Ice, Nature and Culture – Klaus Dodds Reaktion Books, Earth Series, Londres, 2018

Pauline Pic1

1Doctorante en sciences géographiques, Département de géographie, Université Laval, Québec (Canada)


La collection Earth Series de la maison Reaktion Books explore sous tous les angles les grands phénomènes naturels, tels que l’air, les tempêtes, les volcans ou même les arc-en-ciels… Dans le dernier sorti de la série, l’auteur, Klaus Dodds, professeur de géopolitique à la Royal Holloway, explore l’univers fascinant de la glace. De sa définition strictement physique, en passant par sa distribution spatiale, sa dimension mythique ou, bien sûr, sa pertinence géopolitique, toutes les facettes de l’élément sont passées à la loupe afin de brosser un portrait de la relation que l’homme entretient – et a entretenu, avec la glace.

L’ouvrage est dense, il est aussi très beau, enrichi de nombreuses illustrations qui viennent ponctuer la lecture et mettre en valeur le texte. Découpé en chapitres thématiques, il examine toutes les dimensions – passées et présentes – que la glace peut occuper dans la société. L’approche apparaît très classique de prime abord, avec un premier chapitre portant sur la composition physique et la localisation de la glace (et le lecteur géographe aurait beaucoup aimé voir une carte !). Le second s’intéresse à sa conquête, retraçant notamment l’histoire des grandes expéditions polaires, au Nord comme au Sud. Il rappelle aussi que si la glace fascine, elle peut aussi être hostile et que certains ont péri encore récemment au cours d’expéditions polaires. Le troisième chapitre explore les différentes représentations que peut avoir la glace dans différentes sociétés, en se concentrant sur les imaginaires locaux comme plus lointains. Le quatrième chapitre est celui qui nous a le plus intéressé – il porte sur la dimension géopolitique de la glace. Il nous a laissé un peu sur notre faim : on aurait aimé qu’il soit plus développé mais évidemment, l’ouvrage ne traite pas que de la question géopolitique. Les trois derniers chapitres évoquent respectivement la dimension du travail de la glace puis celle des loisirs qu’elle permet, avant de conclure sur l’adaptation.

Ainsi, l’ouvrage commence par une présentation des plus classiques de l’élément puis retrace son histoire, dessine sa place dans nos sociétés contemporaines, pour terminer par la question de l’adaptation à sa présence… comme à son absence. De fait, en filigrane et tout au long de l’ouvrage se pose la question des changements climatiques et de la disparition progressive de la glace – ou tout au moins de son recul accéléré, tant aux pôles que sur terre. Il interroge les causes de ce recul et souligne l’importance de la responsabilité humaine dans le processus : les sociétés, notamment occidentales, se sont approprié l’élément et contribuent à sa destruction. À cet égard, le chapitre trois est particulièrement intéressant parce qu’il souligne bien ce basculement d’une fascination, voire d’une terreur de la glace meurtrière, celle des expéditions Franklin en Arctique ou Scott en Antarctique, à des sociétés qui finissent par menacer jusqu’à son existence, avec des conséquences encore très incertaines… Les trois derniers chapitres sont aussi intéressants parce qu’ils montrent d’une part une utilisation croissante de la glace à des fins multiples ; ils soulignent aussi une déconnexion grandissante vis-à-vis de l’élément, qui peut-être géographique, quand on apprend que des blocs entiers de rivières ou lacs gelés d’Amérique du Nord étaient livrés par bateau dans les Caraïbes… pour fondre en arrivant, faute d’infrastructures au port pour pouvoir la conserver! Mais aussi une déconnexion qui s’inscrit dans une tendance plus générale et actuelle qui tend à considérer la glace comme un objet de consommation et de loisir, oubliant son rôle dans les écosystèmes locaux et globaux, quitte à mettre en péril son existence même.

Même si l’auteur souligne fréquemment l’importance du savoir local et la place spécifique de la glace dans les imaginaires locaux, qui contraste bien souvent avec cette vision occidentale de l’élément, on aurait peut-être aimé voire une emphase un peu plus marquée sur ces représentations des populations locales qui sont les premières concernées par les changements dans la nature et la saisonnalité de l’élément. D’autre part, même si l’approche thématique choisie est intéressante et a le mérite d’être très claire et pédagogique, on aurait peut-être apprécié un découpage plus transversal: on a presque parfois ici l’impression de lire un traité de géographie classique. Ce n’est pas inintéressant mais cela peut parfois être limitant et un découpage en chapitres plus transversaux aurait peut-être permis d’avoir une approche moins “académique”, cela aurait sans doute aussi facilité l’analyse multiscalaire.

Au total, l’ouvrage reste très intéressant et très pertinent, il pose des questions très actuelles et judicieuses. Très bien documenté, il est plein d’anecdotes fascinantes, de récits captivants et d’extraits littéraires toujours bien choisis. C’est donc une lecture de qualité qu’un lecteur curieux appréciera beaucoup !