
RG v8n1, 2022
Benchérif, Adib et Mérand, Frédéric (dir.) (2021). L’analyse du risque politique. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.
Cet ouvrage se veut une réflexion théorique comme pratique sur l’analyse du risque politique. Surtout utilisée dans le monde des affaires, l’analyse du risque politique vise à permettre à une grande diversité d’acteurs, entreprises, ONG, assureurs, banques, de comprendre les conséquences possibles du contexte géopolitique sur leurs activités. Longtemps pratiquée de manière empirique, l’analyse gagne à être davantage théorisée et explorée sur des bases scientifiques pour constituer un outil plus solide. Dans cet ouvrage, le risque politique est compris comme la probabilité que de décisions, des événements ou des conditions politiques provoquent des dommages économiques, financiers ou matériels pour les entreprises et les gouvernements (p.13). Les auteurs repèrent trois approches du risque. La première, dominante selon eux, est portée par le monde de la finance et de l’actuariat. Cette approche conçoit le risque comme le produit de deux variables, l’aléa ou probabilité de survenance d’un événement, et la vulnérabilité, soit l’effet associé à l’événement s’il se produit. De nombreuses sciences humaines ont également adopté des modèles d’analyse fondés sur cette acception du concept de risque, dont le géographe Dauphiné (2003). Une seconde acception du concept de risque, portée par l’anthropologie, précise que celui-ci diffère selon non seulement la vulnérabilité, mais aussi les normes sociales. Le risque, comme la menace, est perçu en fonction de valeurs qui peuvent ainsi différer dans le temps et selon les lieux. La troisième acception, portée par les constructivistes sociaux, affirme que le risque est un discours moderne qui permet de contrôler les sociétés et de dépolitiser les enjeux sociétaux.
L’analyse du risque se distingue de plus en plus de l’analyse du risque-pays, longtemps proposé par des agences gouvernementales de soutien à l’exportation notamment, en se démarquant d’une approche stato-centrée et concentrée sur des indicateurs macroéconomiques. L’analyse du risque propose ainsi des analyses à plusieurs échelles et multivariées. En ce sens, elle se rapproche, sans s’y réduire, d’une analyse géopolitique, quoique les auteurs réfutent cette analogie en se basant sur une définition très classique de la géopolitique comme analyse des conflits entre puissances. Poursuivant la réflexion, les auteurs proposent cependant une autre définition, nettement plus féconde et intéressante : la géopolitique serait le résultat d’actions politiques opérant dans des géographies précises, et qui peuvent influencer des événements et des actions de nature économique, politique ou stratégique. Cette définition retient de la géopolitique l’aspect multiscalaire, plus large que l’analyse centrée sur l’État, et l’interaction entre les dimensions spatiale et politique. Les auteurs proposent par la suite une analyse historique de l’analyse du risque politique, longtemps centrée sur l’État et des statistiques économiques, désormais dotée d’outils pluridisciplinaires et opérant à des échelles variées. Un chapitre est consacré aux formes de la pratique de l’analyse du risque politique. Un autre expose le concept de veille, indispensable pour comprendre les enjeux qui se dessinent sur un territoire. Un chapitre revient de manière critique sur le rôle, les méthodes et les outils des agences de notation. Une réflexion théorique suit avec la présentation de la pertinence d’outils qualitatifs dans la démarche de l’analyse du risque. Des chapitres thématiques suivent, portant sur la protection des personnes; l’apport de la géopolitique à l’analyse du risque investissement, qui souligne avec justesse l’apport majeur de cette sous-discipline de la géographie et des sciences politiques tout en se cantonnant dans le propos, peut-être faute de place, à une analyse centrée sur les États; le risque terroriste et une réflexion sur l’action législative comme outil de gestion du risque terroriste.
L’ouvrage, qui vise à marier réflexions épistémologique, théorique, conceptuelle et pratique, rassemble des chapitres de chercheurs universitaires mais aussi de praticiens du monde des affaires. Il propose ainsi une vision plurielle de l’analyse du risque politique, résolument ancrée dans la pratique tout en s’efforçant de jeter un regard critique et de recherche scientifique sur l’outil. Il constitue ainsi un ouvrage de valeur, en français, et offre une valeur ajoutée réelle pour le lecteur soucieux de décrypter les méthodes de l’analyse du risque politique, leur diversité, leurs apports et leurs lacunes. Il s’adresse aux étudiants, aux chercheurs et aux praticiens soucieux d’explorer les sciences politiques de manière appliquée. Assorti d’études de cas que les professionnels de divers milieux (financier, sécuritaire, contre-terroriste, etc.) explicitent avec leurs grilles de lectures et leurs méthodes de travail, il inscrit l’analyse du risque politique dans une démarche collaborative et interdisciplinaire. Conscients des limites et des effets des analyses, les auteurs repensent et mesurent les risques en fonction de l’évolution du monde en montrant comment, dans plusieurs domaines, les décisions de nature politique sont prises. Cet ouvrage entend ainsi appréhender l’incertitude et concevoir les futurs, tout en gardant une distance critique.
Frédéric Lasserre
Référence
Dauphiné, André (2003). Risques et catastrophes. Observer, spatialiser, comprendre, gérer. Paris, Armand Colin.