Olga Alexeeva1
1 Professeur d’histoire de la Chine, Département d’histoire, Université du Québec à Montréal (UQAM) (Québec, Canada) alexeeva.olga@uqam.ca
Vol 3 n 1, 2017
Résumé : Les enjeux de l’aménagement hydroélectrique du Mékong sont devenus un objet de discussions importantes entre la Chine et ses voisins sud-asiatiques. La construction par la Chine des barrages sur la portion du Mékong qui traverse son territoire attire les critiques des activistes environnementaux et des experts occidentaux, ainsi que des autorités des autres pays riverains qui accusent Pékin de s’approprier des ressources de ce fleuve international. En réponse à ces accusations, la Chine a élaboré une stratégie diplomatique habile lui permettant de désamorcer toutes les tensions géopolitiques autour la gestion du Mékong et de minimiser les effets négatifs de ces enjeux pour son image internationale. Cet article examine les principaux axes de cette stratégie et analyse son influence sur l’évolution des relations économiques et politiques entre la Chine et ses voisins.
Summary: The Mekong river hydropower development became one of the major topics of discussion between China and its neighbours in Southeast Asia. China’s unilateral dam-building projects on the upper reaches of the Mekong have been heavily criticised by the environmental activists and Western experts as well as by the authorities of other riparian countries, which accuse Beijing to appropriate the resources of this international river. In response to these accusations, China has developed a skilfully conceived diplomatic strategy to defuse any potential counter-measures against its dams and to reduce the negative impact of these issues for China’s international image. This article analyses China’s hydro-politics along the Mekong River and seeks to explain its influence on the economic and political relations between China and other Mekong riparian countries.
Mots-clés : Mékong, Chine, barrage, politiques hydroélectriques, Nouvelle Route de la Soie
Keywords: Mekong, China, dam, hydro politics, New Silk Road
Introduction
Fleuve international qui traverse six pays du continent asiatique (la Chine, le Myanmar, la Thaïlande, le Laos, le Cambodge et le Vietnam), Mékong semble se trouver aujourd’hui au centre d’un véritable conflit international. Les pays riverains, tous soucieux de profiter de cette ressource importante, multiplient les projets de construction de barrages hydroélectriques sur son cours d’eau principal et sur ses tributaires. Les barrages construits par la RPC sont les plus nombreux (six barrages sont déjà opérationnels, quatre barrages sont en construction et quatre autres sont en projet) mais aussi les plus controversés. Ils se trouvent en amont du fleuve et apportent des changements significatifs à son débit, ce qui serait à l’origine des périodes de sécheresse prolongées, en particulier dans le delta du Mékong (Stone, 2010 ; Rasanen et al., 2012).
La Chine et ses barrages sont souvent pointés de doigt par les écologistes, les médias et les populations riveraines qui accusent la Chine d’être responsable de différents phénomènes néfastes : la réduction de la population des poissons migrants, l’érosion des terrains riverains, l’augmentation des inondations, la salinisation croissante des champs rizicoles (Kummu et al., 2008 ; Perlez, 2016). Ce sujet est aussi au cœur des discussions enflammées entre la Chine et les gouvernements des pays voisins qui reprochent aux Chinois leur manque de transparence au sujet de leurs installations hydroélectriques et accusent Pékin de s’approprier de cette ressource qui est pourtant commune et qui doit donc être partagée de façon équitable entre tous les pays riverains (Kuenzer et al., 2013).
En réponse à ces accusations, la Chine a élaboré une stratégie diplomatique habile qui lui permet non seulement de minimiser les effets négatifs de ce conflit hydropolitique pour son image internationale mais aussi de prendre part dans l’aménagement hydroélectrique intensif du Mékong sur le territoire des autres pays riverains. L’objectif de cette brève analyse est de donner un aperçu sur les différentes composantes de cette stratégie et d’étudier l’évolution de la diplomatie chinoise du Mékong de la RPC sous l’influence des divers enjeux régionaux et internationaux depuis les quinze dernières années.
Le contexte chinois de l’aménagement hydroélectrique du Mékong
Le développement des ressources hydroélectriques est aujourd’hui au cœur de la stratégie énergétique chinoise. L’hydroélectricité est souvent présentée par Pékin comme l’une des alternatives vertes au charbon qui constitue la principale source d’énergie de la RPC mais qui est aussi à l’origine de l’augmentation importante des émissions de gaz à effet de serre et, globalement, du réchauffement climatique. Depuis quelques années la gravité croissante des problèmes énergétiques et environnementaux force le gouvernement chinois à agir : le développement durable, le changement du modèle de croissance économique et l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le bilan énergétique générale sont désormais des objectifs officiels de la politique nationale de Pékin (Alexeeva et Roche, 2014 b).
Parmi les énergies vertes ciblées, l’hydroélectricité occupe une place prépondérante, et ceci pour des nombreuses raisons. D’une part, la Chine peut compter sur un vaste potentiel naturel, ses ressources hydroélectriques exploitables représentant 17% du total mondial. La plupart de fleuves chinois à l’est du pays sont régulés et la RPC est aujourd’hui le plus grand producteur d’hydroélectricité au monde, avec quelques 25,000 puissants barrages construits sur son territoire, qui possède tout le savoir-faire technique et toutes les ressources logistiques et financières nécessaires pour mettre en valeur son potentiel hydroélectrique (Biba, 2012 : 607). D’autre part, l’augmentation des capacités hydroélectriques nationales est également utilisée par les médias chinois pour illustrer la volonté de Pékin à atteindre ses objectifs « verts » et à transformer son modèle de croissance économique pour la rendre plus durable. Finalement, le développement hydroélectrique est aussi un moyen de stimuler la croissance économique des régions enclavées, à l’intérieur du pays, qui se sont lancées plus tardivement dans les réformes, car il permet d’y améliorer les infrastructures, d’attirer les investissements et de donner un coup de pousse aux initiatives économiques locales.
Le XIIIe plan quinquennal, un outil macroéconomique du développement chinois, adopté en mars 2016, continue à mettre l’accent sur la mise en valeur des ressources hydroélectriques, tout en y apportant une nouvelle dimension. Ce plan vise à parvenir d’ici 2020 à édifier « la société de moyenne aisance », le concept-clé de la politique de Xi Jinping (Rapport.., 2016). Son objectif est de créer « une société socialiste moderne » ou tout le monde a les opportunités égales en matière d’éducation, d’emploi, des soins médicaux et de logement (Luo, 2016). Le développement hydroélectrique devient ainsi un moyen de promouvoir le progrès social, de créer les emplois, de sortir les gens de la pauvreté et d’améliorer leurs conditions de vie.
La mise en valeur des ressources hydroélectriques à l’ouest du pays, abondantes et relativement sous-exploitées, répond à tous ces objectifs économiques et socio-politiques de Pékin (Alexeeva et Roche, 2014a). En effet, la construction des barrages sur le Mékong, le Brahmapoutre, le Salouen et sur leurs affluents a commencé seulement à la fin des années 1990, dans le cadre de vaste programme national du développement socioéconomique de l’ouest du pays – la « Grande stratégie de développement de l’Ouest » [西部大开发]. Ses objectifs sont nombreux et multisectoriels : promouvoir et financer le développement d’infrastructure, mettre en valeur les ressources naturelles abondantes, réduire les disparités économiques entre l’est et l’ouest du pays ainsi qu’améliorer le niveau de vie des habitants locaux, dont la majorité est issue des différents groupes ethniques minoritaires (Galipeau et al., 2013 : 428).
L’aménagement hydroélectrique des cours d’eau à l’ouest de la Chine est entré dans sa phase intensive avec l’adoption de la nouvelle politique nationale intitulée « Envoyer l’électricité de l’ouest pour en alimenter l’est [du pays]» [西电东送], dont le but est de transférer l’électricité produite par les centrales hydrauliques dans les provinces de Xinjiang, Qinghai-Tibet, Yunnan et Guizhou vers les grandes centres urbaines à l’est du pays – Pékin, Tianjin, Shanghai et Guangzhou-, qui sont les principaux consommateurs d’électricité dans la RPC. La cascade de barrages sur Mékong occupe une place centrale dans cette stratégie, car elle devrait à terme fournir à elle seule 15.6 GW annuellement (Kuenzer et al., 2013 : 570), ce qui constitue presque la moitié de la capacité installée prévue pour ce couloir de transfert énergétique.
Minimiser l’importance des enjeux de l’aménagement hydroélectrique du Mékong (2000-2012)
La première réaction de la Chine face à des accusations de ses voisins était d’ignorer le problème et de refuser d’en discuter officiellement. Mais cette stratégie s’est avérée rapidement infructueuse et Pékin a changé de tactique : le but est désormais de minimiser l’importance international de enjeux de l’aménagement hydroélectrique du Mékong. En parallèle, la Chine s’efforce à construire une base de connaissances académiques solide pour appuyer la vision chinoise officielle de problème de la gestion des ressources du fleuve qui se résumait par les trois points suivants :
- la RPC a le droit souverain d’utiliser le potentiel hydroélectrique de sa portion du fleuve ;
- la RPC le fait en accord avec les règlements internationaux et nationaux existants ;
- les barrages sont construits avec le respect des normes environnementaux et technologiques et ne sont donc pas responsables des effets néfastes observés dans le delta (Feng et, 2005; Long et Lin, 2006 ; Han, 2007 ; Wei, 2008 ; Li, 2012).
Cette position est appuyée par les différents arguments d’ordre économique et sociopolitique. D’une part, la construction de nombreux barrages sur Mékong serait dictée par la logique du développement économique de la Chine et par la nécessité d’assurer le bien-être de 1,35 milliard de ses habitants (Long et Lin, 2006 : 91). D’autre part, en étant le pays le plus développé de la région, la Chine possèderait les opportunités financières mais surtout le savoir-faire technique nécessaires pour entreprendre l’aménagement hydroélectrique du Mékong à grande échelle. Les autres pays riverains pourraient ensuite bénéficier de son expérience et de ses techniques déjà éprouvées dans des conditions et des terrains similaires (Han, 2007 : 19).
La plupart de publications académiques chinoises présentaient alors les problèmes de la gestion des ressources du Mékong comme un enjeux chinois régional, ayant une dimension locale plutôt que internationale. En effet, la plupart de ses études fut publiée dans les journaux provinciaux (par exemple, Yunnan Water Power [云南水力发电] ou Social Sciences in Yunnan – [云南科学科]) ou dans les revues universitaires (par exemple, Journal of China agricultural university [中国农业大学学报] ou Journal of Yunnan university [云南大学学报]) qui explorent principalement les thématiques provinciales ou s’intéressent à des problématiques extrêmement précises, comme l’impact environnemental sur les localités avoisinantes ou bien l’analyse des problèmes techniques survenus lors de la construction ou de la mise en opération d’un barrage particulier. À notre connaissance, aucune étude n’a été réalisée pour évaluer l’impact écologique et socioéconomique de tous les barrages chinois ou pour mesurer l’influence de cette cascade de barrages sur le débit du Mékong. Le désir de présenter l’aménagement hydroélectrique du Mékong comme un volet de la politique intérieure de la RPC, voire comme une initiative des autorités provinciales, traduit la volonté de Pékin d’éviter, par tous les moyens, l’internationalisation de ces enjeux et donc leur possible transformation dans un véritable conflit géopolitique international (Alexeeva et Roche, 2014 a).
Dans le même esprit, en discutant des problèmes concernant le Mékong avec ses voisins, la Chine privilégiait toujours les négociations bilatérales en appliquant ainsi la vielle stratagème – « diviser pour régner ». Pour éviter la formation du front uni antichinois, Pékin négociait toujours séparément avec chaque pays riverain concerné. D’une part, les accords bilatéraux de coopération économique qui en résultaient divisent la fragile communauté des pays en aval du Mékong et permettent à Pékin de minimiser l’influence de ce dossier sur les relations entre la Chine et les autres pays riverains. D’autre part, ces accords bilatéraux ont également permis aux entreprises chinoises d’investir massivement dans le développement des ressources hydroélectriques sur le territoire des pays du Sud-Est asiatique. En effet, la Chine non seulement finance plusieurs projets au Cambodge, Laos, Birmanie et Thaïlande mais aussi s’occupe de leur réalisation en exportant ainsi son expertise en matière de la construction et de l’exploitation des barrages (Andrews-Speed et al., 2016 : 19).
Nouvelle équipe dirigeante : changement de la stratégie ? (2012 –à nos jours)
Ces stratégies chinoises ont apporté quelques résultats, surtout au niveau politique, mais sur le plan de communication la situation ne s’est pas améliorée et les barrages chinois sont toujours présentés dans les médias occidentaux et sud-asiatiques comme une source de graves problèmes écologiques et socioéconomiques qui exercent une influence de plus en plus négative sur la vie des populations riveraines (Wong, 2016 ; Zhou, 2016). Depuis quelques années Pékin est très soucieux de la perception de ses politiques à l’extérieur du pays et emploie des efforts considérables pour améliorer l’image de la RPC et de son gouvernement à l’étranger, en particuliers en Asie (Edney, 2012). Le retour géopolitique des États-Unis dans cette région (pivot to Asia), annoncé avec une grande pompe par l’administration d’Obama en 2012, a également contribué au changement de la stratégie chinoise en Asie du Sud-Est en forçant Pékin à trouver des moyens plus créatifs pour contrecarrer l’ingérence possible des États-Unis dans le dossier du Mékong.
En même temps, l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en 2012, marque également un changement radical dans la politique étrangère de la Chine qui cherche désormais le statut de parité stratégique avec les Etats-Unis en Asie en vertu du concept du monde multipolaire et qui défend de manière beaucoup plus active ses intérêts économiques et politiques sur l’échelle planétaire. Ainsi, en décrivant les nouvelles orientations de la diplomatie chinoise, Xi Jinping a souligné que « China has entered a crucial stage of achieving the great renewal of the Chinese nation. China’s relations with the rest of the world are going through profound changes (…). China’s dependence on the world and its involvement in international affairs are deepening, so are the world’s dependence on China and its impact on China. (…) China should develop a distinctive diplomatic approach befitting its role of a major country (…) and conduct diplomacy with a salient Chinese feature and a Chinese vision » (The Central Conference…, 2014). Pékin souhaite donc non seulement à participer dans toutes les discussions internationales et géopolitiques importantes mais aussi à faire valoir son opinion concernant les différents enjeux du développement international et régional en affirmant ainsi son statut nouvellement acquis d’une grande puissance émergeante (Yang, 2015).
Ce nouveau contexte influence de manière importante le ton et le contenu du discours officiel chinois. Bien que la Chine ne reconnaisse toujours pas l’impact des barrages chinois sur les régions en aval du fleuve, elle souhaite désormais promouvoir l’idée que la mise en valeur du Mékong – de son potentiel énergétique et commercial-, est inévitable et que tous les pays riverains devraient joindre leurs efforts pour maximiser les bénéfices de ce développement et pour minimiser ses dégâts. Ainsi, en mars 2016, pour illustrer ses bonnes intentions et sa capacité à coopérer avec les pays riverains, la Chine a décidé d’ouvrir les vannes de barrage de Jinghong [景洪大坝] à Yunnan pour déverser l’eau dans les cours inférieurs du Mékong et aider ainsi les régions qui souffraient de sècheresse en aval. En commentant cette décision, le porte-parole du Ministère des affaires étrangères de la RPC, Lu Kang, a souligné que « China and Mekong River countries on the Indochina Peninsula are friendly neighbors. (…) It goes without saying that friends should help each other when help is needed. Since the end of 2015, due to the El Nino phenomenon, countries along the Lancang-Mekong River have sustained drought of different degrees, and their people’ life and work have been impacted as the drought keeps getting worse. In order to help those countries cope with the drought, the Chinese government decided to surmount the difficulties it faces and do its utmost to help » (Foreign Ministry…, 2016). Cet acte démontre, selon Pékin, les bénéfices de la nouvelle politique diplomatique permettant d’approfondir la communication entre les pays riverains et d’améliorer la coordination de la gestion des ressources en eau communes. Ainsi, plutôt que parler des origines du conflit et de désigner des responsables des problèmes actuels, le gouvernement chinois propose de chercher des solutions pratiques aux problèmes existants.
Ces solutions qui passent par le développement de la coopération économique, technologique et logistique entre les pays concernés, devraient être, cependant, réalisées sous la direction de Pékin. En suivant cette logique, en mars 2016, la Chine a lancé une nouvelle initiative institutionnelle qui viserait à terme de supplanter le mécanisme d’intégration régionale financé depuis 1992 par la Banque asiatique de développement – the Greater Mekong Subregion. Ce mécanisme encadre les échanges commerciaux entre les pays riverains ainsi que la réalisation des différents projets communs dans quelques champs de coopération principaux – transport, énergie, tourisme, environnement et ressources humaines (Taillard, 2009 : 4). La nouvelle initiative chinoise d’encadrement institutionnel, intitulé Lancang-Mekong Cooperation [澜沧江-湄公河合作] est un programme de développement régional de grande envergure sous la gouvernance de Pékin dont l’objectif est de coordonner l’utilisation de ressources du fleuve, mais aussi de réaliser toutes sortes de projets d’infrastructure qui devraient augmenter la complémentarité des économies des pays participants. En 2016, Pékin a alloué 20 milliards de Yuan sous forme de crédit et des prêts préférentiels pour la réalisation de ces projets (Zhang et Li, 2016).
Cependant, l’exécution de ce programme de développement ambitieux demandera, précise Pékin, beaucoup d’énergie d’où la nécessité de mettre en valeur les ressources hydroélectriques disponibles et abondantes dans la région dont celles du Mékong (Li, 2015). En suivant cette logique, la construction des barrages sur Mékong et ses affluents, en Chine comme ailleurs, apparaît donc comme une condition indispensable au développement économique régional projeté.
Lancang-Mekong Cooperation est pilotée et financée par la Chine qui choisi les projets à soutenir et qui fourni le fonds, la technologie, le savoir-faire et les matériaux nécessaires pour leur réalisation. Considéré comme un nouveau modèle de coopération « Sud-Sud » efficace, ce programme ferait un jour partie du projet pharaonique chinois, The Silk Road Economic Belt and the 21st-century Maritime Silk Road [丝绸之路经济带和21世纪海上丝绸之路] (The 2nd Lancang-Mekong Cooperation…, 2016). Baptisée par les médias occidentaux une Nouvelle route de la Soie, cette initiative du Pékin, annoncée par Xi Jinping en 2013, a l’ambition de lier l’Asie à l’Europe, et dans l’avenir lointain à l’Afrique, via les voies continentales et maritimes. Dans le premier temps, il s’agit essentiellement de connecter par les différents types d’infrastructures terrestres (routes, chemins de fer, gazoducs et oléoducs) l’économie chinoise à celles des pays de l’Union Européenne en passant par l’Asie centrale et la Russie. Les pays d’Asie du Sud-Est feront partie d’un autre réseau, qui serait d’abord maritime et qui va relier les pays côtières de la mer de Chine méridionale et de l’océan Indien dans un gigantesque réseau d’échanges régionaux. À des installations portuaires s’ajouteront ensuite les infrastructures terrestres et fluviales connectant la RPC à l’Asie du Sud-Est et à l’Asie du Sud. Ainsi les projets d’infrastructure qui seront réalisés dans le cadre de Lancang-Mekong Cooperation s’intègreraient, pour ainsi dire naturellement, dans cette logique d’expansion commerciale et géopolitique de la RPC.
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La mise en valeur du potentiel hydroélectrique du Mékong ainsi que d’autres cours d’eau sur le territoire national qu’il s’agit des fleuves chinois ou internationaux, correspond aux objectifs du développement national de la RPC qui souhaite ainsi à réduire sa dépendance des sources d’énergie non-renouvelables. Cet aménagement hydroélectrique devrait aussi contribuer, selon le gouvernement chinois, au développement économique des régions enclavées et d’augmenter le niveau de vie des populations y résidant. En suivant ces raisonnements la Chine a donc construit plusieurs barrages sur sa portion du Mékong, malgré les nombreuses critiques de sa façon unilatérale d’utiliser et de gérer les ressources de ce fleuve international.
Les critiques des écologistes occidentaux et celles des autres pays riverains ont obligé Pékin à élaborer une stratégie diplomatique habile pour pouvoir tirer les profits des enjeux stratégiques liés au développement des ressources du fleuve. En combinant les arguments économiques et politiques, Pékin a progressivement réussi à minimiser l’influence de ces questions géopolitiques sur ses relations avec les pays riverains. La présence croissante des États-Unis en Asie de Sud-Est et le changement des objectifs de la politique étrangère de la RPC après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping ont conduit Pékin à modifier sa stratégie qui semble désormais être plus accommodante aux intérêts de ses voisins.
L’aménagement hydroélectrique du Mékong fait aujourd’hui partie des priorités économiques et politiques de tous les pays riverains. En mettant en avant les années d’expérience et d’expertise en matière de la construction des barrages, la Chine finance et réalise les nombreux projets hydroélectriques sur le territoire des ses voisins sud-asiatiques. Cette mise en valeur conjointe de ressources du Mékong augmente le niveau de complémentarité de l’économie chinoise avec celles de ses voisins et accélère leur intégration au sein de la sphère économique et politique régional sous la direction de Pékin en voie de construction.
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