Mikaa Mered (2019). Les mondes polaires. Paris : PUF.

Frédéric Lasserre1

¹ Professeur à l’Université  Laval et directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques (CQEG); Frederic.Lasserre@ggr.ulaval.ca


Les mondes polaires est un ouvrage qui aborde, de manière parallèle, les réalités arctiques et antarctiques, sans d’ailleurs que ces deux réalités polaires soient l’objet d’une réflexion comparée. Ouvrage conséquent (524 p.), très documenté, le propos se lit aisément et vulgarise des éléments politiques, juridiques, économiques, sociaux de manière lisible pour le public non spécialiste. Sans chercher à atteindre une exhaustivité illusoire, l’auteur présente successivement, sous la forme d’une série de courts chapitres empruntant au mode encyclopédique, de nombreuses questions comme l’évolution sociopolitique du Groenland et l’influence de la Chine dans l’île, que chercherait à contrer Washington; la fonte de la banquise arctique, la diplomatie scientifique, la route de la soie polaire, les enjeux juridiques des espaces maritimes, les projets de ports arctiques, le conseil de l’Arctique, la pêche, la politique de la France ou de l’Union européenne, la nécessité de produire de la richesse sur place à travers la « valorisation endogène », la militarisation des espaces polaires, l’intérêt des pays asiatiques,, les traités antarctiques, pour conclure sur une série de 32 fiches pays (« fiches stratégiques ») présentant leurs intérêts dans les mondes polaires.

Très documenté disais-je, très diversifié dans les thématiques abordées, l’ouvrage n’en présente pas moins un certain nombre de défauts ou d’occasions manquées. L’introduction livre au lecteur des considérations étonnantes mariant lyrisme à l’astronomie, alors qu’elle aurait pu précisément servir de grille de lecture, au-delà du poncif des changements climatiques, pour mieux comparer les deux mondes polaires, à défaut d’une section se proposant d’amener une réflexion en ce sens. Cette introduction ne présente pas non plus de problématique, au singulier ou au pluriel, en dehors du constat de la rapidité des changements climatiques. Le choix du mode encyclopédique permet d’aborder un plus grand nombre de sujets mais sa contrepartie est parfois un manque de profondeur dans le développement du fait du format court des sections. Le choix d’apostropher le lecteur peut surprendre également dans un ouvrage universitaire, de même que l’absence totale de références dans les chapitres – on ne sait donc pas d’où vient l’information mobilisée par l’auteur, ce qui nuit fortement à sa crédibilité, même si une bibliographie « sélective » est présentée en fin d’ouvrage. Enfin, on relève l’absence de cartes, ce qui, pour un ouvrage de cette nature, nuit à l’intelligibilité du propos.

L’auteur insiste avec justesse sur un certain nombre de points : le choix des médias d’aborder les questions polaires, arctiques surtout, selon un angle particulier et volontiers alarmiste (« le tournant médiatique »), à partir de 2007 et de l’épisode du drapeau russe planté au pôle Nord. La rengaine de l’avènement de conflits majeurs en Arctique est ainsi bien déconstruite : « l’Arctique n’est pas un Far West », quoi qu’en disent de nombreux journalistes et observateurs. De même, l’Antarctique n’est pas promis à une crise majeure d’ici le demi-siècle car le traité de l’Antarctique constitue un socle solide et difficile à bouleverser.

Très optimiste quant aux perspectives de développement du trafic maritime et de l’exploitation des ressources, quant à la possibilité de développer de nombreux hubs logistiques pour capter un important trafic maritime arctique, ou sur les niveaux de réarmement russe, l’auteur présente cependant des informations récentes, crédibles tout en se gardant de verser dans l’exagération médiatique. L’analyse des politiques militaires semble également donner la part belle aux ambitions chinoises, mais sans excès sachant que la diversité des points de vue est légitime. Un bémol : ici encore, et faute d’une présentation de cette diversité des analyses, les chapitres très courts permettent peu de développer l’analyse et de présenter des portraits plus subtils et nuancés. On regrettera aussi des erreurs factuelles importantes, comme par exemple la confusion entre ZEE et plateau continental, ou entre État signataire et État partie à un traité après ratification ou adhésion. On relève des affirmations rapides et peu étayés, comme une supposée différence d’approche supposée entre les Inuits du Canada et du Groenland sur le concept de la souveraineté; ou le fait que la Russie ne peut envisager de recourir à la Cour internationale de justice ; ou les liens forts, militaires et identitaires, que le Japon entretiendrait avec la zone des Aléoutiennes…; sur l’impact qu’aurait eu un plus grand nombre de brise-glace américains sur la stratégie militaire russe dans l’Arctique, un raisonnement très hasardeux ; sur le futur développement du trafic maritime commercial ; sur l’idée que l’extraction des ressources naturelles en Arctique ne se heurte pas à des coûts importants ; sur l’idée que l’Arctique aurait toujours été perçu comme une passerelle entre Atlantique et Pacifique… L’accumulation de ces jugement hâtifs ne contribue pas à la crédibilité de l’exposé, c’est dommage.

Cet ouvrage présente donc l’intérêt de proposer une grande diversité de thèmes abordés ainsi que de nombreuses informations (non sourcées). Si le propos se garde de tomber dans la rhétorique de l’avènement d’une guerre dans l’Arctique ou l’Antarctique, les analyses sont cependant parfois un peu rapides ou font la part belle aux attraits économiques de l’Arctique, ou auraient gagné à être plus nuancées. Mais cette richesse documentaire, cette force de synthèse et de nombreuses bonnes idées et sujets originaux en font malgré tout un ouvrage intéressant. En complément de lecture avec d’autres sources sur les deux régions polaires, afin de pouvoir relativiser les analyses parfois un peu hâtives de l’auteur, il constitue donc une source d’éléments d’information ou de points de vue qui alimenteront la réflexion de l’étudiant ou du citoyen concerné par les mutations de ces régions.