur l’adaptation du littoral du sud biterrois au risque de submersion marine pour la Fondation de France.
Dominique Ganibenc est historien de l’art. Après avoir été attaché temporaire d’enseignement et de recherches à l’université Paul Valéry Montpellier‑3, il collabore aujourd’hui avec Alexandre Brun au titre du programme de la Fondation de France en analysant l’évolution des formes urbaines et architecturales du littoral languedocien depuis le 19ème siècle.
Stéphane Coursière est cartographe. Il est ingénieur d’étude au centre national de la recherche scientifique à Montpellier au sein du laboratoire ART-Dev. Il participe programme de recherche sur l’adaptation du littoral du sud biterrois au risque de submersion marine.
Résumé : Le littoral de la côte du golfe du Lion a fait l’objet d’un vaste plan d’aménagement décidé dans les années 1960 par le gouvernement Pompidou. Le rivage, jadis repoussant, est désormais très urbanisé. De vastes zones côtières sont cependant très vulnérables au risque d’inondation par submersion marine car elles sont majoritairement composées de basses terres. L’État et les collectivités territoriales s’opposent sur la stratégie à mettre en œuvre, alors que la communauté scientifique dresse des scénarios de plus en plus pessimistes au sujet de l’élévation du niveau de la mer. L’État, à l’origine de la littoralisation du Languedoc-Roussillon, peut difficilement imposer des relocalisations ; il n’en a de surcroît pas les moyens financiers. Les pouvoirs locaux voudraient moderniser des stations balnéaires vieillissantes tout en réduisant leur vulnérabilité. La multiplicité des échelles de gouvernance, les incertitudes relatives au changement climatique, la diversité des enjeux et les jeux d’acteurs expliquent l’amorce d’un processus de recomposition territoriale et les nombreux conflits liés à l’adaptation des littoraux exposés au risque de submersion marine.
Summary: The Languedoc coastline extends from the Rhone delta to the Spanish border. This coast, mainly sandy, was the subject of a vast urban plan decided in the 1960s by the government of Georges Pompidou. The coast, once repulsive, is now very urbanized. New towns have been built to accommodate tourists. Thanks to mass tourism the region has developed. The regional economy has gradually turned towards the Mediterranean Sea. Large coastal areas, however, are highly vulnerable to flooding by marine flooding because they are mostly lowland. The state and coastal cities are opposed to the strategy to be implemented, while scientific experts are drawing increasingly pessimistic scenarios about sea-level rise. The state, Origin of the urban development of the littoral of the Languedoc-Roussillon, can hardly impose “relocations” to the inhabitants and the traders. Moreover, the State does not have the financial means to compensate the inhabitants or the companies in order to encourage them to settle beyond the flood zones. The mayors of coastal cities would like to modernize aging seaside resorts while reducing their vulnerability. But each develops its own management strategy, without consultation with other levels of governance (region, department, etc.). The multiplicity of governance scales, the uncertainties related to climate change, the diversity of the stakes and the sets of actors explain the beginning of a process of territorial reconstruction. These factors also explain the many conflicts resulting from the adaptation of coastal areas exposed to the risk of marine submersion.
Mots-clés : Littoral ; changement climatique ; risque ; Mission Racine ; Languedoc-Roussillon
Keywords: Littoral ; climate change ; risk ; Mission Racine ; Languedoc-Roussillon.
La progressive « littoralisation » du Languedoc
La côte du golfe du Lion s’étire sur 200 kilomètres qui vont du Petit Rhône aux Albères dans le sud de la France. Elle est d’origine récente et le trait de côte est instable. Depuis l’Antiquité, en raison essentiellement des tempêtes, cette côte à lido n’est évidemment pas restée en l’état tantôt avançant, tantôt reculant face à la mer, tantôt ouvrant, tantôt fermant les « graus » qui font communiquer les étangs avec la mer (Sagnes, 2001). La côte a longtemps été considérée comme inhospitalière et inculte, même si celle-ci était occupée par endroit (Rieucau et Cholvy, 1992).
En 1963, les pouvoirs publics ont décidé d’aménager cette côte afin d’en tirer profit sous l’impulsion du Gouvernement Pompidou (Sagnes, 2001). Cette phase a été précédée d’une stratégie d’acquisition foncière mise en œuvre par des sociétés d’aménagement agricole (Compagnie Nationale d’Aménagement du Bas-Rhône-Languedoc) et régionales (filiales de la Caisse des Dépôts et Consignations) dès les années 1950. Des ingénieurs, des architectes et des promoteurs immobiliers ont par la suite fait sortir de terre des « villes nouvelles » à moins de 500 mètres du rivage. En s’appuyant sur des procédés constructifs modernes, d’immenses portions d’espaces ont été urbanisées de façon massive et rapide à l’écart des noyaux urbains anciens, de sorte qu’émerge un modèle d’aménagement dit « en râteau ». Aux petites cités historiques de l’arc rétro-littoral font écho les stations balnéaires de l’arc littoral volontairement séparées les unes des autres par des zones naturelles et agricoles (Brun et Hayet, 2016).
Presque trente ans de travaux ont été nécessaires pour aménager, non sans heurts, la côte. Au début des années 1970, le géographe Georges Cazes observe les hésitations de l’initiative privé, encore très réservée, sur la « Mission Racine » (Cazes, 1972). Huit stations (représentant au total 500 000 lits) ont finalement été créées : Port-Camargue, la Grande-Motte, Carnon, le Cap d’Agde, Gruissan, Port-Leucate, Port-Barcarès et Saint-Cyprien. D’autres se sont développées dans leur sillage. [Figure 1] Plus de 300 000 personnes résident aujourd’hui dans la trentaine de communes littorales que comptent, de l’est à l’ouest, les départements du Gard, de l’Hérault, de l’Aude et des Pyrénées-Orientales. C’est l’une des régions les plus attractives d’Europe occidentale ; en été, la population est multipliée jusqu’à 10, comme c’est le cas à Agde (qui passe de 25 000 habitants permanents à plus de 200 000 aux mois de juillet et août). Le littoral jadis repoussant est désormais très urbanisé et bien desservi par des infrastructures routières de transport de plus en plus nombreuses, au point que les réserves foncières (poches de nature, parcelles cultivées, etc.) s’amenuisent.
FIGURE 1. Plan d’aménagement de la Mission Racine
Une côte très urbanisée désormais exposée au problème de l’élévation du niveau de la mer
L’État a ainsi gagné le pari qu’il s’était fixé au début des années 1960 : capter les clientèles touristiques qui jusqu’alors se rendaient sur la Costa Brava en Espagne et développer un accueil spécifique aux ménages défavorisés dans le prolongement des avancées sociales des années 1930 et de l’immédiat après-guerre (Cazes, 1972). En outre, de nombreux travaux pointaient du doigt les handicaps du Languedoc (par exemple la thèse de Dugrand en 1963). L’autre pari de l’État consistait à développer une économie résidentielle et touristique afin de compenser les faiblesses régionales (agriculture, viticulture et industrie). L’avenir de ce « territoire » est cependant incertain. En effet, nombre de stations balnéaires sont localisées sur des terrains situés au niveau de la mer. [Figure 2] Or, les experts prévoient, avec de fortes variations, une élévation du niveau de la mer de 18 à 59 centimètres à l’horizon 2100 (Jouzel, 2012).
FIGURE 2. Zones basses exposées au risque de submersion marine dans le sud biterrois
Même si la situation n’est en rien comparable à celle que rencontrent certaines mégalopoles (Manille, Djakarta, Lagos, Calcutta, etc.) ou des îles menacées à moyen terme (Bahamas, Maldives, Marshall, Kiribati, Tuvalu, etc.), l’idée d’une relocalisation des hommes et des activités à l’échelle de la côte du golfe du Lion semble s’imposer aux yeux d’une partie des experts du changement climatique, relayés par les services centraux du ministère chargé de l’environnement et par les administrations publiques locales soucieuses de garantir la protection des biens et des personnes face au risque de submersion marine. Des dizaines de milliers de mètres carrés de bâtiments (mais combien exactement ?) ainsi que des centaines de kilomètres de voiries et de réseaux divers sont concernés.
Reste que la solution de la relocalisation, déjà expérimentée de façon ponctuelle dans les départements du Gard et de l’Hérault périodiquement touchés par des inondations soudaines, n’est pas commode. Plusieurs questions d’ordre stratégique sont en suspens : l’État a-t-il les moyens financiers, techniques et juridiques de la mettre en œuvre sans l’approbation des populations concernées et surtout des collectivités territoriales – auxquelles il a précisément transféré une partie de ses compétences en matière d’aménagement à l’occasion des lois de décentralisations successives ? Et relocaliser où ? Puisque les zones a priori mutables sont souvent libres de constructions car elles sont exposées à des risques (incendie, inondation), (Brun et Hayet, 2016).
L’approche géopolitique est utile pour comprendre les enjeux propres au littoral languedocien
Faute de véritable doctrine de l’État et en l’absence de données concrètes (combien de personnes seraient-elles visées et comment les indemniser ? combien d’habitations et d’équipements faudrait-il reconstruire et où préférentiellement ? etc.), d’autres scénarios présentés comme plus « pragmatiques » sont privilégiés par les élus locaux, les acteurs économiques et les habitants eux-mêmes. À l’échelle territoriale, celle de l’arc littoral, l’enjeu principal consiste selon eux à traiter – simultanément à la réduction de vulnérabilité au risque de submersion marine ? – le vieillissement des infrastructures touristiques et les stations balnéaires sorties de terre voici quarante ans (Brun et Hayet, 2016).
L’examen du processus à l’œuvre sous l’angle de la géopolitique constitue un éclairage utile à la compréhension des enjeux et des ressorts de l’action publique dans le domaine de la protection, de l’aménagement et de la valorisation du littoral. Car, comme le résume Béatrice Giblin, « le terme géopolitique selon la conception de l’École française de géopolitique fondée par Yves Lacoste, désigne tout ce qui concerne les rivalités de pouvoirs ou d’influence sur des territoires et sur les populations qui y vivent. […] Ces conflits mettent tous en jeu des territoires pour des questions de ressources ou pour leur valeur économique, stratégique, politique, religieuse ou symbolique »[1].
Le littoral languedocien réunit tous ces éléments, exception faite de la dimension religieuse, parce qu’il s’agit d’un territoire d’interface très convoité. Il représente une sorte de « machine à sous » pour l’économie régionale et l’image qu’il véhicule de nos jours est très positive à l’inverse de ce qu’elle pouvait être par le passé. Cependant rien n’a stratégiquement été fait pour accompagner la région dans sa littoralisation et les scénarios qu’esquissent ses différents acteurs – entre relocalisation et domestication de la nature – paraissent incompatibles. Son étude emprunte à la géopolitique du changement climatique, bien que le terme même de réfugiés climatiques soit impropre pour désigner d’éventuelles entreprises ou familles « relocalisées ». Elle renvoie plus sûrement, pour paraphraser Philippe Subra, à la géopolitique de l’aménagement du territoire (Subra, 2007).
Ainsi, comme l’explique Lavaud-Letilleul (2012, p.11), « depuis les années 1980, l’aménagement est entré dans une nouvelle ère ‟ géopolitique ˮ émaillée de tensions, d’oppositions et d’affrontements (Subra, 2008). Ces ‟ conflits de proximité ˮ, qualifiés de locaux ou de territoriaux, ne sont certes pas l’apanage des sociétés contemporaines. Mais depuis les années 1970, les réactions d’opposition à l’implantation d’équipements collectifs pouvant générer des nuisances pour le voisinage se sont multipliées, diversifiées et structurées [phénomène NIMBY ‟ Not In My BackYard ˮ ou ‟ Pas de cela Dans Mon Jardin ˮ) (Dziedzicki, 2003 ; Jobert, 1998] ». L’analyse à conduire relève toutefois d’une échelle qui va bien au-delà du conflit localisé autour d’un aménagement donné, même si le littoral languedocien n’en manque pas (opposition à doublement de l’autoroute A9, à la nouvelle gare ferroviaire de Montpellier, aux projets de parcs hydrauliens, etc.) (Cadoret, 2011). La question de recherche, à savoir celle de l’adaptation du territoire au risque de submersion marine, est singulièrement « glo-cale »[2] et trouve ses gènes dans la politique régionale d’aménagement du territoire mise en place dès 1963.
Les enjeux localisés dans les zones basses les plus exposées au risque de submersion marine
Le changement climatique en cours affecte l’ensemble des mers et des océans. Leur température, leur acidité et leur niveau ont augmenté.[3] En France comme ailleurs en Europe, « l’élévation du niveau de la mer [accroît] les risques liés à l’érosion côtière et aux submersions marines. Des étendues littorales pourraient être submergées de manière permanente et des terrains définitivement perdus » (CGDD, 2011, p.37). D’après le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le niveau des océans en 2100 pourrait en effet s’élever d’un mètre, selon le plus pessimiste des scénarios.
Selon le Conservatoire du littoral, 1,4 million d’habitants et 850 000 emplois sont exposés au risque de submersion marine.[4] De 1982 à 2009, on recense en moyenne près de 5 arrêtés de catastrophe naturelle dans les communes littorales contre 2,5 sur le reste du territoire français. 8 communes littorales sur 10 sont sujettes aux risques naturels majeurs.[5] Les enjeux sont donc importants, en particulier dans les zones basses, c’est-à-dire celles dont l’altitude est inférieure aux niveaux extrêmes de la mer atteints statistiquement tous les cent ans (CGDD, 2011).
La côte languedocienne sous tensions
Quelques cas de destruction de bâtiments causés par le recul du trait de côte (par exemple celle de l’immeuble « Signal » Soulac-sur-Mer en Gironde évacué en 2014) ont monopolisé l’attention des médias au cours des dernières années.[6] L’érosion des côtes n’est pas sans rapport avec l’évolution du climat mais elle ne doit pas être confondue avec l’élévation progressive du niveau de la mer et, surtout, avec l’augmentation des enjeux (Lageat, 2016). De façon générale, la question du réchauffement climatique masque en partie les stratégies risquées d’élus locaux, d’aménageurs, de promoteurs immobiliers et de petits investisseurs privés, qui cherchent à construire sur des terrains inondables afin d’en tirer profit au nom du « développement local ».
À ce sujet, l’administration n’a pas toujours été très rigoureuse, parfois dépassée il est vrai par la quantité de dossiers de permis de construire ou d’aménager à instruire ainsi que par la faiblesse de son expertise interne. Les géographes ont, en particulier, pointé du doigt l’augmentation des enjeux dans les années 1990 et 2000. Les conséquences désastreuses de l’aménagement irrationnel de zones inondables les ont poussés à alerter les pouvoirs publics sur les limites de la législation en vigueur et à dénoncer un urbanisme irresponsable (Vinet et al., 2012). Ce fut par exemple après la catastrophe de la Faute-sur-Mer en Vendée, où 29 personnes avaient péri noyées, après la submersion de la digue censée protéger leurs habitations.[7]
Dans ce contexte, la situation de la côte languedocienne est particulièrement préoccupante, moins en raison de sa configuration (faible altimétrie, côte majoritairement sableuse très dynamique) que parce qu’elle a été l’objet d’une urbanisation rapide et généralisée. Cette urbanisation a été rendue possible car elle a été décidée au plus haut niveau de l’État par une élite techno-politique restreinte[8] pendant les « Trente Glorieuses » (Barbaza, 1970 ; Andreu-Boussut, 2004 ; Bouneau, 2006). Le développement d’installations destinées au tourisme de masse s’est traduit par la construction d’hôtels, de casinos, d’équipements portuaires et de services commerciaux, de campings, de résidences et de villages de vacances ou encore d’immeubles d’habitation ainsi que par la multiplication de voiries et de réseaux divers. Il s’agissait à l’époque de trouver une alternative crédible à une économie régionale basée sur le secteur primaire alors peu compétitif en développant des stations balnéaires suffisamment attractives pour capter les clientèles touristiques jusque-là tentées par les côtes espagnoles et, pour les plus fortunées, par la côte d’Azur. [Figure 3]
FIGURE 3. La Grande Motte, Dominique Ganibenc, 2006
Ce projet, qualifié à l’époque de « nouvelle Floride » par la presse[9], a également généré des milliers d’emplois et des retombées économiques pour la filière du bâtiment et des travaux publics durant plusieurs décennies.[10] Il a trouvé chez les ingénieurs, les architectes et les groupes d’intérêts liés à la construction les relais locaux et régionaux nécessaires auprès du pouvoir politique et des organismes financiers clefs comme la Caisses des Dépôts et Consignations et ses différentes filiales. À la grande époque du « Plan », ce chantier s’inscrivait dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire nationale et lui donnait corps au même titre que les « villes nouvelles » et les « métropoles d’équilibre ». Le pouvoir[11], alors puissant, planificateur et poussé par l’idéologie du progrès, a présenté ce projet comme une forme de conquête d’un espace vierge (ce qu’il n’était pas), passant sous silence ses conséquences sociales et sans imaginer à l’époque que des dizaines de milliers de constructions seraient menacées par l’érosion côtière et le risque de submersion marine.
Déconstruire les mythes, première étape d’un exercice de prospective
Le mythe du « territoire vierge » par trop souvent mis en avant par les aménageurs de la mission racine cache en fait une toute autre réalité. Colporté au moment où la Mission interministérielle est arrivée en Languedoc-Roussillon (Sagnes, 2001), ce mythe a réussi à faire oublier que la côte était habitée. En témoigne de nos jours les milliers de près situés entre les étangs et les terres cultivées, où l’homme a creusé des fossés de manière à constituer des parcelles destinées au pacage des moutons, chevaux et taureaux.
Deuxième mythe : les stations balnéaires de la Mission Racine prétendaient préserver le trait de côte et des coulées paysagères (entre les stations et au sein même des stations) grâce à l’intégration du bâti dans l’environnement naturel. L’aménagement de ces stations a certes permis d’éviter l’habitat précaire sur les plages (baraques, campings sauvage). Les stations du Cap d’Agde et de la Grande-Motte sont maintenant vues comme « catalogue de formes inspirées » (Prélorenzo, 1999). La Grande-Motte a même obtenu en 2010 le label « Patrimoine du XXe siècle ». À l’échelle des sites cependant, la plupart des stations ont été construites à la va-vite. Leurs procédés constructifs ne se distinguent en rien de ceux utilisés dans les périphéries des grandes villes voisines (Nîmes, Montpellier…). À l’échelle de la côte, la nature est largement bétonnée.
Perspectives de recherche
L’État a développé son plan régional d’aménagement du territoire en s’appuyant sur une idéologie volontariste néo-Saint Simonienne (celle du progrès technique et social) et en cultivant des mythes aujourd’hui déconstruits. Ainsi, même si les risques de submersion marines sont avérés et l’érosion côtière toujours plus menaçante, l’État peine à imposer une stratégie de relocalisation à des territoires qui ont hérité d’infrastructures crées ex nihilo dans les années 1970, alors que ceux-ci sont devenus les architectes de leur destin territorial depuis la décentralisation.
Dans ces conditions, les relations se durcissent entre l’État et les collectivités mais aussi entre les services déconcentrés de l’État (écologie, équipement…) ainsi qu’entre les multiples niveaux de gouvernement locaux (Région, Départements, métropoles…). Cette situation conflictuelle risque encore de s’accroitre lorsque les habitants seront directement impliqués par les choix d’aménagement liés à une relocalisation éventuelle, les orientations proposées auront des conséquences politiques sans doute difficiles à assumer par ceux qui les préconisent. Au reste, le durcissement des règles d’urbanisme des outils de planification (plan local d’urbanisme, schéma de cohérence territoriale) va à l’encontre des expérimentations, par ailleurs promues par l’État.
La prise en compte du risque de submersion marine de la côte Languedocienne entraîne une remise à plat des stratégies d’aménagement du littoral. Cette nouvelle donne est source d’incertitudes : qui assurera son financement ? Qui la prendra en charge ? Une deuxième rupture territoriale semblable à celle de la mission Racine semble probable, elle commence dès maintenant à générer une concurrence à toutes les échelles entre les parties prenantes pour en contrôler l’orientation, cela conforte l’intérêt de développer une analyse géopolitique dans le cadre du programme « Quels littoraux pour demain ? » porté par la Fondation de France.
Références bibliographiques
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Notes de bas de page
[1] Source : http://www.geopolitique.net/perspectives-geopolitiques-du-xxie-siecle-beatrice-giblin/ consulté le 27 décembre 2016.
[2] Ce terme vient de la contraction de deux mots : Global et Local. Il désigne ici les liens entre les problèmes globaux et leurs effets locaux.
[3] Par exemple, les relevés effectués par le Service hydrographique et océanographique de la Marine dans le port de Brest en Bretagne occidentale confirment l’évolution à la hausse de la hauteur moyenne de la mer depuis 1807.
[4] Ces chiffres s’expliquent notamment en raison des 4 731 kilomètres que compte la France métropolitaine (c’est-à-dire hors la Corse et les territoires d’Outre-Mer) selon l’Institut Géographique National.
[5] Source : http://www.conservatoire-du-littoral.fr/108-les-chiffres-cles-du-littoral-2015.htm consulté le 25 décembre 2016.
[6] Comme d’autres « catastrophes » plus anciennes (inondations de 1999, de 2001, etc.), elles ont permis de placer la question du risque au centre du débat public dans un contexte de judiciarisation manifeste de la société.
[7] Source : http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/04/04/xynthia-le-maire-de-la-faute-sur-mer-fixe-sur-son-sort_4894989_1653578.html consulté le 27 décembre 2016.
[8] « Un commando de l’État dans l’État” pour Olivier Guichard, alors premier délégué à la DATAR en 1963.
[9] Par exemple en Une de Paris-Match, n°799, 1er août 1964.
[10] Source : Institut national de l’audiovisuel, reportage télévisé intitulé « Languedoc-Roussillon : la nouvelle Floride », Radiodiffusion télévision française, 12 juillet 1963, 10mn44s.
[11] Constitué par les élites politiques issues de la résistance et par certains membres des grands corps de l’Etat qui ont participé à la reconstruction après la seconde guerre mondiale