Pauline Pic1
1Doctorante en sciences géographiques, Département de géographie, Université Laval, Québec (Canada); Pauline.pic.1@ulaval.ca
Vol 3 n 4, 2017
À propos de l’auteure
Pauline Pic est doctorante en sciences géographique à l’université Laval, Québec, Canada. Son projet de thèse porte sur les enjeux sécuritaires dans l’Arctique. Son parcours diversifié témoigne également d’un intérêt élargi pour les questions de géopolitique, notamment en lien avec la géographie des mers et des océans.
Résumé. Inaugurés en décembre 2014, les travaux pour la construction d’un nouveau canal interocéanique au Nicaragua n’ont que peu avancé depuis. Estimés à plus de quarante milliards de dollars américains, ils sont financés via un groupe hong-kongais qui profite d’un bail emphytéotique sur tout le tracé du canal. Très controversé, le projet est critiqué pour son manque de transparence : absence d’analyse d’impact environnemental indépendante, absence de rapport de faisabilité économique, pas de consultation de la population locale… En réduisant progressivement l’échelle d’analyse, ce travail vient interroger les objectifs de ce projet et notamment le positionnement stratégique de la Chine, qui se dessine en filigrane. Bien que jamais revendiqué par le gouvernement chinois, l’opacité qui entoure le projet vient en effet questionner les ambitions de Pékin.
Abstract. Colossal works were inaugurated in Nicaragua in 2014 to make way for a centenary project: the carving-up of a canal which would connect the Atlantic and Pacific oceans through Nicaragua. In 2017, it seems that those works are at a standstill – if not non-existent. The estimated budget for this grand canal revolves around 40 billion USD. The funding comes from a Hong-Kong group, led by a controversial figure, Wang Jing. The group benefits from a fifty-year-long concession, which can be extended up to a hundred-year long. This project raises many critics: lack of transparency, no independent environmental impact study, no economic feasibility studies; the group also failed to consult with native communities in the path of the proposed canal… Progressively reducing the scale of analysis, this paper aims at interrogating this project’s goals, especially regarding China’s underlying strategy. Though Beijing never officially endorsed the project, the opacity around it interrogates China’s actual motives.
Mots-clés: Canal, Nicaragua, Chine, HKND, Biodiversité, Géographie, Géopolitique
Keywords: Canal, Nicaragua, China, HKND, Biodiversity, Geography, Geopolitics.
Introduction
Au moment de la nationalisation de la banque du Nicaragua en 1940, celle-ci bat monnaie pour la première fois et réédite tous les billets. Pour illustrer le billet de 20 córdobas, l’illustration choisie est celle du tracé d’un canal interocéanique qui traverserait le pays pour relier les océans Atlantique et Pacifique (Cordoba, 2014). C’est dire à quel point ce canal est important dans l’imaginaire national. L’idée d’un canal pour relier les deux océans n’est pas nouvelle : Napoléon III, en 1846, voyait dans le canal nicaraguayen, « mieux que Constantinople, la route nécessaire du grand commerce [qui] lui permettrait d’atteindre grandeur et prospérité » (Musseau, 2014). Alors en exil en Angleterre, il était en contact avec un émissaire du Nicaragua envoyé en France pour discuter du projet avec le gouvernement de Louis-Philippe et après son coup d’État, des pourparlers avaient été entamés avec le gouvernement du Nicaragua. Finalement abandonné, le projet a été par la suite repris par les États-Unis et le tracé déplacé au Panama où fut creusé le canal que l’on connaît aujourd’hui – et dont les travaux d’élargissement sont désormais achevés (Barreto, 2017).
Figure 1. Billet de 20 Cordobas
Source; Cordoba, 2014
Une étude récente consacrée à la question d’un canal interocéanique au Nicaragua recense au total soixante-douze projets de canal (Van Der Post, 2014) – avant celui qui a fait l’objet de la signature de la loi 840 en 2013, laquelle projette officiellement la construction d’un canal et institue le contrat avec la H.K.N.D., Hong-Kong Nicaragua Canal Development Group. Et en effet, en décembre 2014, un chantier est inauguré – même si cela reste très symbolique puisqu’il s’agit en fait de l’ouverture d’un chemin pour que les machines puissent accéder au chantier à proprement parler (Medina, 2016).
Figure 2. Le tracé du canal interocéanique tel qu’approuvé dans la loi 840
Source: Yip et Wong, 2015
Ce canal, dont le budget prévisionnel tourne autour de 40 milliards de dollars américains pose de nombreuses questions. D’abord à l’échelle nationale, compte-tenu des sommes en jeu mais aussi bien sûr de l’impact environnemental et social du tracé. Ensuite à l’échelle régionale, posant la question de la rivalité avec le canal de Panama – et donc celle de sa viabilité commerciale – puisque des travaux d’élargissement et de modernisation du canal viennent de se terminer au Panama, à grands frais. Enfin, à l’échelle globale, le canal vient interroger le développement général des transports maritimes mondiaux, à la fois en termes de reconfiguration des routes maritimes, mais aussi en lien avec une certaine course au gigantisme chez les transporteurs. Au regard de ces enjeux, il s’agira alors d’interroger le projet et ses objectifs : quels arguments sont avancés pour le justifier ? Si les arguments économiques semblent contestables – et largement contestés – ils posent la question d’un modèle de développement. La question sous-jacente d’une rivalité politique entre la Chine et les États-Unis cristallisée par le projet vient lui donner une toute autre ampleur.
À l’échelle locale : un projet aux vertus contestées
Tel qu’annoncé par le groupe H.K.N.D, le projet semble porteur de multiples promesses. Pour le président Daniel Ortega, il s’agit d’abord d’engager le pays sur la voie de l’indépendance économique. Le président nicaraguayen est même allé jusqu’à dire que ce canal « était la seule façon pour le Nicaragua de s’attaquer au problème de la pauvreté »[1] (Daniel Ortega cité dans (Gross, 2014)), le Nicaragua étant en proie à des réelles difficultés – économiques et sociales notamment. Avec un PIB en 2016 de 34 000 millions dollars en parité de pouvoir d’achat, le pays se classe 116ème, et la croissance est stagnante depuis 2010 (Banque Mondiale, 2016), ce qui n’est pas sans poser des problèmes sociaux, de chômage notamment. Le projet est alors avancé comme un moyen d’affirmer le pays sur la scène économique internationale. Ainsi, les projections envisagent un doublement du PIB pendant la période de construction du canal, atteignant une croissance annuelle projetée de 11,67%, opposée aux 4 ou 5% habituels. Cette période de construction permettrait aussi la création de deux millions d’emplois, dont 200 000 emplois directs (Kelly, 2014). Parmi ceux-ci, 50% seraient des expatriés, essentiellement chinois et pour assurer les emplois qualifiés, mais la partie restante serait alors ouverte à la main d’œuvre locale (Valero & Galloy, 2015). Si le projet repose sur une concession de cinquante ans au groupe H.K.N.D. – extensible à cent – le Nicaragua reste propriétaire de 10% du canal pendant dix ans, avec une augmentation ensuite graduelle jusqu’à la pleine propriété (Kelly, 2014). Alors même que, nous le verrons, le projet soulève un certain nombre de critiques sur différents plans : économiques, écologiques, politiques ; sur le papier, il reste prometteur. Le chroniqueur et sociologue Freddy Franco du journal nicaraguayen El Nuevo Diario a ainsi publié un éditorial remarqué soulignant que le projet constituait une opportunité unique de sauver les richesses naturelles du pays. Il vient souligner notamment que le canal, pour être fonctionnel, aura besoin d’eau douce, laquelle dépend de forêts, lacs et rivières viables. Ainsi, si la compagnie H.K.N.D. veut pouvoir l’exploiter de façon rentable sur cinquante ou cent ans, elle a tout intérêt à investir dans la protection de cet écosystème – actuellement pollué et que le gouvernement n’a pas, en l’état actuel des choses, les moyens de protéger (Gross, 2014). Notons cependant qu’au moment de la signature du contrat, aucune clause ne venait garantir la préservation de cet écosystème, et aucune analyse d’impact n’était prévue (Kraul, 2015).
Pourtant, les voix à s’élever contre le projet sont nombreuses : en 2016, différents groupes de protestation ont mené un total de trente-deux actions devant la Cour Suprême pour la suspension du projet (sans succès), une devant le tribunal latinoaméricain de l’eau, une devant la cour centraméricaine des droits de l’homme (Medina, 2016); en 2017, plus de quatre-vingt dix manifestations ont été organisées pour protester contre le projet (Amnesty International, 2017). À l’échelle locale, les questions qui se posent sont variées, elles concernent en premier lieu les expropriations – nombreuses – pour pouvoir laisser la place à la construction du canal. D’après la société britannique chargée de l’étude d’impact environnemental du projet – financé par le groupe H.K.N.D…–, ces expropriations pourraient toucher jusqu’à 30 000 personnes ; mais les organisations de la société civile estiment elles à 120 000 le nombre de personnes qui pourraient être touchées. Les communautés touchées ont par ailleurs déclaré à l’ONG Amnesty International n’avoir pas été consultées – ce qui est contraire à la constitution du pays : on ne leur aurait pas non plus fourni d’alternative viable (Amnesty International, 2017). En effet, alors que la loi 840 a été votée en 2013, la première consultation publique a été elle organisée en 2014, alors que le projet avait déjà été entériné (Medina, 2016). À cette échelle, la question écologique se pose aussi avec intensité notamment parce qu’au moment de la signature du contrat, aucune étude d’impact n’avait été prévue (Jihong & Xiang, 2016). Le tracé retenu passe notamment à travers le lac Nicaragua (voir carte 1), un plan d’eau à la biodiversité unique. Bien que le projet prévoie un système d’écluses afin de séparer l’eau douce et l’eau salée, plusieurs voix s’élèvent, craignant une contamination de l’eau douce du lac par de l’eau des océans, ce qui aurait des conséquences évidentes sur l’écosystème du lac (Amnesty International, 2017; Axel & Jorge, 2014; Chen, Zeng, & Deng, 2016; Gross, 2014; Jihong & Xiang, 2016; Kelly, 2014). Par ailleurs, l’un des arguments majeurs pour défendre le canal repose dans sa capacité à accueillir des navires que même un canal de Panama élargi ne pourrait recevoir. Une telle volonté nécessite alors de vastes travaux de dragage du lac, afin d’avoir un tirant d’eau suffisant pour ces navires – ce qui est également susceptible de modifier son écosystème (Axel & Jorge, 2014). D’autre part, le tracé retenu traverse plusieurs zones sismiques et volcaniques : le risque est donc important vis-à-vis des infrastructures et c’est d’ailleurs l’une des raisons qui avaient conduit les États-Unis à faire le choix du Panama plutôt que du Nicaragua au moment de la construction de ce canal (Rodrigue, Comtois, & Slack, 2013). Ajoutons à cela que, depuis 1865, le Nicaragua a connu au moins quatre ouragans de classe 4 ou supérieure – phénomènes susceptibles d’endommager sérieusement les infrastructures du canal. Cette question du risque, sismique, volcanique ou encore météorologique, vient souligner enfin la fragilité économique du projet : le budget est déjà colossal et le risque financier immense. Un expert du département géologique des États-Unis, Bob Stallard, n’hésite ainsi pas à affirmer que les coûts de réparation du canal après de telles catastrophes pourraient coûter autant que la construction elle-même (Kraul, 2015), ajoutant une pierre à l’édifice déjà constitué par les très nombreuses critiques qui questionnent la faisabilité économique même du projet – alors que la H.K.N.D. n’a toujours pas rendu publique la moindre étude sur la question. Le projet, largement contesté, est loin de faire l’unanimité, d’autant plus que les problèmes qu’il soulève ne se limitent pas à l’échelle locale.
À l’échelle régionale : un facteur de tensions à ne pas négliger
Les initiateurs du projet, avec en tête, le groupe H.K.N.D., promeuvent un canal complémentaire à celui de Panama plutôt que concurrentiel, permettant à des navires excédant déjà la taille du canal élargi de passer. Le groupe affirme ainsi que 10% des navires ne pourront pas passer par le canal de Panama même après la fin des travaux (Valero & Galloy, 2015) et qu’ils trouveront alors dans ce projet une alternative satisfaisante. En raccourcissant le trajet de 800 km pour rallier les deux côtes des États-Unis, le projet est par ailleurs présenté comme une alternative intéressante pour les transporteurs américains notamment. Par ailleurs, en termes d’infrastructures, les retombées devraient être nombreuses également puisqu’outre le canal, le projet inclut la construction de deux ports, d’un aéroport, d’un hôtel, une centrale électrique, une usine de ciment et d’acier ainsi que tout un réseau de routes. À cela s’ajoute une zone de libre échange afin de stimuler le développement de la zone et d’encourager le passage par le canal (Kelly, 2014). Le projet permettrait donc au Nicaragua de se repositionner dans son environnement économique régional et d’attirer notamment des investissements directs étrangers, afin de stimuler son économie.
Dans les faits pourtant, la complémentarité est déjà établie entre le corridor terrestre nord-américain et le canal de Panama, et ce réseau bi-océanique n’est pas saturé par la demande américaine : il n’y a pas véritablement de demande pour une nouvelle voie de communication (Medina, 2016). Le fait que le groupe n’ait jamais conduit de travaux d’une telle envergure vient également interroger leur viabilité. Concernant les infrastructures, les travaux ont déjà pris des retards considérables et la question de leur entretien se pose avec acuité, notamment compte-tenu du fait que le projet est situé sur une cordillère et qu’il compte trois failles (Rodrigue et al., 2013). Enfin, la question environnementale se pose aussi à cette échelle autour notamment de l’enjeu des corridors écologiques. Le canal tel qu’il est projeté viendra séparer physiquement le pays et sa forêt tropicale dont la biodiversité est importante et unique. Il traverse ainsi plusieurs zones éminemment stratégiques : la réserve de biosphère colombienne pour le côté caribéen du canal, mais aussi, et surtout, le corridor biologique méso américain qui s’étire depuis le sud du Mexique jusqu’au Panama, emprunté par des espèces menacées telles que les jaguars (Kraul, 2015). La question de la circulation des espèces se pose alors en lien avec la préservation de cet écosystème, dont le fonctionnement s’étend bien au-delà des frontières du pays. Les scientifiques de l’Humboldt Center, un think tank nicaraguayen de premier plan, soulèvent également la question de la proximité du canal avec la réserve de biosphère Seaflower, située à seulement 90 miles des côtes du pays, et hôtesse du second plus grand récif corallien des Caraïbes – dont l’existence pourrait être menacée par une augmentation du trafic maritime (Kraul, 2015). Le Costa Rica, voisin méridional du Nicaragua, réclame ainsi une étude d’impact et de faisabilité concernant le projet sur cette question (Gross, 2014). L’économie du pays repose en effet beaucoup sur le tourisme, en particulier un « tourisme vert ». Il voit alors dans le canal une vraie menace pour cette biodiversité. Ces craintes, réelles, suscitent des tensions qui viennent raviver de vieux conflits : en 2005, le Costa Rica avait porté plainte contre le Nicaragua devant la cour de justice internationale à propos de questions frontalières à l’embouchure du fleuve San Juan (Parthenay, 2011). Au moment de la signature du contrat, aucune étude d’impact n’avait été demandée. Par la suite, c’est la H.K.N.D. elle-même qui a mandaté une société britannique pour conduire cette étude, avec de très courts délais. Le manque de transparence est ainsi dénoncé par de très nombreux acteurs au sein de la société civile. Au-delà du Costa Rica, le projet suscite aussi naturellement des tensions avec le Panama qui y voit une menace à son économie, notamment dans un contexte de lourds investissements pour l’élargissement du canal – plus de 5 milliards de dollars américains (Chen et al., 2016). Finalement, le projet est donc porteur d’incertitudes nombreuses, renforcées par des craintes quant au dessein de la Chine dans la région : plusieurs voix viennent questionner les intentions réelles du pays et ses liens avec ce méga projet.
Quel positionnement pour le canal à l’échelle globale ?
En 2016, Wang Jing, dirigeant de la H.K.N.D. a perdu 80% de sa fortune, remettant sérieusement en cause la poursuite du projet (Daley, 2016). Le canal, censé être livré en 2020, n’est toujours pas commencé, et les travaux sont actuellement repoussés à une date indéterminée. L’accord, lui, reste en vigueur et le gouvernement du Nicaragua a renouvelé le permis environnemental du groupe afin qu’il puisse finalement se lancer dans la construction (AFP, 2017b). Dans le même temps, le gouvernement chinois a réaffirmé n’être pas impliqué, position qu’il maintient depuis la signature de l’accord avec le groupe. Beaucoup questionnent cependant cette position. Ni Wang Jing ni le groupe H.K.N.D. n’ont jamais mené de projets de construction de cette envergure et certains observateurs voient dans ce projet une volonté de la Chine de s’assurer une voie de communication non contrôlée par le gouvernement des États-Unis (Medina, 2016). Le canal aurait en effet un grand intérêt stratégique pour Pékin, en permettant d’éviter d’être tributaire d’une voie maritime contrôlée par un allié des États-Unis (Valero & Galloy, 2015). La question de la souveraineté du Nicaragua sur ce passage demeure alors un enjeu majeur que beaucoup remettent en cause : nombreux sont ceux qui y voient une façon pour la Chine de se positionner sur le continent sud-américain. La rédaction d’un livre blanc concernant le projet et venant réaffirmer la souveraineté du Nicaragua sur tout le tracé peine à calmer les inquiétudes (AFP, 2017a).
La deuxième grande question qui se pose à l’échelle mondiale, c’est celle de la pertinence d’une nouvelle voie de communication maritime compte tenu de l’évolution globale des transports mondiaux. S’il est vrai que plus de 80% du commerce maritime s’effectue aujourd’hui par voie maritime, la question du positionnement du canal du Nicaragua est légitime. Le groupe H.K.N.D. affirme que ce projet permettra la circulation des navires Superpost Panamax, capables donc de transporter plus de 12000 EVP[1]. Les chiffres avancés par le groupe prévoient alors une part de marché de 5% pour le canal quand Panama en garderait 6%. Pourtant, les chiffres parlent d’eux même : au sein de la flotte mondiale de porte-conteneurs existante, seuls 1% dépassent la taille Post Panamax (Lekant & Serbinov, 2015). Malgré une certaine tendance au gigantisme observée dans les dernières années pour le transport de conteneurs, les coûts de péage pourraient être rédhibitoires pour les armateurs. Selon les projections, alors que le canal de Panama voit passer une moyenne de 38 navires par jour pour un temps de traversée de 8h, le canal du Nicaragua pourrait voir passer seulement 14 navires par jour pour un temps de traversée estimée à 30 heures (Lekant & Serbinov, 2015). Pour rentabiliser les coûts pharaoniques de construction, les droits de péage devront donc être très élevés, ils pourront alors potentiellement repousser les transporteurs.
Finalement, alors que les travaux sont, selon toutes apparences, aujourd’hui à l’arrêt, le canal reste d’actualité – le renouvellement récent du permis environnemental accordé au groupe H.K.N.D. vient en témoigner. Le projet reste toutefois porteur de nombreuses questions et continue de faire face à des vagues de protestation. Début septembre 2017, un leader des protestations anti-canal a disparu pendant plusieurs jours – il était retenu par la police. Il a dénoncé à sa libération des tentatives d’intimidation, la ligue nicaraguayenne des droits de l’Homme a quant à elle dénoncé une séquestration et une violation de la constitution (Romero, 2017). Cela vient rappeler que les oppositions au projet sont toujours vives ; cela souligne le danger encore aujourd’hui de s’opposer à de méga projets dans le pays – une militante anti-canal avait déjà été assassinée en 2016 (Medina, 2016). Cela étant, c’est bien sûr la dimension géostratégique du projet qui suscite le plus de commentaires. Si Pékin n’a jamais affirmé être lié au projet, l’opacité qui entoure son financement – à laquelle s’ajoute un dirigeant qui aurait perdu plus de 80% de sa fortune – laisse le champ libre aux spéculations. Pour Gen Bigler, professeur du Département d’Études internationales de l’Université du Pacifique, il est impossible de justifier un montant de cette ampleur d’un point de vue économique (Valero & Galloy, 2015). Pour lui, l’investissement est d’abord justifié par des considérations géostratégiques, de la même façon que les États-Unis ont d’abord investi au Panama pour des raisons politiques et stratégiques : le canal de Panama n’a commencé à être viable économiquement qu’après la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs chercheurs évoquent alors une manœuvre chinoise pour tester la réaction américaine – pour le moment inexistante, Washington demeurant convaincu que le projet n’aboutira pas. Les futurs développements diront s’il s’agissait de clairvoyance ou d’aveuglement de la part des États-Unis.
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Notes de bas de page
[1] Traduction libre de l’anglais ‘’the canal project is the only way in which Nicaragua can confront the issue of poverty’’.
[2] EVP, équivalent vingt pieds : conteneur de base pour la manutention des produits expédiés par voie maritime.