Elizabeth Rooney1
RG v4 n2, 2018
À propos de l’auteure
Après des études en foresterie (B.Sc.), Elizabeth Rooney a travaillé quelque 10 ans pour Parcs Canada dans divers postes dont celui de service aux visiteurs, d’interprétation et de conseillère en ressources naturelles. Par la suite, elle a poursuivi ses études pour obtenir une maîtrise en Sciences du loisir (M.Sc.) portant sur l’aménagement du territoire et le tourisme. Elle a par la suite obtenu un doctorat (Ph.D) en éducation à l’environnement et a été chargée de cours aux Sciences de l’éducation à l’Université Laval.
Résumé : Ce texte témoigne des efforts faits par un groupe de citoyens revendiquant la fermeture d’une sablière opérée par la municipalité régionale de comté (MRC) de la Manicouagan. Cette exploitation provoque de l’érosion et la destruction d’une aire d’approvisionnement en eau potable. Il montre comment les faiblesses des lois environnementales permettent de contourner ces dernières et ceci, pour des raisons économiques. Il montre également les faiblesses des différents ministères et organismes gouvernementaux à intervenir devant cet état de fait.
Mots-clés : Lois environnementales, participation citoyenne, eau potable, érosion littorale, aménagement, développement durable.
Abstract: This text shows the efforts made by a group of citizens wanting the closure of an open-pit sand mining operated by the Regional County Municipality (MRC) of the Manicouagan. This exploitation results in the erosion and destruction of a drinking water supply area. It shows how the weaknesses of environmental laws make it possible for economic reasons to circumvent these. It also shows the weaknesses of the various government departments and agencies to intervene in this state of affairs.
Key words: Environmental laws, citizen participation, drinking water, coastal erosion, land management, sustainable development.
Introduction
Quelle protection donne-t’on au territoire au Québec? Quelle est la véritable articulation des dimensions reconnues comme pôles du développement durable à savoir, les pôles économique, écologique et social? Ce texte constitue un témoignage qui rend compte de la réalité complexe, voire kafkaïenne à laquelle font face des citoyens qui tentent de préserver leur milieu de vie et une zone maritime fragile sujette à l’érosion. Qui plus est, cette zone est une source d’eau potable pour quelque 35 habitations qui s’y trouvent. D’entrée de jeu, il faut comprendre que l’affaire s’échelonne sur plusieurs années et implique un grand nombre d’organismes gouvernementaux qui parrainent, si l’on peut dire, le territoire en question. Cette complexité est une histoire en soi : si tout un chacun se dit responsable d’un développement durable du territoire, en bout de ligne il semble que personne n’est imputable. Car l’histoire ici ne finit pas bien : l’exploitation de cette région littorale de la Côte-Nord se fait envers et contre tous pour des raisons économiques où l’écologique et le social paraissent balayés du revers de la main. Aucunes lois ou règlements ne seraient enfreints car il existe des manières légales de les contourner. De fait, peut-on vraiment parler de protection du territoire et de développement durable au Québec? Pour paraphraser un fonctionnaire, « le développement durable au Québec, ça n’existe pas! ».
Mise en contexte : les impacts de l’exploitation d’un territoire fragile
Le point de départ ici est la sablière BN-1887 sise le long de la route 138 à l’est de la municipalité de Franquelin (Fig. 1). Son exploitation a provoqué une érosion marquée dans une zone maritime à forte pente où l’on retrouve, au pied de cette pente, quelque 35 habitations. Un premier constat quant aux effets de cette érosion a pris la forme d’une énorme brèche le long du littoral où finit la pente (Fig. 2). Devant ce fait, les résidents de l’endroit ont communiqué avec les notables de la Municipalité de Franquelin. Ces derniers ont entrepris alors des démarches pour faire cesser l’exploitation de la sablière mais sans grand succès. Il faut comprendre que Franquelin fait partie de la Municipalité Régionale de Manicouagan (MRC) qui elle a, depuis 2011, la responsabilité de gérer la gestion et l’extraction du sable et du gravier sur son territoire public. Évoquant un prétendu « droit acquis » justifiant ainsi la non-nécessité d’obtenir un certificat d’exploitation, la MRC a fermé la porte à toute autre discussion.
Figure 1 – La sablière de Franquelin
Cliché E. Rooney
Figure 2 – Processus d’érosion
Cliché E. Rooney
L’exploitation s’est par la suite accentuée ce qui à continuer à accentuer également l’érosion. Par crainte d’un affaissement de terrain, le ministère de la Sécurité publique a été approché et une inspection sur le terrain a en effet révélé un décrochage, mot pour désigner dans leur langage un glissement de terrain, à l’est de la zone côtière. Toutefois, le ministère a avoué ne pas pouvoir intervenir dans ce dossier. Entre temps, le ministère du Transport annonce qu’il va procéder à la reconstruction de la route 138 dans ladite zone maritime et il allait de soi que la MRC allait ainsi intensifier l’exploitation de la sablière en l’agrandissant également de l’autre côté de la route. Le seul moyen qui semblait alors possible pour dénoncer l’exploitation intense ainsi envisagée fut par le biais d’une demande d’audience publique auprès du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, le BAPE. Le débat s’élargissait alors sur des manières de faire et pour tenter d’envisager d’autres procédés face à l’utilisateur principal des matériaux, le ministère du Transport. Pendant tout ce temps, bien des gens disaient qu’il faudrait s’adresser au ministère de l’Environnement, ce qui fut fait. Le ministère a vite répliqué en disant qu’il ne pouvait rien faire évoquant également un « possible droit acquis[1] ». C’est finalement le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles qui a autorisé l’exploitation de la sablière dans sa partie nord.
Quelques considérations théoriques et méthodologiques
Des recherches préliminaires quant à des travaux portant spécifiquement sur les actions et les rétroactions entre une participation citoyenne et les systèmes de gouvernance ont donné peu de résultats. Il existe bien des travaux qui analysent ce qu’il est convenu d’appeler les controverses environnementales telles celles des pluies acides et l’exploitation des gaz de schistes par exemple. Toutefois, ces travaux ne présentent pas de manière systématique les échanges entre des parties présentant des points de vue différents mais se concentrent sur des données scientifiques ou encore sur les intérêts économiques qui impliquent la plupart du temps des industries et les emplois qu’elles génèrent. Un rapport récent du BAPE à propos des enjeux liés à l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste dans le shale d’Utica des basses-terres du Saint-Laurent (BAPE, 2014), illustre le propos en consacrant à peine quinze pages aux enjeux sociaux sur les plus de cinq cent pages du rapport. Ce document note le peu d’analyse d’impacts sociaux, le manque de transparence des industries, les communications très faibles entre tous les intervenants, etc. En ce qui a trait au cas en cause dans ce texte, l’accent est mis sur le dialogue entre un groupe de citoyens et des organismes gouvernementaux. Il faut noter ici qu’il n’est même pas question d’une industrie quelconque mais bien d’agir de la part du Gouvernement lui-même. Dans cette veine, les théories de Luhman (1995) à propos des systèmes sociaux se sont montrées fort pertinentes particulièrement en ce qui a trait à l’idée d’autopoïèse pour signifier comment des systèmes complexes perpétuent leurs propres logiques internes. Les organismes gouvernementaux seraient de tels systèmes si l’on prend en compte les actions et rétroactions qu’ont engendrées les démarches ci-décrites.
Au plan méthodologique, l’approche est mixte s’apparentant à la fois à la recherche-action et à une analyse du discours. La recherche-action se veut une méthode de recherche qui donne une large place à la prise en compte de l’expérience des acteurs dans l’analyse de pratiques concrètes. Elle s’ancre dans l’action, dans des préoccupations du monde de la pratique pour qu’ultimement elle permette de changer les choses (Roy et Prévost, 2013). C’est ainsi que ce texte analyse les discours et actions des différents intervenants suivant un ordre chronologique. Quant à l’analyse des discours proprement dite, l’approche méthodologique puise aux travaux qui ont une pertinence scientifique largement reconnue dans ce domaine tels ceux de Bateson (1980) et Winkin (1981) pour en citer quelques-uns. Une démarche autoréflexive liée à l’approche méthodologique du récit de vie a également été suivie. L’auteure ayant elle-même vécu la problématique dont il est question, elle a cherché à interpréter et réfléchir sur l’ensemble des discours dans une perspective ethnographique telle celle proposée par Bourdieu (1993). Ce dernier indique que, dans ce type d’analyse des discours à propos d’un objet, le chercheur a la capacité de réfléchir tant sur lui-même que sur les interprétations qu’il donne aux discours ambiants participant ainsi à certaine objectivité. Les discours dont il est question ici sont à la fois des discussions faites de vive voix ou encore des échanges de lettres ou de documents tels que des documents de procédure, de correspondance et de communication tant par le promoteur que par les personnes-ressources, les participants ou encore par la commission (BAPE, 2016).
La Municipalité de Franquelin ou les limites du pouvoir municipal
Une des premières divisions du territoire québécois habité est celle qui relève de la municipalité pour signal un premier palier de l’organisation du territoire. Dans ce cas-ci, il s’agit de la municipalité de Franquelin, un village qui par ailleurs va fêter 100 ans d’existence en 2018. C’est un détail important car lors des discussions autour de de l’utilisation d’un point d’eau situé dans la zone de la sablière, les utilisateurs revendiquent un certain « droit acquis », les premiers chalets ayant été érigés avant la construction de la route 138. C’est par ailleurs l’évocation d’un soi-disant « droit acquis » que revendique également la MRC pour exploiter la sablière sans un certificat d’autorisation[2]. Mais dans ce cas, il s’agit de systématiquement détruire une partie du sol québécois!
Quelle protection la municipalité peut-elle donner à son propre territoire? Très peu si l’on en juge par les événements qui se sont déroulés par la suite. En effet bien que la municipalité jouît de certains pouvoirs, il faut reconnaitre qu’ultimement son pouvoir est très limité face aux autres paliers du gouvernement. Par exemple, la Municipalité Régionale de Comté de Manicouagan (MRC) a demandé à la municipalité de Franquelin de changer le zonage du territoire pour permettre son exploitation, demande que la municipalité a refusée. Il a été difficile de connaitre les discussions qui s’en sont suivies, mais il semble bien que la MRC ait fait fi de ce refus jugeant que, somme toute, cette permission n’était pas nécessaire. Il faut dire que les échanges entre le groupe citoyen et la MRC ont toujours été pénibles, la MRC refusant dans la plupart des cas de rencontrer et d’échanger. Dans les toutes premières démarches, le maire de la municipalité avait mandaté l’inspecteur en bâtiment[3] de répondre à nos préoccupations, ce qu’il a fait pour les premières étapes de nos démarches. Il s’est impliqué avec le ministère de la Sécurité publique pour ensuite nous dire que la MRC lui avait demandé de ne plus s’occuper de ce dossier. Bref, la municipalité, bien qu’elle siège à la MRC, semble avoir très peu de poids face aux décisions prises par cette dernière. Il faut ajouter que la municipalité a également officialisé son appui à notre demande de fermeture de la sablière auprès de la MRC en juillet 2017. Encore une fois, la demande est restée lettre morte ou du moins, aucune réponse n’a été reçue par le groupe de demandeurs. On peut en conclure qu’une municipalité a très peu de pouvoir lorsqu’il s’agit de la protection du sol sur son territoire particulièrement dans le cas de petites municipalités qui fonctionnement à l’intérieur d’une MRC où la ou les villes ont un poids énorme dans les décisions prises par l’organisme.
La Municipalité régionale de Comté de Manicouagan ou le principal gestionnaire du territoire
La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme prend force au Québec le 15 avril 1980. À l’aube des années 80, cette dernière traduit une volonté politique de donner au Québec une orientation bien précise en ce qui a trait à l’organisation du territoire. Elle découpe le sol québécois en des unités géographiques distinctes, reflets du modèle français des communes, à savoir les Municipalités régionales de comté (MRC). Les MRC doivent ainsi devenir des lieux de concertation privilégiés à l’écoute des municipalités constituantes, des plus petites aux plus grandes. Parmi les mandats dévolus aux MRC, le premier est celui de produire un schéma d’aménagement. Comme je l’ai démontré ailleurs (Rooney, 1993), la plupart des MRC présentent leur premier schéma d’aménagement à la fin des années 80 et plus de la moitié de ceux-ci retiennent le tourisme comme élément de développement économique. Il y a une absence quasi complète de ce qui touche au développement industriel ou autres sources de revenus. Le tourisme est priorisé.
En 2012, le schéma d’aménagement devient un schéma d’aménagement et de développement qui montre à quel point générer des revenus de sources diversifiées devient une préoccupation économique pressante. Il y aurait beaucoup à dire sur ce changement quant aux visions des MRC depuis les quelque trente dernières années mais dans le cas qui nous intéresse, il faut comprendre que l’exploitation des carrières et des sablières constitue pour la MRC, responsable de la gestion et de l’extraction du sable et du gravier sur son territoire depuis 2011, une source de revenus non négligeables. Il va de soi que si l’on réussit à extraire du sable en proximité de la route, on génère ainsi plus de revenus. La MRC de Manicouagan a par ailleurs indiqué qu’il serait irresponsable de leur part de ne pas agir ainsi étant donné les couts associés à cette opération et devant la nécessité de profiter économiquement le plus possible de cette source de revenus.
Tous les différents sites de l’Administration publique québécoise évoquent un souci de développement durable[4]. On pourrait alors penser que cette préoccupation concerne également les schémas d’aménagement et de développement lorsqu’il s’agit, par exemple, d’identifier les diverses vocations des portions de territoire. Désigner une zone incompatible avec une exploitation n’offre pas de telles garanties car si une décision est prise à cet égard, on procède à une modification du schéma. Tel que dit plus haut, lorsque la municipalité n’a pas voulu changer le zonage permettant l’agrandissement de la sablière du côté nord, ce refus est demeuré lettre morte. L’auteure a également été témoin d’une autre occasion où la MRC a procédé à un changement de zonage afin de permettre la diversification des activités économiques à l’intérieur d’une affectation du territoire comme exclusivement forestière à l’origine. Les citoyens et organismes avaient été invités à réunion d’information pour expliquer le changement et ceci, un mercredi matin à partir de 11 heures, l’avis public se trouvant en entrefilet dans un journal local. L’auteure de ces lignes a été la seule à assister à cette présentation. Mes questions à propos des impacts d’un tel changement sont restées sans réponses. Bref, au bout de 15 minutes, la résolution a été adoptée. L’histoire montre à quel point des changements au schéma d’aménagement peuvent se faire plus ou moins en catimini et où la transparence laisse à désirer,
Il existe d’autres moyens également pour contourner un usage prescrit d’un territoire comme le montre l’évocation d’un « droit acquis » dans le cas de l’exploitation de la sablière. Car même si la zone côtière est désignée comme zone maritime ce qui laissait supposer une protection allant de soi du fait des risques d’érosion par exemple, il semble que toute activité préexistence au schéma d’aménagement est automatiquement autorisée. On en revient au concept du dit « droit acquis ».
De nombreuses discussions ont également eu lieu à propos du puit de prélèvement d’eau sis dans la sablière. La MRC argumentait que ce puits n’était pas autorisé malgré nos nombreuses revendications à savoir que l’utilisation de ce point d’eau remontait à plus de 60 ans. Les terres étaient alors qualifiées de « terres de la couronne » et il était d’usage courant à cette époque pour les gens vivant à proximité de ces terres, d’en faire un usage non commercial. Ce puits alimente directement quelque 4 habitations où le creusage de puits sur les terrains s’est avéré inefficace[5]. Notons toutefois que la zone maritime est source d’eau potable pour plusieurs autres habitations qui ont, soit des puits de surface à proximité de leurs lieux, soit un puits creusé lorsque possible. L’exploitation de la sablière s’est également fait sentir sur ces derniers et met ainsi en péril tout un réseau d’alimentation en eau potable.
Au plan de la participation citoyenne, notons que jamais la MRC n’a répondu directement à nos préoccupations : par exemple, le 18 mai 2017 une lettre a été adressée au technicien de la MRC responsable du dossier pour au moins contenir le plus possible une érosion marquée du sol qui se traduisait par un fossé partant de la base du pylône d’Hydro-Québec et qui avait entrainé l’érosion complète d’un chemin forestier secondaire entre le haut et le bas de la sablière. Il faut dire que la vitesse à laquelle cette érosion s’est faite a soulevé beaucoup d’inquiétude. Encore une fois, la lettre est restée sans réponse bien que quelques jours plus tard la MRC a mandaté la municipalité de remplir le fossé pour cesser la progression de l’érosion. Cet incident à notre avis montre comment toute la montagne subit les effets des pluies et comment l’érosion est toujours possible dans une zone qui a une pente prononcée vers le fleuve Saint-Laurent.
Le 4 juillet 2017, une lettre a été envoyée à la MRC demandant la fermeture de la sablière tant dans partie présente que celle projetée de l’autre côté de la route 138 évoquant les risques démontrés d’érosion ainsi que la non-acceptabilité sociale d’une telle exploitation. La municipalité de Franquelin a de nouveau appuyé nos efforts. La lettre est restée sans réponse mais très tôt, un dimanche matin, la machinerie lourde s’est amenée pour commencer à exploiter la partie nord de la sablière. Une autorisation avait été obtenue du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, Direction générale de la Cote-Nord. Cette exploitation va sans doute continuer mais, encore une fois, elle se fait dans une forte pente ce qui soulève des préoccupations quant à une érosion pouvant possiblement affecter la route cette fois la route 138.
Au plan écologique, personne ne semble se soucier de la nature du terrain. Il s’agit d’une zone forestière intéressante avec une multitude de plantes et d’arbres qui n’ont peut-être pas la qualité d’être uniques mais qui sont représentatifs d’un milieu côtier boréal, l’ensemble du milieu pouvant être qualifié d’unique. Dans cette veine, la MRC a admis avoir permis à un entrepreneur d’exploiter la sablière ce qu’il a fait dans une nouvelle section à l’ouest. Sans aucune supervision, ce dernier n’avait pas respecté les normes en détruisant l’écran visuel en bordure de la route et en y a même enfoui des rebus d’asphalte! Il est difficile d’imaginer comment une telle permission avait été donnée, le sol étant dans une forte pente et de nature glaiseuse (Fig. 3). On a obligé l’entrepreneur à planter des pins gris dans la zone détruite dont la majorité sont morts peu de temps après (Fig. 4). Dans un tel milieu, il faudrait planter des espèces de type pionnier qui aideraient justement à rebâtir dans la continuité des espèces boréales environnantes[6]. Depuis, l’érosion continue à gruger la montagne.
Figure 3 – Sols argileux
Cliché E. Rooney
Figure 4 – Un reboisement peu efficace
Cliché E. Rooney
Le Ministère de la Sécurité publique ou une vision de la protection citoyenne
Après avoir pris contact avec la municipalité de Franquelin qui a son tour a eu des échanges avec la MRC de Manicouagan, force était de reconnaitre que cette dernière ne donnerait aucune suite aux préoccupations du milieu et que l’exploitation de la sablière continuait de manière intensive. Rappelons que le tout se déroule à peine 305 mètres des habitations le long de la côte. Les inquiétudes quant à l’érosion se sont amplifiées particulièrement lors des pluies abondantes lorsqu’une immense brèche a apparu au niveau du littoral côtier. La peur de voir ainsi amplifier l’érosion a mené à faire appel au ministère de la Sécurité Publique, organisme qui a pour mission la protection citoyenne, qui a envoyé des fonctionnaires sur le terrain pour évaluer la situation. Ces derniers ont en effet signalé une érosion/décrochage. Par la suite nous avons reçu de la Direction générale de la sécurité civile[7] un avis signé par un ingénieur au Service de la géotechnique et de la géologie du ministère des Transports du Québec qui, à son tour, au préalable, avait fait parvenir cet avis au Service du rétablissement du Ministère de la Sécurité publique. L’ingénieur en question travaillait à partir de Québec et n’est pas venu sur le terrain. Évoquant une question de distance – non précisée par ailleurs, il conclut que la coupe d’arbres en haut de la montagne n’a pas d’incidence sur le phénomène d’érosion. Bref malgré nos photos comme celles montrant une brèche à hauteur d’homme le long du littoral côtier ou bien celles de coulées de boues, il y avait somme toute une fin de non-recevoir à nos commentaires portant sur les réalités du terrain.
Il est intéressant de noter que lors de nos échanges avec ce ministère, on a demandé aux utilisateurs de VTT de cesser d’utiliser un passage au-dessus d’un talus créant des fissures dans ledit « talus » à quelques mètres des habitations, renvoyant ainsi au « petit geste » individuel qui « sauve l’environnement ». C’est une caricature bien sûre mais il reste que, de la part des gens tentant de sauver un flanc de montagne d’une activité humaine sanctionnée par l’État et à peine 300 mètres plus haut, la demande a été reçue avec un certain cynisme. Face à une activité qui détruit tout un écosystème, le « petit geste » semblait risible!
Le Ministère du Transport et le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (le BAPE) ou l’utilisateur principal des matériaux[8]
Pendant que les démarches se faisaient pour faire cesser l’exploitation de la sablière, le ministère du Transport annonce qu’il projette de reconstruire la route 138 dans le secteur des lacs à Thompson et la Ligne, secteur situé tout près de la sablière. Lorsque nous avons posé la question à savoir si des matériaux supplémentaires seraient pris à même la sablière, la réponse a été positive. Il faut dire que dès lors, notre préoccupation pour protéger la zone maritime dont il est question dans ce texte devient plus pressante. Une session d’information a été proposée aux citoyens et citoyennes de Franquelin pour présenter le projet. Or, cette séance a été annoncée dans le journal local une journée avant ce qui rendait quasi impossible à une participation des résidents permanents comme non permanents[9]. La consultation du document était disponible sur le site du ministère (MTQ, 2013). Suite à lecture de ce document qui montrait, selon nous, des lacunes importantes, une demande d’audience publique a été adressée, comme la procédure l’exige, au ministre de l’Environnement. Il faut dire que cette étude reprenait à peu de choses près, une étude faite quelque dix ans plus en vue d’une reconstruction de la route constamment repoussée depuis. Parmi les arguments avancés pour demander une telle audience, il n’y avait pas dans cette étude l’appréciation d’un hydrologue/géologue bien que l’on parle d’une zone où l’on retrouve plusieurs bassins et sous-bassins versants ainsi que de nombreux lacs; les tracés de route proposés étaient plus ou moins définis – le dernier tracé ajouté à la dernière minute. Également, le peu de réduction des courbes et la reconduite d’une pente dite critique nous semblait peu sérieux. Il y avait également le peu de cas fait de l’eutrophisation des lacs, le jeu des compensations qui proposait, par exemple, un type de ponceau entre les deux lacs permettant le passage de poissons (rappelons que les lacs sont plus ou moins eutrophisés), etc. Il y aurait beaucoup à dire de la façon dont ce type d’évaluation environnementale est conduit. On applique des grilles générales et difficiles à décoder et qui sont peu en lien avec la véritable nature des terrains et des territoires environnants. Les grilles reposent sur l’emploi de qualitatifs tels ceux de grande, moyenne et faible qui, comme en fait foi l’extrait suivant, sont de nature subjective.
Lorsque la valeur d’une composante intègre à la fois sa valeur écosystémique et sa valeur socio-économique, elle est établie en retenant la plus forte des deux valeurs, comme l’indique le tableau 8-1. Il importe de souligner qu’il s’agit d’un paramètre correspondant à une donnée subjective fondée sur l’intégration de jugements de valeur qui peuvent varier dans le temps, dans l’espace et selon les valeurs culturelles de chaque communauté ou groupes d’individus (BAPE 2013, page 8-4).
Une véritable caractérisation du sol et des espèces est inexistante. Notons au passage que le processus d’analyse des impacts réitère à plusieurs reprises que la consultation du public est essentielle pour bien comprendre les préoccupations et enjeux du milieu. À notre connaissance, la participation du public dans ce cas s’est limitée à une présentation du projet qui s’est faite plus ou moins en catimini et qui portait sur des détails plus techniques qu’une affaire d’impacts. Notons au passage que tout changement, discussions, modifications qui se font par la suite ne font pas l’objet d’une autre consultation. De fait, tout au long de nos rencontres avec le BAPE, il a été très difficile de faire reconnaitre nos préoccupations environnementales car les instances ramenaient toujours les discussions au point d’eau. Pour faire bref ici, le message a été qu’aucune loi ou règlement n’a avait été enfreint. Devant cet état de fait, nous avons accepté de retirer notre demande d’audience publique – il aurait été peu probable que le ministère refasse l’exercice et nous étions très conscients de la nécessité de refaire une portion de route fort dangereuse et négligée depuis tant d’années. Il reste que les préoccupations environnementales sont en réalité très peu prises en considération, que la culture de l’économie demeure la voie à suivre et que le dialogue entre les instances intéressées est quasi inexistant. Le ministère du Transport a voulu régler le dossier en disant qu’il interdirait tout approvisionnement en matériaux provenant de la sablière tant dans la partie sud et nord. Il faut comprendre ici qu’en se retirant ainsi, le ministère se distançait de la MRC qui est, rappelons-le, le gestionnaire de cette exploitation. Depuis l’exploitation de la sablière s’est poursuivie et les matériaux sont utilisés pour d’autres travaux sur la route 138. Qui plus est, le ministère du Transport continue d’élargir une zone de stockage à peine quelques deux kilomètres de la sablière! Notons qu’on pourrait envisager par la suite une restauration de la sablière en cause. Or dans ce cas-ci, il y a pour la MRC de Manicouagan un moyen de s’en tirer comme en fait fois l’extrait suivant:
Toutefois le règlement exige que les surfaces découvertes après le 17 aout 1977 soient restaurées même si la sablière n’est pas encadrée par un certificat d’autorisation du MDDELC (DQ1.1). Bien que les superficies de l’aire actuellement exploitée aient fluctué, le rapport d’inspection du MDDELC montre que la superficie exploitée en 1972 était du même ordre qu’en 2016, sinon plus étendue (DQ1.1.1). Dans ce cas, il n’y aurait donc pas pour la MRC obligation de restaurer la sablière en vertu du règlement. (BAPE 2016, p.16)
Dès le début des opérations en 2015, nous avions demandé à plusieurs reprises quelle serait la superficie exploitée. Rappelons que ladite sablière n’avait subi aucune transformation depuis les quelque vingt dernières années. Nous n’avons jamais eu de réponses. Mais nous avons vu et filmé de la machinerie lourde en train de détruire un couvert forestier dans la partie sud de la sablière pour ensuite voir camions après camions enlever le sable! Nous sommes dans une zone de forêt boréale, forêt qui se développe très lentement! Impossible pour nous de ne pas croire qu’on n’agrandissait pas l’aire d’exploitation à cet endroit. Qui plus est, en consultant les photos aériennes citées plus haut, il faudrait certes expliquer davantage comment on en est arrivé à conclure que l’aire exploitée était plus grande en 1972. La partie la plus à l’Est a été complètement dénudée de sable laissant à découvert à bien des endroits la nappe phréatique où des étendues de boue et de glaise sont perceptibles. On n’a donc pas touché cette zone! Toutefois, tel que dit ci-haut, la partie Sud a bel et bien été élargie. Or, le rapport du ministère de l’Environnement n’en as fait aucune mention. Encore une fois, nos observations sur le terrain ont été balayées du revers de la main rendant possible l’affirmation que la MRC n’était pas obligée de restaurer.
Le ministère du Développement Durable, de l’Environnement et Lutte contre les Changements Climatiques (MDDECC) ou l’impuissance face au ministère du Transport
Une représentation sociale répandue est celle qui fait que lors d’une problématique environnementale, il s’agit alors de s’adresser au MDDEC pour la régler. Dans le cas qui nous préoccupe ici, étant donné les ministères en cause, principalement le ministère du Transport, nous avions nos doutes quant à la capacité d’agir du MDDECC, ce qui s’est révélé exact par la suite. Il faut ici rappeler comment la structure organisationnelle gouvernementale est complexe : à Baie-Comeau il y a un bureau du dit ministre qui a pour nom la Direction régionale de l’analyse et de l’expertise de la Côte-Nord. Il répond à la Direction régionale du Centre de contrôle environnemental de la Côte-Nord qui elle est établie à Sept-Îles. Le 8 aout 2016, une lettre a été déposée au bureau de Baie-Comeau. Elle faisait part de nos préoccupations quant aux effets de l’exploitation de la sablière dans la zone maritime où se situent nos habitations. De fait, j’ai personnellement plaidé que la lettre n’était pas une de plainte mais que nous voulions des réponses particulièrement en ce qui a trait aux obligations du ministère du Transport quant au respect de leur part ou bien de leurs sous-contractants, de règles écologiques minimales telles celles de ne pas arracher les arbres avec de la machinerie lourde, ne pas constamment défoncer la nappe phréatique, ne pas creuser dans de fortes pentes, etc. Qui plus est, nous demandions une réponse écrite et non seulement un bref appel téléphonique qui passe pour avoir répondu aux exigences de l’État quant aux réponses données au public qui communique avec ce dernier. Pour cette raison, nous n’avions pas donné de numéro de téléphone d’entrée de jeu mais devant l’insistance de la fonctionnaire citant la nécessité possible de demander des informations supplémentaires, nous l’avons donné. Il s’est produit alors ce que nous craignons : un fonctionnaire de Sept-Îles nous a appelés pour dire de manière très brève que le ministère ne pouvait rien faire pour nous. Si nous voulions une copie du document écrit suite à notre « plainte », il fallait alors faire une demande d’accès à l’information. Une telle demande a été faite.
Le rapport d’inspection ainsi obtenu reformulait nos questions pour centrer la problématique sur la tourbière située en bordure de la sablière. Certes l’impact de cette tourbière se faisait sentir par des débordements lors des périodes de dégel et de pluies abondantes car une exploitation antérieure de la sablière avait plus ou moins coupé une étendue d’eau de la tourbière en question mais le gros du processus d’érosion que nous dénoncions résultait des travaux dans le flanc de montagne. C’est à propos des agissements de la MRC que nous voulions des réponses. Bref, le rapport se concentre sur la tourbière et milieux humides, domaines que l’on suppose du ressort du ministère sans élargir le débat pour répondre aux véritables questions posées par les citoyens. Le texte suivant illustre le genre de commentaires faits par le ministère.
Je consulte la fiche de réponse H29-2014 aux directions générales régionales secteurs hydriques et naturel rédigée par différents experts du ministère concernant les droits acquis par rapport au RCS. Selon cette fiche, l’exploitant de la sablière peut exploiter dans la tourbière sans détenir d’autorisation. Toujours selon cette fiche, même si l’exploitant de la sablière possède un droit acquis pour l’exploitation de cette sablière, l’article 14 du RCS prévoit qu’il est interdit d’exploiter une sablière dans un marécage. (MDDELCCa, p. 3)
Ce texte a de quoi à nous laisser perplexes. Ils sont plutôt ambigus quant à savoir s’il est possible ou non d’exploiter dans une tourbière, ce qui n’était pas notre préoccupation première. Bref, la conclusion est celle du fonctionnaire : le ministère ne pouvait rien faire pour nous!
Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles ou le pouvoir d’autorisation
Tel que dit précédemment, il est difficile pour les individus de se retrouver dans les responsabilités et services offerts par les différents ministères. Dans le cas qui nous préoccupe, les échanges ont pris place avec divers ministères sans qu’aucun ne mentionne la responsabilité du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles qui, ultimement, a donnée à la MRC une autorisation pour exploiter la partie nord de la sablière avec un contour défini. À plusieurs reprises par ailleurs, Mr. Haemmerli, président de la commission d’enquête du BAPE, nous a rappelé que lorsqu’il s’agit du droit au territoire, c’est La loi de la mine qui s’applique. Cette loi prime sur tout au Québec : le droit aux substances minérales, sauf celles de la couche arable, fait partie du domaine de l’État. Il en est de même du droit aux réservoirs souterrains situés dans des terres du domaine de l’État qui sont concédées ou aliénées par l’État à des fins autres que minière. Autrement dit, l’État demeure à toute fin pratique propriétaire du sol québécois bien qu’il existe quelques exceptions bien ciblées à cause d’ententes faites dans le passé. On peut se demander ici quelle valeur a un schéma d’aménagement face à cette loi surtout lorsqu’il s’agit de la protection d’un territoire. Dans le cas présent, les terrains sur lesquels est située la sablière appartiennent au ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles et seraient classées territoire non-organisé. Nous avions l’impression qu’il s’agissait d’un territoire inter-municipal à gestion inter-municipale. Somme toute, on revient à la Loi de la mine et par conséquent, ultimement, le territoire peut être exploité.
Il faut dire que pour le non-initié, il devient très difficile d’appréhender l’ensemble des lois ou règlements qui viseraient la protection du territoire. Par exemple, le MERN propose pour le territoire québécois des « plans d’affectation du territoire public ». Parmi ces plans produits on y retrouve la Carte 5 : Les vocations du territoire public de la Côte Nord (MER, 2012) qui indique clairement une zone protégée le long du Fleuve Saint-Laurent allant de Franquelin à Godbout. Cette protection assurerait la « Sauvegarde d’une composante du patrimoine naturel ou culturel qui subordonne les autres activités » (Id.). S’agit-il de ce qui est nommé en tourisme « La route des baleines? » Quel poids a une telle affectation? Il est difficile de répondre à ces questions. Notons ici que, comme bien des instances gouvernementales, le MERN assure se préoccuper de « l’acceptabilité sociale » de tout projet en assurant «la disponibilité d’un chargé de projet pour permettre aux promoteurs et aux acteurs locaux de s’informer et d’échanger sur les projets par l’entremise des directions régionales du Ministère. » (MERN, p. 10). Notre lettre demandant la fermeture de la sablière en 2017 est demeurée sans réponse!
Implications et conclusion
Quelle protection donne-t’on au sol québécois au Québec? Dans ce cas-ci, on peut mesurer sa faiblesse. Les lois et règlements offrent peu de protection car elles sont très souvent trop générales, comportent de nombreuses exceptions, peuvent être interprétées plus d’une façon. Cette reconnaissance est faite par l’État lui-même si on se fie à ses propos tirés d’un document publié en février 2018 à propos du Règlement sur les carrières et sablières (RSC):
Le RCS, qui n’a subi que quelques modifications mineures depuis son adoption, ne permet plus d’assurer une protection adéquate de l’environnement. Plusieurs mesures actuellement en vigueur sont ambiguës ou obsolètes et deviennent difficiles à appliquer, tant pour les exploitants que pour le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) qui doit faire face à un nombre croissant de plaintes et à des recours devant les tribunaux. (MDDELCCb, page iii).
Quelle est l’articulation véritable des dimensions reconnues comme pôles du développement durable à savoir, les pôles économique, écologique et social? Encore une fois, on peut répondre en disant qu’il n’existe aucune articulation entre les trois pôles mentionnés. Pourtant il existe à notre avis des pistes de solution pour en arriver à un véritable développement durable au Québec. Parmi ces pistes, citons d’une part, la création d’un véritable dialogue entre les développeurs et les utilisateurs au quotidien du territoire. Comme le montre ce texte, il est très difficile de communiquer avec le Gouvernement. Rappelons ici l’autopoïèse de Luhmann (1995) pour signifier comment les systèmes complexes tels les ministères cités ci-haut, ne donnent pas d’espace aux intérêts variés, mais perpétuent leurs propres logiques internes. Un processus fondamental menant à une véritable acceptabilité sociale[10] devrait permettre à tout un chacun d’évaluer ce que l’on est prêt à accepter et à céder. Il existe dans le monde des efforts à cet égard. L’État du Vaud en Suisse, par exemple, publie une série de documents à cet égard dont celui intitulé « Le développement durable au service des routes » (Keller et Hoffmeyer, 2012). On y lit une véritable préoccupation de modifier des habitudes dans la construction des routes pour y inclure les dimensions tant environnementales que sociales. Dans un langage simple et à l’aide d’exemples concrets, on donne des pistes pour concilier les différents aspects qu’impliquent de telles constructions ou rénovations et qui permettent de sortir de la polarisation économie – écologie. Autrement dit, au lieu de voir dans les revendications des utilisateurs du terrain une « opposition à tout », on retrouve plutôt un désir de concilier les différents intervenants. Le choix de matériaux, les types de revêtement, le tri des déchets, l’utilisation de camions et machinerie lourde plus efficaces au plan environnemental, sont autant de questions soulevées dans ce document. Par exemple, on y propose une véritable « Bourse aux matériaux d’excavation » pour faire un lien entre de possibles intéressés à ces matériaux. Dans le cas présent, nous proposions d’utiliser les matériaux en surplus lors de la reconstruction de la route pour réhabiliter la sablière. Dans ce dernier cas, il semble que ce serait dangereux pour le MTQ de créer un tel précédent : la sablière ne lui appartient pas, ce serait difficile d’obliger les contractants à suivre cette directive – on pourrait en déduire qu’encore une fois la question des couts interviendraient, et surtout qui assumeraient les couts. Il y a ici un refus total pour le MTQ d’envisager une telle action. (BAPE 2016, p. 17).
Il existe également tout un jeu quant aux compensations que doit fournir le MTQ lors d’une intervention sur le terrain. De nombreuses discussions ont eu lieu à cet égard pour finir avec une compensation qui va se traduire lors de la reconstruction de la 138 par la construction d’une aire humide dans une région qui pullule d’aires humides! Nos propositions de poser des actions pour contrer l’eutrophisation des lacs ou bien de justement payer pour l’utilisation des matériaux pour réhabiliter en partie la sablière. Elles ont été rejetées en un clin d’œil. Nous avions également demandé la possibilité d’ériger un viaduc, le milieu s’y prêtant de manière intéressante, avec des assises rocheuses qui permettraient d’éviter de creuser dans un milieu où s’entremêlent sable, gravier et glaises[11]. Comme réponses il y a eu bien sûr, encore une fois l’évocation des couts mais aussi l’idée qu’il ne fallait pas créer de précédent, les autres régions pouvant elles aussi réclamer de telles structures. La question demeure : à long terme, le cout des impacts destructeurs sur l’environnement, l’apport considérable en émission de CO2 pendant la construction ne pourraient-ils pas être pris en considération? Que va-t’on faire quand les matériaux de la sablière BN-1887 vont être épuisés? Le territoire québécois jouit’il d’une protection dans l’esprit du développement durable? Notre expérience tend à croire à l’honnêteté du fonctionnaire affirmant qu’il n’existe pas un tel développement au Québec. Certes, l’utilisation des ressources naturelles est nécessaire et il est dommage de voir que le débat face à cette utilisation se polarise autour des axes environnementalistes – développeurs. Il serait grand temps de revoir ce discours pour impliquer l’ensemble des utilisateurs, de reconnaitre les différents intérêts en jeu, d’ouvrir un véritable dialogue pour que des manières et des façons de faire ne mènent à une destruction irréversible du sol québécois, destruction qui se poursuit dans le cas de la sablière BN-1887 (Fig. 5 et 6).
Figure 5 – Brèche dans le sol
Cliché E. Rooney
Figure 6 – Érosion et brèche
Cliché E. Rooney
Notes de bas de page
[1] Cette notion de « droit acquis » est fort complexe si on se fie à la littérature à ce propos. La notion serait floue et difficile à cerner (Giroux, 1989).
[2] Puisque la sablière a été ouverte avant l’entrée en vigueur de la Loi sur la qualité de l’environnement en 1972, aucun certificat d’autorisation n’a été délivré pour la partie sud de la sablière. Dans la partie nouvelle, au nord, une autorisation a été donnée par le Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.
[3] L’inspecteur en bâtiment relève de la MRC de Manicouagan et partage son temps, dans son cas, entre les municipalités et villages de Franquelin, Godbout et Baie-Trinité. Il voit à l’application des règlements d’urbanisme et aux nombreux permis requis sur le territoire pour des constructions ou rénovations telles la mise en place de galeries, de clôtures, d’installation de piscines, de terrasses, etc.
[4] Le concept de développement durable, comme tout concept présentant une vision des choses, se définit de plusieurs façons. Il pourrait faire ici l’objet d’une discussion en soi. Soulignons par exemple, que le BAPE définit le concept à l’aide de seize principes allant, entre autres choses, de la protection de l’environnement, du partenariat et coopération intergouvernementale, de l’accès au savoir et ainsi de suite (BAPE, 2016, pp. 57 et 58).
[5] Le règlement sur la Qualité des eaux ne s’applique pas à un système de distribution qui alimente directement vingt personnes ou moins. Ce règlement exclut par conséquent tout un vaste ensemble d’habitations dans des zones dites de villégiature où baux de location ou terrains privés se situent. Dans la région de Franquelin, ces habitations sont aussi sinon plus nombreuses que les habitations de la municipalité.
[6] L’Organisme de Bassins Versants de Manicouagan (OBVM) a offert à la MRC de planter des espèces végétales beaucoup plus adaptées et ceci à un cout minimal. L’offre a été refusée sous prétexte que la plantation de pins devait être reprise par le contracteur.
[7] Il s’agit en fait de la Direction générale de la sécurité civile et de la sécurité incendie du Saguenay-Lac Saint-Jean et de la Côte-Nord.
[8] Un texte publié par la France indique qu’en sol français la construction de routes est l’industrie qui a le plus d’impacts sur les systèmes écologiques (Berger, 2006). Il est fort à parier que c’est le cas au Québec également.
[9] Les propos du directeur de l’Organisme de Bassins Versants de Manicouagan illustrent bien la chose. L’Organisme a reçu le volumineux document ainsi qu’un document semblable pour un autre réaménagement plus à l’Est de Franquelin quelques jours à peine avant la séance. Devant un délai si court, l’organisme ne s’est pas prononcé.
[10] Tout comme le concept de développement durable, le concept d’acceptabilité sociale peut se formuler de plusieurs manières. Des recherches plus poussées seraient nécessaires pour l’expliciter davantage. Toutefois, notons qu’une première représentation dans la situation décrite dans ce texte en est une que le fait de mettre en péril un approvisionnement en eau potable serait un critère indéniable de non-acceptabilité sociale.
[11] En Auvergne, France, par exemple, où existent de tels sols et où la région cherche à protéger toutes les sources d’eau potable – c’est la région de la célèbre Eau de Volvic, les viaducs sont la norme.
Références bibliographiques
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